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Catégorie : Philosophie
(PHILOSOPHIE DES) s. m. plur. Ces peuples qui sont, d'un consentement unanime, supérieurs à toutes les nations de l'Asie, par leur ancienneté, leur esprit, leurs progrès dans les arts, leur sagesse, leur politique, leur goût pour la Philosophie, le disputent même dans tous ces points, au jugement de quelques auteurs, aux contrées de l'Europe les plus éclairées.

Si l'on en croit ces auteurs, les Chinois ont eu des sages dès les premiers âges du monde. Ils avaient des cités érudites ; des philosophes leur avaient prescrit des plans sublimes de philosophie morale, dans un temps où la terre n'était pas encore bien essuyée des eaux du déluge : témoins Isaac Vossius, Spizelius, et cette multitude innombrable de missionnaires de la compagnie de Jesus, que le désir d'étendre les lumières de notre sainte religion, a fait passer dans ces grandes et riches contrées.

Il est vrai que Budée, Thomasius, Gundling, Heumann, et d'autres écrivains dont les lumières sont de quelque poids, ne nous peignent pas les Chinois en beau ; que les autres missionnaires ne sont pas d'accord sur la grande sagesse de ces peuples, avec les missionnaires de la compagnie de Jesus, et que ces derniers ne les ont pas même regardés tous d'un oeil également favorable.

Au milieu de tant de témoignages opposés, il semblerait que le seul moyen qu'on eut de découvrir la vérité, ce serait de juger du mérite des Chinois par celui de leurs productions les plus vantées. Nous en avons plusieurs collections ; mais malheureusement on est peu d'accord sur l'authenticité des livres qui composent ces collections : on dispute sur l'exactitude des traductions qu'on en a faites, et l'on ne rencontre que des ténèbres encore fort épaisses, du côté même d'où l'on était en droit d'attendre quelques traits de lumière.

La collection publiée à Paris en 1687 par les PP. Intorcetta, Hendrick, Rougemont et Couplet, nous présente d'abord le ta-hio ou le scientia magna, ouvrage de Confucius publié par Cemçu un de ses disciples. Le philosophe chinois s'y est proposé d'instruire les maîtres de la terre dans l'art de bien gouverner, qu'il renferme dans celui de connaître et d'acquérir les qualités nécessaires à un souverain, de se commander à soi-même, de savoir former son conseil et sa cour, et d'élever sa famille.

Le second ouvrage de la collection, intitulé chumyum, ou de medio sempiterno, ou de mediocritate in rebus omnibus tenenda, n'a rien de si fort sur cet objet qu'on ne put aisément renfermer dans quelques maximes de Séneque.

Le troisième est un recueil de dialogues et d'apophtegmes sur les vices, les vertus, les devoirs et la bonne conduite : il est intitulé lun-yu. On trouvera à la fin de cet article les plus frappans de ces apophtegmes, sur lesquels on pourra apprécier ce troisième ouvrage de Confucius.

Les savants éditeurs avaient promis les écrits de Mencius, philosophe chinois ; et François Noel, missionnaire de la même compagnie, a satisfait en 1711 à cette promesse en publiant six livres classiques chinois, entre lesquels on trouve quelques morceaux de Mencius. Nous n'entrerons point dans les différentes contestations que cette collection et la précédente ont excitées entre les érudits. Si quelques faits hasardés par les éditeurs de ces collections, et démontrés faux par des savants européens, tel, par exemple, que celui des tables astronomiques données pour authentiquement chinoises, et convaincues d'une correction faite sur celles de Ticho, sont capables de jeter des soupçons dans les esprits sans partialité ; les moins impartiaux ne peuvent non plus se cacher que les adversaires de ces pénibles collections ont mis bien de l'humeur et de la passion dans leur critique.

La chronologie chinoise ne peut être incertaine, sans que la première origine de la philosophie chez les Chinois ne le soit aussi. Fohi est le fondateur de l'empire de la Chine, et passe pour son premier philosophe. Il regna en l'an 2954 avant la naissance de Jesus-Christ. Le cycle chinois commence l'an 2647 avant Jesus-Christ, la huitième année du règne de Hoangti. Hoangti eut pour prédécesseurs Fohi et Xinung. Celui-ci regna 110, celui-là 140 ; mais en suivant le système du P. Petau, la naissance de Jesus-Christ tombe l'an du monde 3889, et le déluge l'an du monde 1656 : d'où il s'ensuit que Fohi a regné quelques siècles avant le déluge ; et qu'il faut ou abandonner la chronologie des livres sacrés, ou celle des Chinois. Je ne crois pas qu'il y ait à choisir ni pour un chrétien, ni pour un européen sensé, qui lisant dans l'histoire de Fohi que sa mère en devint enceinte par l'arc-en-ciel, et une infinité de contes de cette force, ne peut guère regarder son règne comme une époque certaine, malgré le témoignage unanime d'une nation.

En quelque temps que Fohi ait regné, il parait avoir fait dans la Chine plutôt le rôle d'un Hermès ou d'un Orphée, que celui d'un grand philosophe ou d'un savant théologien. On raconte de lui qu'il inventa l'alphabet et deux instruments de musique, l'un à vingt-sept cordes et l'autre à trente-six. On a prétendu que le livre ye-kim qu'on lui attribue, contenait les secrets les plus profonds ; et que les peuples qu'il avait rassemblés et civilisés avaient appris de lui qu'il existait un Dieu, et la manière dont il voulait être adoré.

