S. m. (Critique sacrée) petit article ou portion d'un chapitre de l'Ecriture-sainte. On sait que toute la bible est actuellement divisée par chapitres, et les chapitres par versets ; mais on demande avec curiosité, quand cette division en versets et en chapitres a commencé, tant dans les bibles hébraïques, que dans celles de nos langues modernes. Nous allons discuter cette question avec un peu d'étendue, à cause des choses instructives qu'elle renferme.

Les cinq livres de la loi ont été anciennement partagés en 54 sections, et chaque section fut divisée en versets, nommés par les Juifs pésumkim. Nos bibles hébraïques les marquent par deux points à la fin, qu'on appelle à cause de cela soph-pasuk, c'est-à-dire la fin du verset. Si ce n'est pas Esdras qui est l'auteur de cette division, comme on le croit communément, du-moins ce ne peut pas être longtemps après lui qu'elle s'est introduite : car il est constant qu'elle est fort ancienne. Il y a beaucoup d'apparence qu'elle a été inventée pour l'usage des Targumistes, ou des interprêtes chaldéens. En effet, quand l'hébreu cessa d'être la langue vulgaire des Juifs, et que le Chaldéen eut pris sa place, ce qui arriva au retour de la captivité de Babylone, on lisait au peuple premièrement l'original hébreu ; et ensuite un interprête traduisait en chaldéen ce qui venait de se lire en hébreu, afin que tout le monde l'entendit parfaitement, et cela se faisait à chaque période.

Pour distinguer donc mieux ces périodes, et faire que le lecteur sut où s'arrêter à chaque pause, et l'interprête jusqu'où devait aller sa traduction ; il fallait nécessairement quelques marques. La règle était que dans la lecture de la loi, le lecteur devait lire un verset, et l'interprête le traduire en chaldaïque ; dans celle des prophêtes, le lecteur en devait lire trois de suite, et l'interprete les traduire aussi de suite. Cela prouve manifestement la distinction de l'Ecriture en versets dans les synagogues, après la captivité de Babylone.

D'abord on ne la faisait qu'à la loi, car jusqu'au temps des Macchabées, on n'y lisait que la loi ; dans la suite on étendit cette distinction jusqu'aux prophêtes et aux hagiographes mêmes, surtout lorsqu'on commença à lire aussi les prophêtes en public. C'est-là vraisemblablement la manière dont s'est introduite la distinction des versets dans l'Ecriture. Mais on ne mettait pas alors les nombres à ces versets. Ils sont encore aujourd'hui distingués dans les bibles hébraïques communes par les deux points l'un sur l'autre, qu'on appelle soph-pasuk, comme on l'a dit plus haut.

Il est fort vraisemblable que la distinction des versets dans les livres consacrés à l'usage des synagogues, se faisait par des lignes ; et ce qui confirme cette pensée, qu'autrefois chaque verset de la bible hébraïque faisait une ligne à part ; c'est que parmi les autres nations de ce temps-là, on appelait vers, les lignes des auteurs en prose, aussi bien que celles des poètes. Ainsi par exemple l'histoire remarque, que les ouvrages de Zoroastre contenaient deux millions de vers, et ceux d'Aristote quatre cent quarante-cinq mille deux cent soixante et dix, quoique l'un et l'autre n'aient rien écrit qu'en prose. Nous voyons tout de même qu'on mesurait les ouvrages de Cicéron, d'Origène, de Lactance, et d'autres encore, par le nombre de vers qu'ils contenaient ; c'est-à-dire de lignes. Pourquoi donc les versets de la bible, n'auraient-ils pas été de même espèce, je veux dire des lignes assez grandes pour une période ? Il est vrai cependant que la vue se perdait dans ces longues lignes, que ce n'était qu'avec peine qu'on retrouvait le commencement de la ligne suivante, et qu'on s'y méprenait souvent en revenant à la même, ou en sautant à une trop éloignée ; quoi qu'il en sait, cette incommodité ne détruit point l'antiquité des versets, que nous avons démontrée.

La division de l'Ecriture en chapitres, telle que nous l'avons, est de bien plus fraiche date. Il n'y a que les pseaumes qui ont été de tout temps divisés comme aujourd'hui ; car S. Paul, dans son sermon à Antioche en Pisidie, cite le pseaume second, act. XIIIe 33. Mais pour tout le reste de l'Ecriture, la division actuelle en chapitres est inconnue à toute l'antiquité. Les bibles grecques parmi les chrétiens avaient leurs et leurs . Mais c'étaient plutôt des sommaires que des divisions, et quelque chose de fort différent de nos chapitres. Plusieurs de ces espèces de divisions ne contenaient qu'un fort petit nombre de versets ; et quelques-uns n'en avaient qu'un seul. Les savants qui l'attribuent à Etienne Langton, archevêque de Cantorbery, sous le règne du roi Jean et sous celui d'Henri III. son fils, se trompent ; le véritable auteur de cette invention, est Hugues de Sancto-Caro, qui de simple dominicain devint cardinal ; et qui ayant été le premier de cet ordre qui soit parvenu à cette dignité, porte communément le nom de cardinal Hugues. Voici l'occasion, l'histoire et le progrès de cette affaire.

