S. f. (Métallurgie) notion universelle qui se forme par l'abstraction des qualités qui sont les mêmes dans les individus. En examinant les individus, et les comparant entr'eux, je vois certains endroits par où ils se ressemblent ; je les sépare de ceux en quoi ils diffèrent ; et ces qualités communes, ainsi séparées, forment la notion d'une espèce, qui comprend le nombre d'individus dans lesquels ces qualités se trouvent. La division des êtres en genre et en espèce, n'est pas l'ouvrage de la Philosophie ; c'est celui de la nécessité. Les hommes sentant qu'il leur serait impossible de tout reconnaître et distinguer, s'il fallait que chaque individu eut sa dénomination particulière et indépendante, se hâtèrent de former ces classes indispensables pour l'usage, et essentielles au raisonnement ; mais si la Philosophie n'a pas inventé ces notions, c'est elle qui les épure, et qui de vagues qu'elles sont fréquemment dans la bouche du vulgaire, les rend fixes et déterminées, en suivant la méthode des Géomètres, autant qu'elle est applicable à des êtres réels et physiques, dont l'essence n'est pas accessible comme celle des abstractions et des notions universelles.

La définition de l'espèce exprime ordinairement celle du genre qui lui est supérieur, et les nouvelles déterminations qui par cette raison sont appelées spécifiques. En faisant attention à la production, ou génération des figures, les Géomètres découvrent et démontrent la possibilité de nouvelles espèces. Ce sont les qualités essentielles et les attributs qui servent à déterminer les espèces ; mais à leur défaut, les possibilités des modes entrent aussi dans ces déterminations. Euclide définit d'abord la figure comme le genre suprême ; ensuite, après avoir donné l'idée du cercle, il passe aux figures rectilignes, qu'il considère comme un genre inférieur. De-là, continuant à descendre, il divise les figures rectilignes en trilatères, quadrilatères, et multilatères. Les figures trilatères se divisent de nouveau en équilatérales, isosceles, scalenes, etc. les quadrilatères en carré, rhombe, trapeze, etc. Il s'en faut bien que cette précision puisse régner dans le développement des sujets réels et physiques. On n'en connait que l'écorce, et il faut en détacher, le mieux qu'il est possible, ce qui parait le plus propre à les caractériser. Or, faute de connaître l'essence de ces sujets, on ne suit pas la même route dans leurs définitions ; et de-là dans toutes les Sciences, ces disputes et ces embarras inconnus aux Géomètres, entre lesquels les controverses ne sauraient exister, ou du moins ne sauraient durer. Jettez au contraire les yeux surtoute autre science ; par exemple, sur la Botanique, les définitions y sont des descriptions d'êtres composés, dont on dénombre les parties, et dont on indique l'arrangement et la figure. Chaque botaniste choisissant ce qui le frappe le plus, vous ne reconnoitrez pas la même plante décrite par deux d'entr'eux, au lieu que la notion du triangle ou du carré est invariable entre les mains de quelque géomètre que ce sait. Néanmoins, comme nous n'avons, ni ne pouvons rien espérer de meilleur que ces descriptions des sujets physiques, on doit travailler à les rendre de plus en plus complete s et distinctes, par les observations et par les expériences ; sur quoi voyez BOTANIQUE, METHODE, etc.

Les sujets qui ont les mêmes attributs propres, et les mêmes possibilités de mode, se rapportent à la même espèce. Dans les êtres composés, les qualités des parties, et la manière dont ces parties sont liées, servent à déterminer les espèces. Voyez plus bas ESPECE, (Histoire naturelle) Article de M. FORMEY.

ESPECE, en Arithmétique ; il y a dans cette science des grandeurs de même espèce, et des grandeurs de différente espèce.

Les grandeurs de même espèce sont définies par quelques-uns, celles qui ont une même dénomination : ainsi 2 pieds et 8 pieds sont des grandeurs de même espèce.

Les grandeurs de différente espèce, selon les mêmes auteurs, ont des dénominations différentes ; par exemple, 3 pieds et 3 pouces sont des grandeurs de différente espèce. (E)

On définira plus exactement les grandeurs de différente espèce, en disant que ce sont celles qui sont de nature différente ; par exemple, l'étendue et le temps, 12 heures et 12 taises sont des grandeurs de différente espèce ; au contraire, 12 heures et 12 minutes d'heure sont de la même espèce.

On ne saurait multiplier l'une par l'autre des quantités de même espèce, dans quelque sens qu'on prenne cette expression ; on ne peut multiplier des pieds par des pieds, ni des taises par des heures. Voyez -en la raison au mot MULTIPLICATION. On peut diviser l'une par l'autre des quantités de différente espèce, prises dans le premier sens ; par exemple, 12 heures par 3 minutes (voyez DIVISION) ; mais on ne peut diviser l'une par l'autre des quantités de différente espèce, prises dans le second sens ; par exemple, des taises par des heures. Voyez ABSTRAIT, CONCRET, etc.

On dit qu'un triangle est donné d'espèce, quand chacun de ses angles est donné : dans ce cas, le rapport des côtés est donné aussi ; car tous les triangles équiangles sont semblables (voyez TRIANGLE et SEMBLABLE). Pour qu'une autre figure rectiligne quelconque soit donnée d'espèce, il faut non-seulement que chaque angle soit donné, mais aussi le rapport des côtés.

On dit qu'une courbe est donnée d'espèce, 1°. dans un sens plus étendu, lorsque la nature de la courbe est connue, lorsqu'on sait, par exemple, si c'est un cercle, une parabole, etc. 2°. dans un sens plus déterminé, lorsque la nature de la courbe est connue, et que cette courbe ayant plusieurs paramètres, on connait le rapport de ces paramètres. Ainsi une ellipse est donnée d'espèce, lorsqu'on connait le rapport de ses axes ; il en est de même d'une hyperbole. Pour bien entendre ceci, il faut se rappeler que la construction d'une courbe suppose toujours la connaissance de quelques lignes droites constantes qui entre dans l'équation de cette courbe, et qu'on nomme paramètres de la courbe (voyez PARAMETRE). Les courbes qui n'ont qu'un paramètre, comme les cercles, les paraboles, sont toutes semblables ; et si le paramètre est donné, la courbe est donnée d'espèce et de grandeur : les courbes qui ont plusieurs paramètres, sont semblables quand leurs paramètres ont entr'eux un même rapport. Ainsi deux ellipses, dont les axes sont entr'eux comme m est à n, sont semblables, et l'ellipse est donné d'espèce quand on connait le rapport de ses axes. Voyez SEMBLABLE et PARAMETRE. (O)

ESPECES IMPRESSES, ou ESPECES VISIBLES, sont, dans l'ancienne Philosophie, les images des corps que la lumière produit, et peint dans leur vraie proportion et couleur au fond de l'oeil.

Les anciens donnaient ce nom à certaines images qu'ils supposaient s'élancer des corps, et venir frapper nos yeux. Ils n'avaient aucune idée de la façon dont les rayons de lumière viennent se réunir dans le fond de l'oeil, et y peindre l'image des objets. Voyez VISION.

Les sectateurs d'Aristote s'imaginaient que ces images étaient immatérielles, et que cependant elles agissaient sur nos organes. Selon le système des philosophes modernes, ce n'est point l'image qui agit sur nos yeux ; car elle n'est qu'une peinture ou une espèce d'ombre ; mais ce sont les rayons qui la forment par leur réunion, qui ébranlent les fibres de la nature, et cet ébranlement, communiqué au cerveau, est suivi de la sensation de la vue.

Comme l'Encyclopédie est en partie l'histoire des opinions des hommes, voici une exposition et une réfutation abrégée du système des anciens sur les espèces. Celles que les objets impriment dans les sens extérieurs, sont par-là même appelées espèces impresses ; elles sont alors matérielles et sensibles, mais l'intellect agent les rend intelligibles et propres à être reçues par l'intellect patient : ces espèces ainsi spiritualisées sont appelées espèces expresses, parce qu'elles sont exprimées des impresses ; et c'est par elles que l'intellect patient connait toutes les choses matérielles. Lucrèce emploie tout le IV. livre de son poème à développer cette hypothèse des simulacres ou images, qui comme autant d'écorces et de membranes découlent perpétuellement de la surface des corps, et nous portent leurs espèces et leurs figures.

Nunc agère incipiam tibi, quod vehementer ad has res

Attinet, esse ea quae rerum simulacra vocamus,

Quae quasi membranae summo de corpore rerum

Dereptae volitant ultro citroque per auras.

V. 33-37. et plus bas, Ve 46-50.

Dico igitur rerum effigies, tenueisque figuras

Mittier ab rebus summo de corpore earum,

Quae quasi membrana vel cortex nominitanda est,

Quod speciem, aut formam similem gerit ejus imago, &c.

Diverses raisons détruisent entièrement cette hypothèse.

1°. L'impénétrabilité des corps. Tous les objets, comme le soleil, les étoiles, et tous ceux qui sont proches de nos yeux, ne peuvent pas envoyer des espèces qui soient d'autre nature qu'eux ; c'est pourquoi les Philosophes disent ordinairement que ces espèces sont grossières et matérielles, pour les distinguer des espèces expresses qui sont spiritualisées : ces espèces impresses des objets sont donc de petits corps ; elles ne peuvent donc pas se pénétrer, ni tous les espaces qui sont depuis la terre jusqu'au ciel, lesquels en doivent être tous remplis : d'où il est facîle de conclure qu'elles devraient se froisser et se briser les unes allant d'un côté, et les autres de l'autre, et qu'ainsi elles ne peuvent rendre les objets visibles. De plus, on peut voir d'un même endroit et d'un même point un très-grand nombre d'objets qui sont dans le ciel et sur la terre : donc il faudrait que les espèces de tous ces corps pussent se réduire en un point. Or elles sont impénétrables, puisqu'elles sont matérielles : donc, etc. Mais non-seulement on peut voir d'un même point un nombre immense de très-grands et de très-vastes objets ; il n'y a même aucun point dans tous ces grands espaces du monde d'où l'on ne puisse découvrir un nombre presque infini d'objets, et même d'objets aussi grands que le soleil, la lune, et les cieux : il n'y a donc aucun point dans l'Univers où les espèces de toutes ces choses ne dussent se rencontrer ; ce qui est contre toute apparence de vérité.

2°. Le changement qui arrive dans les espèces. Il est constant que plus un objet est proche, plus l'espèce en doit être grand, puisque souvent nous voyons l'objet plus grand. On ne voit pas ce qui peut faire que cette espèce diminue, et ce que peuvent devenir les parties qui la composaient lorsqu'elle était plus grande. Mais ce qui est encore plus difficîle à concevoir selon ce sentiment, c'est que si on regarde un objet avec des lunettes d'approche ou un microscope, l'espèce devient tout-d'un-coup cinq ou six cent fois plus grande qu'elle n'était auparavant ; car on voit encore moins de quelles parties elle peut s'accroitre si fort en un instant.

3°. La différence qu'il y a entre certaines images et les objets qui les renvoyent. Quand on regarde un cube parfait, toutes les espèces de ses côtés sont inégales, et néanmoins on ne laisse pas de voir tous ses côtés également carrés. Et de même, lorsque l'on considère dans un tableau, sous un certain point de vue, des ovales et des parallélogrammes qui ne peuvent envoyer que des espèces de semblable figure, on n'y voit cependant que des cercles et des carrés : de-là il s'ensuit évidemment qu'il n'est pas nécessaire que l'objet qu'on regarde produise, afin qu'on le voye, des espèces qui lui soient semblables.

4°. La diminution que les corps en devraient souffrir. On ne peut pas concevoir comment il se peut faire qu'un corps qui ne diminue pas sensiblement, envoye toujours hors de soi des espèces de tous côtés, qu'il en remplisse continuellement de fort grands espaces tout-à-l'entour, et cela avec une vitesse inconcevable : car un objet étant caché, dans l'instant même qu'il se découvre on le voit de plusieurs lieues et de tous les côtés ? On répondra peut-être que les odeurs sont des émanations qui n'affoiblissent point sensiblement le corps odoriférant ; mais quelle différence de ces émanations à celle de la lumière, pour l'étendue qu'elles occupent ? Voyez ODEUR. Et ce qui parait encore fort étrange, c'est que les corps qui ont beaucoup d'action, comme l'air et quelques autres, n'ont point la force de pousser au-dehors de ces images qui leur ressemblent ; ce que font les corps les plus grossiers, et qui ont le moins d'action, comme la terre, les pierres, et presque tous les corps durs.

A ces difficultés prises de ce qui se passe au-dehors on en pourrait joindre d'autres sur ce qui arrive intérieurement dans la transmutation des espèces impresses et matérielles, en espèces expresses et spiritualisées. Ces distinctions d'intellect agent et d'intellect patient, et cette multiplication des facultés attribués au sens intérieur et à l'entendement, sont autant de suppositions gratuites sur lesquelles on ne peut bâtir que des systèmes en l'air. Mais il reste si peu de partisans de ces anciennes chimères, qu'il serait superflu de s'y étendre davantage. Voyez Malebranche, rech. de la vérité, liv. III. part. II. chap. IIe Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.

