S. m. (Physiologie) olfactus, sens destiné par la nature pour recevoir et discerner les odeurs. L'odorat cependant parait moins un sens particulier qu'une partie ou un supplément de celui du gout, dont il est comme la sentinelle : c'est le goût des odeurs et l'avant-goût des saveurs.

L'organe de cette sensation est la membrane qui revêt le nez, et qui se trouve être une continuation de celle qui tapisse le gosier, la bouche, l'oesophage et l'estomac : la différence des sensations de ces parties est à-peu-près comme leurs distances du cerveau ; je veux dire que l'odorat ne diffère pas plus du goût que le goût de la faim et de la soif : la bouche a une sensation plus fine que l'oesophage ; le nez l'a encore plus fine que la bouche, parce qu'il est plus près de l'origine du sentiment ; que tous les filets de ses nerfs, de leurs mamelons font déliés, remplis d'esprits ; au lieu que ceux qui s'éloignent de cette source deviennent par la loi commune des nerfs plus solides, et leurs mamelons dégénèrent, pour ainsi parler, en excraissances, relativement aux autres mamelons.

Tout le monde sait que l'intérieur du nez est l'organe de l'odorat, mais peu de gens savent l'artifice avec lequel cet intérieur est construit pour recevoir cette sensation ; et il manque encore aux plus habiles bien des connaissances sur cet artifice merveilleux. Nous n'envisagerons ici que ce qui est nécessaire à l'intelligence de cette sensation.

Mécanisme de l'organe de l'odorat. Immédiatement après l'ouverture des narines, qui est assez étroite, l'intérieur du nez forme deux cavités toujours séparées par une cloison ; ces cavités s'élargissent ensuite, se réunissent finalement en une seule qui Ve jusqu'au fond du gosier, par où elles communiquent avec la bouche.

Toute cette cavité est tapissée de la membrane pituitaire, ainsi nommée par les anciens, à cause de la pituite qui en découle. Nous ne savons rien autre chose de cette membrane, sinon qu'elle est spongieuse, et que sa surface offre un velouté très-ras. Le tissu spongieux est fait d'un lacis de vaisseaux, de nerfs, et d'une grande quantité de glandes : le velouté est composé de petits mamelons nerveux qui font l'organe de l'odorat et des extrémités de vaisseaux d'où découle la pituite et la mucosité du nez : ces liqueurs tiennent les mamelons nerveux dans la souplesse nécessaire à leur fonction ; et elles sont encore aidées dans cet office par les larmes que le canal lacrymal charrie dans le nez.

Le nerf olfactif, qui est la première paire des nerfs qui sortent du crâne, se jette dans la membrane pituitaire. On nommait le nerf olfactif apophyse mammiforme avant Piccolomini ; ses filets sont en grand nombre, et ils y paraissent plus mous et plus découverts qu'en aucun autre organe. Cette structure des nerfs de l'odorat, qui dépend de leur grande proximité du cerveau, contribue sans doute à les rendre plus propres à recevoir l'impression de ces odeurs.

La grande multiplicité des filets du nerf olfactoire est ce qui produit la grande quantité de glandes de la membrane pituitaire, car ces glandes ne sont que celles des extrémités nerveuses épanouies au-dessous des mamelons.

Outre le nerf olfactoire, il entre dans le nez une branche du nerf ophtalmique, c'est-à-dire d'un des nerfs de l'oeil. C'est la communication de ce petit nerf avec celui de l'odorat qui est cause qu'on pleure quand on a reçu de fortes odeurs.

Le velouté de la membrane pituitaire est tout propre à s'imbiber des vapeurs odorantes ; mais il y a encore un autre artifice pour arrêter ces vapeurs sur leur organe. L'intérieur du nez est garni de chaque côté de deux espèces de cornets doubles : ces cornets s'avancent très-loin dans cette cavité, en embarrassent le passage, et obligent par-là les vapeurs à se répandre et à séjourner un certain temps dans leur contour. Cette structure fait que ces vapeurs agissent plus longtemps, plus fortement sur une grande étendue de la membrane, et par conséquent la sensation en est plus parfaite. Aussi voit-on que les chiens de chasse et les autres animaux qui excellent par l'odorat, ont ces cornets du nez beaucoup plus considérables que ceux de l'homme.

