S. m. (Théologie païenne) Sénéque définit les oracles la volonté des dieux annoncée par la bouche des hommes. Quoique cette définition soit fort différente de celle que je donnerais, il est toujours constant que la plus auguste et la plus réligieuse espèce de prédiction dans l'antiquité payenne était les oracles. Le désir si vif et si inutîle de connaître l'avenir leur donna naissance, l'imposture les accrédita, et le fanatisme y mit le sceau.

On ne se contenta pas de faire rendre des oracles à tous les dieux, ce privilège passa jusqu'aux héros, tant on avait besoin de mettre à profit l'insatiable curiosité des hommes. Outre les oracles de Delphes et de Claros que rendait Apollon, et ceux de Dodone et d'Ammon en l'honneur de Jupiter, Mars eut un oracle dans la Thrace, Mercure à Patras, Vénus à Paphos et à Aphaca, Minerve à Mycènes, Diane dans la Colchide, Pan en Arcadie, Esculape à Epidaure et à Rome, Hercule à Athènes et à Gadès, Sérapis à Alexandrie, Trophonius dans la Béotie, etc.

Ils ne se rendaient pas tous de la même manière. Ici c'était la prêtresse ou le prêtre qui répondait pour le dieu que l'on consultait ; là c'était le dieu qui parlait lui-même. Dans un autre endroit on obtenait la réponse du dieu par des songes. Ailleurs, l'oracle se rendait sur des billets cachetés, ou par les sorts, comme à Préneste. Enfin, il fallait quelquefois, pour se rendre digne de l'oracle, beaucoup de jeunes, de sacrifices, de lustrations, des mystères, etc.

Mon dessein n'est pas de traiter ici directement l'histoire des oracles, on pourra consulter leurs articles particuliers ; mais je me propose principalement de combattre l'opinion qui les attribue aux démons, et l'effet cessé à la venue de J. C. L'Ecriture-sainte ne nous apprend en aucune manière que les oracles aient été rendus par les démons, et dès-lors c'est un de ces sujets que la sagesse divine a jugé assez indifférents pour l'abandonner à nos petites recherches. Celles de M. de Fontenelle, sans être originales, sont si judicieusement écrites, que je les ai choisies pour en donner le précis dans ce mémoire. Son étendue quelle qu'elle sait, ennuyera d'autant moins, qu'il s'agit ici d'un sujet susceptible de bien des réflexions philosophiques.

Les anciens chrétiens ont pensé que les oracles étaient rendus par les démons, à cause de quelques histoires surprenantes d'oracles qu'on croyait ne pouvoir attribuer qu'à des génies. Telle était l'histoire du pilote Thamus au sujet du grand Pan, rapportée dans Plutarque ; telle était encore celle du roi Thulis, celle de l'enfant hébreu à qui tous les dieux obéissent ; et quelques autres qu'Eusebe a tirées des écrits même de Porphyre. Sur de pareilles histoires, on s'est persuadé que les démons se mêlaient des oracles.

Les démons étant une fois constants par le Christianisme, il a été assez naturel de leur donner le plus d'emploi qu'on pouvait, et de ne les pas épargner pour les oracles, et les autres miracles payens qui semblaient en avoir besoin. Par-là on se dispensait d'entrer dans la discussion des faits, qui eut été longue et difficîle ; et tout ce qu'ils avaient de surprenant et d'extraordinaire, on l'attribuait à ces démons, que l'on avait en main. Il semblait qu'en leur rapportant ces événements, on confirmât leur existence, et la religion même qui nous la revele.

Cependant les histoires surprenantes qu'on débitait sur les oracles doivent être fort suspectes. Celle de Thamus, à laquelle Eusebe donne sa croyance, et que Plutarque seul rapporte, est suivie dans le même historien d'un autre conte si ridicule, qu'il suffirait pour la décréditer entièrement ; mais de plus, elle ne peut recevoir un sens raisonnable. Si ce grand Pan était un démon, les démons ne pouvaient-ils se faire savoir sa mort les uns aux autres sans y employer Thamus ? Si ce grand Pan était J. C. comment personne ne fut-il désabusé dans le paganisme, et comment personne ne vint-il à penser que le grand Pan fût J. C. mort en Judée, si c'était Dieu lui-même qui forçait les démons à annoncer cette mort aux payens ?

L'histoire de Thulis, dont l'oracle, dit-on, est positif sur la Trinité, n'est rapporté que par Suidas, auteur qui ramasse beaucoup de choses, mais qui ne les choisit guère. Son oracle de Sérapis péche de la même manière que les livres des sibylles par le trop de clarté sur nos mystères ; de plus ce Thulis, roi d'Egypte, n'était pas assurément un des Ptolomées. Enfin, que deviendra tout l'oracle, s'il faut que Sérapis soit un dieu qui n'ait été amené en Egypte que par un Ptolomée qui le fit venir de Pont, comme beaucoup de savants le prétendent sur des apparences très-fortes. Du moins il est certain qu'Hérodote, qui aime tant à discourir sur l'ancienne Egypte, ne parle point de Sérapis, et que Tacite conte tout au long comment et pourquoi un des Ptolémées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n'était alors connu que là.

L'oracle rendu à Auguste sur l'enfant hébreu, n'est point du tout recevable. Cedrenus le cite d'Eusebe, et aujourd'hui il ne s'y trouve plus. Il ne serait pas impossible que Cédrenus citât à faux ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusebe. Mais quand Eusebe, dans quelque ouvrage qui ne serait pas venu jusqu'à nous, aurait effectivement parlé de l'oracle d'Auguste, Eusebe lui-même se trompait quelquefois, et on en a des preuves constantes. Les premiers défenseurs du Christianisme, Justin, Tertullien, Théophile, Tatien auraient-ils gardé le silence sur un oracle si favorable à la religion ? étaient-ils assez peu zélés pour négliger cet avantage ? Mais ceux même qui nous donnent cet oracle, le gâtent, en y ajoutant qu'Auguste, de retour à Rome, fit élever dans le capitole un autel avec cette inscription : C'est ici l'autel du fils unique de Dieu. Où avait-il pris cette idée d'un fils unique de Dieu, dont l'oracle ne parle point ?

Enfin, ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Auguste, depuis le voyage qu'il fit en Grèce, dix-neuf ans avant la naissance de J. C. n'y retourna jamais ; et même lorsqu'il en revint, il n'était guère dans la disposition d'élever des autels à d'autres dieux qu'à lui ; car il souffrit non-seulement que les villes d'Asie lui en élevassent, et lui célébrassent des jeux sacrés, mais même qu'à Rome on consacrât un autel à la fortune, qui était de retour, fortunae reduci, c'est-à-dire, à lui-même, et que l'on mit le jour d'un retour si heureux entre les jours de fêtes.

Les oracles qu'Eusebe rapporte de Porphyre attaché au paganisme, ne sont pas plus embarrassants que les autres. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnait dans les écrits de Porphyre. Que savons-nous si ce payen ne les refutait pas ? Selon l'intérêt de sa cause il le devait faire, et s'il ne l'a pas fait, assurément il avait quelque intention cachée, comme de les présenter aux chrétiens à dessein de se moquer de leur crédulité, s'ils les recevaient pour vrais, et s'ils appuyaient leur religion sur de pareils fondements.

L'opinion autrefois commune sur les oracles opérés par les démons, décharge le paganisme d'une bonne partie de l'extravagance, et même de l'abomination que les saints pères y ont toujours trouvée. Les Payens devaient dire, pour se justifier, que ce n'était pas merveille qu'ils eussent obéï à des génies qui animaient des statues, et faisaient tous les jours cent choses extraordinaires ; et les Chrétiens, pour leur ôter toute excuse, ne devaient jamais leur accorder ce point. Si toute la religion payenne n'avait été qu'une imposture des prêtres, le Christianisme profitait de l'excès du ridicule où elle tombait.

Aussi y a-t-il bien de l'apparence que les disputes des Chrétiens et des Payens étaient en cet état, lorsque Porphyre avouait si volontiers que les oracles étaient rendus par de mauvais démons. Ces mauvais démons lui étaient d'un double usage. Il s'en servait à rendre inutiles, et même désavantageux à la religion chrétienne les oracles dont les Chrétiens prétendaient se parer ; mais de plus, il rejetait sur ces gens cruels et artificieux toute la folie, et toute la barbarie d'une infinité de sacrifices, que l'on reprochait sans cesse aux Payens. C'est donc prendre les vrais intérêts du Christianisme, que de soutenir que les démons n'ont point été les auteurs des oracles.

Si au milieu de la Grèce même, ou tout retentissait d'oracles, nous avions soutenu que ce n'était que des impostures, nous n'aurions étonné personne par la hardiesse de ce paradoxe, et nous n'aurions point eu besoin de prendre des mesures pour le débiter secrètement. La Philosophie s'était partagée sur le fait des oracles ; les Platoniciens et les Stoïciens tenaient leur parti, mais les Cyniques, les Péripatéticiens, les Epicuriens s'en moquaient hautement. Ce qu'il y avait de miraculeux dans les oracles, ne l'était pas tant que la moitié des savants de la Grèce ne fussent encore en liberté de n'en rien croire, et cela malgré le préjugé commun à tous les Grecs, qui mérite d'être compté pour quelque chose. Eusebe nous dit que six cent personnes d'entre les payens avaient écrit contre les oracles, et nomme entr'autres un certain Oenomaus, dont il nous a conservé quelques fragments, dans lesquels on voit cet Oenomaus argumenter sur chaque oracle, contre le dieu qui l'a rendu, et le prendre lui même à partie.

