(Histoire ecclésiastique) nom d'une secte de Juifs au temps de Jesus-Christ.

Comme il n'en est parlé que dans saint Matthieu, ch. xxij. Ve 16. et dans saint Marc, ch. IIIe Ve 6. et ch. XIIe Ve 13. nous allons rechercher quelle était cette secte que les évangelistes appellent Hérodiens ; car les commentateurs de l'Ecriture sont fort partagés sur ce sujet.

Tertullien, saint Jérôme, saint Epiphane, saint Chrysostôme, Théophilacte, et plusieurs autres pères de l'église, considérant que ce nom vient d'Hérode, ont cru qu'il avait été donné par les évangelistes à ceux d'entre les Juifs, qui reconnaissaient Hérode le grand pour le messie ; mais il n'y a point d'apparence que, plus de trente ans après la mort d'Hérode, il y eut des Juifs qui regardassent ce prince comme le messie, et toute la nation se réunissait à en avoir une idée bien différente pendant qu'il vécut.

Casaubon, Scaliger, et autres critiques remplis d'érudition dans l'antiquité profane, ont imaginé que les Hérodiens pouvaient être quelque confrairie érigée en l'honneur d'Hérode, comme on vit à Rome des Augustaux, des Hadrianaux, des Antoniniens en l'honneur d'Auguste, d'Hadrien, d'Antonin, établis après leur mort ; cependant une pareille confrairie eut fait trop de bruit pour que la connaissance en eut échappé à l'historien Josephe. Celle d'Auguste, qu'on nomma sodales Augustales, est la première dont l'histoire parle ; elle ne fut point empruntée des nations étrangères, et ne servit pas surement de modèle à une confrairie semblable en faveur d'Hérode, qui était mort depuis longtemps. Je me hâte donc de passer à des opinions mieux fondées.

Ce qui est dit des Hérodiens dans l'Evangile, semble assez marquer, que c'était une secte parmi les Juifs, laquelle différait des autres sectes dans quelques points de la loi et de la religion judaïque ; car ils sont nommés avec les Pharisiens, et en même-temps ils en sont distingués ; il est dit des Hérodiens qu'ils avaient un levain particulier, c'est-à-dire, quelque dogme contraire à la pureté du christianisme, et propre à en gâter la pâte ; la même chose est aussi dite des pharisiens. Jesus-Christ avertit ses disciples de se garder des uns et des autres. Puisque notre Sauveur appela le système des Hérodiens, le levain d'Hérode, il faut qu'Hérode soit l'auteur des opinions dangereuses qui caractérisent ses partisans ; les Hérodiens étaient donc des sectateurs d'Hérode, &, selon les apparences, c'étaient pour la plupart des gens de sa cour, des gens qui lui étaient attachés, et qui désiraient la conservation du commandement dans sa famille.

Aussi la version syriaque, par-tout où il se trouve le nom d'Hérodiens, le rend par celui de domestiques d'Hérode, et cette remarque est très-importante. La version syriaque a été faite de bonne heure pour l'usage de l'église d'Antioche. Ceux qui y ont travaillé, touchaient au temps où cette secte avait pris naissance, et avaient par-là l'avantage de connaître mieux que personne son origine.

Mais quels dogmes avait cette secte ? Nous parviendrons à les découvrir, en examinant en quoi son chef différait du reste de la nation ; car sans-doute ce sera-là pareillement la différence de ses sectateurs d'avec les autres Juifs.

Il y a deux articles sur lesquels Hérode et les Juifs ne s'accordaient pas ; le premier, en ce qu'il assujettit la nation à l'empire des Romains ; le second, en ce que par complaisance pour ces mêmes Romains et pour obtenir leur protection, il introduisit sans scrupule dans ses états plusieurs de leurs usages et de leurs rites religieux.

Du commandement rapporté au chap. XVIIe du Deutéronome, Ve 15. " Tu établiras sur toi un d'entre tes frères pour roi, et non pas un étranger. " La nation juive en général et surtout les Pharisiens en concluaient qu'il n'était pas permis de se soumettre à l'empereur romain, et de lui payer tribut ; mais Hérode et ses sectateurs interprétant le texte du Deutéronome d'un choix libre, et non pas d'une soumission forcée, soutenaient qu'ils n'étaient point dans le cas défendu par la loi : voilà pourquoi les Pharisiens et les Hérodiens tendirent le piège à Jesus-Christ, de lui demander s'il était permis ou non de payer le tribut à César ; notre Sauveur, qui connut leurs mauvaises intentions, confondit les uns et les autres par la sage réponse qu'il leur fit.

Cependant cette réponse étant une approbation de la conduite des Hérodiens sur cet article, ce ne peut pas être là le levain d'Hérode, dont Jesus-Christ recommandait à ses disciples de se donner de garde. Il faut donc que ce soit leur seconde opinion ; savoir, que quand une force majeure l'ordonne, on peut sans scrupule faire les actes d'idolatrie qu'elle prescrit, et se livrer au torrent ; il est certain qu'Hérode suivait cette maxime ; &, selon les apparences, pour justifier sa conduite, il inculqua les mêmes principes à tous ceux qui lui étaient attachés, et forma la secte des Hérodiens. Josephe nous apprend que ce prince tout dévoué à Auguste, fit bien des choses défendues par la loi et par la religion des Juifs ; qu'entr'autres fautes, il bâtit des temples pour le culte du paganisme, et qu'il s'excusa vis-à-vis de sa nation par la nécessité des temps ; excuse qui néanmoins n'empêcha pas qu'on ne le traitât quelquefois de demi-juif.

Les Hérodiens, ses sectateurs, étaient des demi-juifs comme lui, des gens qui professaient à la vérité le judaïsme, mais qui étaient également très-disposés à se prêter à d'autres cultes dans le besoin. Les Saducéens qui ne connaissaient que le bien-être de la vie présente, adoptèrent aussi l'hérodianisme, et c'est pour cela que l'Ecriture les confond ensemble ; car les mêmes personnes qui sont appelés Hérodiens dans saint Matthieu ch. XVIe sont nommés Saducéens dans saint Marc ch. VIIIe Ve 15.

Au reste, la secte des Hérodiens s'évanouit après la mort de notre Seigneur ; ou, ce qui est plus vraisemblable, elle perdit son nom avec le partage des états d'Hérode. (D.J.)