Ces mêmes cornets, en arrêtant un peu l'air qu'on respire par le nez, en adoucissent la dureté dans l'hiver : c'est ce bon office qu'ils rendent aux poumons qui expose la membrane pituitaire à ces engorgements nommés enchifrenements de la membrane schneidérienne, qui ferment le passage à l'air, parce que les parois devenues plus épaisses se touchent immédiatement : ce qui prouve que quoique la cavité du nez soit très-grande, le labyrinthe que la nature y a construit pour y savourer les odeurs, y laisse peu d'espace vide.

Mécanisme des odeurs, objet de l'odorat. Les vapeurs odorantes qui font l'objet de l'odorat, sont, en fait de fluides, ce que les saveurs sont parmi les liqueurs et les sucs ; mais les vapeurs odorantes, dont la nature nous est inconnue, doivent être très-volatiles ; et la quantité prodigieuse de ces fluides volatiles qui s'exhalent sans cesse d'un corps odorant sans diminuer sensiblement son poids, prouve une division de la matière qui étonne l'imagination. Cette partie des végétaux, des animaux ou des fossiles qui réside dans leurs esprits, dans leurs huiles, dans leurs sels, dans leurs savons, pourvu qu'elle soit assez divisée pour pouvoir voltiger dans l'air, est l'objet de l'odorat.

Parmi les minéraux, le soufre allumé a le plus d'odeur, ensuite des sels de nature opposée dans l'acte même de leur effervescence, comme les métaux dans celui de leur érosion. Quelle odeur pénétrante n'ont point les sels alkalis volatils des corps animés durant la vie, des particules odorantes que le chien distingue mieux que l'homme ? du sein de la putréfaction quelle odeur fétide ne s'éleve-t-il pas ? Les corps putréfiés donnent une odeur désagréable, malgré ce que Plutarque dit du corps d'Alexandre le grand, et ce que le bon Camérarius dit d'une jeune fille. La plupart des végétaux ont de l'odeur, et dans certaines classes ils ont presque tous une bonne odeur. Les sucs acides, simples ou fermentés en ont de pareilles, ensuite la putréfaction alkaline d'un petit nombre de plantes n'en manque pas. Le feu et le broyement, qui n'est qu'une espèce de feu plus doux, tire des odeurs du règne animal et végétal. La Chimie nous fournit sur ce sujet quantité de faits curieux. On sait par une suite d'expériences, que cette matière subtîle qu'on nomme esprit, et qui est contenue dans l'huile, est la principale chose qui excite le sentiment de l'odeur. En effet, si l'on sépare des corps odoriférants tout l'esprit qu'ils contiennent, ils n'ont presque plus d'odeur ; et au contraire les matières qui ne sont point odoriférantes le deviennent lorsqu'on leur communique quelques particules de ce même esprit.

Boyle a écrit un traité curieux sur l'émanation des corpuscules qui forment les odeurs : celle du romarin fait reconnaître les terres d'Espagne à 40 milles, suivant Bartholin, à quelques milles, suivant la vérité. Diodore de Sicîle dit à-peu-près la même chose de l'Arabie, que Bartholin de l'Espagne. Un chien qui a bon nez reconnait au bout de six heures la trace d'un animal ou de son maître ; de sorte qu'il s'arrête où les particules odoriférantes le lui conseillent. Je supprime ici quantité d'observations semblables ; je ne dois pas cependant oublier de remarquer que l'odeur de plusieurs corps odoriférants se manifeste ou s'accrait par le mouvement et par la chaleur : le broyement donne de l'odeur à tous les corps durs qui n'en ont point, ou augmente celle qu'ils ont ; c'est ce qu'on a tant de fois éprouvé sur le succin, sur l'aloès. Il est des bois qui prennent de l'odeur dans les mains du tourneur.

Cette odeur des corps odoriférants augmente aussi quand on en mêle plusieurs ensemble, ou quand on mêle des sels avec des corps huileux odoriférants. Le sel ammoniac et le sel alkali, l'un et l'autre sans odeur, mêlés ensemble, en ont une très-forte. Un grain de sel fixe donne un goût brulant et nulle odeur, à-moins qu'il ne rencontre une salive acide et qui aide l'alkali à le dégager. L'esprit de sel, l'huîle de vitriol dulcifiés, ont une odeur fort agréable, différente de celle de l'alcohol et d'une liqueur acide. L'eau de mélilot, qui est presque inodorante, augmente beaucoup plus les odeurs des corps qui en ont. L'odeur de l'ambre lorsqu'il est seul, est peu de chose, mais elle s'exalte par le mélange d'un peu de musc.

