S. m. (Sortilège et Divination) paroles et cérémonies dont usent les magiciens pour évoquer les démons, faire des maléfices, ou tromper la simplicité du peuple. Voyez MAGIE, FASCINATION, MALEFICE, SORCELLERIE.

Ce mot est dérivé du latin in, et canto, je chante ; soit que dans l'antiquité les magiciens eussent coutume de chanter leurs conjurations et exorcismes magiques, soit que les formules de leurs enchantements fussent conçues en vers, et l'on sait que les vers étaient faits pour être chantés. Cette dernière conjecture parait d'autant plus vraisemblable, qu'on donnait aussi aux enchantements le nom de carmina, vers, d'où nous avons fait charme. Voyez CHARME.

Rien, selon M. Pluche, n'est plus simple que l'origine des enchantements. Les feuillages ou les herbes dont on couronna dans les premiers temps la tête d'Isis, d'Osiris, et des autres symboles, n'étaient eux-mêmes que des symboles de la récolte abondante, et les paroles que prononçaient les prêtres, que des formules de remerciement pour les dons de la divinité. Peu-à-peu ces idées s'affoiblirent dans l'esprit des peuples, s'effacèrent et se perdirent entièrement, " et ils prirent l'idée de l'union de certaines plantes et de quelques paroles devenues surannées et inintelligibles, pour des pratiques mystérieuses éprouvées par leurs pères. Ils en firent une collection, et un art par lequel ils prétendaient pourvoir presque infailliblement à tous leurs besoins. L'union qu'on faisait de telle ou telle formule antique avec tel ou tel feuillage arrangé sur la tête d'Isis autour d'un croissant de lune ou d'une étoile, introduisit cette opinion insensée, qu'avec certaines herbes et certaines paroles on pouvait faire descendre du ciel en terre la lune et les étoiles :

Carmina vel coelo possunt deducère lunam.

Ils avaient des formules pour tous les cas, même pour nuire à leurs ennemis ; on en voit du moins la preuve dans les poètes. La connaissance de plusieurs simples, bien ou mal-faisants, vint au secours de ces invocations et imprécations assurément très-impuissantes ; et les succès de la médecine ou de la science des poisons aidèrent à mettre en vogue les chimères de la magie. " Histoire du Ciel, t. I. p. 450. et 451.

Il s'ensuit de ce sentiment, 1°. que l'enchantement est composé de deux choses ; savoir, d'herbes ou autres instruments magiques, comme des cadavres humains, du sang ou des membres d'animaux, tels qu'on en employait dans la Nécromancie, mais ce n'est-là que l'appareil, le matériel, et pour ainsi dire le corps de l'enchantement. 2°. Que ce qui en faisait la force, et déterminait cet appareil à l'utilité ou au détriment de l'objet pour ou contre lequel était destinée l'opération magique, c'étaient les paroles et les formules que prononçaient les enchanteurs. C'est sur ce fondement que les démonographes, dans les récits qu'ils donnent des sortileges, font toujours mention de certaines paroles, certains mots, que les sorciers et sorcières prononcent tout-bas et grommelant entre leurs dents. 3°. Qu'il y avait deux sortes d'enchantements, les uns favorables ou utiles, et les autres contraires et pernicieux.

