S. f. (Agriculture) machine dont on se sert pour labourer les terres. On conçoit qu'il n'y a guère eu de machine plus ancienne. Celle des Grecs et des Romains était extrêmement simple. Voyez-en la figure dans l'Hésiode de le Clerc. La nôtre est composée de deux roues et de l'essieu, sur lequel est dressé le chevalet ou la sellette, et où sont assemblés le timon, le soc, le coutre, les oreilles, et le manche de la charrue. Il faut conserver le même soc, quand on en est content. Il doit être placé de manière que le laboureur n'en soit point incommodé, et que les sillons soient tracés droits. Il y a un certain angle à donner au coutre, selon lequel il éprouvera de la part du sol la moindre résistance possible : l'expérience le fera connaître. Il faut que le manche ou la queue soit de longueur proportionnée au train et au harnais, et que l'oreille soit disposée de manière à renverser la terre commodément ; que le coutre soit de gros fer, bon, et non cassant, ni trop étroit, ni trop large. Il y a des charrues de plusieurs façons ; il est bon d'en avoir de toutes, et deux au moins de celles dont on fait le plus d'usage. Les charrues sans roues, où le train de derrière est monté sur une perche, ne sont bonnes que pour les terres très-legeres. Celles à bras servent à labourer les petits jardins : ce n'est autre chose que trois morceaux de bois assemblés en carré ; le fer tranchant qui a deux pieds et demi de long sur quatre à cinq pouces de large, se pose de biais et forme le carré : il est posé de biais, afin qu'il morde la terre plus facilement. La charrue s'appelle à bras, parce qu'on ne la fait agir qu'à force de bras. Voyez Plan. d'Agriculture, fig. 1. la charrue à labourer les champs ; a, a, les roues ; b, la flèche ; c, le coutre ; d, le soc ; e, l'oreille ; f, f, le manche ou la queue.

L'objet qu'on se propose en labourant les terres (Voyez LABOUR), est de détruire les mauvaises herbes, et de réduire la terre en molécules. La bêche remplirait à merveille ces deux conditions ; mais le travail à la bêche est long, pénible, et couteux. On ne bêche que les jardins. La charrue plus expéditive est pour les champs. M. de Tull, dont M. Duhamel a mis l'ouvrage utîle en notre langue, ayant remarqué que la charrue ordinaire ne remuait pas la terre à une assez grande profondeur, et brisait mal les mottes, le coutre coupant le gason, le soc qui suit l'ouvrant, et l'oreille ou le versoir le renversant tout d'une pièce, a songé à perfectionner cette machine, en y adaptant quatre coutres, placés de manière qu'ils coupent la terre qui doit être ouverte par le soc, en bandes de deux pouces de largeur ; d'où il s'ensuit que le soc ouvrant un sillon de sept à huit pouces de largeur, le versoir retourne une terre bien divisée, et que la terre est meuble dès le second labour. M. de Tull prétend encore qu'il peut avec sa charrue sillonner jusqu'à 10, 12, et 14 pouces de profondeur. Pour qu'on en puisse juger, nous allons donner la description de la charrue commune, et de la charrue de M. de Tull. Voyez les Planc. d'Agriculture.

On voit dans la figure 2. une charrue ordinaire à deux roues, pour toutes terres labourables, excepté les glaises et les bourbeuses ; encore dans ces deux cas, peut-on l'employer en entourant les cercles de fer et les raies des roues, de cordes de paille d'un pouce d'épaisseur : ces cordes pressées par les roues contre la terre, s'aplatissent et écartent des roues la glaise et la boue. La charrue est divisée en deux parties, la tête et la queue.

On voit à la tête les deux roues A, B ; leur essieu de fer qui passe le long de la traverse fixe C, dans laquelle il tourne et dans les roues ; les deux montants D, D, assemblés perpendiculairement sur la traverse C, et percés chacun d'un rang de trous, à l'aide desquels et de deux chevilles on peut hausser et baisser la traverse mobîle E, et partant la flèche N, selon qu'on veut faire des sillons plus ou moins profonds ; la traverse d'assemblage F ; le châssis G, avec ses anneaux ou crochets, par lesquels la charrue est tirée ; la chaine H qui assemble la queue de la charrue à la tête, par le collier s d'un bout, de l'autre par un anneau qui passe par une ouverture de la traverse C, et qui est arrêté par la tringle K, et de l'autre bout par l'autre extrémité m de la même tringle : on conçoit que ce collier ne peut se déranger, arrêté par un boulon qui traverse la flèche. La tringle K est retenue par un cercle d'osier passé comme on voit.

La queue est composée de la flèche N, du coutre O, du soc P, de la planche Q, de l'étanson R, qui traverse la flèche ; du manche court S attaché par une cheville au haut de l'étanson, et par un autre au haut de la planche ; du montant T qui appartient au côté droit de la queue de la charrue, et auquel la pièce d'em-bas V est attachée, comme l'est aussi la planche du dessous ; du long manche X assemblé avec le montant, et dont on voit la partie antérieure en Y ; et du double tenon Z qui supporte la planche en-haut, et est porté à vis et écrous par la flèche.