C'est dans ce mélange de divers corps que consistent les parfums, hors de mode aujourd'hui, et si goutés des anciens, qu'ils les employaient à table, dans les funérailles, et sur les tombeaux pour honorer la mémoire des morts. Antoine recommande de répandre sur ses cendres des herbes odoriférantes, et de mêler des baumes à l'agréable odeur des roses.

Sparge mero cineres, et odoro perlue nardo

Hospes, et adde rosis balsama puniceis.

Manière dont se fait l'odorat. Le véhicule général des corpuscules odorants, est l'air où ces corpuscules sont répandus ; mais ce n'est pas assez que l'air soit rempli des particules odorantes des corps, il faut qu'il les apporte dans les cavités du nez, et c'est ce qui est exécuté par le mouvement de la respiration, qui oblige sans cesse l'air à passer et repasser par ces cavités pour entrer dans les poumons ou pour en sortir. C'est pourquoi ceux qui ont le passage du nez fermé par l'enchifrenement et qui sont obligés de respirer par la bouche, perdent en même temps l'odorat. M. de la Hire le fils a Ve un homme qui s'empêchait de sentir les mauvaises odeurs en remontant sa luette, en sorte qu'elle bouchait la communication du nez à la bouche, et il respirait par cette dernière voie. On peut croire que les odeurs ne laissent pas pour cela de venir toujours frapper le nez, où est le siège du sentiment ; mais comme on ne respire point alors par le nez, elles ne sont point attirées par la respiration, et ont trop peu de force pour se faire sentir.

Ce même passage de l'air dans les cavités du nez, sert quelquefois à nettoyer ces cavités de ce qui les embarrasse, comme lorsqu'on y pousse l'air des poumons avec violence, soit qu'on veuille se moucher, soit que l'on éternue, après quoi l'odorat se fait beaucoup mieux. Un animal qui respire par la trachée-artère coupée, ne sent point du tout les odeurs les plus fortes : c'est une expérience de Lower. On sait que quand l'air sort du poumon par les narines, on a beau présenter au nez un corps odoriférant, il ne fait aucune impression sur l'odorat. Lorsqu'on retient son haleine, on ne sent aussi presque point les odeurs ; il faut pour les sentir les attirer avec l'air par les narines. Varolius l'a fort bien remarqué, tandis que Cassérius l'a nié mal-à-propos : car plus l'inspiration est forte et fréquente, plus l'odorat est exquis. Il faut cependant avouer, et c'est peut-être ce qui a jeté Cassérius dans l'erreur ; il faut, dis-je, avouer qu'on ne laisse pas de sentir dans l'expiration. La sensation n'est pas entièrement abolie, ainsi qu'elle l'est lorsque la respiration est absolument retenue : elle est seulement très-foible ; la raison de ce fait est que toutes les particules odorantes n'ayant pu être réunies et ramassées dans le temps que l'air passe dans la cavité du nez pendant l'inspiration, il reste encore dans l'air quelques particules odorantes qui repassent dans l'expiration, qui ne peuvent produire qu'une légère sensation.

L'odorat se fait donc quand les particules odoriférantes contenues dans l'air sont attirées avec une certaine force dans l'inspiration par les narines : alors elles vont frapper vivement les petites fibres olfactives que le nez par sa figure, et les osselets par leur position, leur présentent ; c'est de cette impression, communiquée ensuite au sensorium commune, que résultent les différentes odeurs d'acide, d'alkali, d'aromatique, de pourri, de vineux, et autres dont la combinaison est infinie.

