ou BAIANISME, s. m. (Histoire ecclésiastique et Théologie) erreurs de Baïus et de ces disciples.

Michel Baïus ou de Bay né en 1513 à Melin, dans le territoire d'Ath en Haynault, après avoir étudié à Louvain et passé successivement par tous les grades de cette université, y reçut le bonnet de docteur en 1550, et fut nommé l'année suivante, par Charles V. pour y remplir une chaire d'Ecriture sainte, avec Jean Hessels, son compagnon d'étude et son ami. Il enseigna dans ses écrits et fit imprimer diverses erreurs sur la grâce, le libre arbitre, le péché originel, la charité, la mort de Jésus-Christ, etc. Elles sont contenues dans 76 propositions, condamnées d'abord en 1567 par le pape Pie V.

On peut rapporter toutes les propositions de Baïus à trois chefs principaux. Les unes regardent l'état d'innocence ; les autres l'état de nature tombée ou corrompue par le péché ; et les autres enfin l'état de nature réparée par le fils de Dieu fait homme et mort en croix.

1°. Les anges et les hommes sont sortis des mains de Dieu justes et innocens : mais Baïus et ses disciples ont prétendu que la destination des anges et du premier homme à la béatitude céleste, que les grâces qui les menaient de proche en proche à cette dernière fin, que les mérites qui résultaient de ces grâces, et la récompense qui était attachée à ces mérites, n'étaient pas proprement des bienfaits non dû. ou des dons gratuits ; que ces dons étaient inséparables de la condition des anges et du premier homme, et que Dieu ne les leur devait pas moins qu'il devait à ce dernier la vue, l'ouie, et les autres facultés naturelles. Tout cela est appuyé sur ce principe fondamental de Baïus, que ce n'est point par une destination accidentelle et arbitraire que la vision ou jouissance intuitive de Dieu a été préparée aux anges et au premier homme, mais en vertu du droit de leur création dans l'état d'innocence, et par une suite de leur condition naturelle : qu'une créature raisonnable et sans tache ne peut avoir d'autre fin que la vision intuitive de son Créateur ; que par conséquent Dieu n'a pu, sans être lui-même l'auteur du péché, créer les anges et le premier homme que dans un état exclusif de tout crime, ni par conséquent les destiner qu'à la béatitude céleste : que cette destination était à la vérité un don de Dieu, mais un don que Dieu ne pouvait leur refuser sans déroger à sa bonté, à sa sainteté, à sa justice. Telle est la doctrine de Baïus dans son livre de primâ hominis justitiâ, surtout chap. VIIIe et elle est exprimée dans les propositions 21, 23, 24, 26, 27, 55, 71, et 72, condamnées par la bulle de Pie V. 2°. Si Dieu n'a pu créer les anges et l'homme dans ce premier état, sans cette destination essentielle, il est évident qu'il a été dans l'obligation indispensable de leur départir les moyens nécessaires pour arriver à leur fin ; d'où il résulte que toutes les grâces, soit actuelles soit habituelles, qu'ils ont reçues dans l'état d'innocence, leur étaient dû.s comme une suite naturelle de leur création. 3°. Que les mérites des vertus et des bonnes actions étaient de même espèce, c'est-à-dire, naturels, ou ce qui revient au même, le fruit de la première création. 4°. Que la félicité éternelle attachée à ces mérites était de même ordre, c'est-à-dire une pure rétribution, où la libéralité gratuite de Dieu n'entrait pour rien ; en un mot qu'elle était une récompense et non pas une grâce. Dans ce système, les dons divins gratuits n'avaient donc point de lieu dans l'économie du salut des anges et du premier homme, puisque tout y était dû et un apanage nécessaire de la nature innocente. 5°. Enfin par rapport à cet état, Baïus et ses disciples ont erré sur ce qui concerne la connaissance des devoirs, l'exemption des souffrances, et l'immortalité, en soutenant que l'homme innocent était à l'abri de l'ignorance, des peines et de la mort en vertu de sa création, et que l'exemption de tous ces maux était une dette que Dieu payait à l'état d'innocence, ou un ordre établi par la loi naturelle toujours invariable, parce qu'elle a pour objet ce qui est essentiellement bon et juste. C'est la doctrine expresse des propositions 53, 69, 70, et 75 de Baïus. Voyez le P. Duchesne, hist. du Baïanisme, liv. II. page 177. 180. et liv. IV. page 356. et 361. et le traité historique et dogmatique sur la doctrine de Baïus, par l'abbé de la Chambre, tome I. chap. IIe page 49. et suiv.