Ce ne sont pas les Philosophes seuls qui dans le paganisme, ont fait souvent assez peu de cas des oracles ; beaucoup de gens parmi les grands et le peuple même, consultaient les oracles pour n'avoir plus à les consulter : et s'ils ne s'accommodaient point à leurs desseins, ils ne se gênaient pas beaucoup pour leur obéir. Aussi voit-on des capitaines ne se pas faire scrupule de passer par-dessus des oracles, et de suivre leurs projets. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que cela s'est pratiqué dans les premiers siècles de la république romaine, dans ces temps d'une heureuse grossiereté, où l'on était si scrupuleusement attaché à la religion, et où comme dit Tite-Live, on ne connaissait point encore cette philosophie qui apprend à mépriser les dieux.

Les anciens chrétiens n'ont pas tous cru que les oracles fussent rendus par les démons. Plusieurs d'entr'eux ont souvent reproché aux payens qu'ils étaient joués par leurs prêtres. Voici comme en parle Clément d'Alexandrie ; et les écrivains polis trouveront même que c'est d'un ton bien dur. " Vante-nous, dit-il, si tu veux, ces oracles pleins de folie et d'impertinence, ceux de Claros, d'Apollon Pythien, de Didyme, d'Amphilochus ; tu peux y ajouter les augures, et les interprêtes des songes et des prodiges. Fais-nous paraitre aussi devant l'Apollon Pythien, ces gens qui devinaient par la farine ou par l'orge, et ceux qui ont été si estimés parce qu'ils parlaient du ventre. Que les secrets des temples des Egyptiens, et que la Nécromancie des Etrusques demeurent dans les ténèbres ; toutes ces choses ne sont certainement que des impostures extravagantes, et de pures tromperies pareilles à celles des jeux de dez. Les chèvres qu'on a dressées à la divination, les corbeaux qu'on a dressés à rendre des oracles, ne sont pour ainsi dire, que les associés de ces charlatants qui fourbent tous les hommes ".

Eusebe étale à son tour d'excellentes raisons pour prouver que les oracles ont pu n'être que des impostures ; et si néanmoins il vient à les attribuer au démon, c'est par l'effet d'un préjugé pitoyable, ou pour s'accommoder au temps, et par un respect forcé pour l'opinion commune. Les payens n'avaient garde de consentir que leurs oracles ne fussent qu'un artifice de leurs prêtres. On crut donc, par une mauvaise manière de raisonner, gagner quelque chose dans la dispute, en leur accordant que quand même il y aurait eu du surnaturel dans leurs oracles, cet ouvrage n'était pas celui de la divinité, mais des démons.

Si les démons rendaient les oracles, les démons ne manquaient pas de complaisance pour les princes qui étaient une fois devenus redoutables. La Pythie philippise, disait plaisamment Démosthène, lorsqu'il se plaignait que les oracles de Delphes étaient toujours conformes aux intérêts de Philippe. On sait aussi que l'enfer avait bien des égards pour Alexandre et pour Auguste. Quelques historiens disent nettement qu'Alexandre voulut être fils de Jupiter ammon, et pour l'intérêt de sa vanité, et pour l'honneur de sa mère qui était soupçonnée d'avoir eu quelques amants moins considérables que Jupiter. Ainsi avant que d'aller au temple, il fit avertir le dieu de sa volonté, et le dieu le fit de fort bonne grâce.

Auguste éperdument amoureux de Livie, l'enleva à son mari toute grosse qu'elle était, et ne se donna pas le loisir d'attendre qu'elle fût accouchée pour l'épouser. Comme l'action était un peu extraordinaire, on en consulta l'oracle ; l'oracle qui savait faire sa cour, ne se contenta pas d'approuver Auguste, il assura que jamais un mariage ne réussissait mieux, que quand on épousait une femme déjà grosse.

Les oracles qu'on établissait quelquefois de nouveau, font autant de tort aux démons que les oracles corrompus. Après la mort d'Ephestion, Alexandre voulut encore absolument pour se consoler, qu'Ephestion fût dieu ; tous les courtisans y consentirent sans peine. Aussi-tôt voilà des temples que l'on bâtit à Ephestion en plusieurs villes, des fêtes qu'on institue en son honneur, des sacrifices qu'on lui fait, des guérisons miraculeuses qu'on lui attribue ; et afin qu'il n'y manquât rien, des oracles qu'on lui fait rendre. Lucien dit qu'Alexandre étonné d'abord de voir la divinité d'Ephestion réussir si bien, la crut enfin vraie lui-même, et se sçut bon gré de n'être pas seulement dieu, mais d'avoir encore le pouvoir de faire des dieux.

Adrien fit les mêmes folies pour son mignon Antinous. Il bâtit en mémoire de lui la ville d'Antinopolis, lui donna des temples et des prophêtes, dit S. Jérôme. Or il n'y avait des prophêtes que dans les temples à oracles. Nous avons encore une inscription grecque qui porte : A Antinous, le compagnon des dieux d'Egypte, M. Ulpius Apollinius son prophête.

Après cela, on ne sera pas surpris qu'Auguste ait aussi rendu des oracles, ainsi que nous l'apprenons de Prudence. Assurément Auguste valait bien Antinous et Ephestion, qui selon toutes les apparences, ne dû.ent leur divinité qu'à leur beauté.

Mais qui doute du prodigieux succès qu'auraient aujourd'hui quelques rois qui se mettraient en tête de fonder des oracles dans leurs états, et de les accréditer ? Il faudrait avoir mal étudié l'esprit humain, pour ne pas connaître la force que le merveilleux a sur lui. La croyance aux miracles de certaines reliques, dont plusieurs villes se disputent la possession, vaut bien la confiance que le peuple payen avait aux oracles. Etablissez ici l'existence d'une relique, il s'en établira cent dans l'étendue de la chrétienté. Si les dieux prédisaient à Delphes, pourquoi n'auraient-ils pas prédit à Athénes ? Les peuples avides de l'utilité qu'ils esperaient des oracles, ne demandaient qu'à les voir multipliés en tous lieux.

Ajoutez à ces réflexions que dans le temps de la première institution des oracles, l'ignorance était beaucoup plus grande qu'elle ne fut dans la suite. La Philosophie n'était pas encore née, et les superstitions les plus extravagantes n'avaient aucune contradiction à essuyer de sa part. Il est vrai que ce qu'on appelle le peuple, n'est jamais fort éclairé ; cependant la grossiereté dont il est toujours, reçoit encore quelques différences selon les siècles ; du moins il y en a où tout le monde est peuple, et ceux-là sont sans comparaison les plus favorables à l'établissement des erreurs.

On pourrait prouver invinciblement que les oracles n'étaient rendus que par des prêtres, en dévoilant leurs artifices, et le détail n'en serait pas ennuyeux ; mais il faut pour abréger nous restraindre à des généralités sur cet article.

Remarquez d'abord que les pays montagneux, et par conséquent pleins d'antres et de cavernes, se trouvaient les plus abondants en oracles. Telle était la Béotie qui anciennement, dit Plutarque, en avait une très-grande quantité. On sait d'un autre côté, que les Béotiens passaient pour être les plus sottes gens du monde ; c'était là un bon pays pour les oracles, des sots et des cavernes.

Je n'imagine pas cependant que le premier établissement des oracles, ait été une imposture méditée ; mais le peuple tomba dans quelque superstition qui donna lieu à des gens un peu plus raffinés d'en profiter : car les sottises du peuple sont telles, assez souvent, qu'elles n'ont pu être prévues, et quelquefois ceux qui le trompaient, ne songeaient à rien moins, et ont été invités par lui-même à le tromper. Ainsi ma pensée est qu'on n'a point mis d'abord des oracles dans la Béotie, parce qu'elle est montagneuse, mais que l'oracle de Delphes ayant une fois pris naissance dans la Béotie, les autres, que l'on fit à son imitation dans le même pays, furent mis dans des cavernes, parce que les prêtres en avaient reconnu la commodité.

Cet usage ensuite se répandit presque par-tout. Le prétexte des exhalaisons divines rendait les cavernes nécessaires ; et il semble de plus que les cavernes inspirent d'elles-mêmes je ne sais quelle horreur, qui n'est pas inutîle à la superstition. Peut-être la situation de Delphes a-t-elle bien servi à la faire regarder comme une ville sainte. Elle était à moitié chemin de la montagne du Parnasse, bâtie sur un peu de terre plaine, et environnée de précipices, qui la fortifiaient sans le secours de l'art. La partie de la montagne qui était au-dessus, avait à-peu-près la figure d'un théâtre, et les cris des hommes, et le son des trompettes se multipliaient dans les rochers.