Explication des phénomènes de l'odorat. On peut comprendre, par les principes que nous venons d'établir, les phénomènes suivants :

1°. L'affinité qui se trouve entre les corps odoriférants et les corps savoureux, ou entre les objets du goût et de l'odorat. L'odorat n'est souvent que l'avant goût des saveurs, la membrane qui tapisse le nez étant une continuation de celle qui tapisse le palais : de-là nait une grande liaison entre ces deux organes. Les narines ont leurs nerfs très-déliés et découverts ; la langue a un réseau épais et pulpeux ; ainsi l'odorat doit être frappé avant le gout. Mais il y a quelque chose de plus : les corpuscules qui font les odeurs, retiennent souvent quelque chose de la nature des corps dont ils sortent : en voici des preuves. 1°. Les corpuscules qui s'exhalent de l'absinthe font sur la langue les mêmes impressions que l'absinthe même. Boyle dit la même chose du succin dissout dans l'esprit-de-vin. 2°. Le même auteur ajoute qu'un de ses amis ayant fait piler de l'hellébore noir dans un mortier, tous ceux qui se trouvèrent dans la chambre furent purgés. Sennert assure la même chose au sujet de la coloquinte. 3°. Quand on distille des matières somniferes, on tombe souvent dans un profond sommeil. 4°. On prétend que quelques personnes ont prolongé quelque temps leur vie par l'odeur de certaines matières. Le chancelier Bacon rapporte qu'un homme vécut quatre jours soutenu par l'odeur seule de quelques herbes mêlées avec de l'ail et des oignons. Tous ces faits justifient qu'il se trouve une grande liaison entre les odeurs et les saveurs de beaucoup de corps, parce qu'ils produisent les mêmes effets à ces deux égards.

Puisqu'il règne tant d'affinité entre les odeurs et le gout, d'où vient que des odeurs desagréables, comme celles de l'ail, des choux, du fromage, et de plusieurs autres choses corrompues, ne choquent point quand elles sont dans des aliments dont le goût plait ? c'est parce qu'on s'y est habitué de bonne heure sans accident, et sans que la santé en ait souffert. Ceux qui se sont efforcés à goûter, à sentir des choses qui les révoltaient d'abord, viennent à les souffrir et finalement à les aimer. Il arrive aussi quelquefois que les aversions et les inclinations qu'on a pour les odeurs et les saveurs, ne sont pas toujours fondées sur des utilités et des contrariétés bien effectives, parce que les idées qu'on a de l'agréable ou du desagréable, peuvent avoir été formées par des jugements précipités que l'âme réforme à la fin par des réflexions philosophiques.

2°. Pourquoi ne sent-on point les odeurs quand on est enrhumé ? parce que l'humeur épaisse qui est sur la membrane pituitaire arrête les corpuscules odoriférants qui viennent du dehors, et leur bouche les passages par où ils peuvent arriver jusqu'aux nerfs olfactifs et les agiter.

3°. Pourquoi les odeurs rendent-elles souvent la vie dans un instant, et fortifient-elles quelquefois d'une façon singulière ? Par exemple, il n'est rien de plus puissant dans certains cas que l'esprit volatil du sel ammoniac préparé avec de la chaux vive : cela vient de ce que les parties des corps odoriférants, en agitant les nerfs olfactifs, agitent ceux qui communiquent avec eux et y portent le suc nerveux ; d'ailleurs elles entrent peut-être dans les vaisseaux sanguins sur lesquels elles agissent, et dans lesquels par conséquent elles font couler les liqueurs rapidement. Toutes ces causes nous font revenir des syncopes, puisqu'elles ne consistent que dans une cessation de mouvement. Enfin, il y a un rapport inconnu entre le principe vital et les corps odorants.

4°. Mais d'où vient donc que les odeurs causent quelquefois des maladies, la mort, et presque tous les effets des médicaments et des poisons ? c'est lorsque l'agitation produite par les corps odoriférants est trop violente : alors elle pourra porter les convulsions dans les parties dont les nerfs communiquent avec ceux du nez ; ces convulsions pourront donner des maladies, et finalement la mort. La puanteur des cadavres a quelquefois causé des fièvres malignes. Méad parle d'une eau qui sortit d'un cadavre, dont le seul attouchement, tant elle était corrosive, excitait des ulcères. On prépare des poisons si subtils, que leur odeur fait mourir ceux qui les inspirent : l'Histoire n'en fournit que trop d'exemples.

On connait le danger du soufre allumé dans des endroits privés d'air ; les vapeurs mortelles de certaines cavernes souterraines, celles du foin échauffé dans des granges fermées ; les vapeurs du vin et des liqueurs qui fermentent : cependant dans tous ces cas il y a une autre cause nuisible que celle des odeurs, c'est qu'on est suffoqué par la perte du ressort de l'air qu'on respire ; car l'air plus léger qu'il ne doit être, ou privé de son élasticité, tue par l'empêchement même de la respiration.

