S. m. (Histoire ecclésiastique) ordre religieux, fondé par Ignace de Loyola, et connu sous le nom de compagnie ou société de Jésus.

Nous ne dirons rien ici de nous-mêmes. Cet article ne sera qu'un extrait succinct et fidèle des comptes rendus par les procureurs généraux des cours de judicature, des mémoires imprimés par ordre des parlements, des différents arrêts, des histoires, tant anciennes que modernes, et des ouvrages qu'on a publiés en si grand nombre dans ces derniers temps.

En 1521 Ignace de Loyola, après avoir donné les vingt-neuf premières années de sa vie au métier de la guerre et aux amusements de la galanterie, se consacra au service de la Mere de Dieu, au montserrat en Catalogne, d'où il se retira dans sa solitude de Manrese, où Dieu lui inspira certainement son ouvrage des exercices spirituels, car il ne savait pas lire quand il l'écrivit. Abregé hist. de la C. D. J.

Décoré du titre de chevalier de Jésus-Christ et de la Vierge-Marie, il se mit à enseigner, à prêcher, et à convertir les hommes avec zèle, ignorance et succès. Même ouvrage.

Ce fut en 1538, sur la fin du carême, qu'il rassembla à Rome les dix compagnons qu'il avait choisis selon ses vues.

Après divers plans formés et rejetés, Ignace et ses collègues se vouèrent de concert à la fonction de catéchiser les enfants, d'éclairer de leurs lumières les infidèles, et de défendre la foi contre les hérétiques.

Dans ces circonstances, Jean III. roi de Portugal, prince zélé pour la propagation du Christianisme, s'adressa à Ignace pour avoir des missionnaires, qui portassent la connaissance de l'Evangîle aux Japonais et aux Indiens. Ignace lui donna Rodriguès et Xavier ; mais ce dernier partit seul pour ces contrées lointaines, où il opéra une infinité de choses merveilleuses que nous croyons, et que le jésuite Acosta ne croit pas.

L'établissement de la compagnie de Jésus souffrit d'abord quelques difficultés ; mais sur la proposition d'obéir au pape seul, en toutes choses et en tous lieux, pour le salut des âmes et la propagation de la foi ; le pape Paul III. conçut le projet de former, par le moyen de ces religieux, une espèce de milice répandue sur la surface de la terre, et soumise sans réserve aux ordres de la cour de Rome ; et l'an 1540 les obstacles furent levés ; on approuva l'institut d'Ignace, et la compagnie de Jésus fut fondée.

Benait XIV. qui avait tant de vertus, et qui a dit tant de bons mots ; ce pontife, que nous regretterons longtemps encore, regardait cette milice comme les janissaires du saint siège ; troupe indocîle et dangereuse, mais qui sert bien.

Au vœu d'obéissance fait au pape et à un général, représentant de Jésus-Christ sur la terre, les Jésuites joignirent ceux de pauvreté et de chasteté, qu'ils ont observé jusqu'à ce jour, comme on sait.

Depuis la bulle qui les établit, et qui les nomma Jésuites, ils en ont obtenu quatre-vingt-douze autres qu'on connait, et qu'ils auraient dû cacher, et peut-être autant qu'on ne connait pas.

Ces bulles, appelées lettres apostoliques, leur accordent depuis le moindre privilège de l'état monastique, jusqu'à l'indépendance de la cour de Rome.

Outre ces prérogatives, ils ont trouvé un moyen singulier de s'en créer tous les jours. Un pape a-t-il proféré inconsidérément un mot qui soit favorable à l'ordre, on s'en fait aussitôt un titre, et il est enregistré dans les fastes de la société à un chapitre, qu'elle appelle les oracles de vive voix, vivae vocis oracula.

Si un pape ne dit rien, il est aisé de le faire parler. Ignace élu général, entra en fonction le jour de pâques de l'année 1541.

Le généralat, dignité subordonnée dans son origine, devint sous Lainèz et sous Aquaviva un despotisme illimité et permanent.

Paul III. avait borné le nombre des profès à soixante ; trois ans après il annulla cette restriction, et l'ordre fut abandonné à tous les accroissements qu'il pouvait prendre et qu'il a pris.