ESPECE, (Histoire naturelle) " Tous les individus semblables qui existent sur la surface de la terre, sont regardés comme composant l'espèce de ces individus ; cependant ce n'est ni le nombre ni la collection des individus semblables qui fait l'espèce, c'est la succession constante et le renouvellement non-interrompu de ces individus qui la constituent : car un être qui durerait toujours ne ferait pas une espèce, non plus qu'un million d'êtres semblables qui dureraient aussi toujours. L'espèce est donc un mot abstrait et général, dont la chose n'existe qu'en considérant la nature dans la succession des temps, et dans la destruction constante et le renouvellement tout aussi constant des êtres : c'est en comparant la nature d'aujourd'hui à celle des autres temps, et les individus actuels aux individus passés, que nous avons pris une idée nette de ce que l'on appelle espèce, et la comparaison du nombre ou de la ressemblance des individus n'est qu'une idée accessoire, et souvent indépendante de la première ; car l'âne ressemble au cheval plus que le barbet au levrier, cependant le barbet et le levrier ne font qu'une même espèce, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d'autres ; au lieu que le cheval et l'âne sont certainement de différentes espèces, puisqu'ils ne produisent ensemble que des individus viciés et inféconds.

C'est donc dans la diversité caractéristique des espèces, que les intervalles des nuances de la nature sont les plus sensibles et les mieux marqués ; on pourrait même dire que ces intervalles entre les espèces sont les plus égaux et les moins variables de tous, puisqu'on peut toujours tirer une ligne de séparation entre deux espèces, c'est-à-dire entre deux successions d'individus qui se produisent et ne peuvent se mêler, comme l'on peut aussi réunir en une seule espèce deux successions d'individus qui se reproduisent en se mêlant. Ce point est le plus fixe que nous ayons en Histoire naturelle : toutes les autres ressemblances et toutes les autres différences que l'on pourrait saisir dans la comparaison des êtres, ne seraient ni si constantes, ni si réelles, ni si certaines....

L'espèce n'étant donc autre chose qu'une succession constante d'individus semblables et qui se reproduisent, il est clair que cette dénomination ne doit s'étendre qu'aux animaux et aux végétaux, et que c'est par un abus des termes ou des idées, que les nomenclateurs l'ont employée pour désigner les différentes sortes de minéraux : on ne doit donc pas regarder le fer comme une espèce, et le plomb comme une autre espèce, mais seulement comme deux métaux différents.... " M. de Buffon, hist. nat. gen. et part. etc. tom. IV. p. 784 et suiv.

ESPECES, (Pharmacie) en latin species. On entend, en Pharmacie, par espèces, différentes drogues simples mêlées ensemble, et destinées à entrer dans les décoctions, dans les infusions, et même dans les électuaires. C'est ainsi qu'on dit espèce de decoctum sudoriferum, espèces de la confection hyacinthe, espèces des tablettes diacarthami, &c.

On donne aussi ce nom à plusieurs poudres composées, officinales ; ainsi au lieu de dire la poudre de diarrhodon, on dit les espèces diarrhodon, &c.

Les vulnéraires suisses s'appellent encore espèces vulnéraires, &c.

On donne aussi le nom de thé aux espèces qui sont destinées à être infusées ; ainsi on dit thé vulnéraire, thé céphalique, thé pectoral, aussi bien qu'espèces vulnéraires, espèces céphaliques, espèces pectorales. (b)

ESPECES, (Chimie) Quelques auteurs de Chimie ont désigné par ce nom les produits généraux de l'ancienne analyse, ou les fameux principes des Chimistes, l'huile, le sel, etc. Voyez PRINCIPE. (b)

ESPECE, (Jurisprudence) signifie quelquefois le fait et les circonstances qui ont précédé ou accompagné quelque chose : ainsi on dit l'espèce d'une question, ou d'un jugement.

Espèce signifie aussi quelquefois la chose même qui doit être rendue, et non pas une autre semblable. Il y a des choses fungibles qui peuvent être remplacées par d'autres, comme de l'argent, du grain, du vin, etc. mais les choses qui ne sont pas fungibles, comme un cheval, un bœuf, doivent être rendues en espèce ; c'est-à-dire que l'on doit rendre précisément le même cheval ou bœuf qui a été prêté.

Espèces, en style de Palais, signifie aussi quelquefois de l'argent comptant : on dit payable en espèces ; on ajoute quelquefois sonnantes, pour dire que le payement ne se fera point en billets. (A)

ESPECES, (Commerce) ce sont les différentes pièces de monnaie qui servent dans le Commerce, ou dans différentes actions de la vie civile, à payer le prix de la valeur des choses.

Il n'y a dans un état d'espèces courantes, que celles autorisées par le prince : et le droit d'en faire fabriquer n'appartient qu'au souverain, et est un droit domanial de la couronne. Si anciennement divers seigneurs, barons, et évêques, avaient droit de faire battre monnaie, c'est que sans doute ce droit leur avait été cédé avec la jouissance du fief, ou qu'ils le possédaient à titre de souveraineté ; ce qui sous les deux premières races fut souffert dans le temps faible de l'autorité royale, temps où s'établit le genre d'autorité nommé suseraineté, espèce de seigneurie que le bon droit eut tant de peine à détruire, après que le mauvais droit l'eut usurpé si facilement.

En 1262, l'ordonnance sur le fait des monnaies, dit que dans les terres où les barons n'avaient point de monnaie, il n'y aura que celle du roi qui y aura cours ; et que dans les terres où les barons auraient une monnaie, celle du roi aura cours pour le même prix qu'elle aurait dans ses domaines.

Philippe-le-Bel commença à reduire les hauts seigneurs à vendre leur droit de battre monnaie, et l'édit de 1313 gêna si fort la fabrication, qu'ils y renoncèrent.

Philippe-le-Long songeait quand il mourut (dit le président Hénault) à faire en sorte que dans la France on se servit de la même monnaie, et à rendre les poids et les mesures uniformes. Louis XI. eut depuis la même pensée. Voyez POIDS et MESURE.

Il n'appartient qu'à l'histoire de fixer le temps où l'on a commencé à fabriquer les différentes espèces, de parler des matières et des marques en usage dans les temps reculés.

Le but de l'Encyclopédie n'est que de faire remarquer aux hommes les choses qui se passent sous leurs yeux ; si l'on rappelle celles qui se sont passées, ce n'est que par le rapport qu'elles ont aux présentes, ou afin d'en faire une comparaison qui opère un avantage pour la reforme de ce qui se pratique. Il est bon de satisfaire la curiosité des lecteurs, il est mieux de les instruire utilement. Nous renvoyons donc à l'histoire pour tout ce qui n'est pas maintenant en usage. Il est à-propos cependant de parler du florin, du parisis, et du tournois. La première de ces espèces était une monnaie réelle qui était fort sujette à varier d'autant plus souvent, que les rois de France regardaient les droits qu'ils retiraient de ces mutations comme une des principales branches de leurs revenus. En 1361, le bon florin, ou le florin de poids, valait douze tournois d'argent, le tournois quinze deniers tournois, donc le florin valait cent quatre-vingt deniers tournois, ou quinze sous tournois.

Le parisis n'est plus qu'un terme qui signifie le quart en sus. Ce nom vient de ce que la monnaie réelle frappée à Paris, valait un quart en sus plus que celle frappée à Tours. Elle n'est plus d'usage ; nous n'en parlons que pour faire entendre que lorsqu'on trouvera dans quelque ordonnance ce terme employé, il signifie le quart en sus.

Le tournois était une monnaie frappée à Tours ; elle n'est plus monnaie réelle, elle est maintenant de compte : on dit une livre tournois, un sou tournois ; elle est moindre que le parisis du cinquième, c'est celle qui est en usage aujourd'hui quant au terme seulement.

Les espèces qui ont cours en France sont les pièces d'or, nommées anciennement écus. La fabrication des écus d'argent ne fut ordonnée qu'en Septembre 1641 ; et lorsqu'avant ce temps on parle d'écus, cela veut dire des écus d'or. Ce n'est pas qu'avant ce temps il n'y eut des espèces d'argent ; la fabrication des grosses espèces d'argent avait commencé sous Louis XII. qui fit ouvrer les gros testons ; ils ont continué jusqu'à Henri III. lequel en interdisant leur fabrication, ordonna en 1575 celle des pièces de vingt sous, et en 1577 celle des pièces de moindre valeur ; mais aucune n'était nommée écu. Maintenant les pièces d'or s'appellent louis, soit quadruples, doubles, simples, et demi-louis.

Les pièces d'argent nommées écus doubles, que l'on appelle vulgairement gros écus, sont à six livres ; les écus simples ou petits écus, à trois livres ; les pièces de vingt-quatre sous, celles de douze sous, et de six sous.

Les pièces de bas billon et de cuivre sont les sous et les liards.

Quant aux espèces des villes commerçantes de l'Europe, même des autres parties du monde, voyez le dictionnaire du Commerce au mot Monnaie.

L'or, l'argent, et le cuivre, ont été préférés pour la fabrication des espèces. Ces métaux s'allient ensemble, il n'y a que le cuivre qui s'emploie seul ; l'or s'allie avec l'argent et le cuivre, l'argent avec le cuivre seulement ; et lorsque la partie de cuivre est plus forte que celle d'argent, c'est ce qu'on appelle billon. Voyez BILLON et ALLIAGE.

En Angleterre on ne prend rien pour le droit du roi, ni pour les frais de la fabrication, en sorte que l'on rend poids pour poids aux particuliers qui vont porter des matières à la monnaie : cela a été pratiqué plusieurs fois en France ; mais maintenant on prend le droit de seigneuriage, on ajoute le grain de remède. Voyez MONNOYAGE au mot MONNOIE.

Les espèces ont différents noms, suivant leur empreinte, comme les moutons, les angelots, les couronnes ; suivant le nom du prince, comme les louis, les henris (sur quoi il faut remarquer ce qu'on lit dans le pr. Hénault, que la première monnaie qui ait eu un buste en France est celle que la ville de Lyon fit frapper pour Charles VIII. et pour Anne de Bretagne ; la ville d'Aquila battit une monnaie en l'honneur de ce prince, dont la légende était française) ; suivant leur valeur, comme un écu de trois livres, une pièce de vingt-quatre sous ; suivant le lieu où elles ont été frappées, comme un parisis, un tournois.

Les espèces ont deux valeurs, une réelle et intrinseque, qui dépend de la taille qui est fixée maintenant en France à trente louis au marc, lequel marc monnoyé vaut, en mettant le louis à vingt-quatre liv. prix actuel, sept cent vingt livres ; et pour les espèces d'argent à huit 3/16 écus au marc, qui vaut monnoyé, en mettant l'écu à six livr. prix actuel, quarante-neuf livres seize sous.

L'autre valeur est imaginaire ; elle se nomme valeur de compte, parce qu'il est ordonné par l'ordonnance de 1667 de ne pas se servir dans les comptes d'autres dénominations que de celles de livres, sous, et deniers : cette valeur a eu beaucoup de variations ; elle était d'abord relative à la valeur intrinseque : une livre signifiait une livre pesant de la matière dont il était question : un sou était la vingtième partie du poids d'une livre ; et le denier la douzième partie du sou ; mais il y eut tant d'altération dans les espèces, que l'on s'est écarté au point où l'on est à présent. On lit dans le président Hénault que le sou et le denier n'avaient plus de valeur intrinseque que les deux tiers de ce qu'ils avaient valu sous saint Louis ; il en attribue la cause à la rareté de l'espèce dans le royaume appauvri par les croisades ; ce qui ne contribuait pas seul à augmenter la valeur numéraire, attendu que précédemment cette rareté était plus considérable, et la valeur beaucoup moindre. On en trouve la preuve dans deux faits rapportés par le même auteur sous le règne de Charles-le-Chauve. Vers l'an 837, il y eut un édit qui ordonna qu'il serait tiré des coffres du roi cinquante livres d'argent pour être répandues dans le commerce, afin de réparer le tort que les espèces décriées par une nouvelle fabrication avaient causé. Le second exemple est que le concîle de Toulouse, tenu en 846, fixa à deux sous la contribution que chaque curé était tenu de fournir à son évêque, qui consistait en un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, et un agneau ; et l'évêque pouvait prendre à son choix ou ces quatre choses, ou les deux sous. Suivant le premier exemple, les cinquante liv. d'argent, tirées des coffres du roi, doivent revenir à 4980 l. (en supposant la livre de seize onces, il y a lieu de croire que semblable à la livre romaine, elle ne valait que douze onces, qui n'en valaient pas même douze de notre poids de marc) ; si cette somme était capable de rétablir le crédit, il fallait effectivement que l'argent fût bien rare : au reste, suivant le second exemple, deux sous qui valaient tout au plus cinq livres d'à-présent, payant un minot de froment, un minot de seigle, une mesure de vin, et un agneau, montrent que peu d'argent procurait beaucoup de denrées ; d'où il faut conclure que l'augmentation numéraire de la valeur de compte, n'augmente pas les richesses ; on n'est pas plus riche pour avoir plus à nombrer.

Nous ne nous étendrons point à détailler les augmentations périodiques de la valeur des espèces ; nous renvoyons à la carte des parités réciproques de la livre numéraire ou de compte, proportionnément à l'augmentation arrivée sur le marc d'argent, dressée par M. Derius, chef du bureau de la compagnie des Indes, où l'on peut voir d'un coup-d'oeil la valeur respective de la livre numéraire, sous les différents règnes depuis Charlemagne jusqu'à présent. Voyez au surplus, le dictionnaire de Commerce au mot monnaie, où l'on a rapporté en détail les variations arrivées en France sur le fait des monnaies tant d'or que d'argent, depuis le mois de Mai 1718 jusqu'au dernier Mars 1726.