Enfin, des odeurs produiront les effets des médicaments, quand elles retiendront quelque chose de la nature des corps dont elles sortent, qui se trouvent être purgatifs ou vomitifs ; c'est pourquoi l'odeur des pilules cochiées purgeait un homme dont parle Fallope. Dans Schneider et Boyle, on lit divers exemples semblables. Plusieurs purgatifs n'agissent que par leur esprit recteur, selon Pechlin, un des hommes qui a le mieux écrit sur cette matière. Or de quelle volatilité, de quelle subtilité n'est point cet esprit recteur, puisque le verre d'antimoine communique au vin une vertu émétique sans perdre de son poids ?

5°. Pour quelle raison la même odeur du même corps odoriférant produit-elle des effets opposés en différentes personnes ? Guy-Patin parle d'un médecin célèbre que l'odeur agréable des roses jetait en faiblesse. On ne voit en effet que des sensations différentes en fait d'odeurs : c'est que chacun a sa disposition nerveuse inconnue, et des esprits particuliers qui gouvernent l'âme et le corps, comme s'il était sans âme ; les nerfs olfactifs sont moins sensibles dans les uns que dans les autres : ainsi les mêmes corpuscules pourront faire des impressions fort différentes. Et voilà la cause pourquoi les odeurs qui ne sont pas sensibles pour certaines personnes, produisent en d'autres des effets surprenans.

Ces effets mêmes sont quelquefois fort bizarres, car dans l'affection hystérique les femmes reviennent par la force de certaines odeurs desagréables et très-pénétrantes, au lieu que les bonnes odeurs aigrissent leur mal. Nous ne dirons pas, pour expliquer ce phénomène, que les bonnes odeurs arrêtent un peu le cours du suc nerveux, et doivent par conséquent produire un dérangement. Nous n'attribuerons pas non plus cet effet des bonnes odeurs à la vertu somnifère : ces sortes d'explications sont de vains raisonnements qu'aucun principe ne saurait appuyer.

N'oublions pas cependant de remarquer que l'habitude a beaucoup d'influence sur l'odorat, et que l'imagination ne perd rien de ses droits sur tous les sens. D'où vient ce musc, si recherché jadis, donne-t-il aujourd'hui des vapeurs à toutes les dames, et même à une partie des hommes, tandis que le tabac, odeur ammoniacale et venimeuse, fait le délice des odorats les plus susceptibles de délicatesse ? Est-ce que les organes sont changés ? Ils peuvent l'être à quelques égards, mais il en faut surtout chercher la cause dans l'imagination, l'habitude et les préjugés de mode.

6°. Pourquoi l'odorat est-il si fin dans les animaux qui ont de longs becs, de longues narines, et les os spongieux considérables ? Parce que les vrais et premiers organes de l'odorat paraissent être les cornets osseux ; ces cornets par leur nombre de contours en volute, multiplient les parties de la sensation, donnent plus d'étendue à la membrane qui reçoit les divisions infinies des nerfs olfactifs, et par conséquent rendent l'odorat plus exquis. Plus un animal a de nez, plus ses cornets ont de lames. Petham dit que dans le chien de chasse, les nerfs ont une plus vaste expansion dans les narines, et que les lames y sont plus entortillées, que dans aucune autre bête. Dans le lièvre, animal qui a du nez, et un nez qu'il remue toujours, les petits os sont à cellules en-dedans, avec plusieurs cornets ou tuyaux. L'os spongieux du bœuf a intérieurement un tissu réticulaire ; cet os dans le cheval, forme des cornets entortillés avec des cellules à rets, selon les observations de Cassérius, de Schneïder et de Bartholin. C'est par le même mécanisme que le cochon sent merveilleusement les racines qu'il cherche en terre. La main de l'éléphant n'est qu'un nez très-long, et sa trompe, dont Duverney a seulement décrit la fabrique musculeuse, n'est presque qu'un assemblage de nerfs olfactifs : cet organe a donc une énorme surface dans cet animal.

Sténon a démontré la même chose dans les poissons, dont les nerfs olfactifs ressemblent aux nerfs optiques, et se terminent en un semblable hémisphère. Ainsi règle générale, à proportion de la longueur des narines, des cornets osseux et contournés, la finesse et l'étendue de l'odorat se multiplient dans l'homme et dans les autres animaux. Quant aux oiseaux, ils ont dans les narines des vessies à petits tubes, et garnies de nerfs visibles, qui viennent des processus mamillaires par l'os cribleux. Il y en a beaucoup dans le faucon, l'aigle et le vautour. On dit qu'après la bataille qui décida de l'empire du monde entre César et Pompée, les vautours passaient de l'Asie à Pharsale.