II°. Quant à l'état de nature tombée, voici les erreurs de Baïus et de ses sectateurs sur la nature du péché originel, sa transfusion, et ses suites. 1°. Dans leur système le péché originel n'est autre chose que la concupiscence habituelle dominante. 2°. Cette idée supposée, la transfusion du péché d'Adam n'est plus un mystère qui révolte la raison ; ce n'est plus l'effet du violement d'une loi de Dieu qui ait attaché le sort des hommes à la fidélité de leur premier père. Ce péché se transmet de la même manière que l'aveuglement, la goutte, et les autres mauvaises qualités physiques de ceux dont on tient la naissance : cette communication se fait indépendamment de tout arrangement arbitraire de la part de Dieu ; tout péché par sa nature ayant la force d'infecter le transgresseur et toute sa postérité, comme a fait le péché originel, prop. 50. et cependant ce dernier est en nous sans aucun rapport à la volonté du premier père, prop. 46. Sur les suites du péché originel Baïus dit 1° que le libre arbitre sans la grâce n'a de force que pour pécher, prop. 28. 2°. qu'il ne peut éviter aucun péché, prop. 29. que tout ce qui en sort, même l'infidélité négative, est un péché ; que l'esclave du péché obéit toujours à la cupidité dominante ; que jusqu'à ce qu'il agisse par l'impression de la charité, toutes ses actions partent de la cupidité et sont des péchés, prop. 34. 36. 64. 68. etc. 3°. qu'il ne peut y avoir en lui aucun amour légitime dans l'ordre naturel, pas même de Dieu, aucun acte de justice, aucun bon usage du libre arbitre, ce qui parait dans les infidèles, dont toutes les actions sont des péchés, comme les vertus des philosophes sont des vices, prop. 25 et 26. Ainsi, selon Baïus, la nature tombée et destituée de la grâce, est dans une impuissance générale à tout bien, et toujours déterminée au mal que sa cupidité dominante lui propose. Il ne lui reste ni liberté de contrariété, ni liberté de contradiction exempte de nécessité : incapable d'aucun bien, elle ne peut produire d'action qui ne soit un péché ; et nécessitée au mal, elle s'y porte au gré du penchant qui la domine, et n'en est ni moins criminelle ni moins punissable devant Dieu. Voyez le P. Duchesne, hist. du Baïanisme, liv. II. pag. 180. 182. et liv. IV. page 361. et 367. et le traité historique et dogmatique déjà cité, pag. 54. et suiv.

III°. Les erreurs de Baïus, d'Hessels, et de leurs sectateurs, ne sont pas moins frappantes quant à l'état de nature réparée par le rédempteur : ils disent formellement, que la rétribution de la vie éternelle s'accorde aux bonnes actions, sans avoir égard aux mérites de Jésus-Christ, qu'elle n'est pas même, à proprement parler, une grâce de Dieu, mais l'effet et la suite de la loi naturelle, par laquelle il a été établi par un juste jugement de Dieu, dès la première institution du genre humain, que le royaume céleste serait le salaire de l'obéissance à la loi ; que toute bonne œuvre est de sa nature méritoire du ciel, comme toute mauvaise est de sa nature méritoire de la damnation ; que les bonnes œuvres ne tirent pas leur mérite de la grâce d'adoption, mais uniquement de leur conformité à la loi ; que le mérite ne se prend pas de l'état de grâce mais seulement de l'obéissance à la loi ; que les bonnes actions des catéchumenes, qui précèdent la rémission de leurs péchés, comme la foi et la pénitence, méritent la vie éternelle. Prop. 11. 12. 13. 18. 69.

La justification des adultes, selon Baïus, de justif. cap. VIIIe et de justif. cap. IIIe et IVe consiste dans la pratique des bonnes œuvres et la rémission des péchés. La rémission des péchés peut s'entendre de la coulpe et de la peine éternelle ou temporelle : l'obéissance à la loi justifie sans remettre la peine éternelle ; pour la coulpe, elle passe avec la peine du péché. En conséquence les Baïanistes ont avancé, que le pécheur pénitent n'est point vivifié par le ministère du prêtre qui l'absout, et qu'il n'en reçoit que la remission de la peine ; que les sacrements de baptême et de pénitence ne remettent point la coulpe, mais la peine seulement ; qu'ils ne confèrent point la grâce sanctifiante, qu'il peut y avoir dans les pénitens et les catéchumenes une charité parfaite, sans que leurs péchés leur soient remis ; que la charité, qui est la plénitude de la loi, n'est pas toujours jointe avec la rémission des péchés ; que le catéchumene vit dans la justice avant que d'avoir obtenu la rémission de ses péchés ; qu'un homme en péché mortel peut avoir une charité même parfaite, sans cesser d'être sujet à la damnation éternelle, parce que la contrition, même parfaite, jointe à la charité et au désir du sacrement, ne remet point la dette de la peine éternelle, hors le cas de nécessité ou de martyre ; sans la réception actuelle du sacrement. Prop. 31. 54. 55. 67. 68. etc.

