adj. (Médecine thérapeutique) , narcoticus, soporiferus, obstupefaciens. Ce mot tiré du grec , sopor, stupor, que l'on trouve fréquemment employé dans Hippocrate, pour signifier la diminution du sentiment et du mouvement, par l'effet de celle de la distribution du fluide nerveux, d'où s'ensuit le relachement des nerfs.

Ainsi, on a appelé narcotiques les médicaments que l'on emploie pour diminuer le ton des solides trop augmenté par l'influence du cerveau ; par conséquent, pour relâcher le système nerveux : en sorte que ces médicaments sont absolument opposés aux stimulants, qui servent à relever, à augmenter le ton de ces mêmes solides.

Le ton est trop augmenté, ou il péche par excès ; lorsqu'il y a trop de sensibilité, ou de contractilité, ou de mouvement dans tout le corps, ou dans quelques-unes de ses parties : le trop de mouvement suit ordinairement le trop de sensibilité.

Tous les secours de l'art que l'on emploie pour faire cesser cet état violent, sont regardés comme relâchants : les anciens distinguaient trois sortes de relâchants ; et voici sur quoi ils se fondaient.

Le ton peut être généralement augmenté dans tous les solides du corps humain par des causes internes ; ou bien il peut être augmenté seulement dans une partie déterminée, et de-là, par communication, dans toute sa machine. Par exemple, supposé qu'une épine soit fichée dans une partie tendineuse ; le ton des solides des nerfs de cette partie parait évidemment augmenté ; puisqu'il y survient des mouvements convulsifs : souvent même les convulsions s'étendent à tout le corps : dans ce cas-là, par conséquent, le ton est augmenté dans toutes les parties du corps ; mais seulement par une suite de l'augmentation du ton dans la partie affectée.

Cela posé, les anciens considéraient les médicaments qui agissaient immédiatement, et diminuaient l'éréthisme dans la partie affectée, dont le vice se communiquait à toutes les autres parties : ils appelaient anodins, ceux qui diminuaient le ton excessif en diminuant la sensibilité.

Il peut aussi se faire, que ce ton soit diminué en faisant cesser la cause qui l'avait augmenté : comme lorsque dans la supposition qui a été faite, on parvient à ôter, à tirer l'épine qui était fichée dans une partie bien sensible ; car ce corps étranger étant emporté, le ton, et par conséquent la sensibilité, diminuent dans cette partie presque sur le champ, et par conséquent dans toutes les autres où ils n'étaient augmentés que conséquemment à la partie affectée.

Les médicaments qui diminuent ainsi le ton, en servant à ôter la cause qui l'avait trop augmenté, sont ceux que les anciens appelaient parégoriques ; c'est-à-dire, consolans ; parce que la cause du mal étant ôtée, les malades se sentent promptement soulagés, et comme consolés d'en être délivrés.

Les anciens considéraient encore une autre sorte de médicaments relâchans, en tant qu'ils concevaient des moyens qui n'opéraient le relâchement qu'en diminuant la faculté de sentir, et l'irritabilité, sans agir immédiatement et spécialement sur la partie affectée ; mais en portant leur effet sur tout le système nerveux, sur l'origine même des nerfs : ce sont les médicaments qu'ils appelaient narcotiques. Les médicaments qui, en relâchant de cette manière, procurent en même temps le sommeil, sont ceux qu'ils appelaient hypnotiques.

Ce qui vient d'être dit n'empêche pas qu'en général, par le mot anodin, on n'entende tout médicament qui calme la douleur par le relâchement ; mais le même mot pris à la rigueur, signifie un médicament qui calme la douleur, en agissant immédiatement et spécialement sur la partie affectée, dont il diminue le ton : et de même on entend en général par narcotique, les médicaments qui font dormir, en agissant sur l'origine des nerfs, sur tout le système nerveux ; quoique les médicaments qui produisent cet effet soient appelés proprement hypnotiques. Voyez RELACHANT, ANODIN, HYPNOTIQUE, PAREGORIQUE, CALMANT, SEDATIF, NERF, SENSIBILITE, IRRITABILITE, DOULEUR, SOMMEIL.

Comme les anodins proprement dits appartiennent à la matière médicale externe, il ne sera question ici que des médicaments de la troisième classe, c'est-à-dire, des narcotiques, qui sont presque tous tirés du pavot et de ses préparations.

Les effets sensibles des narcotiques sont généraux ou particuliers : on entend par effets généraux des narcotiques, ceux qu'ils produisent le plus constamment. Les effets particuliers sont ceux qu'ils produisent par rapport à certaines circonstances.