7°. Comment des corps odoriférants, très-petits, peuvent-ils répandre si longtemps des odeurs si fortes, sans que les corps dont ils s'exhalent paraissent presque avoir perdu de leur masse à en juger par leur pesanteur ? Un morceau d'ambre gris ayant été suspendu dans une balance, qu'une petite partie d'un grain faisait trébucher, ne perdit rien de son poids pendant 3 jours, ni l'assa foetida en 5. Une once de noix muscade ne perdit en 6 jours que cinq grains et demi ; et une once de clous de gérofle sept grains et trois huitiemes : ce sont des expériences de Boyle. Une seule goutte d'huîle de canelle dans une pinte de vin, lui donne un goût aromatique. On fait avec cette même huîle un esprit très-vif, lequel évaporé laisse le reste sans odeur ni diminution. Une goutte d'huîle de Galanga embaume une livre de thé. Les plus subtiles particules odoriférantes ne passent cependant point au-travers du verre, ce corps que pénétrent le feu, la lumière et la matière de l'aimant : donc elles sont d'une nature plus grossière. Mais les sels fixes, les terres les plus arides, l'alun, le vitriol, démontrent avec quelle facilité la partie humide de l'air Ve pénétrer différents corps, et constitue un tout avec eux. Tout cela porte à croire que les petits corpuscules odoriférants reçoivent des parties d'air commun, qui les remplacent à mesure qu'ils s'exhalent ; et c'est la raison pour laquelle cette évaporation se fait sans diminution de la masse.

8°. Pourquoi la puanteur qui s'exhale de parties d'animaux, ou de végétaux putréfiés, fait-elle sur les narines une impression si longue, si opiniâtre et si désagréable ? La fétidité d'une maladie mortelle porte au nez pendant plusieurs jours. L'odorat n'est-il pas longtemps affecté des rapports nidoreux d'une matière indigeste qui croupit dans l'estomac ? Comme il y a beaucoup de détours dans la membrane pituitaire, et qu'il s'y trouve toujours de la mucosité, cette mucosité vicieuse y retient, et prend pour-ainsi-dire à sa glu, ces corpuscules empoisonnés qui s'exhalent des corps malades, des parties d'animaux, ou de végétaux putréfiés. On a besoin de prendre beaucoup de matière sternutatoire pour dissiper ces corpuscules ; l'agitation qui survient alors à la membrane pituitaire, et l'humeur muqueuse qui coule en abondance produit cet effet ; si de pareilles odeurs étaient portées au nez après l'éternuement, elles feraient encore plus d'impression, comme on l'éprouve à son lever.

9°. Pourquoi l'odorat est-il émoussé quand on s'éveille le matin, et devient-il plus vif après qu'on a éternué ? Nous venons de l'expliquer. Alors, c'est-à-dire au reveil, une humeur épaisse couvre la membrane pituitaire, parce que la chaleur a évaporé la partie aqueuse, et a laissé la matière grossière qui n'a pu être chassée durant le repos de la nuit ; cette humeur visqueuse arrête les corpuscules odoriférants, mais quand on l'a rejetée par la force de la sternutation ou l'émonction, les nerfs se trouvent libres et pleins de suc nerveux, ils sont plus sensibles qu'auparavant.

10°. Pourquoi les plus forts odoriférants sont-ils sternutatoires ? Parce qu'en ébranlant fortement les nerfs olfactifs, ils ébranlent les nerfs qui servent à la respiration et qui communiquent avec eux.

11°. Pourquoi ne sent-on rien quand on court contre le vent ? Parce que le vent desséche le mucus qui lubrefie la membrane pituitaire, et qu'aucun nerf n'a de sentiment s'il n'est humecté.

12°. Enfin il y a des odeurs si fortes, comme celle de l'oignon, du vinaigre, du soufre allumé, de l'esprit de nitre, qu'elles n'agissent pas seulement sur l'organe de l'odorat, mais qu'elles blessent les yeux. On en peut trouver la cause dans la communication du nerf ophtalmique avec celui de l'odorat.