Cet ye-kim est le troisième de l'u-kim ou du recueil des livres les plus anciens de la Chine. C'est un composé de lignes entières et de lignes ponctuées, dont la combinaison donne soixante-quatre figures différentes. Les Chinois ont regardé ces figures comme une histoire emblématique de la nature, des causes de ses phénomènes, des secrets de la divination, et de je ne sais combien d'autres belles connaissances, jusqu'à ce que Leibnitz ait déchiffré l'énigme, et montré à toute cette Chine si pénétrante, que les deux lignes de Fohi n'étaient autre chose que les éléments de l'arithmétique binaire. Voyez BINAIRE. Il n'en faut pas pour cela mépriser davantage les Chinois ; une nation très-éclairée a pu sans succès et sans déshonneur chercher pendant des siècles entiers, ce qu'il était réservé à Leibnitz de découvrir.

L'empereur Fohi transmit à ses successeurs sa manière de philosopher. Ils s'attachèrent tous à perfectionner ce qu'il passe pour avoir commencé, la science de civiliser les peuples, d'adoucir leurs mœurs, et de les accoutumer aux chaînes utiles de la société. Xin-num fit un pas de plus. On reçut de lui des préceptes d'agriculture, quelques connaissances des plantes, les premiers essais de la médecine. Il est très-incertain si les Chinois étaient alors idolatres, athées, ou déistes. Ceux qui prétendent démontrer qu'ils admettaient l'existence d'un Dieu tel que nous l'adorons, par le sacrifice que fit Ching-tang dans un temps de famine, n'y regardent pas d'assez près.

La philosophie des souverains de la Chine parait avoir été longtemps toute politique et morale, à en juger par le recueil des plus belles maximes des rois Yao, Xum, et Yu : ce recueil est intitulé u-kim ; il ne contient pas seulement ces maximes : elles ne forment que la matière du premier livre qui s'appelle xu-kim. Le second livre ou le xy-kim est une collection de poèmes et d'odes morales. Le troisième est l'ouvrage linéaire de Fohi dont nous avons parlé. Le quatrième ou le chum-cieu, ou le printemps et l'automne, est un abrégé historique de la vie de plusieurs princes, où leurs vices ne sont pas déguisés. Le cinquième ou le li-ki est une espèce de rituel, où l'on a joint à l'explication de ce qui doit être observé dans les cérémonies profanes et sacrées, les devoirs des hommes en tout état, au temps des trois familles impériales, Hia, Xam et Cheu. Confucius se vantait d'avoir puisé ce qu'il connaissait de plus sage dans les écrits des anciens rois Yao et Xun.

L'u-kim est à la Chine le monument littéraire le plus saint, le plus sacré, le plus authentique, le plus respecté. Cela ne l'a pas mis à l'abri des commentaires ; les hommes dans aucun temps, chez aucune nation, n'ont rien laissé d'intact. Le commentaire de l'u-kim a formé la collection su-xu. Le su-xu est très-estimé des Chinois : il contient le scientia magna, le medium sempiternum, les ratiotinantium sermones, et l'ouvrage de Mencius de naturâ, moribus, ritibus et officiis.

On peut regarder la durée des règnes des rois philosophes, comme le premier âge de la philosophie chinoise. La durée du second âge où nous allons entrer, commence à Roosi ou Li-lao-kiun, et finit à la mort de Mencius. La Chine eut plusieurs philosophes particuliers longtemps avant Confucius. On fait surtout mention de Roosi ou Li-lao-kiun, ce qui donne assez mauvaise opinion des autres. Roosi, ou Li-lao-kiun, ou Lao-tan, naquit 346 ans après Xekia, ou 504 ans avant Jesus-Christ, à Sokoki, dans la province de Soo. Sa mère le porta quatre-vingt-un ans dans son sein ; il passa pour avoir reçu l'âme de Sancti Kasso, un des plus célèbres disciples de Xekia, et pour être profondément versé dans la connaissance des dieux, des esprits, de l'immortalité des âmes, etc. Jusqu'alors la philosophie avait été morale. Voici maintenant de la métaphysique, et à la suite des sectes, des haines, et des troubles.

Confucius ne parait pas avoir cultivé beaucoup cette espèce de philosophie : il faisait trop de cas de celle des premiers souverains de la Chine. Il naquit 451 ans avant Jesus-Christ, dans le village de Ceu-ye, au royaume de Xantung. Sa famille était illustre : sa naissance fut miraculeuse, comme on pense bien. On entendit une musique céleste autour de son berceau. Les premiers services qu'on rend aux nouveaux nés, il les reçut de deux dragons. Il avait à six ans la hauteur d'un homme fait, et la gravité d'un vieillard. Il se livra à quinze ans à l'étude de la littérature et de la philosophie. Il était marié à vingt ans. Sa sagesse l'éleva aux premières dignités : mais inutile, odieux peut-être et déplacé dans une cour voluptueuse et débauchée, il la quitta pour aller dans le royaume de Sum instituer une école de philosophie morale. Cette école fut nombreuse ; il en sortit une foule d'hommes habiles et d'honnêtes citoyens. Sa philosophie était plus en action qu'en discours. Il fut chéri de ses disciples pendant sa vie ; ils le pleurèrent longtemps après sa mort. Sa mémoire et ses écrits sont dans une grande vénération. Les honneurs qu'on lui rend encore aujourd'hui, ont excité entre nos missionnaires les contestations les plus vives. Ils ont été regardés par les uns comme une idolatrie incompatible avec l'esprit du Christianisme : d'autres n'en ont pas jugé si sévèrement. Ils convenaient assez les uns et les autres, que si le culte qu'on rend à Confucius était religieux, ce culte ne pouvait être toléré par des Chrétiens : mais les missionnaires de la compagnie de Jesus ont toujours prétendu qu'il n'était que civil.