Voici l'exposition des effets généraux : quelque temps après qu'on a donné un narcotique à une personne qui en a besoin, l'exercice des sens diminue peu-à-peu ; elle se sent appesantie : les organes du mouvement se refusent de plus en plus à leurs actions ordinaires ; l'assoupissement vient ; la chaleur animale augmente ; le pouls devient plus élevé, plus plein, plus souple, ou plus mou, sans augmenter cependant en fréquence ; la peau parait moette, et se couvre ensuite de sueur, pendant que toutes les autres sécrétions et excrétions diminuent. Le sommeil est plus ou moins long, plus ou moins profond, suivant l'activité des narcotiques et la disposition du sujet. La personne en s'éveillant sent sa tête appesantie, se trouve comme engourdie, et se plaint d'une espèce de langueur d'estomac : ce qui arrive toujours, si le reméde n'a pas été donné avec une certaine précaution.

Les effets particuliers des narcotiques dépendent 1°. de l'idiosyncrasie ; 2°. de l'habitude ; 3°. de certaines causes particulières.

A l'égard de l'idiosyncrasie, l'expérience fait voir que les narcotiques, bien loin de produire les effets ci-devant, procurent, au contraire, des insomnies, des veilles opiniâtres, des agitations d'estomac, des nausées, des vomissements, des mouvements convulsifs, des délires maniaques, furieux, dans les tempéraments vifs, bilieux, dans ces personnes dont la tête se prend aisément, comme dans les femmes hystériques.

L'habitude ou la coutume met aussi de grandes différences dans les effets des narcotiques ; car on observe tous les jours que les personnes qui se sont habituées peu-à-peu aux narcotiques, ont besoin quelquefois d'une grande dose d'opium pour faire leurs fonctions dans la veille avec une certaine aisance ; autrement ils sont pesans, engourdis pour l'esprit comme pour le corps. C'est ainsi que les Turcs habitués à l'opium, au lieu de prendre de l'eau-de-vie, comme nos soldats, pour s'animer au combat, prennent, au contraire, une forte dose d'opium ; par où l'on voit que les effets particuliers sont bien différents des généraux, tant à cause du tempérament, qu'à cause de la coutume.

Il arrive assez souvent que les excrétions, comme celles de l'urine, de l'expectoration, etc. sont supprimées, à cause du spasme, de l'éréthisme des parties, surtout des sphincters : c'est ainsi que les lochies peuvent être supprimées, à cause du spasme, de l'éréthisme dominant, comme cela arrive aux femmes hystériques : en ce cas-là, les narcotiques, qui diminuent naturellement les excrétions, étant administrés convenablement, bien loin de diminuer ou de supprimer ces excrétions, les rétablissent, en faisant cesser la cause qui occasionnait cette suppression. Ainsi, il est des causes singulières qui font que les narcotiques produisent, en apparence, des effets opposés à ceux qu'ils produisent généralement.

Les narcotiques sont indiqués 1°. dans les maladies aiguës, dolorifiques : la douleur dépend de la distraction des fibres nerveuses, qui sont en disposition de se rompre, si le tiraillement dure ; ainsi une partie affectée de douleur est une partie dont la tension, la sensibilité, le ton sont trop augmentés, par conséquent tout ce qui diminuera la sensibilité, relâchera aussi le ton : les narcotiques produisent cet effet, comme il a été dit ci-devant ; ils sont donc indiqués dans les maladies dolorifiques : car, s'il y a des douleurs vives, aiguës, c'est principalement alors que les narcotiques conviennent : si les douleurs sont sourdes, gravatiques, on ne doit employer ce reméde qu'avec beaucoup de circonspection.

2°. Dans les insomnies fatigantes, dans les veilles opiniâtres, qu'elles soient essentielles ou symptomatiques : elles sont essentielles, lorsqu'elles proviennent d'une trop grande contention, d'un trop grand travail d'esprit, de quelque forte passion de l'âme : elles sont symptomatiques, comme dans la plupart des maladies aiguës, fiévreuses, le sommeil est nécessaire pour rétablir les forces ; ainsi, on doit tâcher de le procurer par les secours de l'art.

3°. Dans les maladies spasmodiques, convulsives ; mais seulement dans celles qui dépendent d'une tension dolorifique, comme il arrive dans une attaque de passion hystérique, ou à l'occasion d'une piqûre, d'une blessure : dans l'épilepsie essentielle, l'usage des narcotiques serait très-dangereux.