En tout pays l'espèce d'or achète et paye celle d'argent, et plusieurs espèces d'argent paient et achetent celle d'or, suivant et ainsi que la proportion de l'or à l'argent y est gardée, étant loisible à chacun de payer ce qu'il achète en espèces d'or ou d'argent, au prix et à la proportion reçue dans le pays. En France, cette proportion est réduite et fixée par édit du mois de Septembre 1724, de 14 sous 1/2 environ, car il y a quelques différences : 14 marcs 1/2 d'argent valent 722 livres 2 s. et le marc d'or ne valut que 720 liv. comme nous l'avons dit ci-dessus, ce qui fait une différence de deux livres deux sous. Dans les autres pays cette proportion n'est pas uniforme ; mais en général la différence n'est pas considérable.

Cette proportion diversement observée, suivant les différentes ordonnances des princes, entre les villes qui commercent ensemble, fait la base du pair dans l'échange des monnaies. En effet, si toutes les espèces et monnaies étaient dans tous les états au même titre et à la même loi qu'elles sont en France, les changes seraient au pair, c'est-à-dire que l'on recevrait un écu de 3 liv. dans une ville étrangère, pour un écu que l'on aurait donné à Paris ; si le change produisait plus ou moins, ce serait un effet de l'agiot et une suite nécessaire de la rareté ou de l'abondance des lettres ou de l'argent ; ce qui n'est d'aucune considération, attendu que si aujourd'hui les lettres sur Paris sont rares, elles le seront un autre jour sur Amsterdam, ainsi des autres villes : au lieu que l'on perd sur les remises qui se font dans les pays étrangers où l'argent est plus bas qu'en France. On veut remettre par exemple cent écus, monnaie de France, à trois livres, à Amsterdam, en supposant le change à 52 deniers de gros, on ne recevra que 130 livres ; parce que 52 deniers de gros ne sont que vingt-six sous, et qu'il y a trente-quatre sous de différence par écu : si au contraire on veut faire payer à Paris 100 écus de trois livres, et qu'on remette à Amsterdam la valeur en espèces courantes audit lieu, en supposant le change au même prix, il n'en coute que 5200 deniers de gros, qui divisés par cinquante-deux, donneront à recevoir à Paris, 100 écus valant 300 livres.

La réduction en monnaie de France des différentes espèces qui ont cours dans toutes les villes de commerce est faite en tant d'endroits, qu'il est inutîle de répéter ce que l'on trouve dans le dictionnaire de Commerce, le parfait négociant de Savary, la bibliothèque des jeunes négociants par M. Delarue, le traité des changes étrangers par M. Derius, et beaucoup d'autres livres qui sont entre les mains de tout le monde. Cet article est de M. DUFOUR.

De la circulation, du surhaussement, et de l'abaissement des espèces. Tout ce qui suit est tiré du traité des éléments du Commerce de M. de Forboney ; ouvrage dont il avait destiné les matériaux à l'Encyclopédie, et qu'il a publié séparément ; afin d'en étendre encore davantage l'utilité.

La multiplication des besoins des hommes par celle des denrées, introduisit dans le commerce un changement qui en fait la seconde époque. Voyez l'article COMMERCE. Les échanges des denrées entre elles étant devenus impossibles, on chercha par une convention unanime quelques signes des denrées, dont l'échange avec elles fût plus commode, et qui pussent les représenter dans leur absence. Afin que ces signes fussent durables et susceptibles de beaucoup de divisions sans se détruire, on choisit les métaux ; et parmi eux les plus rares pour en faciliter le transport. L'or, l'argent et le cuivre devinrent la représentation de toutes les choses qui pouvaient être vendues et achetées. Voyez les articles OR, ARGENT, CUIVRE et MONNOIE.

Alors il se trouva trois sortes de richesses. Les richesses naturelles, c'est-à-dire les productions de la nature ; les richesses artificielles ou les productions de l'industrie des hommes ; et ces deux genres sont compris sous le nom de richesses réelles : enfin, les richesses de convention, c'est-à-dire les métaux établis pour représenter les richesses réelles. Toutes les denrées n'étant pas d'une égale abondance, il est clair qu'on devait exiger en échange des plus rares, une plus grande quantité des denrées abondantes. Ainsi les métaux ne pouvaient remplir leur office de signe, qu'en se subdivisant dans une infinité de parties.

Les trois métaux reconnus pour signes des denrées ne se trouvent pas non plus dans la même abondance. De toute comparaison résulte un rapport ; ainsi un poids égal de chacun des métaux devait encore nécessairement être le signe d'une quantité inégale des mêmes denrées.

D'un autre côté, chacun de ces métaux tel que la nature le produit, n'est pas toujours également parfait ; c'est-à-dire, qu'il entre dans sa composition plus ou moins de parties hétérogènes. Aussi les hommes en reconnaissant ces divers degrés de finesse, convinrent-ils d'une expression qui les indiquât.

Pour la commodité du commerce, il convenait que chaque portion des différents métaux fût accompagnée d'un certificat de sa finesse et de son poids. Mais la bonne foi diminuant parmi les hommes à mesure que leurs désirs augmentaient, il était nécessaire que ce certificat portât un caractère d'autenticité.

C'est ce que lui donna chaque législateur dans sa société, en mettant son empreinte sur toutes les portions des divers métaux : et ces portions s'appelèrent monnaie en général.

La dénomination particulière de chaque pièce de monnaie fut d'abord prise de son poids. Depuis, la mauvaise foi des hommes le diminua ; et même les princes en retranchèrent dans des temps peu éclairés où l'on séparait leur intérêt de celui du peuple et de la confiance publique. La dénomination resta, mais ne fut qu'idéale : d'où vint une distinction entre la valeur numéraire ou la manière de compter, et la valeur intrinseque ou réelle.

De l'autenticité requise pour la sûreté du commerce, dans les divisions de métaux appelées monnaies, il s'ensuit que le chef de chaque société a seul droit de les faire fabriquer, et de leur donner son empreinte.

Des divers degrés de finesse et de pesanteur dont ces divisions de métaux sont susceptibles, on doit conclure que les monnaies n'ont d'autre valeur intrinseque que leur poids et leur titre ; aussi est-ce d'après cela seul que les diverses sociétés règlent leurs payements entr'elles.

C'est-à-dire que se trouvant une inégalité dans l'abondance des trois métaux, et dans les divers degrés de finesse dont chacun d'eux est susceptible, les hommes sont convenus en général de deux choses.

1°. De termes pour exprimer les parties de la plus grande finesse dont chacun de ces métaux soit susceptible.

2°. A finesse égale de donner un plus grand volume des moins rares en échange des plus rares.

De ces deux proportions, la première est déterminée entre tous les hommes.

La seconde ne l'est pas avec la même précision, parce qu'outre l'inégalité générale dans l'abondance respective des trois métaux, il y en a une particulière à chaque pays. D'où il résulte que les métaux étant supposés de la plus grande finesse respective chez un peuple, s'il échange le métal le plus rare avec un plus grand volume des autres métaux, que ne le font les peuples voisins, on lui portera ce métal rare en assez grande abondance, pour qu'il soit bien-tôt dépouillé des métaux dont il ne fait pas une estime proportionnée à celle que les autres peuples lui accordent.

Comme toute société a des besoins extérieurs dont les métaux sont les signes ou les équivalents ; il est clair que celle dont nous parlons, payera ses besoins extérieurs relativement plus cher que les autres sociétés ; enfin qu'elle ne pourra acheter autant de choses au-dehors.

Si elle vend, il est également évident qu'elle recevra de la chose vendue une valeur moindre qu'elle n'en avait dans l'opinion des autres hommes.

Tout ce qui n'est que de convention a nécessairement l'opinion la plus générale pour mesure ; ainsi les richesses en métaux n'ont de réalité pour leurs possesseurs, que par l'usage que les autres hommes permettent d'en faire avec eux : d'où nous devons conclure que le peuple qui donne à l'un des métaux une valeur plus grande que ses voisins, est réellement et relativement appauvri par l'échange qui s'en fait avec les métaux qu'il ne prise pas assez.

Sait en Europe, la proportion commune d'un poids d'or équivalent à un poids d'argent comme un à quinze. Sait a une livre d'or, et b une livre d'argent, a = 15 b.

Si un peuple hausse cette proportion en faveur de l'or, et que a = 16 b.

Les nations voisines lui apporteront a pour recevoir 16 b. Leur profit b sera la perte de ce peuple par chaque livre d'or qu'il échangera contre l'argent.

Il ne suffit pas encore que le législateur observe la proportion du poids que suivent les états voisins. Comme le degré de finesse ou le titre de ses monnaies dépend de sa volonté, il faut qu'il se conforme à la proportion unanimement établie entre les parties de la plus grande finesse, dont chaque métal est susceptible.

S'il ne donne pas à ses monnaies le plus grand degré de finesse, il faut que les termes diminués soient continuellement proportionnels aux plus grands termes.

Saient les parties de la plus grande finesse de l'or représentées par 16 c ; les parties de la plus grande finesse de l'argent par 6 d.

Si l'on veut monnoyer de l'or qui ne contienne que la moitié des parties de la plus grande finesse dont ce métal est susceptible, elles seront représentées par 8 c.

Conservant la proportion du poids entre l'or et l'argent, il faut que le titre de ce dernier soit équivalant à 3 d. Parce que 8 c. 3 d : : 16 c. 6 d.

Si la proportion du titre est haussée en faveur de l'or, et que 8 c = 4 d, les étrangers apporteront de l'or de pareil titre pour l'échanger contre l'argent. La différence d, ou la quatrième partie de fin de chaque pièce de monnaie d'argent enlevée sera leur profit. Dès-lors l'état sur qui il est fait en est appauvri réellement et relativement. La même chose s'opérera sur l'or, si la proportion du titre est haussée en faveur de l'argent.

Ainsi l'intérêt de chaque société exige que la monnaie fabriquée avec chaque métal, se trouve en raison exacte et composée de la proportion unanime des titres, et de la proportion du poids observée par les états voisins.

Dans les suppositions que nous avons établies,

a + 16 c = 15 b + 6 d

a + 8 c = 15 b + 3 d

Et ainsi du reste. Ou bien si l'une de ces proportions est rompue, il faut la rétablir par l'autre :

a + 16 c = 30 b + 3 d : : a + 16 c = 15 b + 6 d

a + 8 c = 7 1/2 b + 6 d : : a + 8 c = 15 b + 3 d

D'où il s'ensuit que l'alliage ou les parties hétérogènes qui composent avec les parties de fin le poids d'une pièce de monnaie, ne sont point évaluées dans l'échange qui s'en fait avec les étrangers, soit pour d'autres monnaies, soit pour des denrées.

Ces parties d'alliage ont cependant une valeur intrinseque ; dès-lors on peut dire que le peuple qui donne le moins de degrés de finesse à ses monnaies, perd plus dans l'échange qu'il fait avec les étrangers ; qu'à volume égal de la masse des signes, il est moins riche qu'un autre.

De ce que nous venons de dire, on doit encore conclure que les titres étant égaux, c'est la quantité qu'il faut donner du métal le moins rare pour équivalent du métal le plus rare, qui forme le rapport ou la proportion entr'eux.

Lorsqu'un état a coutume de recevoir annuellement une quantité de métaux pour compenser l'excédent des denrées qu'il vend sur celles qu'il achète ; et que sans s'écarter des proportions dont nous venons de parler au point de laisser une différence capable d'encourager l'extraction d'un de ses métaux monnoyés, il présente un petit avantage à l'un des métaux hors d'œuvre sur l'autre : il est clair que la balance lui sera payée avec le métal préféré ; conséquemment après un certain nombre d'années, ce métal sera relativement plus abondant dans le Commerce que les autres. Si cette préférence était réduite, ce serait augmenter la perte du peuple, qui paye la majeure partie de cette balance.

Si ce métal préféré est le plus précieux de tous ; étant par cela même moins susceptible de petites divisions et plus portatif, il est probable que beaucoup de denrées, mais principalement les choses que le riche paye lui même, hausseront plus de prix que si la préférence eut été donnée à un métal moins rare.

On conçoit que plus il y a dans un pays de subdivisions de valeurs dans chaque espèce de métaux monnoyés, plus il est aisé aux acheteurs de disputer sur le prix avec les vendeurs, et de partager le différend.

Conséquemment si les subdivisions de l'or, de l'argent et du cuivre, ne sont pas dans une certaine proportion entr'elles, les choses payées par le riche en personne, doivent augmenter de prix dans une proportion plus grande que les richesses générales, parce que souvent le riche ne se donne ni le temps ni la peine de disputer sur le prix de ce qu'il désire ; quelquefois même il en a honte. Cette observation n'est pas aussi frivole qu'elle pourra le paraitre au premier aspect ; car dans un état où les fortunes seront très-inégales hors du Commerce, l'augmentation des salaires commencera par un mauvais principe, et presque toujours par les professions moins utiles ; d'où elle passe ensuite aux professions plus nécessaires. Alors le commerce étranger pourra en être affoibli, avant d'avoir attiré la quantité convenable d'argent étranger. Si l'augmentation du salaire des ouvriers nécessaires trouve des obstacles dans la pauvreté d'une partie du peuple, l'abus est bien plus considérable : car l'équilibre est anéanti entre les professions ; les plus nécessaires sont abandonnées pour embrasser celles qui sont superflues, mais plus lucratives. A Dieu ne plaise que je désire que le peuple ne se ressente pas d'une aisance dont l'état n'est redevable qu'à lui ! au contraire je pense que le dépôt des richesses n'est utîle qu'entre ses mains, et le Commerce seul peut lui le donner, lui le conserver. Mais il me semble que ces richesses doivent être partagées le plus également qu'il est possible, et qu'aucun des petits moyens généraux qui peuvent y conduire n'est à négliger.

