(Philosophie morale) L'indifférence est à l'âme ce que la tranquillité est au corps, et la léthargie est au corps ce que l'insensibilité est à l'âme. Ces dernières modifications sont l'une et l'autre l'excès des deux premières, et par conséquent également vicieuses.
L'indifférence chasse du cœur les mouvements impétueux, les désirs fantasques, les inclinations aveugles : l'insensibilité en ferme l'entrée à la tendre amitié, à la noble reconnaissance, à tous les sentiments les plus justes et les plus légitimes. Celle là détruisant les passions de l'homme, ou plutôt naissant de leur non-existence, fait que la raison sans rivales exerce plus librement son empire ; celle-ci détruisant l'homme lui-même, en fait un être sauvage et isolé qui a rompu la plupart des liens qui l'attachaient au reste de l'univers. Par la première enfin l'âme tranquille et calme ressemble à un lac dont les eaux sans pente, sans courant, à l'abri de l'action des vents, et n'ayant d'elles-mêmes aucun mouvement particulier, ne prennent que celui que la rame du batelier leur imprime ; et rendue léthargique par la seconde, elle est semblable à ces mers glaciales qu'un froid excessif engourdit jusques dans le fond de leurs abîmes, et dont il a tellement durci la surface, que les impressions de tous les objets qui la frappent y meurent sans pouvoir passer plus avant, et même sans y avoir causé le moindre ébranlement ni l'altération la plus légère.
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