" Quant à ces derniers, l'humanité, poursuit le même auteur, inspirant naturellement de l'horreur pour les pratiques qui tendent à la destruction de nos semblables, les incantations magiques qu'on croyait meurtrières furent abhorrées et punies chez tous les peuples policés ". Mais cette sévérité n'a pas empêché que dans tous les temps et chez tous les peuples il n'y ait eu des imposteurs qui n'aient fait le métier d'enchanteurs, ou des hommes assez scélérats pour espérer parvenir à leurs fins par les enchantements. Entre plusieurs espèces dont parlent ou les historiens ou les auteurs qui ont traité en particulier de la magie, nous ne nous arrêterons qu'à ces figures de cire par le moyen desquelles on s'imaginait faire périr ceux qu'on haïssait. On appelait autrefois en France ces figures un volt ou un voust, et l'usage qu'on en prétendait faire, envouster quelqu'un ; terme que Ménage dérive d'invotare, dévouer quelqu'un aux puissances infernales, mais qui, selon Ducange, vient d'invulturare, vultum effingère, mot employé dans la moyenne latinité pour exprimer cette représentation de quelqu'un en cire ou en terre glaise. Quoi qu'il en soit de l'étymologie du mot, il est certain que dans l'usage qu'on en prétendait faire, il entrait des paroles qu'on se persuadait ne pouvoir être prononcées efficacement par toutes sortes de personnes. C'est ce que nous apprenons par quelques particularités du procès de Robert d'Artais sous Philippe de Valais ; procès dont M. Lancelot, de l'académie des Belles-Lettres, nous a donné une histoire si intéressante dans les mémoires de cette académie. Cet auteur dit que Robert d'Artais et son épouse usèrent d'enchantements contre le roi et la reine ; et que l'an 1313, entre la S. Remi et la Toussaints, Robert manda frère Henri Sagebrand, de l'ordre de la Trinité, son chapelain ; et après beaucoup de caresses, et l'avoir obligé de jurer qu'il lui garderait le secret sous le sceau de la confession, ce que le moine jura, Robert ouvrit un petit écrin, et en tira une image de cire, enveloppée en un querre-chief crespé, laquelle image estait à la semblance d'une figure de jeune homme, et estait bien de la longueur d'un pied et demi, ce li semble (c'est la déposition de frère Henri), et si le vit bien clèrement par le querre-chief qui était moult déliez, et avait entour le chief semblance de cheveux aussi comme un jeune homme qui porte chief. Le moine voulut y toucher : N'y touchiez, frère Henry, lui dit Robert, il est tout fait, icestuy est tout baptisiez ; l'en le m'a envoyé de France tout fait et tout baptisiez. Il n'y faut rien à cestuy, et est fait contre Jehan de France et en son nom et pour le grever.... mais je en vouldroye avoir un autre que je vouldroye qu'il fust baptisé. Et pour qui est-ce, dit frère Henri ? C'est contre une deablesse, dit Robert ; c'est contre la royne.... si vous prie que vous me le baptisiez, quar il est tout fait, il n'y faut que le baptesme ; je ai tout prêt les parrains et les marraines, et quant que il y a metier, fors le baptisement... Il n'y faut à faire fors aussi comme à un enfant baptiser et dire les noms qui y appartiennent. Frere Henri refusa constamment son ministère pour de pareilles opérations, et dit à Robert d'envoyer chercher celui qui avait baptisé l'autre. Il fit également et aussi inutilement solliciter Jean Aymeri, prêtre du diocèse de Liège, de baptiser son voust ou son image de cire. Mem. de l'acad. des Inscript. tome X. p. 627. et 629.

Il parait par ce récit, qu'outre la prophanation sacrilège qu'on exigeait, la forme de baptême et l'imposition du nom par les parrains et marraines passait pour nécessaire, afin qu'au moyen de la figure on put nuire à ses ennemis.

Ce n'est pas seulement parmi les anciens ni en Europe que ces sortes d'enchantements ont eu lieu, ils étaient connus des sauvages d'Amérique. Chez les Illinais et chez d'autres nations, dit le P. Charlevoix, on fait de petits marmousets pour représenter ceux dont on veut abréger les jours, et qu'on perce au cœur. Il ajoute, que d'autres fois on prend une pierre ; et par le moyen de quelques invocations, on prétend en former une semblable dans le cœur de son ennemi. Toutes ces pratiques, quelques impies ou ridicules qu'elles soient, concourent à prouver ce que nous avons observé, que l'enchantement est un assemblage d'actions et de paroles, dans la vue d'opérer quelque effet extraordinaire et communément pernicieux. Journ. d'un Voyage d'Amériq. lett. xxv. p. 360. (G)

ENCHANTEMENT, (Médecine) manière de guérir les maladies, soit par des amuletes, des talismants, des philactères, des pierres précieuses, et des mots barbares, qu'on porte sur sa personne, soit par des préparations superstitieuses de simples, soit enfin par d'autres moyens aussi frivoles.