Voici en quoi le culte consistait. C'est la coutume des Chinois de sacrifier aux âmes de leurs parents morts : les philosophes rendent ce devoir particulièrement à Confucius. Il y a proche de l'école confucienne un autel consacré à sa mémoire, et sur cet autel l'image du philosophe, avec cet inscription : C'est ici le trône de l'âme de notre très-saint et très-excellent premier maître Confucius. Là s'assemblent les lettrés, tous les équinoxes, pour honorer par une offrande solennelle le philosophe de la nation. Le principal mandarin du lieu fait la fonction de prêtre ; d'autres lui servent d'acolytes : on choisit le jour du sacrifice avec des cérémonies particulières ; on se prépare à ce grand jour par des jeunes. Le jour venu, on examine l'hostie, on allume des cierges, on se met à genoux, on prie ; on a deux coupes, l'une pleine de sang, l'autre de vin ; on les répand sur l'image de Confucius ; on bénit les assistants, et chacun se retire.

Il est très-difficîle de décider si Confucius a été le Socrate ou l'Anaxagoras de la Chine : cette question tient à une connaissance profonde de la langue ; mais on doit s'apercevoir par l'analyse que nous avons faite plus haut de quelques-uns de ses ouvrages, qu'il s'appliqua davantage à l'étude de l'homme et des mœurs, qu'à celle de la nature et de ses causes.

Mencius parut dans le siècle suivant. Nous passons tout de suite à ce philosophe, parce que le Roosi des Japonais est le même que le Li-lao-kiun des Chinois, dont nous avons parlé plus haut. Mencius a la réputation de l'avoir emporté en subtilité et en éloquence sur Confucius, mais de lui avoir beaucoup cédé par l'innocence des mœurs, la droiture du cœur, et la modestie des discours. Toute littérature et toute philosophie furent presque étouffées par Xi-hoam-ti qui régna trois siècles ou environ après celui de Confucius. Ce prince jaloux de ses prédécesseurs, ennemi des savants, oppresseur de ses sujets, fit bruler tous les écrits qu'il put recueillir, à l'exception des livres d'agriculture, de médecine, et de magie. Quatre cent soixante savants qui s'étaient réfugiés dans des montagnes avec ce qu'ils avaient pu emporter de leurs bibliothèques, furent pris, et expirèrent au milieu des flammes. D'autres, à-peu-près en même nombre, qui craignirent le même sort, aimèrent mieux se précipiter dans les eaux du haut des rochers d'une île où ils s'étaient renfermés. L'étude des lettres fut proscrite sous les peines les plus sévères ; ce qui restait de livres fut négligé ; et lorsque les princes de la famille de Han s'occupèrent du renouvellement de la littérature, à peine put-on recouvrer quelques ouvrages de Confucius et de Mencius. On tira des crevasses d'un mur un exemplaire de Confucius à demi pourri ; et c'est sur cet exemplaire défectueux qu'il parait qu'on a fait les copies qui l'ont multiplié.

Le renouvellement des lettres peut servir de date au troisième période de l'ancienne philosophie chinoise.

La secte de Foe se répandit alors dans la Chine, et avec elle l'idolatrie, l'athéisme, et toutes sortes de superstitions ; en sorte qu'il est incertain si l'ignorance dans laquelle la barbarie de Xi-hoam-ti avait plongé ces peuples, n'était pas préférable aux fausses doctrines dont ils furent infectés. Voyez à l'article de la PHILOSOPHIE DES JAPONOIS, l'histoire de la philosophie de Xekia, de la secte de Roosi, et de l'idolatrie de Foe. Cette secte fut suivie de celle des Quiétistes ou Uu-guei-kiao ; nihil agentium. Trais siècles après la naissance de J. C. l'empire fut plein d'une espèce d'hommes qui s'imaginèrent être d'autant plus parfaits, c'est-à-dire, selon eux, plus voisins du principe aérien, qu'ils étaient plus aisifs. Ils s'interdisaient, autant qu'il était en eux, l'usage le plus naturel des sens. Ils se rendaient statues pour devenir air : cette dissolution était le terme de leur espérance, et la dernière récompense de leur inertie philosophique. Ces Quiétistes furent négligés pour les Fan-chin ; ces Epicuriens parurent dans le cinquième siècle. Le vice, la vertu, la providence, l'immortalité, etc. étaient pour ceux-ci des noms vides de sens. Cette philosophie est malheureusement trop commode pour cesser promptement : il est d'autant plus dangereux que tout un peuple soit imbu de ses principes.

On fait commencer la philosophie chinoise du moyen âge aux dixième et onzième siècles, sous les deux philosophes Cheu-cu et Chim-ci. Ce furent deux politheistes, selon les uns ; deux athées selon les autres ; deux déistes selon quelques-uns, qui prétendent que ces auteurs défigurés par les commentateurs, leur ont l'obligation entière de toutes les absurdités qui ont passé sous leurs noms. La secte des lettrés est venue immédiatement après celles de Cheu-cu et de Chim-ci. Elle a divisé l'empire sous le nom de Ju-kiao, avec les sectes Foe-kiao et Lao-kiao, qui ne sont vraisemblablement que trois combinaisons différentes de superstitions, d'idolatrie, et de polythéisme ou d'athéisme. C'est ce dont on jugera plus sainement par l'exposition de leurs principes que nous allons placer ici. Ces principes, selon les auteurs qui paraissent les mieux instruits, ont été ceux des philosophes du moyen âge, et sont encore aujourd'hui ceux des lettrés, avec quelques différences qu'y aura apparemment introduit le commerce avec nos savants.

Principes des philosophes chinois du moyen âge et des lettrés de celui-ci. 1. Le devoir du philosophe est de chercher quel est le premier principe de l'univers : comment les causes générales et particulières en sont émanées ; quelles sont les actions de ces causes, quels sont leurs effets ; qu'est-ce que l'homme relativement à son corps et à son âme ; comment il conçoit, comment il agit ; ce que c'est que le vice, ce que c'est que la vertu ; en quoi l'habitude en consiste ; quelle est la destinée de chaque homme ; quels sont les moyens de la connaître : et toute cette doctrine doit être exposée par symboles, énigmes, nombres, figures, et hiéroglyphes.