Le sentiment que les yeux souffrent des odeurs fortes, est un sentiment du toucher, pareil à celui que la lumière ramassée cause sur la peau, ou à celui que des saveurs très vives, telles que les âcres et les acides exaltés, causent sur la langue ; mais comme la peau n'est émue par les objets de la vue et du gout, que quand ils agissent avec une véhémence extraordinaire ; de même les yeux ne souffrent de la douleur des odeurs, que lorsqu'elles ont une force assez grande pour blesser leur délicatesse ; et comme les odeurs en général sont d'une nature particulière qui ébranle toujours leur propre organe, ceux de la vue et du goût ne sont point ébranlés de la même manière, et par conséquent ne sont point affectés de la sensation de l'odorat.

Le sens de l 'odorat est plus parfait dans les animaux. Les hommes ont l'odorat moins bon que les animaux ; et la raison en est évidente par l'examen de la construction de l'organe. Je sais que le P. du Tertre, dans son voyage des Antilles, et le P. Laffitau, dans son livre des mœurs des Sauvages, nous parlent, l'un de negres et l'autre de sauvages qui avaient l'odorat plus fin qu'aucun chien de chasse, et qui distinguaient de fort loin la piste d'un noir, d'un français et d'un anglais : mais ce sont des faits trop suspects pour y donner confiance. Il en est de même d'un garçon dont parle le chevalier Digby, qui élevé dans une forêt où il n'avait vécu que de racines, pouvait trouver sa femme à la piste, comme un chien fait son maître. Pour ce qui est du religieux de Prague, qui connaissait par l'odorat les différentes personnes, distinguait une fille ou une femme chaste de celles qui ne l'étaient point, c'est un nouveau conte plus propre à fournir matière à quelque bon mot, qu'à la créance d'un physicien.

Je conviens que les hommes par leur genre de vie, par leur habitude aux odeurs fortes dont ils sont sans cesse entourés, usent l'organe de leur odorat ; mais il est toujours vrai que s'ils l'ont beaucoup moins fin que les animaux, ce n'est point à l'abus qu'ils en font que l'on doit en attribuer la cause, c'est dans le défaut de l'organe qu'il la faut chercher. La nature ne l'a point perfectionné dans l'homme, comme dans la plupart des quadrupedes. Voyez le nombre de leurs cornets en volute, le merveilleux tissu du réseau qui les accompagne, et vous conclurez de là la distance qui doit se trouver entre l'homme et la bête pour la finesse de l'odorat ! Considerez de quelle étendue sont les os spongieux dans les brutes ; comme leur cerveau est plus petit que celui de l'homme, cet espace qui manque vient augmenter leur nez : car la multiplicité des plis et des lames rend la sensation plus forte ; et c'est cette augmentation qui en fait la différence dans les bêtes mêmes. L'odorat est le seul organe par lequel elles savent distinguer si surement, et sans expérience sur tant de végétaux dont les montagnes des Alpes sont couvertes, ceux qui sont propres à leur nourriture, d'avec ceux qui leur seraient nuisibles. La nature, dit Willis, a moins perfectionné dans l'homme les facultés inférieures, pour lui faire cultiver davantage les supérieures ; mais si telle est la vocation de l'homme, on doit avouer qu'il ne la remplit guère. (D.J.)

ODORAT, (Séméiotiq.) les signes que l'odorat fournit, n'ont pas jusqu'ici beaucoup enrichi la séméiotique, et attiré l'attention des praticiens. Hippocrate observateur si scrupuleux et si exact à saisir tout ce qui peut répandre quelque lumière sur la connaissance et le pronostic des maladies, ne parait avoir tiré aucun parti de l'odorat : ce signe ne doit être ni bien étendu, ni bien lumineux. Rivière et quelques autres praticiens, assurent avoir observé que la perte totale de l'odorat, était dans le cas de faiblesse extrême, signe d'une mort très-prochaine ; que les malades qui trouvaient une odeur forte et désagréable à la boisson, aux aliments et aux remèdes, enfin à tout ce qu'on leur présentait, étaient dans un danger pressant ; que ceux pour qui toutes les odeurs étaient fétides, avaient des ulcères dans le nez ou dans les parties voisines, ou l'estomac farci de mauvais sucs, ou toutes les humeurs sensiblement alterées. (m)