La commodité des prêtres et la majesté des oracles, demandaient donc également des cavernes ; aussi ne voyez-vous pas un si grand nombre de temples prophétiques en plat pays : mais s'il y en avait quelques-uns, on savait bien remédier à ce défaut de leur situation. Au lieu de cavernes naturelles, on en faisait d'artificielles ; c'est-à-dire de ces sanctuaires qui étaient des espèces d'antres, où résidait particulièrement la divinité, et où d'autres que les prêtres n'entraient jamais.

Dans ces sanctuaires ténébreux étaient cachées toutes les machines des prêtres, et ils y entraient par des conduits souterrains. Rufin nous décrit le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts ; et pour rapporter un témoignage encore plus fort que le sien, l'Ecriture sainte ne nous apprend-elle pas comment Daniel découvrit l'imposture des prêtres de Belus, qui savaient bien rentrer secrètement dans son temple, pour prendre les viandes qu'on y avait offertes ? Il s'agit là d'un des miracles du paganisme qui était cru le plus universellement, de ces victimes que les dieux prenaient la peine de venir manger eux-mêmes. L'Ecriture attribue-t-elle ce prodige aux démons ? Point du tout, mais à des prêtres imposteurs ; et c'est-là la seule fois où l'Ecriture s'étend un peu sur un prodige du paganisme : et en ne nous avertissant point que tous les autres n'étaient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étaient. Combien après tout, devait-il être plus aisé de persuader aux peuples que les dieux descendaient dans des temples pour leur parler, leur donner des instructions utiles, que de leur persuader qu'ils venaient manger des membres de chèvres et de moutons ? Et si les prêtres mangeaient en la place des dieux, à plus forte raison pouvaient-ils parler aussi en leur place.

Les prêtres pour mieux jouer leur jeu, établirent encore de certains jours malheureux, où il n'était point permis de consulter l'oracle. Par ce moyen, ils pouvaient renvoyer les consultants lorsqu'ils avaient des raisons de ne pas répondre ; ou bien pendant ce temps de silence, ils prenaient leurs mesures, et faisaient leurs préparatifs.

A l'occasion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis oracles qui ait jamais été. Il était allé à Delphes pour consulter le dieu ; et la prêtresse qui prétendait qu'il n'était point alors permis de l'interroger, ne voulait point entrer dans le temple. Alexandre qui était impérieux, la prit par le bras pour l'y mener de force ; et elle s'écria : Ah, mon fils, on ne peut te résister ! Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me suffit.

Les prêtres avaient encore un secret pour gagner du temps, quand il leur plaisait. Avant que de consulter l'oracle il fallait sacrifier ; et si les entrailles des victimes n'étaient point heureuses, le dieu n'était point en état de répondre : Et qui jugeait des entrailles des victimes ? Les prêtres. Le plus souvent même, ainsi qu'il parait par beaucoup d'exemples, ils étaient seuls à les examiner ; et tel qu'on obligeait à recommencer le sacrifice, avait pourtant immolé un animal dont le cœur et le foie étaient les plus beaux du monde.

Les prêtres firent mieux encore, ils établirent certains mystères qui engageaient à un secret inviolable ceux qui y étaient initiés : il n'y avait personne à Delphes qui ne se trouvât dans ce cas. Cette ville n'avait point d'autre revenu que celui de son temple, et ne vivait que d'oracles ; or les prêtres s'assuraient de tous les habitants, en se les attachant par le double lien de l'intérêt et de la superstition. On eut été bien reçu à parler contre les oracles d'Apollon dans une telle ville !

Ceux qu'on initiait aux mystères, donnaient des assurances de leur discrétion. Ils étaient obligés à faire aux prêtres une confession de tout ce qu'il y avait de plus caché dans leur vie ; et c'était après cela à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le secret.

Ce fut sur cette confession qu'un lacédémonien, qui s'allait faire initier aux mystères de Samothrace, dit brusquement aux prêtres qui l'interrogeaient : " Si j'ai fait des crimes, les dieux le savent bien ". Un autre répondit à-peu-près de la même façon. " Est-ce à toi, ou au dieu qu'il faut confesser ses crimes ? C'est au dieu, dit le prêtre : Et bien retire-toi donc, reprit le lacédémonien, je les confesserai au dieu ". Ces deux lacédémoniens, qui à-coup-sur, ne furent pas reçus, pensaient précisément sur la confession des crimes qu'exigeaient les prêtres, ce que les Anglais pensent sur la confession des péchés dans le Christianisme.

Mais sans s'étendre davantage sur les artifices des oracles, il vient naturellement dans l'esprit une question difficîle à résoudre ; savoir, pourquoi les démons ne prédisaient l'avenir que dans des trous, dans des cavernes et dans des lieux obscurs ? Et pourquoi ils ne s'avisaient jamais d'animer une statue, ou de faire parler une prêtresse dans un carrefour, exposé de toutes parts aux yeux de tout le monde ?

On pourrait imaginer que les oracles qui se rendaient sur des billets cachetés, et plus encore ceux qui se rendaient en songe, avaient besoin de démons ; mais il nous serait aisé de faire voir qu'ils n'avaient rien de plus miraculeux que les autres.

Les prêtres n'étaient pas scrupuleux jusqu'au point de n'oser décacheter les billets qu'on leur apportait ; il fallait qu'on les laissât sur l'autel, après quoi on fermait le temple, où les prêtres savaient rentrer sans qu'on s'en aperçut ; ou bien il fallait mettre ces billets entre les mains des prêtres, afin qu'ils dormissent dessus, et reçussent en songe la réponse. Or dans l'un et l'autre cas, ils avaient le loisir et la liberté de les ouvrir. Ils savaient pour cela plusieurs secrets, dont quelques-uns furent mis en pratique par le faux prophête de Lucien. On peut les voir dans cet auteur même, si l'on est curieux d'apprendre comment on s'y prenait pour décacheter les billets sans qu'il y parut. C'est à-peu-près la même méthode qui est aujourd'hui en usage dans les bureaux des postes.

Les prêtres qui n'osaient se hasarder à décacheter les billets, tâchaient de savoir adroitement ce qui amenait les gens à l'oracle. D'ordinaire c'était des personnes considérables, méditant quelque dessein, ou animés de quelque passion assez connue. Les prêtres avaient tant de commerce avec eux à l'occasion des sacrifices, avant que l'oracle parlât, qu'il n'était pas trop difficîle de tirer de leur bouche, ou du moins de conjecturer quel était le sujet de leur voyage. On leur faisait recommencer sacrifices sur sacrifices, jusqu'à-ce qu'on se fût éclairci. On les mettait entre les mains de certains menus officiers du temple, qui sous prétexte de leur en montrer les antiquités, les statues, les peintures, les offrandes, avaient l'art de les faire parler sur leurs affaires. Ces antiquaires, pareils à ceux qui vivent aujourd'hui de ce métier en Italie, se trouvaient dans tous les temples un peu considérables. Ils savaient par cœur tous les miracles qui s'y étaient faits ; ils vous faisaient bien valoir la puissance et les merveilles du dieu ; ils vous contaient fort au long l'histoire de chaque présent qu'on lui avait consacré. Sur cela Lucien dit assez plaisamment, que tous ces gens-là ne vivaient et ne subsistaient que de fables ; et que dans la Grèce on eut été bien fâché d'apprendre des vérités dont il n'eut rien couté. Si ceux qui venaient consulter l'oracle ne parlaient point, leurs domestiques se taisaient-ils ?

Il faut savoir que dans une ville à oracle, il n'y avait presque que des officiers de l'oracle. Les uns étaient prophetes et prêtres ; les autres poètes, qui habillaient en vers les oracles rendus en prose ; les autres simples interpretes ; les autres petits sacrificateurs, qui immolaient les victimes, et en examinaient les entrailles ; les autres vendeurs de parfums et d'encens, ou de bêtes pour les sacrifices ; les autres antiquaires ; les autres enfin n'étaient que des hôtelliers, que le grand abord des étrangers enrichissait. Tous ces gens-là étaient dans les intérêts de l'oracle et du dieu ; et si par le moyen des domestiques des étrangers ils découvraient quelque chose qui fût bon à savoir, vous ne devez pas douter que les prêtres n'en fussent avertis.

Le nombre est fort grand des oracles qui se rendaient par songes ; cette manière n'était pas plus difficîle que les autres dans la pratique ; mais comme le plus fameux de tous ces oracles était celui de Trophonius dans la Béotie, voyez ORACLE DE TROPHONIUS.

Nous observerons seulement ici qu'entre les oracles qui se rendaient par les songes, il y en avait auxquels il fallait se préparer par des jeunes, comme celui d'Amphiaraus dans l'Attique ; si vos songes ne pouvaient pas recevoir quelqu'interprétation apparente, on vous faisait dormir dans le temple sur nouveaux frais ; on ne manquait jamais de vous remplir l'esprit d'idées propres à vous faire avoir des songes, où il entrât des dieux et des choses extraordinaires. Enfin, on vous faisait dormir le plus souvent sur des peaux de victimes, qui pouvaient avoir été frottées de quelque drogue propre à étourdir le cerveau.