Par une conséquence naturelle de ce que nous venons de dire, il est évident qu'à mesure que les monnaies de cuivre disparaissent du Commerce, les denrées haussent de prix.

Cette double proportion entre les poids et les titres des divers métaux monnoyés n'est pas la seule que le législateur doive observer. Puisque le poids et le titre sont la seule valeur intrinseque des monnaies, il est clair qu'il est une autre proportion également essentielle entre les divisions et les subdivisions de chaque espèce de métal.

Sait par exemple, une portion d'argent m, d'un poids a, d'un titre quelconque, sous une dénomination c. On aura a = c.

Si on altère le titre, c'est-à-dire si l'on substitue dans la portion d'argent m, à la place d'une quantité quelconque x de cet argent, une quantité y d'alliage, telle que la portion d'argent m reste toujours du même poids a.

Sait z la différence en valeur réelle et générale de la quantité x et de la quantité y.

Il est clair qu'on aura un poids a = c et un poids a = c - z.

Si le législateur veut qu'un poids a, quel qu'il soit indistinctement, paye c ; c'est précisément comme s'il ordonnait que c soit égal à c - z. Qu'arrivera-t-il de-là ? que chacun s'efforcera de faire le payement c avec le poids a = c - z, plutôt qu'avec le poids a = c ; parce qu'il gagnera la quantité z. Par la même raison personne ne voudra recevoir le poids a = c - z, d'où naitra une interruption de commerce, un resserrement de toutes les quantités a = c, et un désordre général.

Ce n'est pas cependant encore tout le mal. Ceux qui se seront les premiers aperçus des deux valeurs d'un même poids a, auront acheté des poids a = c, avec des poids a = c - z ; ils auront fait passer les poids a = c dans les états voisins, pour les refondre et rapporter des poids a = c - z, avec lesquels ils feront le payement c tant que le désordre durera.

Si le bénéfice se partage avec l'étranger moitié par moitié, il est incontestable que sur chaque a = c reformée par l'étranger en a = c - z, l'état aura été appauvri réellement et relativement de la moitié de la quantité z.

Le cas serait absolument le même si le législateur ordonnait que de deux quantités a + b égales pour le titre et le poids, l'une passât sous la dénomination c en vertu de sa forme nouvelle, et l'autre sous la dénomination c - z. Car pour gagner la quantité z, le même transport se fera à l'étranger qui donnera la forme nouvelle à l'ancienne quantité ; même bouleversement dans le commerce, mêmes raisons de resserrer l'argent, mêmes profits pour les étrangers, mêmes pertes pour l'état.

D'où résulte ce principe, qu'un état suspend pour longtemps la circulation et diminue la masse de ses métaux, lorsqu'il donne à la fois deux valeurs intrinseques à une même valeur numéraire, ou deux valeurs numéraires différentes à une même valeur intrinseque.

Tous les états qui font des refontes ou des reformes de monnaies pour y gagner, s'écartent nécessairement de ce principe, et paient d'un secours leger la plus énorme des usures aux dépens des sujets.

Dans les pays où la fabrication des monnaies se fait aux dépens du public, jamais un semblable désordre n'arrive. Indépendamment de l'activité qu'une conduite si sage donne à la circulation intérieure et extérieure des dentées, et au crédit public, par la confiance qu'elle inspire, elle met encore les sujets dans le cas de profiter plus aisément des fautes des états voisins sur les monnaies : on sait que dans certaines circonstances ces profits peuvent être immenses.

N'ayant effleuré la matière des monnaies, qu'autant que ce préambule paraissait nécessaire à mon objet principal, qui est la circulation de l'argent, je ne parlerai du surhaussement et de la diminution des monnaies qu'à l'endroit où les principes de la circulation l'exigeront.

L'argent est un nom collectif, sous lequel l'usage comprend toutes les richesses de convention. La raison de cet usage est probablement, que l'argent tenant une espèce de milieu entre l'or et le cuivre pour l'abondance et pour la commodité du transport, il se trouve plus communément dans le commerce.

Il est essentiel de distinguer d'une manière très-nette les principes que nous allons poser, parce que leur simplicité pourra produire des conséquences plus compliquées, et surtout de resserrer ses idées dans chacun des cercles qu'on se propose de parcourir les uns après les autres.

Nous l'avons déjà remarqué, l'introduction de l'argent dans le commerce n'a évidemment rien changé dans la nature de ce commerce. Elle consiste toujours dans un échange des denrées contre les denrées, ou dans l'absence de celles que l'on désire contre l'argent qui en est le signe.

La répétition de cet échange est appelée circulation.

L'argent n'étant que signe des denrées, le mot de circulation qui indique leur échange devait donc être appliqué aux denrées, et non à l'argent ; car la fonction du signe dépend absolument de l'existence de la chose qu'on veut réprésenter.

Aussi l'argent est-il attiré par les denrées, et n'a de valeur représentative qu'autant que sa possession n'est jamais séparée de l'assurance de l'échange contre les denrées. Les habitants du Potozi seraient réduits à déplorer leur sort auprès de vastes monceaux d'argent, et à périr par la famine, s'ils restaient six à sept jours sans pouvoir échanger leurs trésors contre des vivres.

C'est donc abusivement que l'argent est regardé en soi comme le principe de la circulation ; c'est ce que nous tâcherons de développer.

Distinguons d'abord deux sortes de circulations de l'argent, l'une naturelle, l'autre composée.

Pour se faire une idée juste de cette circulation naturelle, il faut considérer les sociétés dans une position isolée ; examiner quelle fonction y peut faire l'argent en raison de sa masse.

Supposons deux pays qui se suffisent à eux-mêmes, sans relations extérieures, également peuplés, possédant un nombre égal des mêmes denrées ; que dans l'un la masse des denrées soit représentée par 100 livres d'un métal quelconque, et dans l'autre par 200 livres du même métal. Ce qui vaudra une once dans l'un coutera deux onces dans l'autre.

Les habitants de l'un et de l'autre pays seront également heureux, quant à l'usage qu'ils peuvent faire de leurs denrées entr'eux ; la seule différence consistera dans le volume du signe, dans la facilité de son transport, mais sa fonction sera également remplie.

On concevra facilement d'après cette hypothèse deux vérités très-importantes.

1°. Par-tout où une convention unanime à établi une quantité pour signe d'une autre quantité, si la quantité représentante se trouve accrue, tandis que la quantité représentée reste la même, le volume du signe augmentera ; mais la fonction ne sera pas multipliée.

2°. Le point important pour la facilité des échanges, ne consiste pas en ce que le volume des signes soit plus ou moins grand ; mais dans l'assurance où sont les propriétaires de l'argent et des denrées, de les échanger quand ils le voudront dans leurs divisions, sur le pied établi par l'usage en raison des masses réciproques.

Ainsi l'opération de la circulation n'est autre chose que l'échange réitérée des denrées contre l'argent, et de l'argent contre les denrées. Son origine est la commodité du Commerce ; son motif est le besoin continuel et réciproque où les hommes sont les uns des autres.

Sa durée dépend d'une confiance entière dans la facilité de continuer ses échanges sur le pied établi par l'usage, en raison des masses réciproques.

Définissons donc la circulation naturelle de l'argent de la manière suivante :

C'est la présence continuelle dans le Commerce de la portion d'argent qui a coutume de revenir à chaque portion des denrées, en raison des masses réciproques.

L'effet de cette circulation naturelle, est d'établit entre l'argent et les denrées une concurrence parfaite, qui les partage sans cesse entre tous les habitants d'un pays : de ce partage continuel, il résulte qu'il n'y a point d'emprunteurs ; que tous les hommes sont occupés par un travail quelconque, ou propriétaires des terres.

Tant que rien n'interrompra cet équilibre exact, les hommes seront heureux, la société très-florissante, soit que le volume des signes soit considérable ou qu'il ne le soit pas.

Il ne s'agit point ici de suivre la condition de cette société ; mon but a été de déterminer en quoi consiste la fonction naturelle de l'argent comme signe ; et de prouver que par-tout où cet ordre naturel existe actuellement, l'argent n'est point la mesure des denrées, qu'au contraire la quantité des denrées mesure le volume du signe.

Comme les denrées sont sujettes à une grande inégalité dans leur qualité, qu'elles peuvent se détruire plus aisément que les métaux, que ceux-ci peuvent se cacher en cas d'invasion de l'ennemi ou de troubles domestiques, qu'ils sont plus commodes à transporter dans un autre pays si celui qu'on habite cesse de plaire ; enfin que tous les hommes ne sont pas également portés à faire des consommations, il pourra arriver que quelques propriétaires de l'argent fassent des amas de la quantité superflue à leurs besoins.

A mesure que ces amas accraitront, il se trouvera plus de vide dans la masse de l'argent qui compensait la masse des denrées : une portion de ces denrées manquant de son échange ordinaire, la balance panchera en faveur de l'argent.

Alors les propriétaires de l'argent voudront mesurer avec lui les denrées qui seront plus communes, dont la garde est moins sure et l'échange moins commode : l'argent ne fera plus son office ; la perte que feront les denrées mesurées par l'argent, précipitera en sa faveur la chute de l'équilibre ; le désordre sera grand en raison de la somme resserrée.

L'argent sorti du Commerce ne passant plus dans les mains où il avait coutume de se rendre, beaucoup d'hommes seront forcés de suspendre ou de diminuer leurs achats ordinaires.

Pour rappeler cet argent dans le Commerce, ceux qui en auront un besoin pressant, offriront un profit à ses propriétaires, pour s'en désaisir pendant quelque temps. Ce profit sera, en raison du besoin de l'emprunteur, du bénéfice que peut lui procurer cet argent, du risque couru par le prêteur.

Cet exemple engagera beaucoup d'autres hommes à se procurer par leurs réserves un pareil bénéfice, d'autant plus doux qu'il favorise la paresse. Si le travail est honteux dans une nation, cet usage y trouvera plus de protecteurs ; et l'argent qui circulait, y sera plus souvent resserré que parmi les peuples qui honorent les travailleurs. L'abus de cet usage étant très-facile, le même esprit qui aura accrédité l'usage, en portera l'abus à un tel excès, que le législateur sera obligé d'y mettre un frein. Enfin lorsqu'il sera facîle de retirer un profit ou un intérêt du prêt de son argent, il est évident que tout homme qui voudra employer le sien à une entreprise quelconque, commencera par compter parmi les frais de l'entreprise, ce que son argent lui eut produit en le prêtant.

Telle a été, ce me semble, l'origine de l'usure ou de l'intérêt de l'argent. Plusieurs conséquences dérivent de ce que nous venons de dire.

1°. La circulation naturelle est interrompue, à mesure que l'argent qui circulait dans le Commerce en est retiré.

2°. Plus il y a de motifs de défiance dans un état, plus l'argent se resserre.

3°. Si les hommes trouvent du profit à faire sortir l'argent du Commerce, il en sortira en raison de l'étendue de ce profit.

4°. Moins la circulation est naturelle, moins le peuple industrieux est en état de consommer, moins la faculté de consommer est également répartie.

5°. Moins le peuple industrieux est en état de consommer, moins la faculté de consommer est également répartie ; et plus les amas d'argent seront faciles, plus l'argent sera rare dans le Commerce.

6°. Plus l'argent sort du Commerce, plus la défiance s'établit.

7°. Plus l'argent est rare dans le Commerce, plus il s'éloigne de la fonction de signe pour devenir mesure des denrées.

8°. La seule manière de rendre l'argent au Commerce, est de lui adjuger un intérêt relatif à sa fonction naturelle de signe, et à sa qualité usurpée de mesure.

9°. Tout intérêt assigné à l'argent est une diminution de valeur sur les denrées.

10°. Toutes les fois qu'un particulier aura amassé une somme d'argent dans le dessein de la placer à intérêt, la circulation annuelle aura diminué successivement, jusqu'à ce que cette somme reparaisse dans le commerce. Il est donc évident que le commerce est la seule manière de s'enrichir, utîle à l'état. Or le commerce comprend la culture des terres, le travail industrieux, et la navigation.

11°. Plus l'argent sera éloigné de sa fonction naturelle de signe, plus l'intérêt sera haut.

12°. De ce que l'intérêt de l'argent est plus haut dans un pays que dans un autre, on en peut conclure que la circulation s'y est plus écartée de l'ordre naturel ; que la classe des ouvriers y jouit d'une moindre aisance, qu'il y a plus de pauvres : mais on n'en pourra pas conclure que la masse des signes y soit intrinsequement moins considérable, comme nous l'avons démontré par notre première hypothèse.

13°. Il est évident que la diminution des intérêts de l'argent dans un état ne peut s'opérer utilement, que par le rapprochement de la circulation vers l'ordre naturel.

14°. Enfin partout où l'argent reçoit un intérêt, il doit être considéré sous deux faces à-la-fais : comme signe, il sera attiré par les denrées : comme mesure, il leur donnera une valeur différente, suivant qu'il paraitra ou qu'il disparaitra dans le commerce ; dès-lors l'argent et les denrées s'attireront réciproquement.

