S. m. (Théologie) système particulier de Théologie sur la grâce suffisante et efficace, qui a pris son nom de Louis Molina son auteur, jésuite espagnol, et professeur en Théologie dans l'université d'Evora.

Le livre où il explique ce système, intitulé de concordiâ Gratiae et liberi arbitrii, parut à Lisbone en 1588, et fut vivement attaqué par les Dominicains, qui le déférèrent à l'inquisition. La cause ayant été portée à Rome, et discutée dans ces fameuses assemblées, qu'on nomme les congrégations de auxiliis, depuis l'an 1597, jusqu'à l'année 1607, demeura indécise, le pape Paul V. qui tenait alors le siege de Rome, n'ayant rien voulu prononcer, mais seulement défendu aux deux partis de se noter mutuellement par des qualifications odieuses. Depuis cette espèce de trève le Molinisme a été enseigné dans les écoles comme une opinion libre ; mais il a eu de terribles adversaires dans la personne des Jansénistes, et n'en a pas manqué de la part des écoles catholiques.

Voici toute l'économie du système de Molina, selon l'ordre que cet auteur imagine dans les decrets de Dieu.

1°. Dieu, par la science de simple intelligence, voit tout ce qui est possible, et par conséquent des ordres infinis de choses possibles.

2°. Par la science moyenne Dieu voit certainement ce que dans chacun de ces ordres, chaque volonté créée, en usant de sa liberté, doit faire, si on lui confère telle ou telle grâce.

3°. Il choisit l'ordre des choses qui a existé dès le commencement du monde, et qui existe encore en partie.

4°. Il veut, d'une volonté antécédente, sauver les anges et les hommes, mais sous une condition unique, c'est qu'ils veuillent bien eux-mêmes se sauver.

5°. Il donne à tous, soit anges, soit hommes, et abondamment, tous les secours nécessaires pour opérer leur salut.

6°. Les secours surnaturels, ou cette grâce accordée aux anges et aux hommes dans l'état d'innocence n'a point été efficace par elle-même et de sa nature, mais versatîle et efficace par l'évenement, c'est-à-dire à cause du bon usage qu'ils en ont fait.

7°. D'où il s'ensuit qu'il n'y a nulle différence quant à l'efficacité de la grâce, entre les secours accordés dans l'état de nature innocente, et ceux dont on a besoin dans l'état de nature tombée, nuls decrets absolus efficaces par eux-mêmes, antécédents à la libre détermination de la volonté créée, ni par conséquent nulle prédestination avant la prévision des mérites, nulle réprobation qui ne suppose des péchés actuels.

8°. Dieu prédestine à la gloire les anges qu'il sait, par sa science de vision, devoir persevérer dans le bien, et reprouve les autres.

9°. Quant à ce qui regarde Adam et sa postérité infectée de son péché, quelque dignes que soient tous les hommes des supplices éternels et du courroux de Dieu, cependant il veut bien par miséricorde les sauver, mais d'une volonté antécédente, générale et conditionnée, c'est-à-dire pourvu qu'ils le veuillent bien eux-mêmes, et que l'ordre ou l'arrangement des causes naturelles n'y mette nul obstacle.

10°. Cette volonté est vraie, sincère et active, c'est elle qui a destiné Jésus-Christ pour sauveur au genre humain et qui accorde, prépare, ou du-moins offre à tous les hommes des grâces très-suffisantes pour opérer leur salut.

11°. Dieu, par la science moyenne, voit certainement ce que l'homme placé dans telle ou telle circonstance fera, s'il est aidé de telle ou telle grâce, qui sont ceux qui dans l'ordre présent des choses useront bien ou mal de leur libre arbitre, s'il leur accorde telle ou telle grâce.

12°. Il se propose, par un decret absolu, de leur accorder les grâces qu'ils ont effectivement eues dans la suite ; et s'il veut convertir efficacement quelqu'un et le faire perseverer dans le bien, il forme le decret de lui accorder telles ou telles grâce auxquelles il prévait qu'il consentira, et avec lesquelles il doit perseverer.

13°. Il connait toutes les œuvres qui sont dans l'ordre surnaturel par la science de vision, qui suppose le decret dont nous venons de parler, et par conséquent il voit, par la même science, qui sont ceux qui feront le bien et qui persevereront jusqu'à la fin, ou qui sont ceux qui pecheront et ne persevereront pas.

14°. En conséquence de la prévision de ces mérites absolument futurs, il prédestine les uns à la gloire, et il en exclut les autres ou les réprouve, parce qu'il a prévu leurs démérites.

La base principale de ce système est que la grâce suffisante et la grâce efficace ne sont point réellement distinguées, mais que la même grâce est tantôt efficace et tantôt inefficace, selon que la volonté y coopère ou y resiste, en sorte que l'efficace de la grâce dépend du consentement de la volonté de l'homme, non, dit Molina, que ce consentement donne quelque force à la grâce ou la rende efficace in actu primo, mais parce que ce consentement est une condition nécessaire pour que la grâce soit efficace in actu secundo, c'est-à-dire lorsqu'on la considère jointe avec son effet, à-peu-près comme les sacrements sont des signes pratiques et efficaces par eux-mêmes, mais ils dépendent cependant des dispositions de ceux qui les reçoivent pour produire la grâce : c'est ce qu'enseigne formellement Molina dans son livre de la Concorde, quest. xiv. art. XIIIe disput. 40. et quest. xxiij. art. iv. et Ve

Cet écrivain et ses défenseurs vantent beaucoup ce système, en ce qu'il dénoue une partie des difficultés que les pères, et surtout S. Augustin, ont trouvé à concilier le libre arbitre avec la grâce ; mais leurs adversaires tirent de ces motifs mêmes des raisons très-fortes de les rejeter, et quelques-uns d'eux ont avancé que le Molinisme renouvellait le Semi-pélagianisme. Mais le P. Alexandre, dans son Histoire ecclésiastique du Ve siècle, chap. IIIe art. IIIe §. 13. répond à ces accusateurs, que ce système n'ayant pas été condamné par l'Eglise, et y étant toléré comme toutes les autres opinions d'école, c'est blesser la vérité, violer la charité, et troubler la paix que de le comparer aux erreurs des Pélagiens et des Semi-pélagiens ; et l'illustre M. Bossuet dans son premier et son second avertissement contre les Protestants montre solidement par un parallèle exact du Molinisme avec le Semi-pélagianisme ; que l'Eglise romaine en tolérant le système de Molina, ne tolérait point les erreurs des Semi-pélagiens, comme avait osé le lui reprocher le ministre Jurieu. Tournely, Tract. de grat. pars II. quest. Ve art. IIe §. 30.