Ceux qui prétendent en connaître l'économie et le régime, le distribuent en six classes, qu'ils appellent des profès, des coadjuteurs spirituels, des écoliers approuvés, des frères lais ou coadjuteurs temporels, des novices, des affiliés ou adjoints, ou Jésuites de robe-courte. Ils disent que cette dernière classe est nombreuse, qu'elle est incorporée dans tous les états de la société, qu'elle se déguise sous toutes sortes de vêtements.

Outre les trois vœux solennels de religion, les profès qui forment le corps de la société font encore un vœu d'obéissance spéciale au chef de l'église, mais seulement pour ce qui concerne les missions étrangères.

Ceux qui n'ont pas encore prononcé ce dernier vœu d'obéissance, s'appellent coadjuteurs spirituels.

Les écoliers approuvés sont ceux qu'on a conservés dans l'ordre après deux ans de noviciat, et qui se sont liés en particulier par trois vœux non solennels, mais toutefois déclarés vœux de religion, et portant empêchement dirimant.

C'est le temps et la volonté du général qui conduiront un jour les écoliers aux grades de profès ou de coadjuteurs spirituels.

Ces grades, surtout celui de profès, supposent deux ans de noviciat, sept ans d'études, qu'il n'est pas toujours nécessaire d'avoir faites dans la société ; sept ans de régence, une troisième année de noviciat, et l'âge de trente-trois ans, celui ou notre Seigneur Jésus-Christ fut attaché à la croix.

Il n'y a nulle réciprocité d'engagements entre la compagnie et ses écoliers, dans les vœux qu'elle en exige ; l'écolier ne peut sortir, et il peut être chassé par le général.

Le général seul, même à l'exclusion du pape, peut admettre ou rejeter un sujet.

L'administration de l'ordre est divisée en assistances, les assistances en provinces, et les provinces en maisons.

Il y a cinq assistants ; chacun porte le nom de son département, et s'appelle l'assistant ou d'Italie, ou d'Espagne, ou d'Allemagne, ou de France, ou de Portugal.

Le devoir d'un assistant est de préparer les affaires, et d'y mettre un ordre qui en facilite l'expédition au général.

Celui qui veille sur une province porte le titre de provincial ; le chef d'une maison, celui de recteur.

Chaque province contient quatre sortes de maisons ; des maisons professes qui n'ont point de fonds, des collèges où l'on enseigne, des résidences où vont séjourner un petit nombre d'apostolizans, et des noviciats.

Les profès ont renoncé à toute dignité ecclésiastique ; ils ne peuvent accepter la crosse, la mitre, ou le rochet, que du consentement du général.

Qu'est-ce qu'un jésuite ? est-ce un prêtre séculier ? est-ce un prêtre régulier ? est-ce un laic ? est-ce un religieux ? est-ce un homme de communauté ? est-ce un moine ? c'est quelque chose de tout cela, mais ce n'est point cela.

Lorsque ces hommes se sont présentés dans les contrées où ils sollicitaient des établissements, et qu'on leur a demandé ce qu'ils étaient, ils ont répondu, tels quels, tales quales.

Ils ont dans tous les temps fait mystère de leurs constitutions, et jamais ils n'en ont donné entière et libre communication aux magistrats.

Leur régime est monarchique ; toute l'autorité réside dans la volonté d'un seul.

Soumis au despotisme le plus excessif dans leurs maisons, les Jésuites en sont les fauteurs les plus abjects dans l'état. Ils prêchent aux sujets une obéissance sans réserve pour leurs souverains ; aux rais, l'indépendance des lois et l'obéissance aveugle au pape ; ils accordent au pape l'infaillibilité et la domination universelle, afin que maîtres d'un seul, ils soient maîtres de tous.