Ainsi nous définirons la circulation composée, une concurrence inégale des denrées et de leurs signes, en faveur des signes.

Rapprochons à-présent les sociétés les unes des autres, et suivons les effets de la diminution ou de l'augmentation de la masse des signes par la balance des échanges que ces sociétés font entr'elles.

Si cet argent que nous supposons s'être absenté du Commerce, pour y rentrer à la faveur de l'usure, est passé pour toujours dans un pays étranger, il est clair que la partie des denrées qui manquait de son équivalent ordinaire, s'absentera aussi du Commerce pour toujours ; car le nombre des acheteurs sera diminué sans retour.

Les hommes que nourrissait le travail de ces denrées, seraient forcés de mendier, ou d'aller chercher de l'occupation dans d'autres pays. L'absence de ces hommes ainsi expatriés formerait un vide nouveau dans la consommation des denrées, la population diminuerait successivement, jusqu'à ce que la rareté des denrées les remit en équilibre avec la quantité des signes circulants dans le Commerce.

Conséquemment si le volume des signes ou le prix des denrées est indifférent en soi pour établir l'assurance mutuelle de l'échange entre les propriétaires de l'argent et des denrées, en raison des masses réciproques, il est au contraire très-essentiel que la masse des signes, sur laquelle cette proportion et l'assurance de l'échange ont été établies, ne diminue jamais.

On peut donc avancer comme un principe, que la situation d'un peuple est beaucoup plus fâcheuse, lorsque l'argent qui circulait dans son Commerce en est sorti, que si cet argent n'y avait jamais circulé.

Après avoir développé les effets de la diminution de la masse d'argent dans la circulation d'un état, cherchons à connaître les effets de son augmentation.

Nous n'entendons point par augmentation de la masse de l'argent, la rentrée dans le Commerce de celui que la défiance ou la cupidité lui avaient enlevés : il n'y reparait que d'une manière précaire, et à des conditions qui en avertissent durement ceux qui en font usage, enfin avec une diminution sur la valeur des denrées, suivant la neuvième conséquence. Auparavant, cet argent était dû au Commerce, qui le doit aujourd'hui : il rend au peuple les moyens de s'occuper ; mais c'est en partageant le fruit de son travail, en bornant sa subsistance.

Nous parlons donc ici d'une nouvelle masse d'argent qui n'entre point précairement dans la circulation d'un état : il n'est que deux manières de se la procurer, par le travail des mines, ou par le commerce étranger.

L'argent qui vient de la possession des mines, peut n'être pas mis dans le commerce de l'état, par diverses causes. Il est entre les mains d'un petit nombre d'hommes ; ainsi, quand même ils useraient de l'augmentation de leur faculté de dépenser, la concurrence de l'argent ne sera accrue qu'en faveur d'un petit nombre de denrées. La consommation des choses les plus nécessaires à la vie, n'augmente pas avec la richesse d'un homme ; ainsi la circulation de ce nouvel argent commencera par les denrées les moins utiles, et passera lentement aux autres qui le sont davantage.

La classe des hommes occupés par le travail des denrées utiles et nécessaires, est cependant celle qu'il convient de fortifier davantage, parce qu'elle soutient toutes les autres.

L'argent qui entre en échange des denrées superflues, est nécessairement réparti entre les propriétaires de ces denrées par les négociants, qui sont les économes de la nation. Ces propriétaires sont ou des riches qui, travaillant avec le secours d'autrui, sont forcés d'employer une partie de la valeur reçue à payer des salaires ; ou des pauvres, qui sont forcés de dépenser presqu'en entier leur rétribution pour subsister commodément. Le commerce étranger embrasse toutes les espèces de denrées, toutes les classes du peuple.

Nous établirons donc pour maxime que la circulation s'accraitra plus surement et plus promptement dans un état, par la balance avantageuse de son commerce avec les étrangers, que par la possession des mines.

C'est aussi uniquement de l'augmentation de la masse d'argent par le commerce étranger, que nous parlerons.

Par-tout où l'argent n'est plus simple signe attiré par les denrées, il en est devenu en partie la mesure, et en cette qualité il les attire réciproquement : ainsi toute augmentation de la masse d'argent, sensible dans la circulation, commence par multiplier sa fonction de signe, avant d'augmenter son volume de signe ; c'est-à-dire que le nouvel argent, avant de hausser le prix des denrées, en attirera dans le Commerce un plus grand nombre qu'il n'y en avait. Mais enfin ce volume du signe sera augmenté en raison composée des masses anciennes et nouvelles, soit des denrées, soit de leurs signes.

En attendant, il est clair que cette nouvelle masse d'argent aura nécessairement réveillé l'industrie à son premier passage. Tâchons d'en découvrir la marche en général.

Toute concurrence d'argent survenue dans le Commerce en faveur d'une denrée, encourage ceux qui peuvent fournir la même denrée, à l'apporter dans le Commerce, afin de profiter de la faveur qu'elle a acquise. Cela arrive surement, si quelque vice intérieur dans l'état ne s'y oppose point : car si le pays n'avait point assez d'hommes pour accroitre la concurrence de la denrée, il en arrivera d'étrangers, si l'on sait les accueillir et rendre leur sort heureux.

Cette nouvelle concurrence de la denrée favorisée, rétablit une espèce d'équilibre entr'elle et l'argent ; c'est-à-dire que l'augmentation des signes destinés à échanger cette denrée, se répartit entre un plus grand nombre d'hommes ou de denrées : la fonction du signe est multipliée.

Cependant le volume du signe augmente communément de la portion nécessaire pour entretenir l'ardeur des ouvriers : car leur ambition se règle d'elle-même, et borne tôt ou tard la concurrence de la denrée en proportion du profit qu'elle donne.

Les ouvriers occupés par le travail de cette denrée se trouvant une augmentation de signe, établiront avec eux une nouvelle concurrence en faveur des denrées qu'ils voudront consommer. Par un enchainement heureux, les signes employés aux nouvelles consommations, auront à leur tour la même influence chez d'autres citoyens : le bénéfice se répétera jusqu'à ce qu'il ait parcouru toutes les classes d'hommes utiles à l'état, c'est-à-dire occupés.

Si nous supposons que la masse d'argent introduite en faveur de cette denrée à une ou plusieurs reprises, ait été partagée sensiblement entre toutes les autres denrées par la circulation, il en résultera deux effets.

1°. Chaque espèce de denrée s'étant approprié une portion de la nouvelle masse des signes, la dépense des ouvriers au travail desquels sera dû ce bénéfice, se trouvera augmentée, et leur profit diminué. Cette diminution des profits est bien différente de celle qui vient de la diminution de la masse des signes. Dans la première, l'artiste est soutenu par la vue d'un grand nombre d'acheteurs ; dans la seconde, il est désespéré par leur absence : la première exerce son génie : la seconde le dégoute du travail.

2°. Par la répartition exacte de la nouvelle masse de l'argent, sa présence est plus assurée dans le Commerce ; les motifs de défiance qui pouvaient se rencontrer dans l'état, s'évanouissent ; les propriétaires de l'ancienne masse la répandent plus librement : la circulation est rapprochée de son ordre naturel ; il y a moins d'emprunteurs, l'argent perd de son prix.

L'intérêt payé à l'argent étant une diminution de la valeur des denrées, suivant notre neuvième conséquence, la diminution de cet intérêt augmente leur valeur ; il y a dès-lors plus de profit à les apporter dans le Commerce : en effet, il n'est aucune de ses branches à laquelle la réduction des intérêts ne donne du mouvement.

Toute terre est propre à quelqu'espèce de production ; mais si la vente de ces productions ne rapporte pas autant que l'intérêt de l'argent employé à la culture, cette culture est négligée ou abandonnée ; d'où il résulte que plus l'intérêt de l'argent est bas dans un pays, plus les terres y sont réputées fertiles.

Le même raisonnement doit être employé pour l'établissement des Manufactures, pour la Navigation, la Pêche, le défrichement des colonies. Moins l'intérêt des avances qu'exigent ces entreprises est haut, plus elles sont réputées lucratives.

De ce qu'il y a moins d'emprunteurs dans l'état, et plus de profit proportionnel dans le Commerce, le nombre des négociants s'accrait. La masse d'argent grossit, les consommations se multiplient, le volume des signes s'accrait : les profits diminuent alors ; et par une gradation continuelle l'industrie devient plus active, l'intérêt de l'argent baisse toujours, ce qui rétablit la proportion des bénéfices ; la circulation devient plus naturelle.

Permettons à nos regards de s'étendre, et de parcourir le spectacle immense d'une infinité de moyens réunis d'attirer l'argent étranger par le Commerce. Mais supposons-en d'abord un seulement dans chaque province d'un état : quelle rapidité dans la circulation ? quel essor la cupidité ne donnera-t-elle point aux artistes ? leur émulation ne se borne plus à chaque classe particulière ; lorsque l'appas du gain s'est montré à plusieurs, la chaleur et la confiance qu'il porte dans les esprits, deviennent générales. L'aisance réciproque des hommes les aiguillonne à la vue les uns des autres, et leurs prétentions communes sont le sceau de la prospérité publique.

Ce que nous venons de dire de l'augmentation de la masse de l'argent par le commerce étranger, est la source de plusieurs conséquences.

1°. L'augmentation de la masse d'argent dans la circulation ne peut être appelée sensible, qu'autant qu'elle augmente la consommation des denrées nécessaires, ou d'une commodité utîle à la conservation des hommes, c'est-à-dire à l'aisance du peuple.

2°. Ce n'est pas tant une grande somme d'argent introduite à-la-fais dans l'état, qui donne du mouvement à la circulation, qu'une introduction continuelle d'argent pour être réparti parmi le peuple.

3°. A mesure que la répartition de l'argent étranger se fait plus également parmi les peuples, la circulation se rapproche de l'ordre naturel.

4°. La diminution du nombre des emprunteurs, ou de l'intérêt de l'argent, étant une suite de l'activité de la circulation devenue plus naturelle ; et l'activité de la circulation, ou de l'aisance publique, n'étant pas elle-même une suite nécessaire d'une grande somme d'argent introduite à-la-fais dans l'état, autant que de son accroissement continuel pour être réparti parmi le peuple, on en doit conclure que l'intérêt de l'argent ne diminuera point par-tout où les consommations du peuple n'augmenteront pas : que si les consommations augmentaient, l'intérêt de l'argent diminuerait naturellement, sans égard à l'étendue de sa masse, mais en raison composée du nombre des prêteurs et des emprunteurs : que la multiplication subite des richesses artificielles, ou des papiers circulants comme monnaie, est un remède violent et inutile, lorsqu'on peut employer le plus naturel.

5°. Tant que l'intérêt de l'argent se soutient haut dans un pays qui commerce avantageusement avec les étrangers, on peut décider que la circulation n'y est pas libre. J'entens en général dans un état ; car quelques circonstances pourraient rassembler une telle quantité d'argent dans un seul endroit, que la surabondance forcerait les intérêts de diminuer, mais souvent cette diminution même indiquerait une interception de circulation dans les autres parties du corps politique.

6°. Tant que la circulation est interrompue dans un état, on peut assurer qu'il ne fait pas tout le commerce qu'il pourrait entreprendre.

7°. Toute circulation qui ne résulte pas du commerce extérieur, est lente et inégale, à moins qu'elle ne soit devenue absolument naturelle.

8°. Le volume des signes étant augmenté à raison de leur masse dans le Commerce ; si cet argent en sortait quelque temps après, les denrées seraient forcées de diminuer de prix ou de masse en même temps que l'intérêt de l'argent hausserait, parce que sa rareté accraitrait les motifs de défiance dans l'état.

9°. Comme toutes choses auraient augmenté dans une certaine proportion par l'influence de la circulation, et que personne ne veut commencer par diminuer son profit, les denrées les plus nécessaires à la vie se soutiendraient. Les salaires du peuple étant presque bornés à ce nécessaire, il faudrait absolument que les ouvrages se tinssent chers pour continuer de nourrir les artistes : ainsi ce serait la masse du travail qui commencerait par diminuer, jusqu'à-ce que la diminution de la population et des consommations fit rétrograder la circulation et diminuât les prix. Pendant cet intervalle les denrées étant chères, et l'intérêt de l'argent haut, le commerce étranger déclinerait, le corps politique serait dans une crise violente.

10°. Si une nouvelle masse d'argent introduite dans l'état, n'entrait point dans le Commerce, il est évident que l'état en serait plus riche, relativement aux autres états, mais que la circulation n'en accraitrait ni n'en diminuerait.

11°. Les fortunes faites par le Commerce en général ayant nécessairement accru ou conservé la circulation, leur inégalité n'a pu porter aucun dérangement dans l'équilibre entre les diverses classes du peuple.

12°. Si les fortunes faites par le commerce étranger en sortent, il y aura un vide dans la circulation des endroits où elles répandaient l'argent. Elles y resteront, si l'occupation est protégée et honorée.

13°. Si ces fortunes sortent non-seulement du commerce étranger, mais encore de la circulation intérieure, la perte en sera ressentie par toutes les classes du peuple en général comme une diminution de masse d'argent. Cela ne peut arriver lorsqu'il n'y a point de moyens de gagner plus prompts, plus commodes, ou plus surs que le Commerce.

14°. Plus le commerce étranger embrassera d'objets différents, plus son influence dans la circulation sera prompte.

