S. f. en Astronomie, est un mouvement apparent qu'on observe dans les étoiles fixes, et dont la cause et les circonstances ont été découvertes par M. Bradley, membre de la société royale de Londres, et aujourd'hui Astronome du roi d'Angleterre à Greenwich.

M. Picard et plusieurs autres Astronomes après lui, avaient observé dans l'étoîle polaire un mouvement apparent d'environ 40" par an, qu'il paraissait impossible d'expliquer par la parallaxe de l'orbe annuel ; parce que ce mouvement était dans un sens contraire à celui suivant lequel il aurait dû être, s'il était venu du seul mouvement de la terre dans son orbite. Voyez PARALLAXE DU GRAND ORBE.

Ce mouvement n'ayant pu être expliqué pendant 50 ans, M. Bradley découvrit enfin en 1727 qu'il était causé par le mouvement successif de la lumière combiné avec le mouvement de la terre. Si la France a produit dans le dernier siècle les deux plus grandes découvertes de l'Astronomie physique, savoir, l'accourcissement du pendule sous l'équateur, dont Richer s'aperçut en 1672, et la propagation ou le mouvement successif de la lumière démontré dans l'Académie des Sciences par M. Roèmer, l'Angleterre peut bien se flatter aujourd'hui d'avoir annoncé la plus grande découverte du dix-huitième siècle.

Voici de quelle manière M. Bradley a expliqué la théorie de l'aberration, après avoir observé pendant deux années consécutives que l'étoîle de la tête du dragon, qui passait à son zénith, et qui est fort près du pôle de l'écliptique, était plus méridionale de 39" au mois de Mars qu'au mois de Septembre.

Si l'on suppose (Planche Astron. fig. 31. n. 3.) que l'oeil soit emporté uniformément suivant la ligne droite A B, qu'on peut bien regarder ici comme une très-petite partie de l'orbite que la terre décrit durant quelques minutes, et que l'oeil parcoure l'intervalle compris depuis A jusqu'à B précisément dans le temps que la lumière se meut depuis C jusqu'en B, je dis qu'au lieu d'apercevoir l'étoîle dans une direction parallèle à B C, l'oeil apercevra, dans le cas présent, l'étoîle selon une direction parallèle à la ligne A C. Car supposons que l'oeil étant entrainé depuis A jusqu'en B, regarde continuellement au-travers de l'axe d'un tube très-délié, et qui serait toujours parallèle à lui-même suivant les directions A C, a c, etc. il est évident que si la vitesse de la lumière a un rapport assez sensible à la vitesse de la terre, et que ce rapport soit celui de B C à A B, alors la particule de lumière qui s'était d'abord trouvée à l'extrémité C du tube coulera uniformément et sans trouver d'obstacle le long de l'axe, à mesure que le tube viendra à s'avancer, puisque selon la supposition on a toujours A B à B C comme a B à B c, et A a à C c comme A B à B C ; c'est-à-dire, que l'oeil ayant parcouru l'intervalle A a, la particule de lumière a dû descendre uniformément jusqu'en c, et par conséquent se trouvera dans le tuyau qui est alors dans la situation a c. D'ailleurs il est aisé de voir que si on donnait au tube toute autre inclinaison, la particule de lumière ne pourrait plus couler le long de l'axe, mais trouverait dès son entrée un obstacle à son passage, parce que le point c où la particule de lumière arriverait, ne se trouverait pas alors dans le tuyau, qui ne serait plus parallèle à A C. Or, parmi cette multitude innombrable de rayons que lance l'étoîle et qui viennent tous parallèlement à B C, il s'en trouve assez de quoi fournir continuellement de nouvelles particules qui se succédant les unes aux autres à l'extrémité du tube, coulent le long de l'axe, et forment par conséquent un rayon suivant la direction A C. Il est donc évident que ce même rayon A C sera l'unique qui viendra frapper l'oeil, qui par conséquent ne saurait apercevoir l'étoîle autrement que sous cette même direction. Maintenant si au lieu de ce tube on imagine autant de lignes droites ou de petits tubes extrêmement fins et déliés, que la prunelle de l'oeil peut admettre de rayons à la fais, le même raisonnement aura lieu pour chacun de ces tubes, que pour celui dont nous venons de parler. Donc l'oeil ne saurait recevoir aucun des rayons de l'étoîle que ceux qui paraitront venir suivant des directions parallèles à A C, et par conséquent l'étoîle paraitra en effet dans un lieu où elle n'est pas véritablement ; c'est-à-dire, dans un lieu différent de celui où on l'aurait aperçue, si l'oeil était resté fixe au point A.