Quand c'était les prêtres, qui en dormant sur les billets cachetés, avaient eux-mêmes les songes prophétiques, il est clair que la chose est encore plus aisée à expliquer. Dès qu'on était assez stupide pour se contenter de leurs songes, et pour y ajouter foi, il n'était pas besoin qu'ils laissassent aux autres la liberté d'en avoir. Ils pouvaient se réserver ce droit à eux seuls, sans que personne y trouvât à redire.

Un des plus grands secrets des oracles, et une des choses qui marque clairement que les hommes les rendaient, c'est l'ambiguité des réponses, et l'art qu'on avait de les accommoder à tous les événements qu'on pouvait prévoir. Vous en trouverez un exemple dans Arrian, liv. VII. sur la maladie d'Alexandre à Babylone. Macrobe en cite un autre sur Trajan, quand il forma le dessein d'aller attaquer les Parthes. On porta pour réponse à cet empereur une vigne mise en morceaux. Trajan mourut à cette guerre ; et ses os reportés à Rome (sur quoi l'on fit tomber l'explication de l'oracle) étaient assurément la seule chose, à quoi l'oracle n'avait point pensé. Ceux qui recevaient ces oracles ambigus, prenaient volontiers la peine d'y ajuster l'événement, et se chargeaient eux-mêmes de le justifier. Souvent ce qui n'avait eu qu'un sens dans l'intention de celui qui avait rendu l'oracle, se trouvait en avoir deux après l'événement ; et le fourbe pouvait se reposer sur ceux qu'il dupait, du soin de sauver son honneur.

Il n'est plus question de deviner les finesses des prêtres, par les moyens qui pourraient eux-mêmes paraitre trop fins. Un temps a été qu'on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre ; ce fut quand la religion chrétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

Théodoret dit que Théophîle évêque d'Alexandrie fit voir à ceux de cette ville les statues creuses, où les prêtres entraient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorsque par l'ordre de Constantin on abattit le temple d'Esculape à Egès en Cilicie ; on en chassa, dit Eusebe dans la vie de cet empereur, non pas un dieu ni un démon, mais le fourbe qui avait si longtemps imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoute en général que dans les simulacres des dieux abattus, on n'y trouvait rien moins que des dieux ou des démons, non pas même quelques malheureux spectres obscurs et ténébreux, mais seulement du foin, de la paille, ou des os de morts.

La plus grande difficulté qui regarde les oracles, est surmontée depuis que nous avons reconnu que les démons n'ont point dû y avoir de part. Les oracles étant ainsi devenus indifférents à la religion chrétienne, on ne s'intéressera plus à les faire finir précisément à la venue de Jesus-Christ. D'ailleurs nous avons plusieurs preuves qui font voir que les oracles ont duré plus de 400 ans après Jesus-Christ, et qu'ils ne sont devenus tout à fait muets qu'avec l'entière destruction du paganisme.

Suétone, dans la vie de Néron, dit que l'oracle de Delphes l'avertit qu'il se donnât de garde des 73 ans ; que Néron crut qu'il ne devait mourir qu'à cet âge-là, et ne songea point au vieux Galba qui étant âgé de 73 ans lui ôta l'empire. Cela le persuada si bien de son bonheur, qu'ayant perdu par un naufrage des choses d'un très-grand prix, il se vanta que les poissons les lui rapporteraient.

Philostrate, dans la vie d'Apollonius de Thyane, qui a Ve Domitien, nous apprend qu'Apollonius visita tous les oracles de la Grèce, et celui de Dodone, et celui de Delphes, et celui d'Amphiaraus.

Plutarque qui vivait sous Trajan, nous dit que l'oracle de Delphes était encore sur pied, quoique réduit à une seule prêtresse, après en avoir eu deux ou trois.

Sous Adrien, Dion Chrysostome raconte qu'il consulta l'oracle de Delphes ; et il en rapporta une réponse qui lui parut assez embarrassée, et qui l'est effectivement.

Sous les Antonins, Lucien assure qu'un prêtre de Thyane alla demander à ce faux prophète Alexandre, si les oracles qui se rendaient alors à Didyme, à Claros et à Delphes, étaient véritablement des réponses d'Apollon, ou des impostures. Alexandre eut des égards pour ces oracles qui étaient de la nature du sien, et répondit au prêtre, qu'il n'était pas permis de savoir cela. Mais quand cet habîle prêtre demanda ce qu'il serait après sa mort, on lui répondit hardiment : " Tu seras chameau, puis cheval, puis philosophe, puis prophète aussi grand qu'Alexandre. "

Après les Antonins, trois empereurs se disputèrent l'empire ; Severus Septimus, Pescennius Niger, Clodius Albinus. On consulta Delphes, dit Spartien, pour savoir lequel des trois la république devait souhaiter ? Et l'oracle répondit en un vers : " Le noir est le meilleur ; l'africain est bon ; le blanc est le pire ". Par le noir, on entendait Pescennius Niger ; par l'africain, Sevère qui était d'Afrique ; et par le blanc, Clodius Albinus.

Dion qui ne finit son histoire qu'à la huitième année d'Alexandre Sevère, c'est-à-dire, l'an 230 de Jesus-Christ, rapporte que de son temps Amphilochus rendait encore des oracles en songe. Il nous apprend aussi qu'il y avait dans la ville d'Apollonie un oracle, où l'avenir se déclarait par la manière dont le feu prenait à l'encens qu'on jetait sur un autel. Il n'était permis de faire à cet oracle des questions ni de mort ni de mariage. Ces restrictions bizarres étaient quelquefois fondées sur l'histoire particulière du dieu qui avait eu sujet pendant sa vie, de prendre de certaines choses en aversion ; ou, si vous l'aimez mieux, sur les mauvais succès qu'avaient eu les réponses de l'oracle en certaines matières.

Sous Aurélien, vers l'an de Jesus-Christ 272, les Palmiréniens révoltés consultèrent un oracle d'Apollon sarpédonien en Cilicie ; ils consultèrent encore celui de Vénus aphacite.

Licinius, au rapport de Sozomene, ayant dessein de recommencer la guerre contre Constantin, consulta l'oracle d'Apollon de Didyme, et en eut pour réponse deux vers d'Homère, dont le sens est : " Malheureux vieillard, ce n'est point à toi à combattre contre les jeunes gens ; tu n'as point de force, et ton âge t'accable. "

Un dieu assez inconnu, nommé Besa, selon Ammian Marcellin, rendait encore des oracles sur des billets à Abide, dans l'extrémité de la Thébaïde, sous l'empire de Constantius ; car on envoya à cet empereur des billets qui avaient été laissés dans le temple de Besa, sur lesquels il commença à faire des informations très-rigoureuses, mit en prison, exila, ou fit tourmenter un assez grand nombre de personnes ; c'est que par ces billets on consultait ce dieu sur la destinée de l'empire, ou sur la durée que devait avoir le règne de Constantius, ou même sur le succès de quelque dessein que l'on formait contre lui.

Enfin, Macrobe qui vivait sous Arcadius et Honorius fils de Théodose, parle du Dieu d'Héliopolis de Syrie et de son oracle, et des fortunes d'Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistait encore de son temps.

Remarquez qu'il n'importe que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient effectivement rendu les réponses qu'on leur attribue. Il suffit qu'on n'a pu attribuer de fausses réponses qu'à des oracles que l'on savait qui subsistaient encore effectivement ; et les histoires que tant d'auteurs en ont débitées, prouvent assez qu'ils n'avaient pas cessé.

En général, les oracles n'ont cessé qu'avec le paganisme ; et le paganisme ne cessa pas à la venue de Jesus-Christ. Constantin abattit peu de temples ; encore n'osa-t-il les abattre qu'en prenant le prétexte des crimes qui s'y commettaient. C'est ainsi qu'il fit renverser celui de Vénus aphacite, et celui d'Esculape qui était à Egès en Cilicie, tous deux, temples à oracles : mais il défendit que l'on sacrifiât aux dieux, et commença à rendre par cet édit les temples inutiles.

On sait qu'il restait encore beaucoup d'oracles, lorsque Julien se vit empereur ; et que de ceux qui étaient ruinés, il s'appliqua à en rétablir quelques-uns. Il fit plus ; il voulut être prophète de l'oracle de Didyme. C'était le moyen de remettre en honneur la prophétie qui tombait en discrédit. Il était souverain pontife, puisqu'il était empereur ; mais les empereurs n'avaient pas coutume de faire grand usage de cette dignité sacerdotale. Pour lui, il prit la chose bien plus sérieusement ; et nous voyons dans une de ses lettres qui sont venues jusqu'à nous, qu'en qualité de souverain pontife, il défend à un prêtre payen de faire pendant trois mois aucune fonction de prêtre.

Jovien, son successeur, commençait à se porter avec zèle à la destruction du paganisme ; mais en sept mois qu'il régna, il ne put pas faire de grands progrès. Théodose, pour y parvenir, ordonna de fermer tous les temples des Payens. Enfin l'exercice de cette religion fut défendu sous peine de la vie, par une constitution des empereurs Valentinien et Marcien, l'an 451 de Jesus-Christ.