Dans la charrue de M. de Tull, qu'on voit fig. 3. la flèche est de dix pieds quatre pouces ; elle n'est que de huit pieds dans l'autre. La figure de cette flèche est aussi différente ; elle n'est droite dans celle de M. de Tull que de a à b ; au lieu qu'elle est droite dans toute la longueur, à la charrue ordinaire. La courbure de la flèche de la charrue de M. de Tull lui fait éviter la trop grande longueur des coutres antérieurs : or un peu de mécanique expérimentale indiquera bien tous les inconvénients de cette longueur, en considérant ces coutres comme des leviers. L'angle c de la planche ne doit pas avoir plus de 42 à 43 degrés. Les quatre coutres 1, 2, 3, 4, doivent être placés de manière que les plans tracés dans l'air par leur tranchant, quand la charrue marche, soient tous parallèles. Ils sont chacun à la distance de deux pouces et demi plus à la droite les uns que les autres ; distance comptée du milieu d'une mortaise au milieu de l'autre. La pointe du premier coutre 1 doit incliner à gauche d'environ deux pouces et demi plus que la pointe du soc : l'inspection de la figure suggérera aisément à ceux qui ont quelque habitude des machines, la construction du reste de cette charrue, et la raison de cette construction. Au reste, voyez pour un plus grand détail, l'ouvrage de M. de Tull, traduit par M. Duhamel, et l'explication de nos Planches d'Agriculture ; voyez aussi les articles AGRICULTURE, COUTRE, SOC, etc. LABOUR, TERRE.

Nous n'employons la charrue qu'au labour des terres ; les anciens s'en servaient encore en l'atelant d'un bœuf et d'une vache, à tracer l'enceinte des villes qu'ils bâtissaient. Ils levaient la charrue aux endroits destinés pour les portes : du verbe porto, qui désignait cette action, on a fait le nom porta. Quand ils détruisaient une ville, ils faisaient aussi passer la charrue sur ses ruines ; et ils répandaient quelquefois du sel dans les sillons, pour empêcher la fertilité.

CHARRUE, (Jurisprudence) ne peut être saisie, même pour deniers royaux ou publics. Ce privilège introduit en faveur du labourage, avait déjà lieu chez les Romains, suivant la loi executores, et la loi pignorum, et l'authentique agricultores, au code quae res pignori obligari possunt. Il a pareillement été adopté dans notre Droit français, et confirmé par différentes ordonnances ; entr'autres par une ordonnance de Charles VIII. par celle de François I. en 1540, art. 29. par l'édit de Charles IX. du 8 Octobre 1571 ; l'ordonnance d'Henri IV. du 16 Mars 1595, qui est générale, et accorde le privilège même contre les deniers royaux ; au lieu que l'ordonnance de 1571 n'était que pour un an, et exceptait du privilège des laboureurs les deniers royaux. L'ordonnance de 1667, tit. xxxiij. art. 16. a fixé la jurisprudence sur ce point, et défend de saisir les charrues, charrettes, et ustensiles servant à labourer, même pour deniers royaux, à peine de nullité.

En 1358, le seigneur de Mantor, proche Abbeville, comptait au nombre de ses droits celui de prendre les socs, coutres, et ferrements des charrues, faute de prestation de ses cens et corvées : mais il était défendu de donner en gage aux Juifs ces mêmes ustensiles, comme il est dit dans une ordonnance de 1360. Voyez les ordonn. de la troisième race, tom. III. pp. 294. et 477.

Une charrue, en matière de privilège et d'exemption de tailles, signifie la quantité de terres que chaque charrue peut labourer.

Par l'édit du mois de Mars 1667, il fut ordonné que les ecclésiastiques, gentilshommes, chevaliers de Malte, officiers, privilégiés, et bourgeois de Paris, ne pourraient tenir qu'une ferme par leurs mains dans une même paraisse, et sans fraude ; savoir les ecclésiastiques, gentilshommes, et chevaliers de Malte, le labour de quatre charrues ; et les officiers, privilégiés, et bourgeois de Paris, deux charrues chacun, sans qu'ils puissent jouir de ce privilège que dans une seule paraisse.

L'art. 15. du règlement de 1673, porte qu'un bourgeois de Paris peut tenir une ferme par ses mains, ou la faire exploiter par ses valets et domestiques, pourvu qu'elle soit située dans l'étendue de l'élection de Paris, et qu'elle ne contienne que la quantité de terre qu'une charrue peut labourer.

Les règlements ne fixent point le nombre d'arpens de terre dont une charrue doit être composée, par rapport à l'exemption de tailles. Cela dépend de l'usage et de la mesure des terres dans chaque généralité. Dans celle de Paris, on fixe ordinairement chaque charrue à 120 arpens, c'est-à-dire à quarante arpens par solle ; on ne distingue point si c'est à la grande ou à la petite mesure : cela fait pourtant une différence considérable.

Dans l'Orléanais, une charrue n'est communément que de 28 à 30 arpens par solle, et on la fixe à 90 arpens, c'est-à-dire à 30 arpens par solle, par rapport au privilège.

La déclaration du Roi du 22 Janvier 1752, concernant la noblesse militaire, porte, article 1. que ceux qui seront actuellement au service du Roi, et n'auront point encore rempli les conditions prescrites par l'édit de Novembre 1750, pour acquérir l'exemption de taille, n'auront pas le droit qu'ont les nobles ni même les privilégiés, de faire valoir aucune charrue.

L'article 2. dit, que ceux qui auront rempli les conditions portées par l'édit pour acquérir l'exemption de taille, soit qu'ils soient encore au service du Roi, ou qu'ils s'en soient retirés, pourront faire valoir deux charrues seulement. (A)