Comme dans le système de Baïus on est formellement justifié par l'obéissance à la loi, ce docteur et ses disciples disent qu'ils ne reconnaissent d'autre obéissance à la loi que celle qui coule de l'esprit de charité, prop. 6. point d'amour légitime dans la créature raisonnable, que cette louable charité que le S. Esprit répand dans le cœur, et par laquelle on aime Dieu ; et que tout autre amour est cette cupidité vicieuse qui attache au monde, et que S. Jean réprouve. Prop. 38.

Enfin leur doctrine n'est pas moins erronée sur le mérite et la valeur des bonnes œuvres, puisqu'ils avancent d'un côté que dans l'état de la nature réparée il n'y a point de vrais mérites qui ne soient gratuitement conférés à des indignes ; et que de l'autre ils prétendent que les bonnes œuvres des fidèles qui les justifient, ne peuvent pas satisfaire à la justice de Dieu pour les peines temporelles qui restent à expier après la rémission des péchés, ni les expier ex condigno : ces peines, selon eux, ne pouvant pas être rachetées, même par les souffrances des Saints. Prop. 8. 57. 74. Voyez les auteurs cités ci-dessus : voyez aussi l'abrégé du Traité de la grâce de Tournely par M. Montagne, doct. de Sorb. de la maison de S. Sulpice.

Ce système, comme le remarque solidement ce dernier théologien, est un composé bizarre et monstrueux de Pélagianisme, quant à ce qui regarde l'état de nature innocente, et de Luthéranisme et de Calvinisme, pour ce qui concerne l'état de nature tombée. Quant à l'état de nature réparée, tous les sentiments de Baïus, sur tout sur la justification, l'efficace des sacrements, et le mérite des bonnes œuvres, sont si directement opposés à la doctrine du concîle de Trente, qu'ils ne pouvaient éviter les différentes censures qu'ils ont essuyées.

En effet, dès 1552 Ricard Tapper, Josse Ravestein, Richtou, Cuner et d'autres docteurs de Louvain, s'élevèrent contre Baïus et Hessels, qui répandaient les premières semences de leurs opinions. En 1560, deux gardiens des Cordeliers de France en déférèrent 18 articles à la faculté de Théologie de Paris, qui les condamna par sa censure du 27 Juin de la même année. En 1567 parut la bulle de Pie V. du premier Octobre, portant condamnation de 76 propositions qu'elle censurait in globo, mais sans nommer Baïus. Le cardinal de Granvelle, chargé de l'exécution de ce decret, l'envoya à Morillon son vicaire général, qui le présenta à l'université de Louvain le 29 Décembre 1567. La bulle fut reçue avec respect, et Baïus même parut d'abord s'y soumettre : mais ensuite il écrivit une longue apologie de sa doctrine qu'il adressa au pape, avec une lettre du 8 Janvier 1569. Pie V. après un mûr examen, confirma le 13 Mai suivant son premier jugement, et écrivit un bref à Baïus pour l'engager à se soumettre sans tergiversation. Baïus hésita quelque temps, et se soumit enfin en donnant à Morillon une révocation des propositions condamnées. Mais après la mort de Josse Ravestein, arrivée en 1570, Baïus et ses disciples remuèrent de nouveau : Grégoire XIII. pour mettre fin à ces troubles, donna une bulle le 29 Janvier 1579, en confirmation de celle de Pie V. son prédécesseur, et choisit pour la faire accepter par l'université de Louvain, François Tolet Jésuite, et depuis cardinal. Baïus rétracta alors ses propositions, et de vive voix, et par un écrit signé de sa main, daté du 24 Mars 1580. Dans les huit années suivantes qui s'écoulèrent jusqu'à la mort de Baïus, les contestations se réveillèrent, et ne furent enfin assoupies que par un corps de doctrine dressé par les Théologiens de Louvain, et adopté par ceux de Douai. Jacques Janson, professeur de Théologie à Louvain, voulut ressusciter les opinions de Baïus et en chargea le fameux Cornélius Jansénius son élève qui, dans son ouvrage intitulé Augustinus, a renouvellé les principes et la plupart des erreurs de Baïus. Voyez l'histoire du Baïanisme par le P. Duchesne, qui rapporte tous ces événements dans un détail que la nature de cet ouvrage ne nous permet pas d'imiter. Voyez JANSENISME. (G)