Le paganisme enveloppa nécessairement les oracles dans sa ruine, lorsqu'il fut aboli par le Christianisme. D'ailleurs il est certain que le Christianisme, avant même qu'il fût encore la religion dominante, fit extrêmement tort aux oracles, parce que les chrétiens s'étudièrent à en désabuser les peuples, et à en découvrir l'imposture. Mais indépendamment du christianisme, les oracles ne laissaient pas de décheoir beaucoup par d'autres causes, et à la fin ils eussent entièrement tombé.

On commença à s'apercevoir qu'ils dégénérèrent, dès qu'ils ne se rendirent plus en vers. Plutarque a fait un traité exprès pour rechercher la cause de ce changement ; et à la manière des Grecs, il dit sur ce sujet tout ce qu'on peut dire de vrai et de faux. Entr'autres raisons vraisemblables, il prétend que les vers prophétiques se décrièrent par l'usage qu'en faisaient de certains charlatants, que le menu peuple consultait le plus souvent dans les carrefours. Les prêtres des temples ne voulurent avoir rien de commun avec eux ; parce qu'ils étaient des charlatants plus nobles et plus sérieux, ce qui fait une grande différence dans ce métier-là. Mais ce qui contribua le plus à ruiner les oracles, fut la soumission des Grecs sous la domination des Romains, qui, calmant toutes les divisions qui agitaient auparavant la Grèce ; l'esclavage produisant la paix, ne fournit plus de matière aux oracles.

Si les Romains nuisirent beaucoup aux oracles par la paix qu'ils établirent dans la Grèce, ils leur nuisirent encore plus par le peu d'estime qu'ils en faisaient. Ce n'était point là leur folie ; ils ne s'attachaient qu'à leurs livres sibyllins et à leurs divinations étrusques, c'est-à-dire aux aruspices et aux augures. Les maximes et les sentiments d'un peuple qui domine, passent aisément dans les autres peuples, et il n'est pas surprenant que les oracles étant une invention grecque aient suivi la destinée de la Grèce, qu'ils aient été florissants avec elle, et qu'ils aient perdu avec elle leur premier éclat.

La fourberie des oracles était trop grossière, pour n'être pas enfin découverte par mille différentes aventures, et même par quelques aventures scandaleuses qui dessillèrent les yeux de bien du monde. Il arriva que les dieux devenaient quelquefois amoureux des belles femmes qui venaient consulter leurs oracles. Alors on envoyait ces belles femmes passer des nuits dans les temples de la divinité ; parées de la main même de leurs maris, et chargées de présents pour payer le dieu de ses peines. A la vérité, on fermait bien les temples à la vue de tout le monde, mais on ne garantissait point aux maris les chemins souterrains.

Nous avons peine à concevoir que de pareilles choses aient pu être faites seulement une fais. Cependant Hérodote nous assure qu'au huitième et dernier étage de cette superbe tour du temple de Bélus à Babylone, était un lit magnifique où couchait toutes les nuits une femme choisie par le dieu. Il s'en faisait autant à Thèbes en Egypte ; et quand la prêtresse de l'oracle de Patare en Lycie devait prophétiser, il fallait auparavant qu'elle couchât seule dans le temple où Apollon venait l'inspirer.

Tout cela s'était pratiqué dans les plus épaisses ténèbres du paganisme, et dans un temps où les cérémonies payennes n'étaient pas sujettes à être contredites ; mais à la vue des chrétiens, le Saturne d'Alexandrie ne laissait pas de faire venir les nuits dans son temple, telle femme qu'il lui plaisait de nommer par la bouche de Tyrannus son prêtre. Beaucoup de femmes avaient reçu cet honneur avec grand respect, et on ne se plaignait point de Saturne, quoiqu'il soit le plus âgé et le moins galant des dieux. Il s'en trouva une à la fin, qui ayant couché dans le temple, fit réflexion qu'il ne s'y était rien passé que de fort humain, et dont Tyrannus n'eut été assez capable ; elle en avertit son mari qui fit faire le procès à Tyrannus. Le malheureux avoua tout, et dieu sait quel scandale dans Alexandrie.

Le crime des prêtres, leur insolence, divers événements qui avaient fait paraitre au jour leurs fourberies, l'obscurité, l'incertitude, et la fausseté de leurs réponses auraient donc enfin décrédité les oracles, et en auraient causé la ruine entière, quand même le paganisme n'aurait pas dû finir ; mais il s'est joint à cela des causes étrangères. D'abord de grandes sectes de philosophes grecs qui se sont mocqués des oracles ; ensuite les Romains qui n'en faisaient point d'usage ; enfin les Chrétiens qui les détestaient et qui les ont abolis avec le paganisme.

Tout ce qui était dispersé sur les oracles dans les auteurs anciens, méritait d'être recueilli en un corps ; c'est ce qu'a exécuté avec beaucoup de gloire M. Van-Dale (Antoine), habîle critique du dernier siècle par son ouvrage plein d'érudition, de oraculis Ethnicorum, Amstael. 1700. in-4 °. Il y prouve également qu'on ne doit attribuer les oracles qu'aux tromperies des prêtres, et qu'ils n'ont cessé qu'avec le paganisme. Il a épuisé tout ce qu'on peut dire sur cette matière.

M. de Fontenelle, l'homme le plus propre à ôter d'un livre écrit pour les savants, toute la sécheresse qui le rend de peu d'usage, et y répandre des ornements dont tout le monde profite, en a formé son traité des oracles, qui est sans contredit un de ses meilleurs ouvrages.

Le père Balthus, jésuite, se proposa vingt ans après de le refuter. L'historien de l'académie des Sciences crut qu'il était sage de ne pas répondre : il trouva dans M. du Marsais un défenseur éclairé qui le justifiait sans réplique contre les imputations du P. jésuite, mais il eut lui-même une défense expresse de faire paraitre son livre ; cependant M. Dalembert s'est donné la peine d'en faire l'analyse, d'après des fragments qui lui en ont été remis. Cette analyse intéressante est à la tête du tome VII. de l'Encyclopedie dans l'éloge de M. du Marsais.

Pour laisser de mon côté peu de chose à désirer sur cette matière, je vais joindre ici des articles séparés de quelques-uns des principaux oracles du paganisme. Il y en avait tant qu'un savant littérateur qui en a fait la liste dans les anciens, en indique plus de trois cent, dont le plus grand nombre était dans la Grèce : mais il ne les a pas sans doute tous nommés ; car il y avait peu de temples où il n'y eut quelques oracles ou quelque espèce de divination.

Il y en avait de toutes sortes de dates, depuis celui de Dodone qu'on croit le plus ancien, jusqu'à celui d'Antinous, qu'on peut regarder comme le dernier. Quelquefois même le crédit de quelques-uns des anciens se perdait, ou par la découverte des impostures de leurs ministres, ou par les guerres, ou par d'autres accidents qu'on ignore. A la perte de ceux-là en succédaient de nouveaux qu'on avait soin d'établir, et ceux-ci de même faisaient place à d'autres ; mais le temps de la décadence de plusieurs de ces oracles et de l'institution des nouveaux, ne nous est point connu. (D.J.)

ORACLE D'AMMON, (Théologie païenne) L'oracle de Jupiter Ammon en Libye, était aussi ancien que celui de Dodone. Il devint très-célèbre, et on venait le consulter de toutes parts, malgré les incommodités d'un si long voyage, et les sables brulans de la Libye qu'il fallait traverser. On ne sait trop que penser de la fidélité des prêtres qui le servaient. Quelquefois ils étaient incorruptibles, comme il parait par l'accusation qu'ils vinrent former à Sparte, contre Lysander qui avait voulu les corrompre dans la grande affaire qu'il méditait pour changer l'ordre de la succession royale ; quelquefois ils n'étaient pas si difficiles, comme il parait par l'histoire d'Alexandre, lequel pour mettre à couvert la réputation de sa mère, ou par pure vanité, voulait passer pour fils de Jupiter, puisque le prêtre de ce dieu alla au-devant de lui, et le salua comme fils du maître des dieux.

Nous apprenons de Quinte-Curce et d'autres auteurs anciens, que la statue de Jupiter Ammon avait la tête d'un bélier avec ses cornes ; et de Diodore de Sicile, la manière dont ce dieu rendait ses oracles, lorsque quelqu'un venait le consulter. Quatre-vingt prêtres de ce dieu portaient sur leurs épaules dans un navire doré sa statue, qui était couverte de pierres précieuses ; et allaient ainsi sans tenir de route certaine, où ils croyaient que le dieu les poussait. Une troupe de dames et de filles accompagnaient cette procession, chantant des hymnes en l'honneur de Jupiter. Quinte-Curce qui dit la même chose, ajoute que le navire ou la niche sur laquelle on portait la statue de ce dieu, était ornée d'un grand nombre de patères d'argent qui pendaient des deux côtés. C'était apparemment sur quelque signe ou sur quelque mouvement de la statue, que les prêtres annonçaient les décisions de leur Ammon : car comme le remarque Strabon, sur l'autorité de Callisthène, les réponses de ce dieu n'étaient point des paroles, comme à Delphes et chez les Branchides, mais un signe ; et il cite à cette occasion, les vers d'Homère où le poète dit : " Jupiter donna de ses sourcils un signe de consentement. "

Jupiter fut le même qu'Ammon des Egyptiens ; et comme Ammon était en possession de l'oracle pour lequel les Egyptiens avaient le plus de vénération ; on consacra à Jupiter le seul oracle qu'il y eut alors parmi les Pélasges.