Nous ne finirions point si nous entrions dans le détail de toutes les prérogatives du général. Il a le droit de faire des constitutions nouvelles, ou d'en renouveller d'anciennes, et sous telle date qu'il lui plait ; d'admettre ou d'exclure, d'édifier ou d'anéantir, d'approuver ou d'improuver, de consulter ou d'ordonner seul, d'assembler ou de dissoudre, d'enrichir ou d'appauvrir, d'absoudre, de lier ou de délier, d'envoyer ou de retenir, de rendre innocent ou coupable, coupable d'une faute légère ou d'un crime, d'annuller ou de confirmer un contrat, de ratifier ou de commuer un legs, d'approuver ou de supprimer un ouvrage, de distribuer des indulgences ou des anathèmes, d'associer ou de retrancher ; en un mot, il possède toute la plénitude de puissance qu'on peut imaginer dans un chef sur ses sujets ; il en est la lumière, l'âme, la volonté, le guide, et la conscience.

Si ce chef despote et machiavéliste était par hasard un homme violent, vindicatif, ambitieux, méchant, et que dans la multitude de ceux auxquels il commande il se trouvât un seul fanatique, où est le prince, où est le particulier qui fût en sûreté, sur son trône ou dans son foyer ?

Les provinciaux de toutes les provinces sont tenus d'écrire au général une fois chaque mois ; les recteurs, supérieurs des maisons, et les maîtres des novices, de trois mois en trois mois.

Il est enjoint à chacun des provinciaux d'entrer dans le détail le plus étendu sur les maisons, les collèges, tout ce qui peut concerner la province ; à chaque recteur d'envoyer deux catalogues, l'un de l'âge, de la patrie, du grade, des études, et de la conduite des sujets ; l'autre, de leur esprit, de leurs talents, de leurs caractères, de leurs mœurs : en un mot, de leurs vices et de leurs vertus.

En conséquence, le général reçoit chaque année environ deux cent états circonstanciés de chaque royaume, et de chaque province d'un royaume, tant pour les choses temporelles, que pour les choses spirituelles.

Si ce général était par hasard un homme vendu à quelque puissance étrangère ; s'il était malheureusement disposé par caractère, ou entrainé par interêt à se mêler de choses politiques, quel mal ne pourrait-il pas faire ?

Centre où vont aboutir tous les secrets de l'état et des familles, et même des familles royales ; aussi instruit qu'impénétrable ; dictant des volontés absolues, et n'obéissant à personne ; prévenu d'opinions les plus dangereuses sur l'agrandissement et la conservation de sa compagnie, et les prérogatives de la puissance spirituelle ; capable d'armer à nos côtés des mains dont on ne peut se défier, quel est l'homme sous le ciel à qui ce général ne put susciter des embarras fâcheux, si encouragé par le silence et l'impunité il osait oublier une fois la sainteté de son état ?

Dans les cas importants, on écrit en chiffres au général.

Mais un article bizarre du régime de la compagnie de Jésus, c'est que les hommes qui la composent sont tous rendus par serment espions et délateurs les uns des autres.

A peine fut-elle formée qu'on la vit riche, nombreuse et puissante. En un moment elle exista en Espagne, en Portugal, en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, au nord, au midi, en Afrique, en Amérique, à la Chine, aux Indes, au Japon, par-tout également ambitieuse, redoutable et turbulente ; par-tout s'affranchissant des lois, portant son caractère d'indépendance et le conservant, marchant comme si elle se sentait destinée à commander à l'univers.

Depuis sa fondation jusqu'à ce jour, il ne s'est presque écoulé aucune année sans qu'elle se soit signalée par quelque action d'éclat. Voici l'abrégé chronologique de son histoire, tel à-peu-près qu'il a paru dans l'arrêt du parlement de Paris, 6 Aout 1762, qui supprime cet ordre, comme une secte d'impies, de fanatiques, de corrupteurs, de régicides, &c..... commandés par un chef étranger et machiavéliste par institut.

En 1547, Bobadilla, un des compagnons d'Ignace, est chassé des états d'Allemagne, pour avoir écrit contre l'Interim d'Augsbourg.

En 1560, Gonzalès Silveira est supplicié au Monomotapa, comme espion du Portugal et de sa société.

En 1578, ce qu'il y a de Jésuites dans Anvers en est banni, pour s'être refusés à la pacification de Gand.

En 1581, Campian, Skerwin et Briant sont mis à mort pour avoir conspiré contre Elisabeth d'Angleterre.