15°. Plus les objets embrassés par le commerce étranger approcheront des premières nécessités communes à tous les hommes, mieux l'équilibre sera établi par la circulation entre toutes les classes du peuple, et dès-lors plutôt l'aisance publique fera baisser l'intérêt de l'argent.

16°. Si l'introduction ordinaire d'une nouvelle masse d'argent dans l'état par la vente des denrées superflues, venait à s'arrêter subitement, son effet serait le même absolument que celui d'une diminution de la masse : c'est ce qui rend les guerres si funestes au Commerce. D'où il s'ensuit que le peuple qui continue le mieux son commerce à l'abri de ses forces maritimes, est moins incommodé par la guerre. Il faut remarquer cependant que les artistes ne désertent pas un pays à raison de la guerre aussi facilement, que si l'interruption subite du Commerce provenait d'une autre cause ; car l'espérance les soutient, et les autres parties belligérantes ne laissent pas d'éprouver aussi un vide dans la circulation.

17°. Puisque le commerce étranger vivifie tous les membres du corps politique par le choc qu'il donne à la circulation, il doit être l'intérêt le plus sensible de la société en général, et de chaque individu qui s'en dit membre utile.

Ce commerce étranger dont l'établissement coute tant de soins, ne se soutiendra pas, si les autres peuples n'ont un intérêt réel à l'entretenir. Cet intérêt n'est autre que le meilleur marché des denrées.

Nous avons Ve qu'une partie de chaque nouvelle masse d'argent introduite dans le Commerce, augmente communément le volume des signes.

Ce volume indifférent en soi à celui qui le reçoit, dès qu'il ne lui procure pas une plus grande abondance de commodités, n'est pas indifférent à l'étranger qui achète les denrées ; car si elles lui sont données dans un autre pays en échange de signes d'un moindre volume, c'est-là qu'il fera ses emplettes : également les peuples acheteurs chercheront à se passer d'une denrée, même unique, dès qu'elle n'est pas nécessaire, si le volume de son signe devient trop considérable relativement à la masse de signes qu'ils possèdent.

Il paraitrait donc que le commerce étranger, dont l'objet est d'attirer continuellement de nouvel argent, travaillerait à sa propre destruction, en raison des progrès qu'il fait dans ce genre, et dès-lors que l'état se priverait du bénéfice qui en revient à la circulation.

Si réellement la masse des signes était augmentée dans un état à un point assez considérable, pour que toutes les denrées fussent trop chères pour les étrangers, le commerce avec eux se réduirait à des échanges ; ou si ce pays se suffisait à lui-même, le commerce étranger serait nul ; la circulation n'augmenterait plus, mais elle n'en serait pas moins affoiblie, parce que l'introduction de l'argent cesserait par une suite de gradations insensibles. Ce pays contiendrait autant d'hommes qu'il en pourrait nourrir et occuper par lui-même ; ses richesses en métaux ouvragés, en diamants, en effets rares et précieux, surpasseraient infiniment ses richesses numéraires, sans compter la valeur des autres meubles plus communs. Ses hommes, quoique sans commerce extérieur, seraient très-heureux tant que leur nombre n'excéderait pas la proportion des terres. Enfin l'objet du legislateur serait rempli, puisque la société qu'il gouverne serait revêtue de toutes les forces dont elle est susceptible.

Les hommes n'ont point encore été assez innocens pour mériter du ciel une paix aussi profonde et un enchainement de prospérités aussi constant. Des fléaux terribles continuellement suspendus sur leurs têtes les avertissent de temps-en-temps par leur chute, que les objets périssables dont ils sont idolatres, étaient indignes de leur confiance.

Ce qui purge les vices des hommes, délivre le Commerce de la surabondance des richesses numéraires.

Quoique le terme où nous avons conduit un corps politique, ne puisse moralement être atteint, nous ne laisserons pas de suivre encore un moment cette hypothése, non pas dans le dessein chimérique de pénétrer dans un lieu inaccessible, mais pour recueillir des vérités utiles sur notre passage.

Le pays dont nous parlons, avant d'en venir à l'interruption totale de son commerce avec les étrangers, aurait disputé pendant une longue suite de siècles le droit d'attirer leur argent.

Cette méthode est toujours avantageuse à une société qui a des intérêts extérieurs avec d'autres sociétés, quand même elle ne lui serait d'aucune utilité intérieure. L'argent est un signe général reçu par une convention unanime de tous les peuples policés. Peu content de sa fonction de signe, il est devenu mesure des denrées ; et enfin même les hommes en ont fait celle de leurs actions. Ainsi le peuple qui en possède le plus, est le maître de ceux qui ne savent pas le réduire à leur juste valeur. Cette science parait aujourd'hui abandonnée en Europe à un petit nombre d'hommes, que les autres trouvent ridicules, s'ils n'ont pas soin de se cacher. Nous avons Ve d'ailleurs que l'augmentation de la masse des signes anime l'industrie, accrait la population ; il est intéressant de priver ses rivaux des moyens de devenir puissants, puisque c'est gagner des forces relatives.

Il serait impossible de déterminer dans combien de temps le volume des signes pourrait s'accroitre dans un état au point d'interrompre le commerce étranger. Mais on connait un moyen général et naturel qui prolonge dans une nation l'introduction des métaux étrangers.

Nous avons Ve naître de l'augmentation des signes bien répartis dans un état, la diminution du nombre des emprunteurs, et la baisse des intérêts de l'argent. Cette réduction est la source d'un profit plus facîle sur les denrées, d'un moyen assuré d'obtenir la préférence des ventes, enfin d'une plus grande concurrence des denrées des artistes et des négociants. Calculer les effets de la concurrence, ce serait vouloir calculer les efforts du génie ou mesurer l'esprit humain. Du moindre nombre des emprunteurs et du bas intérêt de l'argent, résultent encore deux grands avantages.

Nous avons Ve que les propriétaires des denrées superflues vendues à l'étranger, commencent par payer sur les métaux qu'ils ont reçus en échange, ce qui appartient aux salaires des ouvriers occupés du travail de ces denrées. Il leur en reste encore une portion considérable ; et s'ils n'ont pas besoin pour le moment d'un assez grand nombre de denrées pour employer leurs métaux en entier, ils en font ouvrager une partie, ou bien ils la convertissent en pierres précieuses, en denrées d'une rareté assez reconnue pour devenir dans tout le monde l'équivalent d'un grand volume de métaux.

La circulation ne diminue pas pour cela suivant notre dixième conséquence sur l'augmentation de la masse de l'argent. Lorsque cet usage est le fruit de la surabondance dans la circulation générale, c'est une très-grande preuve de la prospérité publique. Il suspend évidemment l'augmentation du volume des signes, sans que la force du corps politique cesse d'être accrue. Nous parlons d'un pays où l'augmentation des fortunes particulières est produite par le commerce et l'abondance de la circulation générale ; car s'il s'y trouve d'autres moyens de faire de grands amas de métaux, et qu'une partie soit convertie à cet usage, il est clair que la circulation diminuera de la somme de ces amas ; que toutes les conséquences qui résultent de nos principes sur la diminution de la masse d'argent, seront ressenties, comme si cet argent eut passé chez l'étranger, à moins qu'il ne soit aussi-tôt remplacé par une nouvelle introduction équivalente ; mais dans ce cas le peuple n'aurait point été enrichi.

Le troisième avantage qui résulte du bas intérêt de l'argent, donne une grande supériorité à un peuple sur un autre.

A mesure que l'argent surabonde entre les mains des propriétaires des denrées, ne trouvant point d'emprunteurs, ils font passer la portion qu'ils ne veulent point faire entrer dans le commerce chez les nations où l'argent mesure les denrées. Ils le prêtent à l'état, aux négociants, à un gros intérêt qui rentre annuellement dans la circulation de la nation créancière, et prive l'autre du bénéfice de la circulation. Les ouvriers du peuple emprunteur ne sont plus que des esclaves auxquels on permet de travailler pendant quelques jours de l'année, pour se procurer une subsistance médiocre : tout le reste appartient au maître, et le tribut est exigé rigoureusement, soit que cette subsistance ait été commode ou misérable. Le peuple emprunteur se trouve dans cet état de crise, dont nos huitième et neuvième conséquences sur l'augmentation de la masse de l'argent donnent la raison.

Après quelques années révolues, le capital emprunté est sorti réellement par le payement des arrérages, quoiqu'il soit encore dû en entier, et qu'il reste au créancier un moyen infaillible de porter un nouveau désordre dans la circulation de l'état débiteur, en retirant subitement ses capitaux. Enfin pour peu qu'on se rappelle le gain que fait sur les changes une nation créancière des autres, on sera intimement convaincu de l'avantage qu'il y a de prêter son argent aux étrangers.

Diverses causes naturelles peuvent retarder la préférence de l'argent dans le Commerce, lors même que la circulation est libre ; son transport d'ailleurs est long et couteux. Les hommes ont imaginé de le représenter par deux sortes de signes.

Les uns sont momentanés, et de simples promesses par écrit de fournir de l'argent dans un lieu et à un terme convenu.

Ces promesses passent de main en main en payement, soit des denrées, soit de l'argent même, jusqu'à l'expiration du terme.

Par la seconde sorte de signes de l'argent on entend des obligations permanentes comme la monnaie même dans le public, et qui circulent également.

Ces promesses momentanées et ces obligations permanentes n'ont de commun que la qualité de signes ; et comme tels, les uns ni les autres n'ont de valeur qu'autant que l'argent existe ou est supposé exister.

Mais ils sont différents dans leur nature et dans leur effet.

Ceux de la première sorte sont forcés de se balancer au temps prescrit avec l'argent qu'ils représentent ; ainsi leur quantité dans l'état est toujours en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l'argent.

Leur effet est d'entretenir ou de répéter la concurrence de l'argent avec les denrées, en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l'argent. Cette proposition est évidente par elle-même, dès qu'on fait réflexion que les billets et les lettres de change paraissent dans une plus grande abondance, si l'argent est commun ; et sont plus rares, si l'argent l'est aussi.

Les signes permanens sont partagés en deux classes : les uns peuvent s'anéantir à la volonté du propriétaire ; les autres ne peuvent cesser d'exister, qu'autant que celui qui a proposé aux autres hommes de les reconnaître pour signes, consent à leur suppression.

L'effet de ces signes permanens est d'entretenir la concurrence de l'argent avec les denrées, non pas en raison de sa masse réelle, mais en raison de la quantité de signes ajoutée à la masse réelle de l'argent. Le monde les a vus deux fois usurper la qualité de mesure de l'argent, sans doute afin qu'aucune espèce d'excès ne manquât dans les fastes de l'humanité.

Tant que ces signes quelconques se contentent de leur fonction naturelle et la remplissent librement, l'état est dans une position intérieure très-heureuse : parce que les denrées s'échangent aussi librement contre les signes de l'argent, que contre l'argent même ; mais avec les deux différences que nous avons remarquées.

Les signes momentanés répètent simplement la concurrence de la masse réelle de l'argent avec les denrées.

Les signes permanens multiplient dans l'opinion des hommes la masse de l'argent. D'où il résulte que cette masse d'argent a dans l'instant de sa multiplication l'effet de toute nouvelle introduction d'argent dans le Commerce ; dès-lors que la circulation répartit entre les mains du peuple une plus grande quantité des signes des denrées qu'auparavant ; que le volume des signes augmente ; que le nombre des emprunteurs diminue.

Si cette multiplication est immense et subite, il est évident que les denrées ne peuvent se multiplier dans la même proportion.

Si elle n'était pas suivie d'une introduction annuelle de nouveaux signes quelconques, l'effet de cette suspension ne serait pas aussi sensible que dans le cas où l'on n'aurait simplement que l'argent pour monnaie ; il pourrait même arriver que la masse réelle de l'argent diminuât sans qu'on s'en aperçut, à cause de la surabondance des signes. Mais l'intérêt de l'argent resterait au même point à moins de réductions forcées, et le Commerce ni l'Agriculture ne gagneraient rien dans ces cas.

Enfin il est important de remarquer que cette multiplication n'enrichit un état que dans l'opinion des sujets qui ont confiance dans les signes multipliés ; mais que ces signes ne sont d'aucun usage dans les relations extérieures de la société qui les possede.

Il est clair que tous ces signes, de quelque nature qu'ils soient, sont un usage de la puissance d'autrui : ainsi ils appartiennent au crédit. Il a diverses branches, et la matière est si importante que nous la traiterons séparément. Voyez CREDIT. Mais il faudra toujours se rappeler que les principes de la circulation de l'argent sont nécessairement ceux du crédit qui n'en est que l'image.

Des principes dont la nature même des choses nous a fourni la démonstration, nous en pouvons déduire trois qu'on doit regarder comme l'analyse de tous les autres, et qui ne souffrent aucune exception.

1°. Tout ce qui nuit au Commerce, soit intérieur, soit extérieur, épuise les sources de la circulation.

2°. Toute sûreté diminuée dans l'état, suspend les effets du Commerce, c'est-à-dire de la circulation, et détruit le Commerce même.

3°. Moins la concurrence des signes existants sera proportionnée dans chaque partie d'un état à celle des denrées, c'est-à-dire moins la circulation sera active, plus il y aura de pauvres dans l'état, et conséquemment plus il sera éloigné du degré de puissance dont il est susceptible.

Nous avons taché jusqu'à présent d'indiquer la source des propriétés de chaque branche du Commerce, et de développer les avantages particuliers qu'elles procurent au corps politique.