Thomas Gale, dans ses notes sur Jamblique, a prouvé qu'Ammon, Amoun, Amon, Amos, Amosus, Amasis, Amosis, Thémous, Thamus, ne sont qu'un même nom. (D.J.)

ORACLE DE CLAROS, (Théologie païenne) oracle célèbre d'Apollon, établi à Claros, au pays des Colophoniens en Ionie, près de la ville de Colophon. Cet oracle avait cela de particulier, que le prêtre répondait verbalement à ceux qui venaient le consulter, sans qu'il employât de songes et sans recevoir des billets cachetés comme ailleurs ; mais sans doute qu'il avait d'autres moyens d'être bien instruit des affaires et des réponses qu'il devait rendre. Voici ce que Tacite, liv. II. des annales, rapporte de cet oracle, qui tomba bien-tôt après en décadence, car Pline qui parle du temple d'Apollon Clarien, ne fait aucune mention de son oracle. " Germanicus, dit Tacite, alla consulter Apollon de Claros. Ce n'est point une femme qui y rend les oracles comme à Delphes, mais un homme qu'on choisit dans de certaines familles, et qui est presque toujours de Milet. Il suffit de lui dire le nombre et les noms de ceux qui viennent le consulter ; ensuite il se retire dans une grotte, et ayant pris de l'eau d'une source qui y est, il vous répond en vers à ce que vous avez dans l'esprit, quoique le plus souvent il soit très-ignorant. " (D.J.)

ORACLE DE CLITUMNE, (Théologie païenne) Pline le jeune décrit ainsi l'oracle de Clitumne, dieu d'un fleuve d'Ombrie. " Le temple est ancien et fort respecté : Clitumne est là habillé à la romaine. Les sorts marquent la présence et le pouvoir de la divinité. Il y a à l'entour plusieurs petites chapelles, dont quelques-unes ont des fontaines et des sources ; car Clitumne est comme le père de plusieurs autres petits fleuves qui viennent se joindre à lui. Il y a un pont qui fait la séparation de la partie sacrée de ses eaux d'avec la profane : au-dessus de ce pont on ne peut qu'aller en bateau ; au-dessous il est permis de se baigner ". On ne connait point d'autre fleuve que celui-là qui rendit des oracles ; ce n'était guère leur coutume. (D.J.)

ORACLE DE DELPHES. Voyez DELPHES, ORACLE DE.

ORACLE DE DODONE, (Théologie païenne) au rapport d'Hérodote, l'oracle de Dodone le plus ancien de la Grèce, et celui de Jupiter Ammon dans la Libye, ont la même origine, et doivent tous les deux leur établissement aux Egyptiens, comme toutes les autres antiquités de la Grèce. Voici l'enveloppe sous laquelle on a caché ce trait d'histoire.

Deux colombes, disait-on, s'étant envolées de Thèbes en Egypte, il y en eut une qui alla dans la Libye, et l'autre ayant volé jusqu'à la forêt de Dodone dans la Chaonie, province de l'Epire, s'y arrêta ; et apprit aux habitants du pays, que l'intention de Jupiter était, qu'il y eut un oracle en ce lieu là. Ce prodige étonna ceux qui en furent les témoins, et l'oracle étant établi, il y eut bien-tôt un grand nombre de consultants. Servius ajoute que c'était Jupiter qui avait donné à sa fille Thébé ces deux colombes, et qu'elles avaient le don de la parole. Hérodote qui a bien jugé que cette fiction renfermait l'événement qui donna lieu à l'établissement de cet oracle, en a recherché le fondement historique.

Deux prêtresses de Thèbes, dit cet auteur, furent autrefois enlevées par des marchands Phéniciens : celle qui fut vendue en Grèce, établit sa demeure dans la forêt de Dodone, où l'on allait alors cueillir le gland qui servait de nourriture aux anciens Grecs, et elle fit construire une petite chapelle au pied d'un chêne en l'honneur de Jupiter, dont elle avait été prêtresse à Thèbes ; et ce fut-là que s'établit cet ancien oracle, si fameux dans la suite. Ce même auteur ajoute, qu'on nomma cette femme la colombe, parce qu'on n'entendait pas son langage ; mais comme on vint à le comprendre quelque temps après, on publia que la colombe avait parlé.

Souvent pour expliquer les anciennes fables, les Grecs qui n'entendaient pas la langue des peuples de l'Orient, d'où elle leur étaient venues, en ont débité de nouvelles. Le savant Bochart a cru trouver l'origine de celle dont il s'agit, dans l'équivoque de deux mots, phéniciens ou arabes, dont l'un signifie colombe et l'autre prêtresse. Les Grecs toujours portés au merveilleux, au lieu de dire qu'une prêtresse de Jupiter avait déclaré la volonté de ce dieu, dirent que c'était une colombe qui avait parlé.

Quelque vraisemblable que soit la conjecture de ce savant homme, M. l'abbé Sallier en a proposé une qui parait l'être davantage ; il prétend que cette fable est fondée sur la double signification du mot , lequel signifie des colombes dans l'Attique et dans plusieurs autres provinces de la Grèce, pendant que dans la dialecte de l'Epire, il voulait dire de vieilles femmes. Servius, qui avait bien compris le sens de cette fable, ne s'est trompé en l'expliquant, que parce qu'il a changé le nom appelatif de Peleias en un nom propre. " Il y avait, dit-il, dans la forêt de Dodone, une fontaine qui coulait avec un doux murmure au pied d'un chêne : une vieille femme nommée Pélias, interprétait ce bruit, et annonçait sur ce murmure, l'avenir à ceux qui venaient la consulter.

Si l'oracle de Dodone se manifesta d'abord par le murmure d'une fontaine, il parait qu'avec le temps on y chercha plus de façons ; mais comme personne ne pénétroit dans le sanctuaire de l'oracle, on ne s'accorde point sur la manière dont celui-ci se rendit dans la suite. Aristote, au rapport de Suidas, dit qu'à Dodone il y a deux colonnes, sur l'une desquelles est un bassin d'airain, et sur l'autre, la statue d'un enfant qui tient un fouet, dont les cordes étant aussi d'airain, font du bruit contre le bassin, lorsqu'elles y sont poussées par le vent.

Démon, selon le même Suidas, prétend que l'oracle de Jupiter Dodonéen est tout environné de bassins, qui aussi-tôt que l'un est poussé contre l'autre, se communiquent ce mouvement en rond, et font un bruit qui dure assez de temps. D'autres disent que c'était un chêne raisonnant, qui secouait ses branches et ses feuilles, lorsqu'il était consulté, et qui déclarait ses volontés par des prêtresses. Il parait bien de ce détail qu'il n'y avait que le bruit de constant, parce qu'on l'entendait de dehors ; mais comme on ne voyait point le dedans du lieu où se rendait l'oracle, on ne savait que par conjectures, ou par un rapport infidèle, ce qui causait le bruit.

On nommait Dodonides les prêtresses du temple de Dodone ; on ignore si elles rendaient leurs oracles en vers, comme le témoigne le recueil qui en a été fait, ou par les sorts, comme semble le croire Ciceron dans ses livres de la divination.

Strabon nous a conservé une réponse de cet oracle, qui fut bien funeste à la prêtresse de Dodone qui l'avait rendue. Pendant la guerre des Thraces contre les Béotiens, ces derniers allèrent consulter l'oracle de Dodone, et la prêtresse leur répondit qu'ils auraient un heureux succès, s'ils en agissaient en impies. Les envoyés des Béotiens, persuadés que la prêtresse voulait les tromper, pour favoriser les Pélasges dont elle descendait, et qui étaient alliés des Thraces, prirent cette femme et la firent bruler vive, disant que de quelque manière qu'on tournât cette action, elle ne pouvait qu'être trouvée juste. En effet, si la prêtresse avait eu dessein de les tromper, elle était punie de sa fourberie : si elle avait parlé sincérement, ils n'avaient fait qu'exécuter l'oracle à la lettre. On ne se paya pas de cette raison, on se saisit des envoyés ; mais comme on n'osait pas les punir sans les avoir jugés auparavant, on les conduisit devant les deux prêtresses qui restaient ; car il devait y en avoir trois alors à cet oracle, selon le récit de Strabon. Les députés ayant reclamé contre cette conduite, on leur accorda deux hommes pour juger avec les prêtresses. Celles-ci ne manquèrent pas de condamner les envoyés, mais les deux juges leur furent plus favorables ; ainsi les voix étant partagées, ils furent absous.