2. La science est ou antécédente, sien tien hio, et s'occupe de l'être et de la substance du premier principe, du lieu, du mode, de l'opération des causes premières considérées en puissance ; ou elle est subséquente, et elle traite de l'influence des principes immatériels dans les cas particuliers ; de l'application des forces actives pour augmenter, diminuer, altérer ; des ouvrages ; des choses de la vie civîle ; de l'administration de l'empire ; des conjonctures convenables ou non ; des temps propres ou non, etc.

Science antécédente. 1. La puissance qui domine sur les causes générales, s'appelle ti-chu-chu-zai-kuin-wang-huang : ces termes sont l'énumération de ses qualités.

2. Il ne se fait rien de rien. Il n'y a donc ni principe ni cause qui ait tiré tout du néant.

3. Tout n'étant pas de toute éternité, il y a donc eu de toute éternité un principe des choses antérieur aux choses : li est ce principe ; li est la raison première, et le fondement de la nature.

4. Cette cause est l'Etre infini, incorruptible, sans commencement ni fin ; sans quoi elle ne serait pas cause première et dernière.

5. Cette grande cause universelle n'a ni vie, ni intelligence, ni volonté ; elle est pure, tranquille, subtile, transparente, sans corporéité, sans figure, ne s'atteint que par la pensée comme les choses spirituelles ; et quoiqu'elle ne soit point spirituelle, elle n'a ni les qualités actives, ni les qualités passives des éléments.

6. Li, qu'on peut regarder comme la matière première, a produit l'air à cinq émanations, et cet air est devenu par cinq vicissitudes sensible et palpable.

7. Li devenu par lui-même un globe infini, s'appelle tai-hien, perfection souveraine.

8. L'air qu'il a produit a cinq émanations, et rendu palpable par cinq vicissitudes, est incorruptible comme lui ; mais il est plus matériel, et plus soumis à la condensation, au mouvement, au repos, à la chaleur, et au froid.

9. Li est la matière première. Tai-kie est la seconde.

10. Le froid et le chaud sont les causes de toute génération et de toute destruction. Le chaud nait du mouvement, le froid nait du repos.

11. L'air contenu dans la matière seconde ou le chaos, a produit la chaleur en s'agitant de lui-même. Une portion de cet air est restée en repos et froide. L'air est donc froid ou chaud. L'air chaud est pur, clair, transparent, et leger. L'air froid est impur, obscur, épais, et pesant.

12. Il y a donc quatre causes physiques, le mouvement et le repos, la chaleur et le froid. On les appelle tung-cing-in-iang.

13. Le froid et le chaud sont étroitement unis : c'est la femelle et le mâle. Ils ont engendré l'eau la première, et le feu après l'eau. L'eau appartient à l'in, le feu à l'iang.

14. Telle est l'origine des cinq éléments, qui constituent tai-kie, ou in-iang, ou l'air revêtu de qualités.

15. Ces éléments sont l'eau, élément septentrional ; le feu, élément austral ; le bois, élément oriental ; le métal, élément occidental ; et la terre, qui tient le milieu.

16. Ling-yang et les cinq éléments ont produit le ciel, la terre, le soleil, la lune, et les planètes. L'air pur et leger porté en-haut, a fait le ciel ; l'air épais et lourd précipité em-bas, a fait la terre.

17. Le ciel et la terre unissant leurs vertus, ont engendré mâle et femelle. Le ciel et la mer sont d'iang, la terre et la femme sont d'in. C'est pourquoi l'empereur de la Chine est appelé roi du ciel ; et l'empire sacrifie au ciel et à la terre ses premiers parents.

18. Le ciel, la terre, et l'homme sont une source féconde qui comprend tout.

19. Et voici comment le monde fut fait. Sa machine est composée de trois parties primitives, principes de toutes les autres.

20. Le ciel est la première ; elle comprend le soleil, la lune, les étoiles, les planètes, et la région de l'air où sont épars les cinq éléments dont les choses inférieures sont engendrées.

21. Cette région est divisée en huit kuas ou portions, où les éléments se modifient diversement, et conspirent avec les causes universelles efficientes.

22. La terre est la seconde cause primitive ; elle comprend les montagnes, les fleuves, les lacs, et les mers, qui ont aussi des causes universelles efficientes, qui ne sont pas sans énergie.

23. C'est aux parties de la terre qu'appartiennent le kang et l'ieu, le fort et le faible, le dur et le mou, l'âpre et le doux.

24. L'homme est la troisième cause primitive. Il a des actions et des générations qui lui sont propres.

25. Ce monde s'est fait par hasard, sans destin, sans intelligence, sans prédestination, par une conspiration fortuite des premières causes efficientes.

26. Le ciel est rond, son mouvement est circulaire, ses influences suivent la même direction.

27. La terre est carrée ; c'est pourquoi elle tient le milieu comme le point du repos. Les quatre autres éléments sont à ses côtés.

28. Outre le ciel il y a encore une matière première infinie ; elle s'appelle li ; le tai-kie en est l'émanation : elle ne se meut point ; elle est transparente, subtile, sans action, sans connaissance ; c'est une puissance pure.

29. L'air qui est entre le ciel et la terre est divisé en huit cantons : quatre sont méridionaux, où règne iang ou la chaleur : quatre sont septentrionaux, où dure l'in ou le froid. Chaque canton a son kua ou sa portion d'air ; c'est-là le sujet de l'énigme de Fohi. Fohi a donné les premiers linéaments de l'histoire du monde. Confucius les a développés dans le livre liekien.