Les sûretés qui forment le lien d'une société, sont l'effet de l'opinion des hommes, elles ne regardent que les législateurs chargés par la providence, du soin de les conduire pour les rendre heureux. Ainsi cette matière est absolument étrangère, quant à ses principes, à celle que nous traitons.

Il est cependant une espèce de sûreté, qu'il est impossible de séparer des considérations sur le Commerce, puisqu'elle en est l'âme.

L'argent est le signe et la mesure de tout ce que les hommes se communiquent. La foi publique et la commodité ont exigé, comme nous l'avons dit au commencement, que le poids et le titre de cet équivalent fussent authentiques.

Les législateurs étaient seuls en droit de lui donner ce caractère : eux seuls peuvent faire fabriquer la monnaie, lui donner une empreinte, en régler le poids, le titre, la dénomination.

Toujours dans un état forcé relativement aux autres législateurs, ils sont astreints à observer certaines proportions dans leur monnaie pour la conserver. Mais lorsque ces proportions réciproques sont établies, il est indifférent à la conservation des monnaies que leur valeur numéraire soit haute ou basse : c'est-à-dire que si les valeurs numéraires sont surhaussées ou diminuées tout d'un coup dans la même proportion où elles étaient avant ce changement, les étrangers n'ont aucun intérêt d'enlever une portion par préférence à l'autre.

Dans quelques états on a pensé que ce changement pouvait être utîle dans certaines circonstances. M. Melon et M. Dutot ont approfondi cette question dans leurs excellents ouvrages, surtout le dernier. On n'entreprendrait pas d'en parler, si l'état même de la dispute ne paraissait ignoré par un grand nombre de personnes. Cela ne doit point surprendre, puisque hors du Commerce on trouve plus de gens en état de faire le livre de M. Melon, que d'entendre celui de son adversaire ; ce n'est pas tout, la querelle s'embrouilla dans le temps au point que les partisans de M. Melon publièrent que les deux parties étaient d'accord ; beaucoup de personnes le crurent, et le répètent encore. Il en résulte que sans s'engager dans la lecture pénible des calculs de M. Dutot, chacun restera persuadé que les surhaussements des monnaies sont utiles dans certaines circonstances.

Voici ce qu'en mon particulier, j'ai pu recueillir de plusieurs lectures des deux ouvrages.

Tous les deux conviennent unanimement qu'on ne peut faire aucun changement dans les monnaies d'un état, sans altérer la confiance publique.

Que les augmentations des monnaies par les réformes au profit du prince, sont pernicieuses : parce qu'elles laissent nécessairement une disproportion entre les nouvelles espèces et les anciennes qui les font sortir de l'état, et qui jettent une confusion déplorable dans la circulation intérieure. M. Dutot en expliquant dans un détail admirable par le cours des changes, les effets d'un pareil désordre, prouve la nécessité de rapprocher les deux espèces, soit en diminuant les nouvelles, soit en haussant les anciennes : que l'un ou l'autre opérait également la cessation du désordre dans la circulation, et la sortie de l'argent ; mais il n'est point convenu que la diminution ou l'augmentation du numéraire fissent dans leur principe et dans leurs suites aucun bien à l'état. Il a même avancé en plus d'un endroit, qu'il valait mieux rapprocher les deux espèces en diminuant les nouvelles, et il l'a démontré.

M. Melon a avancé que l'augmentation simple des valeurs numéraires dans une exacte proportion entr'elles, était nécessaire pour soulager le laboureur accablé par l'imposition ; qu'elle était favorable au roi et au peuple comme débiteurs, qu'à choses égales, c'est le débiteur qu'il convient de favoriser.

M. Dutot a prouvé par des faits et par des raisonnements, qu'une pareille opération était ruineuse à l'état, et directement opposée aux intérêts du peuple et du roi. La conviction est entière aux yeux de ceux qui lisent cet ouvrage avec plus de méthode que l'auteur n'y en a employé : car il faut avouer que l'abondance des choses et la crainte d'en répéter, lui ont fait quelquefois négliger l'ordre et la progression des idées.

Examinons l'opinion de M. Melon de la manière la plus simple, la plus courte, et la plus équitable qu'il nous sera possible : cherchons même les raisons qui ont pu séduire cet écrivain, dont la lecture d'ailleurs est si utîle à tous ceux qui veulent s'instruire sur le Commerce.

Si le numéraire augmente, le prix des denrées doit hausser ; ce sera dans une des trois proportions suivantes ; 1°. dans la même proportion que l'espèce ; 2°. dans une proportion plus grande ; 3°. dans une moindre proportion.

Première supposition. Le prix des denrées hausse dans la même proportion que le numéraire.

Il est constant qu'aucune denrée n'est produite sans travail, et que tout homme qui travaille dépense. La dépense augmentant dans la proportion de la recette, il n'y a aucun profit dans ce changement pour le peuple industrieux, pour les propriétaires des fruits de la terre. Car les propriétaires des rentes féodales auxquels il est dû des cens et rentes en argent, reçoivent évidemment moins ; les frais des réparations ont augmenté cependant, dès-lors ils sont moins en état de payer les impôts.

Ceux qui ont emprunté ou qui doivent de l'argent, acquitteront leur dette avec une valeur moindre en poids et en titre. Ce que perdra le créancier sera gagné par le débiteur : le premier sera forcé de dépenser moins, et le second aura la faculté de dépenser davantage. La circulation n'y gagne rien, le changement est dans la main qui dépense. Disons plus, l'argent étant le gage de nos échanges, ou pour parler plus exactement le moyen terme qui sert à les évaluer, tout ce qui affecte l'argent ou ses propriétaires porte sur toutes les denrées ou leurs propriétaires. C'est ce qu'il faut expliquer.

S'il y avait plus de débiteurs que de créanciers, la raison d'état (quoique mal entendue en ce cas) pourrait engager le législateur à favoriser le plus grand nombre. Cherchons donc qui sont les débiteurs, et l'effet de la valeur qu'on veut leur procurer.

Les créanciers dans un état sont les propriétaires de l'argent ou des denrées.

Il est sur que l'argent est inégalement partagé dans tous les pays, principalement dans ceux où le commerce étranger n'est pas le principe de la circulation.

Si les propriétaires de l'argent ont eu la confiance de le faire rentrer dans le Commerce, surhausser l'espèce, c'est les punir de leur confiance ; c'est les avertir de mettre leur argent à plus haut prix à l'avenir ; effet certain et directement contraire au principe de la circulation ; enfin c'est non-seulement introduire dans l'état une diminution de sûreté, mais encore autoriser une mauvaise foi évidente entre les sujets. Je n'en demande pas d'autre preuve que le système où sont quantité de familles dans le royaume de devoir toujours quelque chose. Qu'attendent-elles, que l'occasion de pouvoir manquer à leurs engagements en vertu de la loi ? Quel en est l'effet, sinon d'entretenir la défiance entre les sujets, de maintenir l'argent à un haut prix, et de grossir la dépense du prince ? Quoiqu'une longue et heureuse expérience nous ait convaincus des lumières du gouvernement actuel, le préjugé subsiste, et subsistera encore jusqu'à ce que la génération des hommes qui ont été témoins du désordre des surhaussements, soit entièrement éteinte. Effet terrible des mauvaises opérations !

C'est donc le principe de la répartition inégale de l'argent qu'il faut attaquer ou réformer ; au lieu de dépouiller ses possesseurs par une violence dangereuse dans ses effets pendant des siècles. Mais ce n'est pas tout : observons que si les propriétaires de l'argent l'ont rendu à la circulation, elle n'est donc pas interrompue. C'est le cas cependant ou M. Melon conseille l'augmentation des monnaies. Si l'argent est resserré ou caché, il y a un grand nombre de demandeurs et point de prêteurs, dès-lors le nombre des débiteurs sera très-médiocre ; et ce serait un mauvais moyen de faire sortir l'argent, que de rendre les propriétés plus incertaines.

Ce ne peut donc être des prêteurs ni des emprunteurs de l'argent, que M. Melon a voulu parler.

D'un autre côté le nombre de emprunteurs et des prêteurs des denrées est égal dans la circulation intérieure. Les denrées appartiennent aux propriétaires des terres, ou aux ouvriers qui sont occupés par le travail de ces denrées. Par l'enchainement des consommations, tout ce que reçoit le propriétaire d'une denrée passe nécessairement à un autre : chacun est tout à la fois créancier et débiteur ; le superflu de la nation passe aux étrangers. Il n'y a donc pas plus de débiteurs à favoriser que de créanciers. Il n'y a que les débiteurs étrangers de favorisés ; car dans le moment du surhaussement payant moins en poids et en titre, ils acquitteront cependant le numéraire de leur ancienne dette. Présent ruineux pour l'état qui le fait ! Examinons l'intérêt du prince, et celui du peuple rélativement aux impôts.

Il est clair que le prince reçoit le même numéraire qu'auparavant, mais qu'il reçoit moins en poids et en titre. Ses dépenses extérieures restent absolument les mêmes intrinséquement, et augmentent numérairement ; le prix des denrées ayant augmenté avec l'argent, la dépense sera doublée ; il faudra donc recourir à des aliénations plus funestes que les impôts passagers, ou doubler le numéraire des impôts pour balancer la dépense. Où est le profit du prince et celui du peuple ?

Le voici sans doute. Si le prince a un pressant besoin d'argent, et qu'il lui soit dû beaucoup d'arrérages, la facilité de payer ces arrérages avec moins de poids et de titre, en accélérera la rentrée, cela ne souffre aucun doute ; mais il suffisait de diminuer tant pour livre à ceux qui auraient payé leurs arrérages dans un certain terme, et dans la proportion qu'on se résoudrait à perdre, en cas d'augmentation de l'espèce. Ceux qui n'auraient pas d'argent en trouveraient facilement, en partageant le bénéfice de la remise ; au lieu qu'en augmentant les espèces, il n'en vient pas à ceux qui en manquent. Tout serait resté dans son ordre naturel ; le peuple eut été soulagé, et le prince secouru d'argent.

Si le prince a des fonds dans son trésor, et qu'il veuille rembourser des fournisseurs avec une moindre valeur, il se trompe lui-même par deux raisons.

1°. Le crédit accordé par les fournisseurs est usuraire, en raison des risques qu'ils courent : c'est une vérité d'expérience de tous les temps, de tous les pays.

2°. Ces fournisseurs doivent eux-mêmes, recevant moins, ils rembourseront moins : et à qui ? à des ouvriers, à des artistes, aux propriétaires des fruits de la terre.

La dépense étant augmentée, combien de familles privées de leur aisance ? quel vide dans la circulation, dans le payement des impôts, qui n'en sont que le fruit !

Si c'est pour diminuer les rentes sur l'état, c'est encore perdre, puisque les nouveaux emprunts se feront à des conditions plus dures ; l'intérêt de l'argent haussant pour le prince, il devient plus rare dans le Commerce : la circulation s'affoiblit, et sans circulation, point d'aisance chez le peuple. Si cependant on se résout à perdre la confiance et à faire une grande injustice, il est encore moins dangereux de diminuer l'intérêt des rentes dû.s par l'état, que de hausser l'espèce : la confusion serait moins générale ; la défiance n'agirait qu'entre l'état et ses créanciers, sans s'étendre aux engagements particuliers : mais ni l'un ni l'autre n'est utile.

Conclusion : en supposant le prix des denrées haussé en proportion de l'argent ; il en nait beaucoup de désordres ; pas un seul avantage réel pour le roi, ni pour le peuple.

Seconde supposition. Le prix des denrées hausse dans une plus grande proportion que le numéraire.

Le mal sera évidemment le même que dans la première hypothèse, excepté que les rentiers seront plus malheureux, et consommeront encore moins. Mais celle-ci a de plus un inconvénient extérieur ; car le superflu renchérissant, il n'est pas sur que les étrangers continuent de l'acheter : du moins est-il constant qu'il arrivera quelque révolution dans le Commerce. Or ces révolutions font dans un état commerçant, le même effet que chez les Négociants ; elles l'enrichissent ou l'appauvrissent. Il s'en présente assez de naturelles, sans les provoquer et multiplier ses risques. Il est même un préjugé bien fondé, pour croire que le commerce étranger diminuera : car l'argent se soutiendra cher, en raison des motifs de défiance qui sont dans l'état ; et les denrées augmentant encore par elles-mêmes, il est évident que l'état aura un désavantage considérable dans la concurrence des autres peuples.

Avant de passer à la troisième supposition, il faut remarquer que l'expérience a prouvé que celle-ci est l'effet véritable des augmentations des monnaies, non pas tout-d'un-coup, mais successivement. Les denrées haussant continuellement, les dépenses de l'état augmentent, et par la même raison le numéraire des impôts. Le peuple, dont la recette est ordinairement bornée au simple nécessaire, quel que soit le numéraire, n'est pas plus riche dans un cas que dans l'autre : il n'a jamais de remboursements à faire ; et s'il vient à payer plus de numéraire à l'état, en proportion de celui qu'il reçoit, il est réellement plus pauvre.

Les observations de M. l'abbé de Saint-Pierre, et les comparaisons que fait M. Dutot, des revenus de plusieurs de nos rais, ne laissent aucun doute sur cette vérité, que les denrées haussent successivement dans une plus haute proportion que la monnaie : cependant examinons la troisième supposition, et voyons les effets qui résultent de son passage.