Dans le cours du règne de cette grande Reine, cinq conspirations sont tramées contre sa vie, par des Jésuites.

En 1588, on les voit animer la ligue formée en France contre Henry III.

La même année, Molina publie ses pernicieuses rêveries sur la concorde de la grâce et du libre arbitre.

En 1593, Barrière est armé d'un poignard contre le meilleur des rais, par le jésuite Varade.

En 1594, les Jésuites sont chassés de France, comme complices du parricide de Jean Chatel.

En 1595, leur père Guignard, saisi d'écrits apologétiques de l'assassinat d'Henry IV. est conduit à la greve.

En 1597, les congrégations de auxiliis se tiennent, à l'occasion de la nouveauté de leur doctrine sur la grâce, et Clément VIII. leur dit : brouillons, c'est vous qui troublez toute l'Eglise.

En 1598, ils corrompent un scélérat, lui administrent son Dieu d'une main, lui présentent un poignard de l'autre, lui montrent la couronne éternelle descendant du ciel sur sa tête, l'envoyent assassiner Maurice de Nassau, et se font chasser des états de Hollande.

En 1604, la clémence du cardinal Frédéric Borromée les chasse du collège de Braida, pour des crimes qui auraient dû les conduire au bucher.

En 1605, Oldecorn et Garnet, auteurs de la conspiration des poudres, sont abandonnés au supplice.

En 1606, rebelles aux decrets du sénat de Venise, on est obligé de les chasser de cette ville et de cet état.

En 1610, Ravaillac assassine Henry IV. Les Jésuites restent sous le soupçon d'avoir dirigé sa main ; et comme s'ils en étaient jaloux, et que leur dessein fût de porter la terreur dans le sein des monarques, la même année Mariana publie avec son institution du prince l'apologie du meurtre des rais.

En 1618, les Jésuites sont chassés de Boheme, comme perturbateurs du repos public, gens soulevant les sujets contre leurs magistrats, infectant les esprits de la doctrine pernicieuse de l'infaillibilité et de la puissance universelle du pape, et semant par toutes sortes de voies le feu de la discorde entre les membres de l'état.

En 1619, ils sont bannis de Moravie, pour les mêmes causes.

En 1631, leurs cabales soulèvent le Japon, et la terre est trempée dans toute l'étendue de l'empire de sang idolâtre et chrétien.

En 1641, ils allument en Europe la querelle absurde du jansénisme, qui a couté le repos et la fortune à tant d'honnêtes fanatiques.

En 1643, Malte indignée de leur dépravation et de leur rapacité, les rejette loin d'elle.

En 1646, ils font à Séville une banqueroute, qui précipite dans la misere plusieurs familles. Celle de nos jours n'est pas la première, comme on voit.

En 1709, leur basse jalousie détruit Port-Royal, ouvre les tombeaux des morts, disperse leurs os, et renverse les murs sacrés dont les pierres leur retombent aujourd'hui si lourdement sur la tête.

En 1713, ils appellent de Rome cette bulle Unigenitus, qui leur a servi de prétexte pour causer tant de maux, au nombre desquels on peut compter quatre-vingt mille lettres de cachets décernées contre les plus honnêtes gens de l'état, sous le plus doux des ministères.

La même année le jésuite Jouvency, dans une histoire de la société, ose installer parmi les martyrs les assassins de nos rois ; et nos magistrats attentifs font bruler son ouvrage.

En 1723, Pierre le Grand ne trouve de sûreté pour sa personne, et de moyen de tranquilliser ses états, que dans le bannissement des Jésuites.

En 1728, Berruyer travestit en roman l'histoire de Moïse, et fait parler aux patriarches la langue de la galanterie et du libertinage.

En 1730, le scandaleux Tournemine prêche à Caèn dans un temple, et devant un auditoire chrêtien, qu'il est incertain que l'évangîle soit Ecriture-sainte.

C'est dans ce même temps qu'Hardouin commence à infecter son ordre d'un scepticisme aussi ridicule qu'impie.

En 1731, l'autorité et l'argent dérobent aux flammes le corrupteur et sacrilege Girard.

En 1743, l'impudique Benzi suscite en Italie la secte des Mamillaires.