Tite-Live, lib. VIII. c. xxjv. cite la réponse ambiguè de l'oracle de Dodone, qui fit périr Aléxandre, roi d'Epire. Ce prince méditant de faire une descente en Italie, se berça des plus grandes espérances de succès, lorsque sur sa consultation, l'oracle lui recommanda seulement d'éviter la ville de Pandosie et le fleuve Achéron. Il crut que Jupiter lui ordonnait de quitter ses terres, et qu'il lui promettait des conquêtes sans bornes, dès qu'il passerait sur des rivages étrangers ; ce fut apparemment dans cette occasion qu'il fit frapper une médaille, où l'on voit d'un côté la tête de Jupiter Dodonéen, au revers un foudre surmonté d'une étoile, et au-dessous une espèce de lance avec ces mots : . Cependant trois ans après ralliant ses troupes auprès du fleuve Acheron, il fut percé d'un javelot par un transfuge, et tomba dans la rivière, dont le courant l'emporta chez les ennemis qui traitèrent son corps avec la dernière barbarie.

Nous savons aussi quelle fut la fin de l'oracle de Dodone. Dorimaque, au rapport de Polybe, brula les portiques du temple, renversa de fond en comble le lieu sacré de l'oracle, et ruina ou plutôt pilla toutes les offrandes. L'oracle de Dodone était de l'institution des Pélasges, et nous pouvons placer la véritable époque de son commencement, environ 1400 ans avant J. C. (D.J.)

ORACLE D'ESCULAPE, (Théologie païenne) outre l'oracle célèbre d'Esculape à Epidaure en Argie, sur le golfe Saronique, ce dieu rendait encore ses oracles dans son temple de l'île du Tibre. On a trouvé à Rome un morceau d'une table de marbre, où sont en grec les histoires de trois miracles d'Esculape : en voici le plus considérable traduit mot-à-mot sur l'inscription. " En ce même temps il rendit un oracle à un aveugle nommé Caïus ; il lui dit qu'il allât au saint autel, qu'il s'y mit à genoux, et y adorât ; qu'ensuite il allât du côté droit au côté gauche, qu'il mit les cinq doigts sur l'autel, et enfin qu'il portât sa main sur ses yeux. Après tout cela l'aveugle vit, le peuple en fut témoin, et marqua la joie qu'il avait de voir arriver de si grandes merveilles sous notre empereur Antonin ". Les deux autres guérisons sont moins surprenantes ; ce n'était qu'une pleurésie, et une perte de sang, désespérées l'une et l'autre à la vérité ; mais le dieu avait ordonné à ses malades des pommes de pin avec du miel, et du vin avec de certaines cendres, qui sont des choses que les incrédules peuvent prendre pour de vrais remèdes.

Ces inscriptions, pour être grecques, n'en ont pas moins été faites à Rome : la forme des lettres et l'orthographe ne paraissent pas être de la main d'un sculpteur grec. De plus, quoiqu'il soit vrai que les Romains faisaient leurs inscriptions en latin, ils ne laissaient pas d'en faire quelques-unes en grec, principalement lorsqu'il y avait pour cela quelque raison particulière. Or il est assez vraisemblable qu'on ne se servit que de la langue grecque dans le temple d'Esculape, parce que c'était un dieu grec, et qu'on avait fait venir de Grèce pendant cette grande peste, dont tout le monde sait l'histoire.

ORACLE D'HELIOPOLIS, (Théologie païenne) c'était un oracle d'Apollon dans cette ville d'Egypte ; ce dieu, au rapport de Macrobe, Saturn. lib. I. c. xxiij. rendait ses réponses de même que Jupiter Ammon. " On porte, dit cet auteur, la statue de ce dieu, de la même manière qu'on porte celle des dieux dans la pompe des jeux du cirque. Les prêtres accompagnés des principaux du pays, qui assistent à cette cérémonie la tête rasée, et après une longue continence, n'avancent pas selon qu'ils pourraient le vouloir, mais selon le mouvement que le dieu qu'ils portent leur donne, par des mouvements semblables à ceux des sorts ou des fortunes d'Antium ".

ORACLE DE MERCURE, à Pharès, (Théologie payenne) un des oracles les plus singuliers était celui de Mercure à Pharès, ville d'Achaïe, duquel parle Pausanias dans ses Achaïques, liv. VII. chap. xxij. Après beaucoup de cérémonies, dont le détail n'est pas ici nécessaire, on parlait au dieu à l'oreille, et on lui demandait ce qu'on avait envie de savoir : ensuite on se bouchait les oreilles avec les mains, on sortait du temple, et les premières paroles qu'on entendait au sortir de là, c'était la réponse de Mercure. (D.J.)

ORACLE DE MOPSUS, (Théologie païenne) on connait par la fable ce fils d'Apollon et de Manto, fille de Tirésias, et qui devint aussi fameux devin que son grand-pere : aussi fut-il après sa mort honoré comme un demi-dieu, et eut un oracle célèbre à Malle, ville de Cilicie ; cet oracle se rendait sur des billets cachetés, que les prêtres des dieux savaient décacheter sans qu'il y parut : assurément ils ouvrirent celui que le gouverneur de Cilicie, dont parle Plutarque, avait envoyé en consultation à leur oracle.

Ce gouverneur ne savait que croire du dieu, il était obsédé d'épicuriens qui lui avaient jeté beaucoup de doute dans l'esprit ; il se résolut, comme dit agréablement Plutarque, d'envoyer un espion chez les dieux pour apprendre ce qui en était. Il lui donna un billet bien cacheté pour le porter à l'oracle de Mopsus. Cet envoyé dormit dans le temple, et vit en songe un homme fort bien fait qui lui dit noir. Il porta cette réponse au gouverneur. Elle parut très-ridicule à tous les épicuriens de sa cour, mais il en fut frappé d'étonnement et d'admiration, et en leur ouvrant son billet il leur montra ces mots qu'il y avait écrit : " t'immolerai-je un bœuf blanc ou noir " ? Après ce miracle il fut toute sa vie fort dévot au dieu de Mopsus.

ORACLE DE SERAPIS, (Théologie païenne) ce dieu des Egyptiens avait deux oracles célèbres, l'un à Canope, qui était le plus fameux de toute l'Egypte et l'autre à Babylone.

Selon Strabon, il n'y avait rien de plus gai dans toute la religion payenne que les pelerinages qui se faisaient en l'honneur de Sérapis. " Vers le temps de certaines fêtes, dit-il, on ne saurait croire la multitude de gens qui descendent sur un canal d'Alexandrie à Canope où est ce temple ; jour et nuit ce ne sont que bateaux pleins d'hommes et de femmes, qui chantent et qui dansent avec toute la liberté imaginable ". A Canope il y a sur le canal une infinité d'hôtelleries qui servent à retirer ces voyageurs, et à favoriser leurs divertissements : ce temple de Sérapis fut détruit par l'ordre de l'empereur Théodose.

Le sophiste Eunapius, payen, parait avoir grand regret à la démolition qui fût faite de ce temple, et nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n'avaient jamais entendu parler de la guerre, se trouvèrent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, et principalement contre les riches offrandes dont il était plein ; que dans ces lieux saints on y plaça des moines, gens infames et inutiles, qui pourvu qu'ils eussent un habit noir et malpropre, prenaient une autorité tyrannique sur l'esprit des peuples, et que ces moines, au-lieu des dieux que l'on voyait par les lumières de la raison, donnaient à adorer des têtes de brigands punis pour leurs crimes, qu'on avait salées pour les conserver. C'est ainsi que cet impie traite les moines et les religieux ; il fallait que la licence fût encore bien grande du temps qu'on écrivait de pareilles choses sur la religion des empereurs.

Rufin ne manque pas de nous rapporter qu'on trouva le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts, et des machines disposées pour les fourberies des prêtres. Il nous apprend entr'autres choses, qu'il y avait à l'orient du temple une petite fenêtre par où entrait à certains jours un rayon du soleil qui allait donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même temps on apportait un simulacre du soleil qui était de fer, et qui étant attiré par de l'aimant caché dans la voute, s'élevait vers Sérapis. Alors on disait que le soleil saluait ce dieu ; mais quand le simulacre de fer retombait, et que le rayon se retirait de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avait assez fait sa cour, et il allait à ses affaires.

L'oracle de Sérapis à Babylone, rendait ses réponses en songe. Lorsqu' Alexandre tomba malade tout-d'un-coup à Babylone, quelques-uns des principaux de sa cour allèrent passer une nuit dans le temple de Sérapis, pour demander à ce dieu s'il ne serait point à propos de lui faire apporter le roi afin qu'il le guérit. Le dieu répondit qu'il valait mieux pour Alexandre qu'il demeurât où il était. Sérapis avait raison ; car s'il se le fût fait apporter, et qu'Alexandre fût mort en chemin, ou même dans le temple, que n'eut-on pas dit ? Mais si le roi recouvrait sa santé à Babylone, quelle gloire pour l'oracle ? S'il mourait, c'est qu'il lui était avantageux de mourir après des conquêtes qu'il ne pouvait augmenter ni conserver. Il s'en fallut tenir à cette dernière interprétation, qui ne manqua pas d'être tournée à l'avantage de Sérapis, sitôt qu'Alexandre fut mort. (D.J.)