Traisième supposition. Le prix des denrées n'augmente pas proportionnellement avec l'argent.

C'est la plus favorable au système de M. Melon. Considérons quelle aisance le peuple et l'état en retirent ; &, ce qui est plus important, combien en durent les effets. Supposons la journée des ouvriers 20 sous ; la dépense nécessaire à la subsistance, 15 sous : ce seront 5 sous pour le superflu.

Supposons l'augmentation numéraire de moitié, et l'augmentation du prix des denrées d'un quart ; la journée montera à 25 sous, qui ne vaudront intrinséquement que 16 sous 8 den. sur l'ancien pied. La dépense nécessaire sera de 18 sous 9 den. il restera pour le superflu 6 sous 3 d. Mais comme les denrées ont augmenté d'un quart, l'ouvrier n'achetera pas plus de choses qu'avec les 5 s. qu'il avait coutume de recevoir.

Ainsi de ce côté l'ouvrier ou le peuple ne gagne point d'aisance : la circulation ne gagne rien.

Examinons la position du commerce étranger.

Supposons son ancienne valeur de 48 ; les denrées ayant augmenté d'un quart, la nouvelle valeur sera 60.

Il n'est point de nation qui ne reçoive des denrées des peuples auxquels elle vend : c'est l'excédent des exportations sur les importations, qui lui procure de nouvel argent. Evaluons les échanges en nature aux trois quarts de l'ancienne valeur, c'est-à-dire à 36, le profit de la balance eut été 12. Il est évident que l'étranger paye ses achats sur le pied établi dans le pays du vendeur ; mais qu'il se fait payer ses ventes sur le pied établi chez lui, c'est-à-dire en poids et en titre.

Cela posé, on achetera de l'étranger 54 ce qu'on payait 36. Les ventes seront 60, la balance restera 6.

Elle était de 12 auparavant ; par conséquent la circulation perd 6, et ces 6 n'équivaudront intrinséquement qu'à 4 sur l'ancien pied.

Par la même raison, tout ce que l'étranger devra au moment du surhaussement, sera payé la moitié moins ; et ce qui leur sera dû. coutera la moitié de numéraire en-sus. Cette double perte pour les Négociants en ruinera un grand nombre au profit des étrangers ; les faillites rendront l'argent rare et cher : enfin l'état aura perdu tout ce que l'étranger aura payé de moins. Ces objets seuls sont de la plus grande importance, car si l'état ajoute l'incertitude des propriétés aux risques naturels du Commerce, personne ne sera tenté d'y faire circuler ses capitaux ; le crédit des Négociants sera faible, l'usure s'en prévaudra : jamais les intérêts ne baisseront, et jamais l'état ne jouira de tous les avantages qu'il a pour commercer.

On objectera sans doute que les prix étant diminués d'un quart, les étrangers acheteront un quart de plus de denrées.

Si cela arrive, il est évident que l'industrie sera animée par cette nouvelle demande ; que la circulation recevra une très-grande activité ; que la balance numéraire sera 18, puisque la vente fera 72 ; enfin que l'état recevra autant de valeur intrinseque qu'auparavant. Mais il y a plusieurs observations à faire sur cette objection.

1°. S'il est vrai de dire en général, comme on doit en convenir, que le bon-marché de la denrée en procure un plus grand débit, il n'arrive pas toujours pour cela que le débit s'accraisse dans une proportion exacte de la baisse des prix. Outre qu'il est des denrées dont la consommation est bornée par elle-même, le marchand qui les revend fait tout son possible pour retenir une partie du bon marché à son profit particulier.

2°. L'argent se soutiendra cher par la diminution de la confiance, et le grand nombre de faillites qu'aura occasionné le passage du surhaussement : ainsi, quoique la main-d'œuvre et les denrées n'aient haussé que d'un quart en numéraire, il est certain que l'intérêt des avances faites par les Négociants, sera de moitié plus fort en numéraire ; et que cette moitié en sus du numéraire de l'intérêt, doit être ajoutée au surhaussement des denrées, que nous avons supposé être d'un quart.

Si cet intérêt était de 6 pour %, ce serait un douzième et demi en sus. Celui qui possédait dans son commerce 100 liv. avant le surhaussement, se trouvera posséder numérairement 150 livres. L'augmentation des denrées étant du quart, il semblerait qu'avec ces 100 liv. on pourrait commercer sur 25 liv. de plus en denrées.

Reste donc pour 16 livres de plus en denrées, qu'on n'en avait avant l'augmentation des espèces. Cependant comme l'intérêt de ces 100 liv. était de 6 pour % également, il convient d'ajouter 6 liv. aux 16 liv. ce qui en fera 22 liv.

Mais le plus fort numéraire des intérêts a évidemment diminué 3 livres sur les 25 livres que l'on espérait trouver de plus en denrées, à raison de l'inégalité du surhaussement des denrées en proportion de celui des espèces.

Ce calcul pourrait encore être poussé plus loin, si l'on évalue le bénéfice du commerçant, qui est toujours au moins du double de l'intérêt.

3°. Toutes les manufactures où il entre des matières étrangères, hausseront non-seulement d'un quart, comme toutes les autres denrées, mais encore de l'excédent du numéraire qu'on donnera de plus qu'auparavant pour payer ces matières.

4°. Si le pays qui a haussé sa monnaie, tire de l'étranger une partie des matières nécessaires à la Navigation, son fret renchérira d'autant en numéraire ; il faudra encore y ajouter le plus grand numéraire, et à raison de l'intérêt de l'argent, et à raison du prix des assurances. Toutes ces augmentations formeront une valeur intrinseque qui donnera la supériorité dans cette partie essentielle, aux étrangers qui paient l'argent moins cher.

5°. Tout ce qui manquera à l'achat des étrangers pour répondre à ce quart de diminution sur le prix, diminuera la balance intrinseque de l'état. Si dans l'exemple proposé, au lieu d'exporter 72 on n'exporte que 66, la balance numéraire sera de 12, comme auparavant ; mais la balance intrinseque ne sera que 8.

6°. En supposant même le quart entier d'accroissement sur les ventes, ce qui n'est pas vraisemblable cependant, il est clair, suivant la remarque de M. Dutot, que l'étranger n'aura donné aucun équivalent en échange.

7°. Je conviens que l'état aura occupé plus d'hommes : c'est un avantage très-réel ; mais il faut reconnaître aussi que les denrées haussant successivement, comme l'expérience l'a toujours vérifié, les ventes diminueront successivement dans la même proportion. La balance diminuera avec elles numérairement et intrinséquement ; et suivant les principes établis sur la circulation, le peuple sera en peu de temps plus malheureux qu'il n'était : car son occupation diminuera ; le nombre des signes qui avait coutume d'entrer en concurrence avec les denrées, n'entrant plus dans le commerce, la circulation s'affoiblira, l'intérêt de l'argent se soutiendra toujours. Telle est la vraie pierre de touche de la prospérité intérieure d'un état. Je veux bien compter pour rien le dérangement des fortunes particulières et des familles, puisque la masse de ces fortunes restera la même dans l'état ; mais je demanderai toujours s'il y a moins de pauvres, s'il y en aura moins par la suite, parce que la ressource de l'état peut être mesurée sur leur nombre.

Je ne crois point qu'on m'accuse d'avoir dissimulé les raisons favorables à l'opinion de M. Melon ; je les ai cherchées avec soin, parce qu'il ne me paraissait pas naturel qu'un habîle homme avançât un sentiment sans l'avoir médité. J'avoue même que d'abord j'ai hésité ; mais les suites pernicieuses et prochaines de cet embonpoint passager du corps politique, m'ont intimement convaincu qu'il n'était pas naturel ; enfin que l'opération n'est utîle en aucun sens. C'est ainsi qu'en ont pensé Mun, Locke, et le célèbre Law, qu'on peut prendre pour juges en ces matières, lorsque leur avis se réunit. Il ne faut pas s'imaginer que l'utilité des augmentations numéraires n'ait pu se développer que parmi nous, à moins que l'influence du climat ne change aussi quelque chose dans la combinaison des nombres.

Enfin je ne me serai point trompé, si malgré une augmentation de denrée à raison de l'agrandissement du royaume, malgré une augmentation de valeur de 150 millions dans nos colonies, la balance du commerce étranger n'est pas plus considérable depuis vingt-trois ans, que de 1660 à 1683.

Nous avons évidemment gagné, puisque depuis la dernière réforme il a été monnoyé près de treize cent millions ; mais il s'agit de savoir si nous n'aurions pas gagné davantage, en cas qu'on n'eut point haussé les monnaies ; si l'on verrait en Italie, en Allemagne, en Hollande surtout et en Angleterre, pour des centaines de millions de vieilles monnaies de France.

Jean de Wit évaluait la balance que la Hollande payait de son temps à la France, à 30 millions, qui en feraient aujourd'hui plus de 55. Je sai que nous avons étendu notre commerce : mais sans compter l'augmentation de nos terres et l'amélioration de nos colonies, supposons (ce qui n'est pas) que nous avons fait par nous-mêmes ou par d'autres peuples, les trois quarts du commerce que la Hollande faisait pour nous en 1655, la balance avec elle devrait rester de plus de treize millions ; en 1752 elle n'a été que de huit.

Regle générale à laquelle j'en reviendrai toujours, parce qu'elle est d'une application très-étendue : par-tout où l'intérêt de l'argent se soutient haut, la circulation n'est pas libre. C'est donc avec peu de fondement que M. Melon a comparé les surhaussements des monnaies, même sans réforme ni refonte, aux multiplications des papiers circulants. Je regarde ces papiers comme un remède dangereux par les suites qu'ils entraînent ; mais ils se corrigent en partie par la diminution des intérêts, et donnent au moins les signes et les effets d'une circulation intérieure, libre et durable. Ils peuvent nuire un jour à la richesse de l'état, mais constamment le peuple vit plus commodément. S'il était possible même de borner le nombre des papiers circulants, et si la facilité de dépenser n'était pas un présage presque certain d'une grande dépense, je les croirais fort utiles dans les circonstances d'un épuisement général dans tous les membres du corps politique : disons plus, il n'en est pas d'autre, sous quelque nom ou quelque forme qu'on les présente. Il ne s'agit que de savoir user de la fortune, et se ménager des ressources.

Cette discussion prouve invinciblement que le commerce étranger est le seul intérêt réel d'un état au-dedans. Cet intérêt est celui du peuple, et celui du peuple est celui du prince : ces trois parties forment un seul tout. Nulle distinction subtile, nulle maxime d'une politique fausse et captieuse, ne prouvera jamais à un homme qui jouit de sa raison, qu'un tout n'est point affecté par l'affoiblissement d'une de ses parties. S'il est sage de savoir perdre quelquefois, c'est dans le cas où l'on se réserve l'espérance de se dédommager de ses pertes.

M. Melon propose pour dernier appui de son sentiment, le problême suivant :

L'imposition nécessaire au payement des charges de l'état étant telle, que les contribuables, malgré les exécutions militaires, n'ont pas de quoi les payer par la vente de leurs denrées, que doit faire le législateur ?

J'aimerais autant que l'on demandât ce que doit faire un général dont l'armée est assiégée tout-à-la fois par la famine et par les ennemis, dans un poste très-desavantageux.

Dire qu'il ne fallait pas s'y engager, serait une réponse assez naturelle, puisque l'on ne désignerait aucune des circonstances de cette position ; mais certainement personne ne donnerait pour expédient de livrer la moitié des armes aux ennemis, afin d'avoir du pain pendant quatre jours.

C'était sans doute par modestie que M. Desmarests disait qu'on avait fait subsister les armées et l'état en 1709, par une espèce de miracle. Quelque cruelle que fût alors notre situation, il me semble que les mots de miracle et d'impossibilité ne sont point faits pour les hommes d'état.

Toute position a ses ressources quelconques, pour qui sait l'envisager de sang-froid et d'après de bons principes. Il est vrai que dans ces occasions critiques, comme dans toutes les autres, il faut se rappeler la prière de David : Infatua, Domine, consilium Achitopel.

Ce que nous avons dit sur la balance de notre commerce en 1655, prouve combien peu est fondé ce préjugé commun, que notre argent doit être plus bas que celui de nos voisins, si nous voulons commercer avantageusement avec eux. M. Dutot l'a également démontré par les changes.

La vraie cause de cette opinion parmi quelques négociants, plus praticiens qu'observateurs des causes et des principes, est que nos surhaussements ont presque toujours été suivis de diminutions.

On a toutes les peines du monde alors à faire consentir les ouvriers à baisser leurs salaires, et les denrées se soutiennent jusqu'à ce que la suspension du Commerce les ait réduites à leur proportion. C'est ce qui arrive même après les chertés considérables ; l'abondance ne ramène que très-lentement les anciens prix.

Ce passage est donc réellement très-desavantageux au Commerce, mais il n'a point de suites ultérieures. Observons encore que l'étranger qui doit, ne tient point compte des diminutions, et que cependant le négociant est obligé de payer ses dettes sur le pied établi par la loi. Il en résulte des faillites, et un grand discrédit général.

C'est donc la crainte seule des diminutions qui a enfanté cette espèce de maxime fausse en elle-même, que notre argent doit être bas.

La vérité est qu'il est important de le laisser tel qu'il se trouve ; que parmi les prospérités de la France, elle doit compter principalement la stabilité actuelle des monnaies. Voyez les articles MONNOIE, OR, ARGENT, CUIVRE, etc.