Voilà le système des lettrés sur l'origine des choses. La métaphysique de la secte de Taoçu est la même. Selon cette secte, tao ou chaos a produit un ; c'est tai-kie ou la matière seconde ; tai-kie a produit deux, in et leang ; deux ont produit trois, tien, ty, gin, san, zay, le ciel, la terre, et l'homme ; trois ont produit ce qui existe.

Science subséquente. Vuem-Vuam, et Cheu-Kung son fils, en ont été les inventeurs : elle s'occupe des influences célestes sur les temps, les mois, les jours, les signes du zodiaque, et de la futurition des événements, selon laquelle les actions de la vie doivent être dirigées. Voici ses principes.

1. La chaleur est le principe de toute action et de toute conservation ; elle nait d'un mouvement produit par le soleil voisin, et par la lumière éclatante : le froid est cause de tout repos et de toute destruction ; c'est une suite de la grande distance du soleil, de l'éloignement de la lumière, et de la présence des ténèbres.

2. La chaleur règne sur le printemps et sur l'été ; l'automne et l'hiver sont soumis au froid.

3. Le zodiaque est divisé en huit parties ; quatre appartiennent à la chaleur, et quatre au froid.

4. L'influence des causes efficientes universelles se calcule en commençant au point cardinal ou kua, appelé chin ; il est oriental ; c'est le premier jour du printemps, ou le cinq ou six de Février.

5. Toutes choses ne sont qu'une seule et même substance.

6. Il y a deux matières principales ; le chaos infini ou li ; l'air ou tai-kie, émanation première de li : cette émanation contient en soi l'essence de la matière première, qui entre conséquemment dans toutes ses productions.

7. Après la formation du ciel et de la terre, entre l'un et l'autre se trouva l'émanation première ou l'air, matière la plus voisine de toutes les choses corruptibles.

8. Ainsi tout est sorti d'une seule et même essence, substance, nature, par la condensation, principe des figures corporelles, par les modifications variées selon les qualités du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, des planètes, des éléments, de la terre, de l'instant, du lieu, et par le concours de toutes ces qualités.

9. Ces qualités sont donc la forme et le principe des opérations intérieures et extérieures des corps composés.

10. La génération est un écoulement de l'air primitif ou du chaos modifié sous des figures, et doué de qualités plus ou moins pures ; qualités et figures combinées selon le concours du soleil, et des autres causes universelles et particulières.

11. La corruption est la destruction de la figure extérieure, et la séparation des qualités, des humeurs et des esprits unis dans l'air : les parties d'air desunies, les plus legeres, les plus chaudes, et les plus pures, montent ; les plus pesantes, les plus froides, et les plus grossières, descendent : les premières s'appellent xin et hoen, esprits purs, âmes séparées ; les secondes s'appellent kuei, esprits impurs, ou les cadavres.

12. Les choses diffèrent et par la forme extérieure, et par les qualités internes.

13. Il y a quatre qualités : le ching, droit, pur, et constant ; le pien, courbe, impur, et variable ; le tung, pénétrant, et subtil ; le se, épais, obscur, et impénétrable. Les deux premières sont bonnes et admises dans l'homme ; les deux autres sont mauvaises, et reléguées dans la brute et les inanimés.

14. Des bonnes qualités nait la distinction du parfait, et de l'imparfait, du pur et de l'impur dans les choses : celui qui a reçu les premiers de ces modes, est un héros ou un lettré ; la raison le commande ; il laisse loin de lui la multitude : celui qui a reçu les secondes, est obscur et cruel ; sa vie est mauvaise ; c'est une bête sous une figure humaine : celui qui participe des unes et des autres, tient le milieu ; c'est un bon homme, sage et prudent ; il est du nombre des hien-lin.

15. Taie-kie, ou la substance universelle, se divise en lieu et Ve ; Ve est la substance figurée, corporelle, matérielle, étendue, solide, et résistante ; lieu est la substance moins corporelle, mais sans figure déterminée, comme l'air ; on l'appelle vu, kung-hieu, vu-kung, néant, vide.

16. Le néant ou vide, ou la substance sans qualité et sans accident, tai vu, tai kung, est la plus pure, la plus subtile, et la plus simple.

17. Cependant elle ne peut subsister par elle-même, mais seulement par l'air primitif ; elle entre dans tout composé ; elle est très-aérienne ; on l'appelle ki : il ne faut pas la confondre avec la nature immatérielle et intellectuelle.

18. De li pur, ou du chaos ou seminaire universel des choses, sortent cinq vertus ; la piété, la justice, la religion, la prudence, et la fidélité avec tous ses attributs : de li revêtu de qualités, et combiné avec l'air primitif, naissent cinq éléments physiques et moraux, dont la source est commune.

19. Li est donc l'essence de tout, ou, selon l'expression de Confucius, la raison première ou la substance universelle.

20. Li produit tout par ki ou son air primitif ; cet air est son instrument et son régulateur général.

21. Après un certain nombre d'ans et de révolutions, le monde finira ; tout retournera à sa source première, à son principe ; il ne restera que li et ki ; et li reproduira un nouveau monde ; et ainsi de suite à l'infini.

22. Il y a des esprits ; c'est une vérité démontrée par l'ordre constant de la terre et des cieux, et la continuation réglée et non interrompue de leurs opérations.

23. Les choses ont donc un auteur, un principe invisible qui les conduit ; c'est chu, le maître ; xin-kuei, l'esprit qui Ve et revient ; ti-kium, le prince ou le souverain.

24. Autre preuve des esprits ; ce sont les bienfaits répandus sur les hommes, amenés par cette voie au culte et aux sacrifices.

25. Nos pères ont offert quatre sortes de sacrifices ; lui, au ciel et à xanghti son esprit ; in, aux esprits des six causes universelles, dans les quatre temps de l'année ; savoir, le froid, le chaud, le soleil, la lune, les étoiles, les pluies, et la sécheresse ; vuang, aux esprits des montagnes et des fleuves ; pien, aux esprits inférieurs, et aux hommes qui ont bien mérité de la république.

