(Critiq. sacrée) mots hébreux que les septante traduisent par , évidence & vérité. On est toujours curieux de demander aux plus savans critiques, ces deux choses ; l'une, ce que c'étoit que urim & thummim, & l'autre quel étoit son usage.

A l'égard du premier point, l'Ecriture se contente de nous dire que c'étoit quelque chose que Moïse mit dans le pectoral ou rational du souverain sacrificateur. Exod. xxviij. 30. Lévit. viij. 8.

Ce pectoral, comme je l'ai dit ailleurs, étoit une espece d'étoffe pliée en double, d'environ dix pouces en quarré, chargée de quatre rangs de pierres précieuses, sur chacune desquelles étoit gravé le nom d'une des douze tribus d'Israël. Or c'est dans ce pectoral porté par le souverain sacrificateur aux occasions solemnelles, que furent mis urim & thummim.

Christophorus à Castro, & Spencer qui a fait une grande dissertation sur cette matiere, prétendent que urim & thummim, étoient deux statues cachées dans la capacité du pectoral, & qui rendoient des oracles par des sons articulés ; mais on regarde ce sentiment comme plus convenable au paganisme qu'à l'esprit de la loi divine.

Plusieurs rabbins croient que urim & thummim étoient le tétragrammaton, ou le nom ineffable de Dieu gravé d'une maniere mystérieuse dans le pectoral ; & que c'étoit de-là qu'il possédoit la faculté de rendre des oracles. On sait que la plûpart des rabbins se sont fait une très-haute idée de la vertu miraculeuse du tétragrammaton.

Cependant il est d'autres habiles Juifs, tels que R. David Kimchi, R. Abraham Séba, Aben-ezra, &c. qui abandonnant l'idée commune de leurs confreres, se contentent de penser que c'étoient en général des choses d'une nature mystérieuse enfermées dans la doublure du pectoral ; & que ces choses donnoient au souverain prêtre le pouvoir de prononcer des oracles, quand il étoit revêtu du pectoral.

Comme toutes ces conjectures ne présentent que des idées de sortiléges & d'exorcismes, je me persuade qu'il vaut mieux n'entendre par urim & thummim, que le pouvoir divin attaché au pectoral, lorsqu'il fut consacré, d'obtenir quelquefois de Dieu des oracles ; ensorte que les noms d'urim & thummim lui furent donnés seulement pour marquer la clarté & la plénitude des réponses ; car urim signifie en hébreu lumiere, & thummim perfection.

Quant à l'usage de l'urim & thummim, on s'en servoit seulement pour consulter Dieu dans les cas difficiles & importans qui regardoient l'intérêt public de la nation, soit dans l'état, soit dans l'église. Alors le souverain sacrificateur revêtu de ses habits pontificaux & du pectoral par-dessus, se présentoit à Dieu devant l'arche d'alliance, non pas au-dedans du voile dans le saint des saints, où il n'entroit que le seul jour des expiations, mais hors du voile dans le lieu saint. C'est delà que se tenant debout, le visage tourné vers l'arche & le propitiatoire où reposoit le shékina, il proposoit le sujet sur lequel l'Eternel étoit consulté. Derriere lui, sur la même ligne, mais à quelque distance hors du lieu saint, peut-être à la porte (car il n'étoit pas permis à un laïc d'approcher de plus près), se tenoit avec humilité & respect la personne qui desiroit d'avoir l'oracle divin, soit que ce fût le roi ou tout autre.

Mais de quelle maniere la réponse de Dieu étoit-elle rendue ? Rabbi Lévi Ben Gerson, Abarbanel, R. Azarias, R. Abraham Séba, Maimonides, & autres, nous disent que le souverain sacrificateur lisoit la réponse de Dieu par l'éclat & l'enflure des lettres gravées sur les pierres précieuses du pectoral. Cette idée n'est pas nouvelle, on la trouve dans Josephe, antiq. liv. III. c. ix. ainsi que dans Philon juif, de monarchiâ, lib. II. Et c'est sur la foi de ces deux écrivains, que plusieurs des anciens peres de l'église, entr'autres S. Chrysostôme & S. Augustin, ont expliqué la chose de la même maniere.