Ce cardinal Hugues, qui vivait environ l'an mil deux cent cinquante, et mourut en mil deux cent soixante-deux, avait beaucoup étudié l'Ecriture-sainte. Il avait même fait un commentaire sur toute la bible. Cet ouvrage l'avait comme obligé d'en faire une concordance dont l'invention lui est dû., car celle qu'il fit sur la vulgate, est la première qui ait paru. Il comprit, qu'un indice complet des mots et des phrases de l'Ecriture, serait d'une très-grande utilité pour aider à la faire mieux entendre ; et aussi-tôt ayant formé son plan, il employa quantité de moines de son ordre, à ramasser les mots, et à les ranger dans leur ordre alphabétique ; et avec le secours de tant de personnes, son ouvrage fut bientôt achevé. Il a été retouché et perfectionné depuis, par plusieurs mains, et surtout par Arlot Thuscus, et par Conrard Halberstade. Le premier était un franciscain, et l'autre un dominicain, qui vivaient tous deux vers la fin du même siècle.

Mais comme le principal but de la concordance était de faire trouver le mot aisément ou le passage de l'Ecriture dont on a besoin ; le cardinal vit bien qu'il était nécessaire, premièrement de partager les livres en sections, et ensuite ces sections en plus petites parties par des subdivisions ; afin de faire des renvois dans la concordance, qui indiquassent précisément l'endroit même, sans qu'il fût besoin de parcourir une page entière ; comme jusqu'alors chaque livre de l'Ecriture était tout de suite dans les bibles latines, sans aucune division, il aurait fallu parcourir quelquefois tout un livre, avant de trouver ce qu'on voulait ; si l'indice n'eut cité que le livre. Mais avec ces divisions et les subdivisions, on avait d'abord l'endroit qu'on cherchait. Les sections qu'il fit, sont nos chapitres, qu'on a trouvés si commodes, qu'on les a toujours conservés depuis. Dès que sa concordance parut, on en vit si bien l'utilité, que tout le monde voulut en avoir ; et pour en faire usage, il fallut mettre ses divisions à la bible qu'on avait, autrement ses renvois si commodes n'auraient servi de rien. Voilà l'origine de nos chapitres, dont l'usage est universellement reçu par-tout où il y a des bibles dans l'Occident.

Il faut remarquer que la subdivision en versets, telle que nous l'avons aujourd'hui, n'était pas encore connue, car la subdivision de Hugues était d'une autre espèce. Il partageait sa section ou son chapitre en huit parties égales, quand il était long ; et quand il était court, en moins de parties ; et chacune de ces parties était marquée par les premières lettres de l'alphabet en capitales à la marge ; A, B, C, D, E, F, G, à distance égale, l'une de l'autre. En un mot, la division de nos versets est une division plus moderne qui n'est venue parmi nous que quelques siécles après ; l'origine en est dû. aux juifs. Voici comment.

Vers l'an 1430, il y avait parmi les juifs de l'Occident, un fameux rabbin, que les uns nomment rabbi Mardochée Nathan ; d'autres même lui donnent l'un et l'autre de ces noms, comme s'il avait d'abord porté le premier, et ensuite l'autre. Ce rabbin ayant beaucoup de commerce avec les chrétiens, et entrant souvent en dispute avec leurs savants sur la religion, s'aperçut du grand service qu'ils tiraient de la concordance latine du cardinal Hugues, et avec quelle facilité, elle leur faisait trouver les passages dont ils avaient besoin. Il gouta si fort cette invention, qu'il se mit aussi-tôt à en faire une hébraïque, pour l'usage des juifs. Il commença cet ouvrage l'an 1438, et il fut achevé l'an 1445, de sorte qu'il y mit justement sept ans. Cet ouvrage ayant paru à-peu-près lorsque l'art d'imprimer fut trouvé, il s'en est fait depuis plusieurs impressions.

L'édition qu'en a donné Buxtorf le fils à Bâle, l'an 1632, est la meilleure, car son père avait beaucoup travaillé à la corriger et la rendre complete ; et le fils y ayant encore ajouté ses soins pour la perfectionner, il la publia alors avec tout ce que son père et lui y avaient fait ; de sorte que c'est à bon droit qu'elle passe pour le meilleur ouvrage de cette espèce. En effet, c'est un livre si utîle à ceux qui veulent bien entendre le vieux Testament dans l'original, qu'on ne saurait s'en passer ; outre que c'est la meilleure concordance, c'est aussi le meilleur dictionnaire qu'on ait pour cette langue.