4°. Dans les maladies évacuatoires ; lorsqu'elles affoiblissent trop les malades : les narcotiques conviennent, en tant qu'ils sont propres à suspendre et à arrêter les évacuations ; soit que les évacuations soient séreuses, comme dans les cours de ventre séreux, dans le vomissement de même nature, dans le cholera morbus ; soit qu'elles soient sanguines, comme dans le vomissement de sang, dans la dyssenterie, l'haemophtysie produite par un sang âcre, qui a rongé les vaisseaux capillaires des poumons ; lorsque les malades toussent presque continuellement et expectorent peu : en un mot, dans toutes les maladies évacuatoires qui affoiblissent notablement, excepté cependant le cas de grande sueur ; parce que, comme il a été dit, les narcotiques, bien loin de diminuer cette excrétion, l'augmentent ou la procurent.

5°. Dans les cas où les excrétions naturelles, où les évacuations périodiques ou critiques sont difficiles, laborieuses, suspendues ou supprimées, à cause de l'éréthisme, de la convulsion de quelque partie, surtout de quelque sphincter, comme dans le cas d'une espèce d'ischurie, d'une entière suppression d'urine, qui dépend de l'éréthisme du sphincter de la vessie : dans le cas d'un accouchement difficîle et laborieux ; lorsqu'il dépend du spasme de l'uterus ; dans le cas des menstrues, des lochies, du flux hémorrhoïdal, supprimés par une cause de cette nature ; dans le cas d'expectoration difficîle : lorsqu'elle est occasionnée par l'irritation, l'éréthisme des vésicules pulmonaires, ou des vaisseaux aèriens.

En faisant attention aux effets que les narcotiques produisent, on sent aisément les cas où ils sont contr'indiqués. On a observé, et l'expérience journalière fait voir que les narcotiques relâchent et diminuent le ton, la sensibilité, la contractilité, le mouvement des parties. Ils peuvent donc affoiblir, surtout lorsqu'ils ne sont pas donnés avec toute la précaution requise, laissant des lassitudes, des pesanteurs de tête, et dérangeant souvent l'estomac : souvent aussi en diminuant la sensibilité, ils peuvent produire l'effet, quelquefois nuisible, de pallier ou de masquer la maladie et de la rendre méconnaissable au médecin, surtout dans les maladies évacuatoires, où les douleurs peuvent disparaitre par l'usage de ces remèdes, et par-là on ne pourra plus distinguer les maladies dont les évacuations peuvent être une suite avantageuse, ou fournir des indications essentielles. De-là on peut aisément déduire les cas où les narcotiques sont contr'indiqués. En général, puisque les narcotiques affoiblissent, il s'ensuit qu'on doit souvent s'en abstenir, ou ne les donner qu'avec beaucoup de précautions dans les cas de faiblesse.

A l'égard des phtisiques, par exemple, il est très-important de calmer la toux, de diminuer autant qu'il est possible, l'agitation des poumons, pour prévenir de plus grandes irritations, d'où pourrait s'ensuivre des déchirures de vaisseaux plus considérables, un renouvellement d'hémophtysie, qu'il faut empêcher autant qu'on le peut : d'ailleurs le sommeil rétablit les forces, ou au moins empêche qu'elles ne continuent à s'épuiser. Ces différentes raisons paraissent donc indiquer les narcotiques dans le cas dont il s'agit ; aussi les y emploie-t-on beaucoup à Montpellier, et en suivant la pratique des médecins de cette ville, on ne doit cependant le faire qu'avec beaucoup de circonspection ; car d'abord, quoique le sommeil rétablisse les forces, cela ne parait bien décidé que par rapport au sommeil naturel, parce que celui qui est procuré par les narcotiques est ordinairement agité par des réves ; et bien que les malades paraissent refaits par le sommeil qu'ils procurent, il arrive souvent qu'ils se plaignent d'être plus faibles, après avoir bien dormi par ce moyen. De plus les narcotiques excitent la sueur à laquelle sont disposés la plupart des phtisiques : ce qui forme une raison de plus pour que les narcotiques ne puissent pas servir à rétablir leurs forces ; mais au contraire, pour qu'ils contribuent à les diminuer.

Outre cela les narcotiques dérangent l'estomac dans ses fonctions, à quoi l'on doit encore faire beaucoup d'attention, par rapport aux phtisiques, parce que cet effet rend très-difficîle l'usage du lait, qui est si nécessaire dans ce cas, et souvent même le rend impraticable.

Mais comme il reste toujours très-certain que les narcotiques calment la toux des phtisiques, ce qui est un grand avantage à leur procurer, on doit faire une espèce de comparaison des différents symptômes, et se déterminer pour le parti qui souffre le moins d'inconvéniens. Si la toux n'est pas trop violente, trop fréquente, il faut s'abstenir des narcotiques, et n'y avoir recours que lorsque l'irritation devient si considérable, qu'elle surpasse les inconvénients qui résultent de l'usage des narcotiques, attendu que pendant le sommeil les matières s'accumulent dans les voies aériennes, et peuvent occasionner ensuite une plus grande irritation, et quelque nouvelle rupture ou dilatation forcée de vaisseau, qui cause l'hémophtisie.