En 1745, Pichon prostitue les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie, et abandonne le pain des saints à tous les chiens qui le demanderont.

En 1755, les Jésuites du Paraguay conduisent en bataille rangée les habitants de ce pays contre leurs légitimes souverains.

En 1757, un attentat parricide est commis contre Louis XV. notre monarque, et c'est par un homme qui a vécu dans les foyers de la société de Jésus, que ces pères ont protégé, qu'ils ont placé en plusieurs maisons ; et dans la même année ils publient une édition d'un de leurs auteurs classiques, où la doctrine du meurtre des rois est enseignée. C'est comme ils firent en 1610, immédiatement après l'assassinat de Henry IV. mêmes circonstances, même conduite.

En 1758, le roi de Portugal est assassiné, à la suite d'un complot formé et conduit par les Jésuites Malagrida, Mathos et Alexandre.

En 1759, toute cette troupe de religieux assassins est chassée de la domination portugaise.

En 1761, un de cette compagnie, après s'être emparé du commerce de la Martinique, menace d'une ruine totale ses correspondants. On réclame en France la justice des tribunaux contre le jésuite banqueroutier, et la société est déclarée solidaire du père la Valette.

Elle traine maladroitement cette affaire d'une juridiction à une autre. On y prend connaissance de ses constitutions ; on en reconnait l'abus, et les suites de cet événement amènent son extinction parmi nous.

Voilà les principales époques du Jésuitisme. Il n'y en a aucune entre lesquelles on n'en put intercaler d'autres semblables.

Combien cette multitude de crimes connus n'en fait-elle pas présumer d'ignorés ?

Mais ce qui précède suffit pour montrer que dans un intervalle de deux cent ans, il n'y a sortes de forfaits que cette race d'hommes n'ait commis.

J'ajoute qu'il n'y a sortes de doctrines perverses qu'elle n'ait enseignées. L'Elucidarium de Posa en contient lui seul plus que n'en fourniraient cent volumes des plus distingués fanatiques. C'est-là qu'on lit entr'autre chose de la mère de Dieu, qu'elle est Dei-pater et Dei mater, et que, quoiqu'elle n'ait été sujette à aucune excrétion naturelle, cependant elle a concouru comme homme et comme femme, secundùm generalem naturae tenorem ex parte maris et ex parte feminae, à la production du corps de Jésus-Christ, et mille autres folies.

La doctrine du probabilisme est d'invention jésuitique.

La doctrine du péché philosophique est d'invention jésuitique.

Lisez l'ouvrage intitulé les Assertions, et publié cette année 1762, par arrêt du parlement de Paris, et frémissez des horreurs que les théologiens de cette société ont débitées depuis son origine, sur la simonie, le blasphème, le sacrilege, la magie, l'irreligion, l'astrologie, l'impudicité, la fornication, la pédérastie, le parjure, la fausseté, le mensonge, la direction d'intention, le faux témoignage, la prévarication des juges, le vol, la compensation occulte, l'homicide, le suicide, la prostitution, et le régicide ; ramas d'opinions, qui, comme le dit M. le procureur général du roi au parlement de Bretagne, dans son second compte rendu page 73, attaque ouvertement les principes les plus sacrés, tend à détruire la loi naturelle, à rendre la foi humaine douteuse, à rompre tous les liens de la sociéte civile, en autorisant l'infraction de ses lois ; à étouffer tout sentiment d'humanité parmi les hommes, à anéantir l'autorité royale, à porter le trouble et la désolation dans les empires, par l'enseignement du régicide ; à renverser les fondements de la révélation, et à substituer au christianisme des superstitions de toute espèce.

Lisez dans l'arrêt du parlement de Paris, publié le 6 Aout 1762, la liste infamante des condamnations qu'ils ont subies à tous les tribunaux du monde chrétien, et la liste plus infamante encore des qualifications qu'on leur a données.

On s'arrêtera sans-doute ici pour se demander comment cette société s'est affermie, malgré tout ce qu'elle a fait pour se perdre ; illustrée, malgré tout ce qu'elle a fait pour s'avilir ; comment elle a obtenu la confiance des souverains en les assassinant, la protection du clergé en le dégradant, une si grande autorité dans l'Eglise en la remplissant de troubles, et en pervertissant sa morale et ses dogmes.