Il n'est pas difficîle d'en découvrir l'origine ; c'est l'ignorance, l'amour de la vie et la crainte de la mort qui leur ont donné naissance. Les hommes voyant que les secours naturels qu'ils connaissaient pour se guérir, étaient souvent inutiles, ils s'attachèrent à tout ce qui s'offrit à leur esprit, à tout ce que leur imagination vint à leur suggérer.

Les amuletes, les talismants, les philactères, les pierres précieuses, les os de mort qu'on mit sur soi, dans certains cas extraordinaires, parurent peut-être d'abord comme des remèdes indifférents, qu'on pouvait d'autant mieux employer, que s'ils ne faisaient point de bien, du moins ne causaient-ils point de mal. Ne voyons-nous pas encore tous les jours une infinité de gens se conduire par les mêmes principes ?

Ces remèdes n'étaient d'ailleurs ni rebutants, ni douloureux, ni desagréables. On s'y livra volontiers ; l'exemple et l'imagination, quelquefois utiles pour suppléer à la vertu qui manquait aux remèdes de cette espèce, les accréditèrent, la superstition les autorisa, et vraisemblablement la fourberie des hommes y mit le sceau.

Quoi qu'il en sait, les enchantements se sont si bien introduits et de si bonne heure dans la Médecine, que toutes les nations les ont pratiqués de temps immémorial, et qu'ils subsistent encore dans les trois plus grandes parties du monde ; l'Asie, l'Afrique et l'Amérique.

Hammon, Hermès, Zoroastre, passaient parmi les payens pour les auteurs de cette pratique médicinale. Hammon, qu'on compte entre les premiers rois de la première dynastie d'Egypte, a été regardé pour l'inventeur de l'art de faire sortir le fer d'une plaie, et de guérir les morsures des serpens par des enchantements.

Pindare dit que Chiron le centaure traitait toutes sortes de maladies par le même secours, et Platon raconte que les sages-femmes d'Athènes n'avaient pas d'autres secrets pour faciliter les accouchements ; mais je ne sache point de peuple chez qui cet usage ait trouvé plus de sectateurs que chez les Hébreux.

Leur loi ne put venir à bout d'arrêter le cours du désordre ; c'est pourquoi Jérémie (chap. VIIe . 17.) les menaça au nom du Seigneur de leur envoyer des serpens contre la morsure desquels l'enchanteur ne pourrait rien.

Hippocrate contribua merveilleusement par ses lumières à effacer de l'esprit des Grecs les idées qu'ils pouvaient avoir sucées sur la vertu des enchantements. Ce n'est pas que leurs philosophes, et ceux qui étaient nourris dans leurs principes, donnassent dans ces niaiseries ; l'histoire nous prouve bien le contraire. J'aime à lire dans Plutarque ce que Périclès, instruit par Anaxagore, pensait de tous ces vains remèdes : " Vous voyez, dit-il à un de ses amis qui vint le visiter dans le temps qu'il était attaqué de la peste dont il mourut, " vous voyez mon état de langueur ; mais regardez surtout, ajouta-t-il, cette espèce de charme que des femmes ont pendu à mon col, et jugez après cela si j'ai eu l'esprit bien affoibli. "

Cependant les Romains gémirent longtemps sous le poids de cette superstition. Tite-Live nous apprend qu'une maladie épidémique régnant à Rome l'an 326 de sa fondation, on épuisa vainement tous les remèdes connus de la Médecine, après quoi on eut recours aux enchantements, et à toutes les extravagances dont l'esprit de l'homme est capable. On en poussa si loin la manie, que le sénat fut obligé de les défendre par de sévères ordonnances ; c'était aux Psylles, peuples de la Lybie, et aux Marses, peuples d'Italie, qu'ils s'adressaient, à cause de leur célébrité dans la science des enchantements. Enfin Asclépiade, qui vivait du temps de Mithridate et de Cicéron, eut le bonheur de bannir de Rome cette vaine manière de traiter les maladies. Peut-être aussi qu'Asclépiade parut dans le temps favorable où l'on commençait à s'en lasser, parce qu'on n'en voyait aucun effet.