Rabbi Nathan, en composant ce livre, trouva qu'il était nécessaire de suivre la division des chapitres que le cardinal avait introduite ; et cela produisit le même effet dans les bibles hébraïques, que l'autre avait produit dans les latines ; c'est-à-dire que tous les exemplaires écrits ou imprimés pour les particuliers, l'ont adopté. Car sa concordance ayant été trouvée très-utîle par ceux à l'usage de qui il la destinait, il fallait bien qu'ils accommodassent leur bible à sa division, pour pouvoir en tirer cette utilité ; puisque c'était sur cette division qu'étaient faits les renvois de sa concordance ; ainsi les bibles hébraïques prirent aussi la division en chapitres. Mais Nathan qui avait jusque-là suivi la méthode du cardinal, ne jugea pas àpropos de la suivre pour la subdivision par ces lettres A, B, C, etc. à la marge. Il enchérit sur l'inventeur, et en imagina une bien meilleure qu'il a introduite, et c'est celle des versets.

Quoique nous ayons justifié que la distinction des versets soit fort ancienne, on ne s'était pas avisé jusqu'à Nathan, de mettre des nombres à ces versets. Ce fut ce savant rabbin qui le pratiqua le premier pour sa concordance. En effet, comme ses renvois roulaient tous sur le livre, le chapitre, et le verset, il fallait bien que les versets fussent marqués par ces nombres, aussi bien que les chapitres ; puisque ce n'était qu'à l'aide de ces nombres, qu'on trouvait le passage qu'il fallait, comme on le voit dans des concordances anglaises, et particulièrement dans celle de Newman, qui est je crois la meilleure de toutes.

C'est donc Nathan qui est l'inventeur de la méthode généralement reçue à présent, de mettre des nombres aux versets des chapitres, et de citer par versets ; au lieu qu'avant lui, on n'indiquait l'endroit du chapitre que par les lettres mises à égale distance à la marge. En cela il est original : dans tout le reste il n'a fait que suivre le cardinal Hugues. Il faut seulement observer, que pour ne pas trop charger sa marge, il se contentait de marquer ses versets de cinq en cinq ; et c'est ainsi que cela s'est toujours pratiqué depuis dans les bibles hébraïques, jusqu'à l'édition d'Athias juif d'Amsterdam, qui dans deux belles et correctes éditions qu'il a données de la bible hébraïque en 1661 et en 1667 a fait deux changements à l'ancienne manière.

Premièrement, comme les versets n'étaient que de cinq en cinq ; de sorte que pour trouver un verset entre deux, il fallait avoir la peine de compter entre ces deux nombres ; Athias a marqué tous les versets. Secondement, il a introduit aux versets nouvellement marqués, l'usage de nos chiffres communs qui nous sont venus des Indes, et n'a laissé les lettres hébraïques qui servent de chiffre, qu'à chaque cinquième verset, comme elles y étaient auparavant. Au reste, de toutes les bibles hébraïques, cette seconde édition d'Athias est la plus correcte qui ait jamais paru depuis qu'on imprime ; et en même temps la plus commode pour l'usage.

Quand Rabbi Nathan eut une fois montré sa manière de compter des versets, et de les citer, on vit d'abord que cette méthode valait mieux que celle des lettres à la marge, dont on s'était servi jusques là. Aussi Vatable ayant fait imprimer une bible latine, avec les chapitres ainsi divisés en versets, et ces versets marqués par des nombres ; son exemple a été suivi dans toutes les éditions postérieures, sans aucune exception : et tous ceux qui ont fait des concordances, et en général tous les auteurs qui citent l'Ecriture, l'ont citée depuis ce temps-là par chapitres et par versets

Les juifs donc ont emprunté des chrétiens la division des chapitres, et les chrétiens ont emprunté d'eux dans la suite celle des versets : ainsi les uns et les autres ont contribué à rendre les éditions du vieux Testament beaucoup plus commodes pour l'usage ordinaire qu'elles ne l'étaient autrefois.

Robert Etienne, dans la suite, divisa aussi les chapitres du nouveau Testament en versets, pour la même raison que R. Nathan l'avait fait au vieux, c'est-à-dire, pour faire une concordance grecque à laquelle il travaillait, et qui fut ensuite imprimée par Henri son fils ; c'est ce dernier qui nous apprend cette particularité dans la préface.

Depuis ce temps-là on s'est si bien accoutumé à mettre ces chapitres et ces versets à toutes les bibles, et à ne citer point autrement dans tout l'occident ; que non-seulement les bibles latines, mais les grecques, et celles de toutes nos langues modernes, ne s'impriment pas autrement. La grande utilité de ces divisions, dès qu'elles ont paru, a emporté tous les suffrages. Voilà les époques de la division reçue de l'Ecriture sainte en chapitres et en versets, établie avec quelque exactitude en faveur de ceux qui désirent d'en être instruits. (Le chevalier DE JAUCOURT ).