Quant aux évacuations, il est des cas où les narcotiques sont bien indiqués ; mais il en est bien d'autres où ils sont très-fort contr'indiqués, comme il a déjà été dit, et où il faut user de beaucoup de prudence pour ne pas faire de faute à cet égard.

Quoique les évacuations soient très-considérables, et qu'elles soient accompagnées de mouvements convulsifs, il ne faut pas se presser d'employer les narcotiques : par exemple, dans le commencement du cholera morbus, le laudanum serait très-préjudiciable ; il pourrait causer des symptômes fâcheux, en faisant cesser trop tôt l'évacuation de la matière morbifique ; en la retenant dans les premières voies, où elle peut produire des météorismes, des irritations inflammatoires, en tant que, comme l'on dit, le loup se trouve alors renfermé dans la bergerie : ainsi dans ce cas, il ne faut d'abord que laisser agir la nature, dont les efforts ne tendent qu'à épuiser l'ennemi ; il ne faut que l'aider par les délayans et les adoucissants, qui peuvent faciliter l'évacuation et corriger la qualité irritante des matières. Les narcotiques ne doivent être employés que pour faire cesser les impressions douloureuses qui restent après l'évacuation, ou lorsqu'il ne se fait plus que des efforts inutiles.

On doit en user de même à l'égard des superpurgations : les narcotiques ne doivent être placés que lorsqu'on a adouci, corrigé l'acrimonie irritante des drogues trop actives qui ont été employées : on a Ve quelquefois des effets très-funestes des inflammations gangreneuses, et la mort s'ensuivre de l'administration trop prompte des narcotiques, dans ce cas, qui exige le même traitement que l'effet des poisons irritants dans les premières voies dont il faut les délivrer par l'évacuation, et non pas par les remèdes palliatifs.

Il faut être aussi très-circonspect dans l'usage des narcotiques, lorsqu'il s'agit de quelque évacuation naturelle trop considérable, comme d'un flux menstruel excessif. Voyez HEMORRHAGIE. Il est aussi très-important à l'égard des femmes qui peuvent être actuellement dans l'état critique ordinaire, de ne pas se presser d'employer les narcotiques pour les cas qui les indiquent, sans avoir pris des informations sur cela, parce que ces remèdes pouvant aisément causer une suppression, leur effet serait plus nuisible qu'il ne pourrait être utîle d'ailleurs : ainsi on doit s'en abstenir dans cette circonstance, à moins qu'il n'y ait des douleurs très-puissantes, ou tout autre symptôme très-dangereux à calmer, alors urgentiori succurrendum.

En général on doit s'abstenir de l'usage des narcotiques dans les commencements de toutes les maladies dont le caractère n'est pas encore bien connu, pour ne pas le masquer davantage, et pour éviter d'embarrasser, de gêner la nature dans ses opérations, en ne faisant que pallier ce qu'elle tend à corriger.

Enfin les précautions que l'on doit prendre dans l'usage des narcotiques doivent être déterminées par les cas où ils sont indiqués, comparés avec ceux où ils sont contr'indiqués ; il faut aussi avoir égard au tempérament, à l'habitude ; interroger les malades sur l'effet qu'ils ont éprouvé de ces remèdes, s'ils en ont déjà usé ; sur l'espèce de narcotique dont ils ont usé ; sur la dose à laquelle ils en ont usé.

Les narcotiques que l'on emploie le plus communément dans la pratique de la Médecine, sont les pavots et leurs différentes préparations. Voyez pavot, opium, laudanum. Extrait des leçons sur la matière médicale, de M. de la Mure, professeur en Médecine à Montpellier.

La Pharmacologie rationnelle n'apprend rien jusqu'à présent de bien satisfaisant sur la manière dont les narcotiques opèrent leurs effets. On fait mention dans les écoles d'un grand nombre d'opinions à cet égard, tant anciennes que modernes, dont l'exposition doit se trouver aux articles OPIUM, SOMMEIL. Il suffira de dire ici que ce qui parait de plus vraisemblable à cet égard, c'est qu'il n'y a que les connaissances que l'on a acquises de nos jours sur la propriété inhérente aux fibres du corps animal, qui produit ce qu'on entend par l'irritabilité et la sensibilité, qui puissent fixer l'idée que l'on peut se faire de l'action des narcotiques. Voyez IRRITABILITE, SENSIBILITE, SOMMEIL, OPIUM.