D'où il suit 1°. que les esprits des Chinois ne sont qu'une seule et même substance avec la chose à laquelle ils sont unis : 2°. qu'ils n'ont tous qu'un principe, le chaos primitif ; ce qu'il faut entendre du tien-Chu, notre Dieu, et du xanghti, le ciel ou l'esprit céleste : 3°. que les esprits finiront avec le monde, et retourneront à la source commune de toutes choses : 4°. que relativement à leur substance primitive, les esprits sont tous également parfaits, et qu'ils ne sont distingués que par les parties plus grandes ou plus petites de leur résidence : 5°. qu'ils sont tous sans vie, sans intelligence, sans liberté : 6°. qu'ils reçoivent des sacrifices seulement selon la condition de leurs opérations et des lieux qu'ils habitent : 7°. que ce sont des portions de la substance universelle, qui ne peuvent être séparées des êtres où on les suppose, sans la destruction de ces êtres.

26. Il y a des esprits de génération et de corruption qu'on peut appeler esprits physiques, parce qu'ils sont causes des effets physiques ; et il y a des esprits de sacrifices qui sont ou bien ou malfaisants à l'homme, et qu'on peut appeler politiques.

27. La vie de l'homme consiste dans l'union convenable des parties de l'homme, qu'on peut appeler l'entité du ciel et de la terre : l'entité du ciel est un air très-pur, très-leger, de nature ignée, qui constitue l'hoen, l'âme ou l'esprit des animaux : l'entité de la terre est un air épais, pesant, grossier, qui forme le corps et ses humeurs, et s'appelle pe, corps ou cadavre.

28. La mort n'est autre chose que la séparation de hoen et de pe ; chacune de ces entités retourne à sa source ; hoen au ciel, pe à la terre.

29. Il ne reste après la mort que l'entité du ciel et l'entité de la terre : l'homme n'a point d'autre immortalité ; il n'y a proprement d'immortel que li.

On convient assez de l'exactitude de cette exposition ; mais chacun y voit ou l'athéisme, ou le déisme, ou le polithéisme, ou l'idolatrie, selon le sens qu'il attache aux mots. Ceux qui veulent que le li des Chinois ne soit autre chose que notre Dieu, sont bien embarrassés quand on leur objecte que ce li est rond : mais de quoi ne se tire-t-on pas avec des distinctions ? Pour disculper les lettrés de la Chine du reproche d'athéisme et d'idolatrie, l'obscurité de la langue prêtait assez ; il n'était pas nécessaire de perdre à cela tout l'esprit que Leibnitz y a mis.

Si ce système est aussi ancien qu'on le prétend, on ne peut être trop étonné de la multitude surprenante d'expressions abstraites et générales dans lesquelles il est conçu. Il faut convenir que ces expressions qui ont rendu l'ouvrage de Spinosa si longtemps inintelligible parmi nous, n'auraient guère arrêté les Chinois il y a six ou sept cent ans : la langue effrayante de notre athée moderne est précisément celle qu'ils parlaient dans leurs écoles.

Voilà les progrès qu'ils avaient faits dans le monde intellectuel, lorsque nous leur portâmes nos connaissances. Cet événement est l'époque de la philosophie moderne des Chinois. L'estime singulière dont ils honorèrent les premiers européens qui débarquèrent dans leurs contrées, ne nous donne pas une haute idée des connaissances qu'ils avaient en Mécanique, en Astronomie, et dans les autres parties des Mathématiques. Ces européens n'étaient, même dans leurs corps, que des hommes ordinaires : s'ils avaient quelques qualités qui les rendissent particulièrement recommandables, c'était le zèle avec lequel ils couraient annoncer la vérité dans des régions inconnues, au hasard de les arroser de leur propre sang, comme cela est si souvent arrivé depuis à leurs successeurs. Cependant ils furent accueillis ; la superstition si communément ombrageuse s'assoupit devant eux ; ils se firent écouter ; ils ouvrirent des écoles, on y accourut, on admira leur savoir. L'empereur Cham-hy, sur la fin du dernier siècle, les admira à sa cour, s'instruisit de nos sciences, apprit d'eux notre Philosophie, étudia les Mathématiques, l'Anatomie, l'Astronomie, les Mécaniques, etc. Son fils Yong-Tching ne lui ressembla pas ; il relégua à Canton et à Macao les virtuoses européens, excepté ceux qui résidaient à Pékin, qui y restèrent. Kien-Long fils de Yong-Tching fut un peu plus indulgent pour eux : il défendit cependant la religion chrétienne, et persécuta même ceux de ses soldats qui l'avaient embrassée ; mais il souffrit les jésuites, qui continuèrent d'enseigner à Pékin.

Il nous reste maintenant à faire connaître la philosophie pratique des Chinois : pour cet effet nous allons donner quelques-unes des sentences morales de ce Confucius, dont un homme qui aspire à la réputation de lettré et de philosophe, doit savoir au-moins quelques ouvrages entiers par cœur.

1. L'éthique politique a deux objets principaux ; la culture de la nature intelligente, l'institution du peuple.

2. L'un de ces objets demande que l'entendement soit orné de la science des choses, afin qu'il discerne le bien et le mal, le vrai et le faux ; que les passions soient modérées ; que l'amour de la vérité et de la vertu se fortifie dans le cœur ; et que la conduite envers les autres soit décente et honnête.

3. L'autre objet, que le citoyen sache se conduire lui-même, gouverner sa famille, remplir sa charge, commander une partie de la nation, posséder l'empire.

4. Le philosophe est celui qui a une connaissance profonde des choses et des livres, qui pese tout, qui se soumet à la raison, et qui marche d'un pas assuré dans les voies de la vérité et de la justice.