Ce qui confirme parfaitement cette théorie si ingénieuse, et qui en porte la certitude jusqu'à la démonstration, c'est que la vitesse que doit avoir la lumière pour que l'angle d'aberration B C A soit tel que les observations le donnent, s'accorde parfaitement avec la vitesse de la lumière déterminée par M. Roèmer d'après les observations des satellites de Jupiter. En effet, imaginons (Fig. 31. n°. 2.) que b c soit égal au rayon de l'orbe annuel, l'angle b c a est donné par l'observation de la plus grande aberration possible des étoiles, savoir, de 20". On fera donc, comme le rayon est à la tangente de 20", ainsi c b est à un quatrième terme, qui sera la valeur de la petite portion a b de l'orbe terrestre, laquelle se trouve excéder un peu la dix-millième partie de la moyenne distance A B ou A b de la terre au soleil, puisqu'elle en est la 1/10313 partie. C'est pourquoi la terre parcourant 360 degrés en 365 jours 1/4, et à proportion un arc de 57 degrés égal au rayon de l'orbite, en 58 jours 131/1000 ou 83709', il s'ensuit que la 10313 partie de ce dernier nombre, c'est-à-dire, 8' 12/100, ou 8' 7" 1/2, sera le temps que la terre met à parcourir le petit espace a b, et le temps que la lumière met à parcourir l'espace b c égal au rayon de l'orbe annuel. Or M. Roèmer a trouvé par les observations des satellites de Jupiter, que la lumière doit mettre en effet environ 8' 7" à venir du soleil jusqu'à nous. Voyez LUMIERE. C'est pourquoi chacune des deux théories de M. Roèmer et de M. Bradley s'accordent à donner la même quantité pour la vitesse avec laquelle la lumière se meut.

Au reste comme les directions que l'on regarde comme parallèles, b c, B C, ou bien a c, A C, ne le sont pas en effet, mais concourent au même point du ciel, savoir à l'étoîle E, il s'ensuit qu'à mesure que la terre avancera sur la circonférence de son orbite, l'arc ou la petite tangente ab qu'elle décrit chaque jour venant à changer de direction, il en sera de même à l'égard de la ligne A C qui dans le cours d'une année entière aura un mouvement conique autour de B C ou de A E, en sorte que prolongée dans le ciel, son extrémité doit décrire un petit cercle autour du vrai lieu qu'occupe l'étoîle ; et comme l'angle A C B ou l'angle alterne C A E qui lui est égal est de 20", il sera vrai de dire que l'étoîle ne saurait jamais être aperçue dans son vrai lieu, mais qu'à chaque année elle doit recommencer à parcourir la circonférence d'un cercle autour de son véritable lieu : en sorte que si elle est au zénith, par exemple, elle pourra être vue à son passage au méridien alternativement 20" plus au nord ou plus au midi à chaque intervalle d'environ six mois. M. de Maupertuis dans son excellent ouvrage intitulé Eléments de Géographie, explique l'aberration par une comparaison ingénieuse. Il en est ainsi, dit-il, de la direction qu'il faut donner au fusil pour que le plomb frappe l'oiseau qui vole : au lieu d'ajuster directement à l'oiseau, le chasseur tire un peu au-devant, et tire d'autant plus au-devant, que le vol de l'oiseau est plus rapide par rapport à la vitesse du plomb. Il est évident que dans cette comparaison l'oiseau représente la terre, et le plomb représente la lumière de l'étoîle qui la vient frapper. Cette comparaison peut servir à faire entendre le principe de l'aberration à ceux de nos lecteurs qui n'ont aucune teinture de Géométrie. L'explication que nous venons de donner de ce même principe d'après M. Bradley, peut être aussi à l'usage de ceux qui n'en ont qu'une teinture légère ; car on doit sentir que si un tuyau est mu avec une direction donnée qui ne soit pas suivant la longueur du tuyau, un corpuscule ou globule qui doit traverser ou enfiler ce tuyau en ligne droite durant son mouvement sans choquer les parois du tuyau, doit avoir pour cela une direction différente de celle du tuyau, et qui ne soit pas parallèle non plus à la longueur du tuyau.

Mais voici une démonstration qui pourra être facilement entendue par tous ceux qui sont un peu au fait des principes de mécanique, et qui ne suppose ni tuyau, ni rien d'étranger. Je ne sache pas qu'elle ait encore été donnée, quoiqu'elle soit simple. Aussi ne prétens-je pas m'en faire un mérite. C B, (fig. 31. n°. 3.) étant (hyp.) la vitesse absolue de l'étoile, on peut regarder C B comme la diagonale d'un parallélogramme dont les côtés seraient C A et A B ; ainsi on peut supposer que le globule de lumière, au lieu du mouvement suivant C B, ait à la fois deux mouvements, l'un suivant C A, l'autre suivant A B. Or le mouvement suivant A B est commun à ce globule et à l'oeil du spectateur. Donc ce globule ne frappe réellement l'oeil du spectateur que suivant C A ; donc A C est la direction dans laquelle le spectateur doit voir l'étoîle : car la ligne dans laquelle nous voyons un objet n'est autre chose que la ligne suivant laquelle les rayons entrent dans nos yeux. C'est pour cette raison que dans les miroirs plans, par exemple, nous voyons l'objet au-dedans du miroir, etc. Voyez MIROIR. Voyez aussi APPARENT.

M. Bradley a joint à sa théorie des formules pour calculer l'aberration des fixes en déclinaison et en ascension droite : ces formules ont été démontrées en deux différentes manières, et réduites à un usage fort simple par M. Clairaut dans les Mémoires de l'Académie de 1737. Elles ont aussi été démontrées par M. Simpson, de la Société royale de Londres, dans un Recueil de différents opuscules Mathématiques, imprimé en Anglais à Londres 1745. Enfin M. Fontaine des Crutes a publié un traité sur le même sujet. Cet ouvrage a été imprimé à Paris en 1744. Des Astronomes habiles nous ont paru en faire cas ; tant parce qu'il explique fort clairement la théorie et les calculs de l'aberration, que parce qu'il contient une histoire assez curieuse de l'origine et du progrès de l'Astronomie, dressée sur des Mémoires de M. le Monnier. Nous avons tiré des Institutions Astronomiques de ce dernier une grande partie de cet article. (O)