Cependant ce sentiment est insoutenable, pour ne pas dire absurde. On le détruit par une seule remarque ; c'est que toutes les lettres de l'alphabet hébreu ne se trouvent point dans les douze noms ; chet, theth, zaddt & koph y manquent. Ainsi les autres lettres ne suffisoient pas pour les réponses à toutes les choses sur lesquelles on pouvoit consulter Dieu. De plus, il y a dans l'Ecriture des réponses si longues ; par exemple, II. Samuel, v. 24. que toutes les lettres du pectoral, & celles qui y manquent, & celles qu'on y ajoute encore gratuitement, ne sont pas suffisantes pour les exprimer. Enfin il falloit nécessairement au sacrificateur le don de prophétie, pour combiner les lettres qui s'élevoient au-dessus des autres, & indiquer la vraie réponse de l'oracle.

Ne nous arrêtons pas davantage à des fantômes de l'imagination ; & disons que la conjecture la plus vraisemblable & la seule fondée sur l'Ecriture, c'est que quand le souverain sacrificateur se rendoit devant le voile pour consulter Dieu, la réponse lui parvenoit par une voix articulée qui émanoit du propitiatoire, lequel étoit en-dedans au-delà du voile. Nous voyons que dans presque tous les endroits de l'Ecriture où Dieu se trouve consulté, la réponse porte, l'Eternel dit : lorsque les Israélites firent la paix avec les Gabaonites, ils furent blâmés de n'avoir point consulté la bouche de l'Eternel (Josué, ix. 4.) ces expressions l'Eternel dit & la bouche de l'Eternel, semblent marquer une réponse vocale. C'est aussi pour cette raison que le saint des saints où étoit placé l'arche & le propitiatoire d'où les réponses sortoient, est si souvent appellé l'oracle, Ps. xxxviij. 2. 1. Rois, ch. vj. v. 5. 16. 19. 20. 23. 31. ch. vij. 49. ch. viij. v. 6. 8. 2. Chron. chap. iij. 16. ch. iv. 20. ch. v. vers. 7. 9.

Une autre question, car on ne cesse d'en faire, c'est sur la maniere dont on consultoit Dieu dans le camp. En effet, il paroît par l'Ecriture, que le souverain sacrificateur, ou quelque autre en sa place, accompagnoit toujours les armées d'Israël dans leurs guerres, & portoit avec eux l'éphod & le pectoral, pour consulter Dieu par urim & thummim, sur tous les cas difficiles qui pouvoient arriver. On mettoit l'éphod & le pectoral dans l'arche ou le coffre que le sacrificateur qui étoit envoyé à la guerre, portoit toujours avec lui.

Ce sacrificateur, pour être autorisé à agir en la place du souverain pontife, lorsque l'occasion de consulter Dieu par urim & thummim se présentoit, étoit consacré à cet office par l'onction de l'huile sainte, de la même maniere que le grand-prêtre l'étoit ; c'est pour cela qu'il s'appelloit l'oint pour la guerre ; mais la difficulté est de savoir comment il recevoit la réponse. Car dans le camp il n'y avoit point de propitiatoire devant lequel il pût se présenter, & d'où il pût recevoir la réponse comme dans le tabernacle : cependant il paroît, par plusieurs exemples rapportés dans l'Ecriture, que des oracles de cette espece étoient rendus dans le camp. David seul consulta Dieu par l'éphod & le pectoral jusqu'à trois fois, dans le cas de Kehila, I. Sam. xxiij. & deux fois à Ziglad, I. Sam. xxx. 8. & II. Sam. ij. 1. Et dans chacune de ces occasions, il reçut réponse, quoiqu'il soit certain qu'il n'avoit point avec lui l'arche de l'alliance. Je trouve donc fort apparent que puisque Dieu permettoit qu'on le consultât dans le camp sans l'arche, aussi-bien que dans le tabernacle où l'arche étoit, la réponse parvenoit de la même maniere par une voix articulée.

Au reste l'usage de consulter Dieu par urim & thummim fut souvent pratiqué, tant que le tabernacle subsista, & selon les apparences il continua dans la suite jusqu'à la destruction du temple par les Chaldéens. Nous n'en avons cependant aucun exemple dans l'Ecriture, pendant toute la durée du premier temple ; & il est très-certain que cet usage cessa dans le second. Esdras, ij. 63. & Néhémie, vij. 65. l'insinuent assez clairement. De-là vient cette maxime des Juifs : " que le S. Esprit a parlé aux enfans d'Israël sous le tabernacle, par urim & thummim, sous le premier temple par les prophetes, & sous le second par bath-kol ". Les Juifs entendent par bath-kol une voix qui sortoit d'une nuée, voix semblable à celle qui partit d'une nuée au sujet de Jesus-Christ. Matt. ch. iij. 7. chap. xvij. v. 5. II. Pierre, j. 17. (D.J.)