5. Quand on aura consommé la force intellectuelle à approfondir les choses, l'intention et la volonté s'épureront, les mauvaises affections s'éloigneront de l'âme, le corps se conservera sain, le domestique sera bien ordonné, la charge bien remplie, le gouvernement particulier bien administré, l'empire bien régi ; il jouira de la paix.

6. Qu'est-ce que l'homme tient du ciel ? la nature intelligente : la conformité à cette nature constitue la règle ; l'attention à vérifier la règle et à s'y assujettir, est l'exercice du sage.

7. Il est une certaine raison ou droiture céleste donnée à tous : il y a un supplément humain à ce don quand on l'a perdu. La raison céleste est du saint ; le supplément est du sage.

8. Il n'y a qu'un seul principe de conduite ; c'est de porter en tout de la sincérité, et de se conformer de toute son âme et de toutes ses forces à la mesure universelle : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse.

9. On connait l'homme en examinant ses actions, leur fin, les passions dans lesquelles il se complait, les choses en quoi il se repose.

10. Il faut divulguer sur le champ les choses bonnes à tous : s'en réserver un usage exclusif, une application individuelle, c'est mépriser la vertu, c'est la forcer à un divorce.

11. Que le disciple apprenne les raisons des choses, qu'il les examine, qu'il raisonne, qu'il médite, qu'il pese, qu'il consulte le sage, qu'il s'éclaire, qu'il bannisse la confusion de ses pensées, et l'instabilité de sa conduite.

12. La vertu n'est pas seulement constante dans les choses extérieures.

13. Elle n'a aucun besoin de ce dont elle ne pourrait faire part à toute la terre, et elle ne pense rien qu'elle ne puisse s'avouer à elle-même à la face du ciel.

14. Il ne faut s'appliquer à la vertu que pour être vertueux.

15. L'homme parfait ne se perd jamais de vue.

16. Il y a trois degrés de sagesse ; savoir ce que c'est que la vertu, l'aimer, la posséder.

17. La droiture du cœur est le fondement de la vertu.

18. L'univers a cinq règles ; il faut de la justice entre le prince et le sujet, de la tendresse entre le père et le fils, de la fidélité entre la femme et le mari, de la subordination entre les frères, de la concorde entre les amis. Il y a trois vertus cardinales ; la prudence qui discerne, l'amour universel qui embrasse, le courage qui soutient : la droiture du cœur les suppose.

19. Les mouvements de l'âme sont ignorés des autres : si tu es sage, veille donc à ce qu'il n'y a que toi qui voyes.

20. La vertu est entre les extrêmes ; celui qui a passé le milieu, n'a pas mieux fait que celui qui ne l'a pas atteint.

21. Il n'y a qu'une chose précieuse ; c'est la vertu.

22. Une nation peut plus par la vertu que par l'eau et par le feu ; je n'ai jamais Ve périr le peuple qui l'a prise pour appui.

23. Il faut plus d'exemples au peuple que de précepte ; il ne faut se charger de lui transmettre que ce dont on sera rempli.

24. Le sage est son censeur le plus sévère ; il est son témoin, son accusateur, et son juge.

25. C'est avoir atteint l'innocence et la perfection, que de s'être surmonté, et que d'avoir recouvré cet ancien et primitif état de droiture céleste.

26. La paresse engourdie, l'ardeur inconsidérée, sont deux obstacles égaux au bien.

27. L'homme parfait ne prend point une voie détournée ; il suit le chemin ordinaire, et s'y tient ferme.

28. L'honnête homme est un homme universel.

29. La charité est cette affection constante et raisonnée qui nous immole au genre humain, comme s'il ne faisait avec nous qu'un individu, et qui nous associe à ses malheurs et à ses prospérités.

30. Il n'y a que l'honnête homme qui ait le droit de haïr et d'aimer.

31. Compense l'injure par l'aversion, et le bienfait par la reconnaissance, car c'est la justice.

32. Tomber et ne se point relever, voilà proprement ce que c'est que faillir.

33. C'est une espèce de trouble d'esprit que de souhaiter aux autres, ou ce qui n'est pas en notre puissance, ou des choses contradictoires.

34. L'homme parfait agit selon son état, et ne veut rien qui lui soit étranger.

35. Celui qui étudie la sagesse a neuf qualités en vue ; la perspicacité de l'oeil, la finesse de l'oreille, la sérénité du front, la gravité du corps, la véracité du propos, l'exactitude dans l'action, le conseil dans les cas douteux, l'examen des suites dans la vengeance et dans la colere.

La morale de Confucius est, comme l'on voit, bien supérieure à la métaphysique et à la physique. On peut consulter Bulfinger sur les maximes qu'il a laissées du gouvernement de la famille, des fonctions de la magistrature, et de l'administration de l'empire.

