adj. (Métaphysique) Ce mot peut signifier deux choses, l'infini réel, et l'infini qui n'est tel que par un défaut de nos connaissances, l'indéfini, l'inassignable. Je ne saurais concevoir qu'un seul infini, c'est-à-dire que l'être infiniment parfait, ou infini en tout genre. Tout infini qui ne serait infini qu'en un genre, ne serait point un infini véritable. Quiconque dit un genre ou une espèce, dit manifestement une borne, et l'exclusion de toute réalité intérieure, ce qui établit un être fini ou borné. C'est n'avoir point assez simplement consulté l'idée de l'infini, que de l'avoir renfermé dans les bornes d'un genre. Il est visible qu'il ne peut se trouver que dans l'universalité de l'être, qui est l'être infiniment parfait en tout genre, et infiniment simple.

Si on pouvait concevoir des infinis bornés à des genres particuliers, il serait vrai de dire que l'être infiniment parfait en tout genre serait infiniment plus grand que ces infinis-là ; car outre qu'il égalerait chacun d'eux dans son genre, et qu'il surpasserait chacun d'eux en les égalant tous ensemble, de plus il aurait une simplicité suprême qui le rendrait infiniment plus parfait que toute cette collection de prétendus infinis.

D'ailleurs chacun de ces infinis subalternes se trouverait borné par l'endroit précis où son genre se bornerait, et le rendrait inégal à l'être infini en tout genre.

Quiconque dit inégalité entre deux êtres, dit nécessairement un endroit où l'un finit et où l'autre ne finit pas. Ainsi c'est se contredire que d'admettre des infinis inégaux.

Je ne puis même en concevoir qu'un seul, puisqu'un seul par sa réelle infinité exclut toute borne en tout genre, et remplit toute l'idée de l'infini. D'ailleurs, comme je l'ai remarqué, tout infini qui ne serait pas simple, ne serait pas véritablement infini : le défaut de simplicité est une imperfection ; car à perfection d'ailleurs égale, il est plus parfait d'être entièrement un, que d'être composé, c'est-à-dire que n'être qu'un assemblage d'êtres particuliers. Or une imperfection est une borne ; donc une imperfection telle que la divisibilité, est opposée à la nature du véritable infini qui n'a aucune borne.

On croira peut-être que ceci n'est qu'une vaine subtilité ; mais si on veut se défaire parfaitement de certains préjugés, on reconnaitra qu'un infini composé n'est infini que de nom, et qu'il est réellement borné par l'imperfection de tout être divisible, et réduit à l'unité d'un genre. Ceci peut être confirmé par des suppositions très-simples et très-naturelles sur ces prétendus infinis qui ne seraient que des composés.

Donnez-moi un infini divisible, il faut qu'il ait une infinité de parties actuellement distinguées les unes des autres ; ôtez-en une partie si petite qu'il vous plaira, dès qu'elle est ôtée, je vous demande si ce qui reste est encore infini ou non. S'il n'est pas infini, je soutiens que le total avant le retranchement de cette petite partie, n'était point un infini véritable. En voici la preuve : tout composé fini auquel vous rejoindrez une très-petite partie, qui en aurait été détachée, ne pourra point devenir infini par cette réunion ; donc il demeurera fini après la réunion ; donc avant la desunion il était véritablement fini. En effet qu'y aurait-il de plus ridicule que d'oser dire que le même tout est tantôt fini et tantôt infini, suivant qu'on lui ôte ou qu'on lui rend une espèce d'atôme ? Quoi donc, l'infini et le fini ne sont-ils différents que par cet atôme de plus ou de moins ?

Si au contraire ce tout demeure infini, après que vous en avez retranché une petite partie, il faut avouer qu'il y a des infinis inégaux entr'eux ; car il est évident que ce tout était plus grand avant que cette partie fût retranchée, qu'il ne l'est depuis son retranchement. Il est plus clair que le jour que le retranchement d'une partie est une diminution du total, à proportion de ce que cette partie est grande. Or c'est le comble de l'absurdité que de dire que le même infini demeurant toujours infini, est tantôt plus grand et tantôt plus petit.

Le côté où l'on retranche une partie, fait visiblement une borne par la partie retranchée. L'infini n'est plus infini de ce côté, puisqu'il y trouve une fin marquée. Cet infini est donc imaginaire, et nul être divisible ne peut jamais être un infini réel. Les hommes ayant l'idée de l'infini, l'ont appliquée d'une manière impropre et contraire à cette idée même à tous les êtres auxquels ils n'ont voulu donner aucune borne dans leur genre ; mais ils n'ont pas pris garde que tout genre est lui-même une borne, et que toute divisibilité étant une imperfection qui est aussi une borne visible, elle exclut le véritable infini qui est un être sans bornes dans sa perfection.

L'être, l'unité, la vérité, et la bonté sont la même chose. Ainsi tout ce qui est un être infini est infiniment un ; infiniment vrai, infiniment bon. Donc il est infiniment parfait et indivisible.