C'est ce qu'on a Ve en même temps dans le même corps, la raison assise à côté du fanatisme, la vertu à côté du vice, la religion à côté de l'impiété, le rigorisme à côté du relâchement, la science à côté de l'ignorance, l'esprit de retraite à côté de l'esprit de cabale et d'intrigue, tous les contrastes réunis. Il n'y a que l'humilité qui n'a jamais pu trouver un asîle parmi ces hommes.

Ils ont eu des poètes, des historiens, des orateurs, des philosophes, des géomètres et des érudits.

Je ne sais si ce sont les talents et la sainteté de quelques particuliers qui ont conduit la société au haut degré de considération dont elle jouissait il n'y a qu'un moment ; mais j'assurerai sans crainte d'être contredit, que ces moyens étaient les seuls qu'elle eut de s'y conserver ; et c'est ce que ces hommes ont ignoré.

Livrés au commerce, à l'intrigue, à la politique, et à des occupations étrangères à leur état, et indignes de leur profession, il a fallu qu'ils tombassent dans le mépris qui a suivi, et qui suivra dans tous les temps, et dans toutes les maisons religieuses, la décadence des études et la corruption des mœurs.

Ce n'était pas l'or, ô mes pères, ni la puissance, qui pouvaient empêcher une petite société comme la vôtre, enclavée dans la grande, d'en être étouffée. C'était au respect qu'on doit et qu'on rend toujours à la science et à la vertu, à vous soutenir et à écarter les efforts de vos ennemis, comme on voit au milieu des flots tumultueux d'une populace assemblée, un homme vénérable demeurer immobîle et tranquille au centre d'un espace libre et vide que la considération forme et réserve autour de lui. Vous avez perdu ces notions si communes, et la malédiction de S. François de Borgia, le troisième de vos généraux, s'est accomplie sur vous. Il vous disait, ce saint et bon-homme : " Il viendra un temps où vous ne mettrez plus de bornes à votre orgueil et à votre ambition, où vous ne vous occuperez plus qu'à accumuler des richesses et à vous faire du crédit, où vous négligerez la pratique des vertus ; alors il n'y aura puissance sur la terre qui puisse vous ramener à votre première perfection, et s'il est possible de vous détruire, on vous détruira ".

Il fallait que ceux qui avaient fondé leur durée sur la même base qui soutient l'existence et la fortune des grands, passassent comme eux ; la prospérité des Jésuites n'a été qu'un songe un peu plus long.

Mais en quel temps le colosse s'est-il évanoui ? au moment même où il paraissait le plus grand et le mieux affermi. Il n'y a qu'un moment que les Jésuites remplissaient les palais de nos rois ; il n'y a qu'un moment que la jeunesse, qui fait l'espérance des premières familles de l'état, remplissait leurs écoles ; il n'y a qu'un moment que la religion les avait portés à la confiance la plus intime du monarque, de sa femme et de ses enfants ; moins protégés que protecteurs de notre clergé, ils étaient l'âme de ce grand corps. Que ne se croyaient-ils pas ? J'ai Ve ces chênes orgueilleux toucher le ciel de leur cime ; j'ai tourné la tête, et ils n'étaient plus.

Mais tout événement a ses causes. Quelles ont été celles de la chute inopinée et rapide de cette société ? en voici quelques-unes, telles qu'elles se présentent à mon esprit.

L'esprit philosophique a décrié le célibat, et les Jésuites se sont ressentis, ainsi que tous les autres ordres religieux, du peu de goût qu'on a aujourd'hui pour le cloitre.

Les Jésuites se sont brouillés avec les gens de lettres, au moment où ceux-ci allaient prendre parti pour eux contre leurs implacables et tristes ennemis. Qu'en est-il arrivé ? c'est qu'au lieu de couvrir leur côté faible, on l'a exposé, et qu'on a marqué du doigt aux sombres enthousiastes qui les menaçaient, l'endroit où ils devaient frapper.