Comme les mandarins et les lettrés ne font pas le gros de la nation, et que l'étude des lettres ne doit pas être une occupation bien commune, la difficulté en étant là beaucoup plus grande qu'ailleurs, il semble qu'il resterait encore bien des choses importantes à dire sur les Chinois, et cela est vrai ; mais nous ne nous sommes pas proposé de faire l'abrégé de leur histoire, mais celui seulement de leur philosophie. Nous observerons cependant, 1°. que quoiqu'on ne puisse accorder aux Chinois toute l'antiquité dont ils se vantent, et qui ne leur est guère disputée par leurs panégyristes, on ne peut nier toutefois que la date de leur empire ne soit très-voisine du déluge. 2°. Que plus on leur accordera d'ancienneté, plus on aura de reproches à leur faire sur l'imperfection de leur langue et de leur écriture : il est inconcevable que des peuples à qui l'on donne tant d'esprit et de sagacité, aient multiplié à l'infini les accens au lieu de multiplier les mots, et multiplié à l'infini les caractères, au lieu d'en combiner un petit nombre. 3°. Que l'éloquence et la poésie tenant de fort près à la perfection de la langue, ils ne sont selon toute apparence ni grands orateurs ni grands poètes. 4°. Que leurs drames sont bien imparfaits, s'il est vrai qu'on y prenne un homme au berceau, qu'on y représente la suite de toute sa vie, et que l'action théâtrale dure plusieurs mois de suite. 5°. Que dans ces contrées le peuple est très-enclin à l'idolatrie, et que son idolatrie est fort grossière, si l'histoire suivante qu'on lit dans le P. le Comte est bien vraie. Ce missionnaire de la Chine raconte que les médecins ayant abandonné la fille d'un nankinais, cet homme qui aimait éperduement son enfant, ne sachant plus à qui s'adresser, s'avisa de demander sa guérison à une de ses idoles. Il n'épargna ni les sacrifices, ni les mets, ni les parfums, ni l'argent. Il prodigua à l'idole tout ce qu'il crut lui être agréable ; cependant sa fille mourut. Son zèle alors et sa piété dégénérèrent en fureur ; il résolut de se vanger d'une idole qui l'avait abusé. Il porta sa plainte devant le juge, et poursuivit cette affaire comme un procès en régle qu'il gagna, malgré toute la sollicitation des bonzes, qui craignaient avec juste raison que la punition d'une idole qui n'exauçait pas, n'eut des suites fâcheuses pour les autres idoles et pour eux. Ces idolâtres ne sont pas toujours aussi modérés, lorsqu'ils sont mécontens de leurs idoles ; ils les haranguent à-peu-près dans ces termes : Crais-tu que nous ayons tort dans notre indignation ? Sais juge entre nous et toi ; depuis longtemps nous te soignons ; tu es logée dans un temple, tu es dorée de la tête aux pieds ; nous t'avons toujours servi les choses les plus délicieuses ; si tu n'as pas mangé, c'est ta faute. Tu ne saurais dire que tu ayes manqué d'encens ; nous avons tout fait de notre part, et tu n'as rien fait de la tienne ; plus nous te donnons, plus nous devenons pauvres ; conviens que si nous te devons, tu nous dois aussi. Or dis-nous de quels biens tu nous as comblés. La fin de cette harangue est ordinairement d'abattre l'idole et de la trainer dans les boues. Les bonzes débauchés, hypocrites et avares, encouragent le plus qu'ils peuvent à la superstition. Ils en sont surtout pour les pélerinages, et les femmes aussi qui donne beaucoup dans cette dévotion, qui n'est pas fort du goût des maris, jaloux au point que nos missionnaires ont été obligés de bâtir aux nouveaux convertis des églises séparées pour les deux sexes. Voyez le P. le Comte. 5°. Qu'il parait que parmi les religions étrangères tolérées, la religion chrétienne tient le haut rang : que les Mahométans n'y sont pas nombreux, quoiqu'ils y aient des mosquées superbes : que les jésuites ont beaucoup mieux réussi dans ce pays que ceux qui y ont exercé en même temps ou depuis les fonctions apostoliques : que les femmes chinoises semblent fort pieuses, s'il est vrai, comme dit le P. le Comte, qu'elles voudraient se confesser tous les jours, soit goût pour le sacrement, soit tendresse de piété, soit quelqu'autre raison qui leur est particulière : qu'à en juger par les objections de l'empereur aux premiers missionnaires, les Chinois ne l'ont pas embrassée en aveugles. Si la connaissance de Jesus-Christ est nécessaire au salut, disait cet empereur aux missionnaires, et que d'ailleurs Dieu nous ait voulu sincèrement sauver, comment nous a-t-il laissés si longtemps dans l'erreur ? Il y a plus de seize siècles que votre religion est établie dans le monde, et nous n'en avons rien su. La Chine est-elle si peu de chose qu'elle ne mérite pas qu'on pense à elle, tandis que tant de barbares sont éclairés ? C'est une difficulté qu'on propose tous les jours sur les bancs en Sorbonne. Les missionnaires, ajoute le P. le Comte, qui rapporte cette difficulté, y répondirent, et le prince fut content ; ce qui devait être : des missionnaires seraient ou bien ignorants ou bien mal-adroits s'ils s'embarquaient pour la conversion d'un peuple un peu policé, sans avoir la réponse à cette objection commune. V. les art. FOI, GRACE, PREDESTINATION. 7°. Que les Chinois ont d'assez bonnes manufactures en étoffes et en porcelaines ; mais que s'ils excellent par la matière, ils pechent absolument par le goût et la forme ; qu'ils en seront encore longtemps aux magots ; qu'ils ont de belles couleurs et de mauvaises peintures ; en un mot, qu'ils n'ont pas le génie d'invention et de découvertes qui brille aujourd'hui dans l'Europe : que s'ils avaient eu des hommes supérieurs, leurs lumières auraient forcé les obstacles par la seule impossibilité de rester captives ; qu'en général l'esprit d'orient est plus tranquille, plus paresseux, plus renfermé dans les besoins essentiels, plus borné à ce qu'il trouve établi, moins avide de nouveautés que l'esprit d'occident. Ce qui doit rendre particulièrement à la Chine les usages plus constants, le gouvernement plus uniforme, les lois plus durables ; mais que les sciences et les arts demandent une activité plus inquiete, une curiosité qui ne se lasse point de chercher, une sorte d'incapacité de se satisfaire, nous y sommes plus propres, et qu'il n'est pas étonnant que quoique les Chinois soient les plus anciens, nous les ayons devancés de si loin. V. les mém. de l'acad. ann. 1727. L'hist. de la Philos. et des Philosoph. de Bruck. Bulfing. Leibnitz. Le P. le Comte. Les mém. des miss. étrang. etc. Et les mém. de l'acad. des Inscript.




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