ORACLE DE TROPHONIUS, (Théologie payenne) Trophonius, héros selon les uns, brigand selon les autres, était frère d'Agamedès, et tous deux fils d'Erginus, roi des Orchoméniens. Leurs talents pour l'architecture les fit rechercher de plusieurs princes, par l'ordre desquels ils bâtirent des temples et des palais. Dans celui qu'ils construisirent pour Hyricus ils ajustèrent une pierre de manière qu'elle pouvait s'enlever la nuit, et ils entraient par-là pour aller voler les trésors qui y étaient renfermés. Le prince qui voyait diminuer son or, sans que les serrures ni les cachets fussent rompus, dressa des pieges autour de ses coffres, et Agamedès s'y trouvant arrêté, Trophonius lui coupa la tête de peur qu'il ne le découvrit dans les tourments qu'on lui aurait fait souffrir si on l'avait pris en vie. Comme Trophonius disparut dans le moment, on publia que la terre l'avait englouti dans le même endroit, et la superstition alla sur une réponse de la Pythie de Delphes, jusqu'à mettre ce scélérat au rang des demi-dieux, et à lui élever un temple où il recevait des sacrifices et prononçait des oracles en Béotie, qui devinrent les plus pénibles et les plus célèbres de tous ceux qui se rendirent en songe. Pausanias qui avait été lui-même le consulter, et qui avait passé par toutes ces cérémonies, nous en a laissé une description fort ample, dont je crois qu'on sera bien aise de trouver ici un abrégé exact.

Avant que de descendre dans l'antre de Trophonius, il fallait passer un certain nombre de jours dans une espèce de petite chapelle qu'on appelle de la bonne fortune et du bon génie. Pendant ce temps on recevait des expiations de toutes les sortes ; on s'abstenait d'eaux chaudes ; on se lavait souvent dans le fleuve Hircinas ; on sacrifiait à Trophonius et à toute sa famille, à Apollon, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à Junon, à une Cérès Europe qui avait été nourrice de Trophonius, et on ne vivait que des chairs sacrifiées. Les prêtres apparemment ne vivaient aussi d'autre chose. Il fallait consulter les entrailles de toutes ces victimes, pour voir si Trophonius trouvait bon que l'on descendit dans son antre ; mais quand elles auraient été toutes les plus heureuses du monde, ce n'était encore rien, les entrailles qui décidaient étaient celles d'un certain bélier qu'on immolait en dernier lieu. Si elles étaient favorables, on vous menait la nuit au fleuve Hircinas. Là deux jeunes enfants de douze ou treize ans vous frottaient tout le corps d'huîle : ensuite on vous conduisait jusqu'à la source du fleuve, et on vous y faisait boire de deux sortes d'eaux, celles de Léthé qui effaçaient de votre esprit toutes les pensées profanes qui vous avaient occupé auparavant, et celles de Mnémosine, qui avaient la vertu de vous faire retenir tout ce que vous deviez voir dans l'antre sacré. Après tous ces préparatifs on vous faisait voir la statue de Trophonius, à qui vous faisiez vos prières ; on vous équipait d'une tunique de lin ; on vous mettait de certaines bandelettes sacrées, et enfin vous alliez à l'oracle.

L'oracle était sur une montagne dans une enceinte faite de pierre blanche, sur laquelle s'élevaient des obélisques d'airain. Dans cette enceinte était une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là s'ouvrait un trou où l'on descendait par de petites échelles. Quand on y était descendu on trouvait une autre petite caverne dont l'entrée était assez étroite. On se couchait à terre ; on prenait dans chaque main de certaines compositions de miel ; on passait les pieds dans l'ouverture de la petite caverne, et pour-lors on se sentait emporté au-dedans avec beaucoup de vitesse.

C'était là que l'avenir se déclarait, mais non pas à tous d'une même manière. Les uns voyaient, les autres entendaient, vous sortiez de l'antre couché par terre comme vous y étiez entré, et les pieds les premiers. Aussi-tôt on vous menait dans la chaise de Mnémosine où l'on vous demandait ce que vous aviez Ve ou entendu. De-là on vous ramenait dans cette chapelle du bon génie, encore tout étourdi et tout hors de vous, vous repreniez vos sens peu-à-peu, et vous commenciez à pouvoir rire ; car jusques-là, la grandeur des mystères, et la divinité dont vous étiez rempli, vous en avaient empêché : pour moi il me semble qu'on n'eut pas dû attendre si tard à rire.

Pausanias nous dit qu'il n'y a jamais eu qu'un homme qui soit entré dans l'antre de Trophonius et qui n'en soit pas sorti. C'était un certain espion que Démétrius y envoya pour voir s'il n'y avait pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller : on trouva loin de-là le corps de ce malheureux, qui n'avait point été jeté dehors par l'ouverture sacrée de l'antre.

Voici les réflexions sensées dont M. de Fontenelle accompagne ce récit. " Quel loisir, dit-il, n'avaient pas les prêtres pendant tous ces différents sacrifices qu'ils faisaient faire, d'examiner si on était propre à être envoyé dans l'antre ? car assurément Trophonius choisissait ses gens, et ne recevait pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, et ces expiations, et ces voyages nocturnes, et ces passages dans des cavernes obscures, remplissaient-elles l'esprit de superstition, de frayeur et de crainte ? combien de machines pouvaient jouer dans ces ténèbres ? L'histoire de l'espion de Démétrius nous apprend qu'il n'y avait pas de sûreté dans l'antre, pour ceux qui n'y apportaient pas de bonnes intentions ; de plus qu'outre l'ouverture sacrée qui était connue de tout le monde, l'antre en avait une secrète qui n'était connue que des prêtres. Quand on s'y sentait entrainé par les pieds, on était sans doute tiré par des cordes, on n'avait garde de s'en apercevoir en y portant les mains, puisqu'elles étaient embarrassées de ces compositions de miel qu'il ne fallait pas lâcher. Ces cavernes pouvaient être pleines de parfums et d'odeurs qui troublaient le cerveau ; ces eaux de Léthé et de Mnémosine pouvaient être aussi préparées pour le même effet. Je ne dis rien des spectacles et des bruits dont on pouvait être épouvanté, et quand on sortait de-là tout hors de soi, on disait ce qu'on avait Ve ou entendu, à des gens qui profitant de ce désordre, le recueillaient comme il leur plaisait, y changeaient ce qu'ils voulaient, ou enfin en étaient toujours les interpretes ".

ORACLE DE VENUS APHACITE, (Théologie payenne) Aphaca était un lieu de Phénicie, entre Héliopolis et Biblos : la forme de l'oracle qu'on y rendait était assez singulière ; voici comme parle Zozime, liv. I.

" Auprès du temple de Vénus est un lac semblable à une citerne. A de certaines assemblées que l'on y fait dans des temps réglés, on voit aux environs dans l'air des globes de feu, et ce prodige a été encore observé de nos jours. Ceux qui vont porter à la déesse des présents en or et en argent, en étoffes de lin, de soie et d'autres matières précieuses les mettent sur le lac ; quand ils sont agréables à la déesse, ils vont au fond, au-lieu que quand ils lui déplaisent, ils surnagent malgré la pesanteur naturelle des métaux ". L'année qui précéda la ruine des Palmiréniens, leurs présents à Vénus Aphacite allèrent au fond, mais l'année suivante tout surnagea. Eusebe parle de ce temple comme d'un lieu consacré à l'impudicité. Constantin le fit abattre, et par conséquent l'oracle cessa. Socrate, liv. I. chap. XVIIIe en faisant mention de ce fait, dit que le temple était sur le mont Liban. Lucien dit qu'il avait été bâti par Cynire. (D.J.)

ORACLES DES HEBREUX, (Critique sacrée) ils avaient 1° le propitiatoire, qu'on appelait dabir, l'oracle de vive voix, la parole articulée ; cet oracle se rendait par l'Eternel à ses prophetes ; 2° un second oracle des Juifs était les songes prophetiques ; 3° les visions surnaturelles ; 4° l'oracle d'Urim et de Thummim. Ces manières de consulter le Seigneur furent assez fréquentes depuis Josué jusqu'à l'érection du temple, où pour-lors on consulta plus souvent les prophetes mêmes. Après les prophetes, les Juifs prétendent que Dieu leur donna ce qu'ils appellent bathkol, ou signe distinctif, lequel manifestait sa volonté. Ce signe était une voix intérieure, ou une voix extérieure qui se faisait entendre dans l'assemblée, comme celle qu'on entendit sur le Thabor, lors de la trants figuration du Sauveur.

Oracle se prend aussi pour le sanctuaire ou pour le lieu où était l'arche d'alliance. Ce mot désigne encore dans l'Ecriture les oracles des faux-dieux. Ezéchiel, xxj. 23. dit que le roi de Babylone s'avançant vers la Judée, et se trouvant sur un chemin fourchu, consulta ses théréphins, pour savoir s'il marcherait contre Jérusalem, et que les Juifs s'en moquaient, le regardant comme un homme qui consulte inutilement l'oracle. Mais le plus fameux de tous les faux- oracles de la Palestine était celui de Béelzébuth, dieu d'Accaron, que les Juifs allaient eux-mêmes consulter assez souvent. (D.J.)