Il ne s'est plus trouvé parmi eux d'homme qui se distinguât par quelque grand talent ; plus de poètes, plus de philosophes, plus d'orateurs, plus d'érudits, aucun écrivain de marque, et on a méprisé le corps.

Une anarchie interne les divisait depuis quelques années ; et si par hasard ils avaient un bon sujet, ils ne pouvaient le garder.

On les a reconnus pour les auteurs de tous nos troubles intérieurs, et on s'est lassé d'eux.

Leur journaliste de Trévoux, bon-homme, à ce qu'on dit, mais auteur médiocre et pauvre politique, leur a fait avec son livret bleu mille ennemis redoutables, et ne leur a pas fait un ami.

Il a bêtement irrité contre sa société notre de Voltaire, qui a fait pleuvoir sur elle et sur lui le mépris et le ridicule, le peignant lui comme un imbécile, et ses confrères, tantôt comme des gens dangereux et mécans, tantôt comme des ignorants ; donnant l'exemple et le ton à tous nos plaisans subalternes, et nous apprenant qu'on pouvait impunément se moquer d'un jésuite, et aux gens du monde qu'ils en pouvaient rire sans conséquence.

Les Jésuites étaient mal depuis très-longtemps avec les dépositaires des lais, et ils ne songeaient pas que les magistrats, aussi durables qu'eux, seraient à la longue les plus forts.

Ils ont ignoré la différence qu'il y a entre des hommes nécessaires et des moines turbulents, et que si l'état était jamais dans le cas de prendre un parti, il tournerait le dos avec dédain à des gens que rien ne recommandait plus.

Ajoutez qu'au moment où l'orage a fondu sur eux dans cet instant où le ver de terre qu'on foule du pied montre quelque énergie, ils étaient si pauvres de talents et de ressources, que dans tout l'ordre il ne s'est pas trouvé un homme qui sut dire un mot qui fit ouvrir les oreilles. Ils n'avaient plus de voix, et ils avaient fermé d'avance toutes les bouches qui auraient pu s'ouvrir en leur faveur.

Ils étaient haïs ou enviés.

Pendant que les études se relevaient dans l'université elles achevaient de tomber dans leur collège, et cela lorsqu'on était à demi convaincu que pour le meilleur emploi du temps, la bonne culture de l'esprit, et la conservation des mœurs et de la santé, il n'y avait guère de comparaison à faire entre l'institution publique et l'éducation domestique.

Ces hommes se sont mêlés de trop d'affaires diverses ; ils ont eu trop de confiance en leur crédit.

Leur général s'était ridiculement persuadé que son bonnet à trois cornes couvrait la tête d'un potentat, et il a insulté lorsqu'il fallait demander grâce.

Le procès avec les créanciers du père la Valette les a couverts d'opprobre.

Ils furent bien imprudents, lorsqu'ils publièrent leurs constitutions ; ils le furent bien davantage, lorsqu'oubliant combien leur existence était précaire, ils mirent des magistrats qui les haïssaient à portée de connaître de leur régime, et de comparer ce système de fanatisme, d'indépendance et de machiavélisme, avec les lois de l'état.

Et puis, cette révolte des habitants du Paraguay, ne dut-elle pas attirer l'attention des souverains, et leur donner à penser ? et ces deux parricides exécutés dans l'intervalle d'une année ?

Enfin, le moment fatal était venu ; le fanatisme l'a connu, et en a profité.

Qu'est ce qui aurait pu sauver l'ordre, contre tant de circonstances réunies qui l'avaient amené au bord du précipice ? un seul homme, comme Bourdaloue peut-être, s'il eut existé parmi les Jésuites ; mais il fallait en connaître le prix, laisser aux mondains le soin d'accumuler des richesses, et songer à ressusciter Cheminais de sa cendre.

Ce n'est ni par haine, ni par ressentiment contre les Jésuites, que j'ai écrit ces choses ; mon but a été de justifier le gouvernement qui les a abandonnés, les magistrats qui en ont fait justice, et d'apprendre aux religieux de cet ordre qui tenteront un jour de se rétablir dans ce royaume, s'ils y réussissent, comme je le crois, à quelles conditions ils peuvent espérer de s'y maintenir.