Les premiers Chrétiens n'ont pas été exemts de cette folie, puisque les papes et les conciles prirent le parti de condamner les phylactères que les nouveaux convertis au christianisme portaient sur leur personne, pour se préserver de certains dangers. En un mot, les ténèbres de l'erreur ne se dissipèrent que quand les arts et les sciences, ensevelis pendant plusieurs siècles, reparurent en Europe. Alors la Médecine, de plus en plus éclairée, rejeta toutes les applications superstitieuses des remèdes ridicules, opéra la guérison des maladies par les secours de l'art, et nous remit à peu-près au même point où Hippocrate avait laissé les Grecs à sa mort. Tout le monde sait que dans ce temps-là les Thessaliens l'emportaient sur toutes les nations dans la pratique des enchantements, et que Philippe étant tombé malade, fit venir à sa cour une Thessalienne pour le guérir ; mais la curieuse Olympias appela secrètement la Thessalienne dans son cabinet, où ne pouvant se lasser d'admirer ses grâces et sa beauté : " N'écoutons plus, s'écria-t-elle, les vains discours du peuple ; les charmes dont vous vous servez sont dans vos yeux ". Cet article est de M(D.J.)

ENCHANTEMENT, (Belles Lettres) terme d'Opéra. Le merveilleux est le fonds de l'opera français. Cette première idée que Quinaut a eue en créant ce genre, est le germe des plus grandes beautés de ce spectacle. (Voyez OPERA) C'est le théâtre des enchantements ; toute sorte de merveilleux est de son ressort, et on ne peut le produire que par l'invention des dieux de la fable et par le secours de la féerie ou de la magie.

Les dieux de la fable développent sur ce théâtre la puissance surnaturelle que l'antiquité leur attribuait. La féerie y fait voir un pouvoir surprenant sur les créatures sans mouvement, ou sur les êtres animés : la magie par ses enchantements y amène des changements qui étonnent, et tous ces différents ressorts y produisent des beautés qui peuvent faire illusion, lorsqu'ils sont conduits par une main habile.

Il y a un enchantement dans l'opéra d'Amadis, qui est le fonds d'un divertissement très-bien amené, et fort agréable ; il a été copié dans Tancrede, et la copie est bien au-dessous de l'original. Amadis, dans le premier, croit voir dans une magicienne Oriane qu'il adore ; il met à ses pieds ses armes, et l'enchantement produit un effet raisonnable et fondé sur la passion de ce héros.

Des nymphes paraissent dans Tancrede ; elles dansent autour de lui, et les armes lui tombent des mains, sans autre motif apparent aux yeux du spectateur. Suffit-il de danser pour enchainer la valeur d'un héros, bien sur d'ailleurs dans cette occasion que tout ce qu'il voit n'est qu'un enchantement ? car il est dans la forêt enchantée, et les flammes qui l'ont retenu sont un enchantement, à ce qu'il dit lui-même, etc.

Cette critique sur un ouvrage très-estimable d'ailleurs, et dont l'auteur n'est plus, a pour seul motif le progrès de l'art. Quelque peu fondés en raison que soient les enchantements, quoiqu'ils soient contradictoires avec le bon sens, et qu'enfin, sans être trop philosophe, on puisse avec confiance en nier la possibilité, l'opinion commune suffit pour donner la liberté aux poètes de les introduire dans un genre consacré à la fiction ; mais ils ne doivent s'en servir qu'en leur conservant les motifs capables de les occasionner, et les effets qu'ils produiraient réellement s'ils étaient possibles.

Tout enchantement qui ne nait pas du sujet qu'on traite, qui ne sert point au développement de la passion, et qui n'en est pas l'effet, est donc vicieux, et ne saurait produire qu'une beauté hors de place ; cette espèce de merveilleux ne doit être employé à l'opéra qu'à propos. Il n'est qu'un ressort de plus dans la main du poète pour faire agir la passion, et pour lui faire créer des moyens plus forts d'étonner, d'ébranler, de séduire, de troubler le spectateur. Voyez FEERIE, MAGIE, OPERA. (B)