De-là je conclus qu'il n'y a rien de plus faux qu'un infini imparfait, et par conséquent borné ; rien de plus faux qu'un infini qui n'est pas infiniment un ; rien de plus faux qu'un infini divisible en plusieurs parties ou finies ou infinies. Ces chimériques infinis peuvent être grossièrement imaginés, mais jamais conçus.

Il ne peut pas même y avoir deux infinis ; car les deux mis ensemble seraient sans-doute plus grands que chacun d'eux pris séparément, et par conséquent ni l'un ni l'autre ne serait véritablement infini.

De plus, la collection de ces deux infinis serait divisible, et par conséquent imparfaite, au lieu que chacun des deux serait indivisible et parfait en soi ; ainsi un seul infini serait plus parfait que les deux ensemble. Si au contraire on voulait supposer que les deux joints ensemble seraient plus parfaits que chacun des deux pris séparément, il s'ensuivrait qu'on les dégraderait en les séparant.

Ma conclusion est qu'on ne saurait concevoir qu'un seul infini souverainement un, vrai et parfait.

INFINI, (Géométrie) Géométrie de l'infini, est proprement la nouvelle Géométrie des infiniment petits, contenant les règles du calcul différentiel et intégral. M. de Fontenelle a donné au public en 1727 un ouvrage, intitulé Eléments de la Géométrie de l'infini. L'auteur s'y propose de donner la métaphysique de cette géométrie, et de déduire de cette métaphysique, sans employer presque aucun calcul, la plupart des propriétés des courbes. Quelques géomètres ont écrit contre les principes de cet ouvrage ; voyez le second volume du Traité des fluxions de M. Maclaurin. Cet auteur attaque dans une note le principe fondamental de l'ouvrage de M. de Fontenelle ; voyez aussi la Préface de la traduction de la méthode des fluxions de Newton, par M. de Buffon.

M. de Fontenelle parait avoir cru que le calcul différentiel supposait nécessairement des quantités infiniment grandes actuelles, et des quantités infiniment petites. Persuadé de ce principe, il a cru devoir établir à la tête de son livre qu'on pouvait toujours supposer la grandeur augmentée ou diminuée réellement à l'infini, et cette proposition est le fondement de tout l'ouvrage ; c'est elle que M. Maclaurin a cru devoir attaquer dans le traité dont nous avons parlé plus haut : voici le raisonnement de M. de Fontenelle, et ce qu'il nous semble qu'on y peut opposer. " La grandeur étant susceptible d'augmentation sans fin, il s'ensuit, dit-il, qu'on peut la supposer réellement augmentée sans fin ; car il est impossible que la grandeur susceptible d'augmentation sans fin soit dans le même cas que si elle n'en était pas susceptible sans fin. Or, si elle n'en était pas susceptible sans fin, elle demeurerait toujours finie ; donc la propriété essentielle qui distingue la grandeur susceptible d'augmentation sans fin de la grandeur qui n'en est pas susceptible sans fin, c'est que cette dernière demeure nécessairement toujours finie, et ne peut jamais être supposée que finie ; donc la première de ces deux espèces de grandeurs peut être supposée actuellement infinie ". La réponse à cet argument est qu'une grandeur qui n'est pas susceptible d'augmentation sans fin, non seulement demeure toujours finie, mais ne saurait jamais passer une certaine grandeur finie ; au lieu que la grandeur susceptible d'augmentation sans fin, demeure toujours finie, mais peut être augmentée jusqu'à surpasser telle grandeur finie que l'on veut. Ce n'est donc point la possibilité de devenir infinie, mais la possibilité de surpasser telle grandeur finie que l'on veut (en demeurant cependant toujours finie) qui distingue la grandeur susceptible d'augmentation sans fin, d'avec la grandeur qui n'en est pas susceptible. Si l'on réduisait le raisonnement de M. de Fontenelle en syllogisme, on verrait que l'expression n'est pas dans le même cas qui en serait le moyen terme, est une expression vague qui présente plusieurs sens différents, et qu'ainsi ce syllogisme peche contre la règle qui veut que le moyen terme soit un. Voyez l'article DIFFERENTIEL, où l'on prouve que le calcul différentiel, ou la géométrie nouvelle, ne suppose point à la rigueur et véritablement de grandeurs qui soient actuellement infinies ou infiniment petites.

La quantité infinie est proprement celle qui est plus grande que toute grandeur assignable ; et comme il n'existe pas de telle quantité dans la nature, il s'ensuit que la quantité infinie n'est proprement que dans notre esprit, et n'existe dans notre esprit que par une espèce d'abstraction, dans laquelle nous écartons l'idée de bornes. L'idée que nous avons de l'infini est donc absolument négative, et provient de l'idée du fini, et le mot même négatif d'infini le prouve. Voyez FINI. Il y a cette différence entre infini et indéfini, que dans l'idée d'infini on fait abstraction de toutes bornes, et que dans celle d'indéfini on fait abstraction de telle ou telle borne en particulier. Ligne infinie est celle qu'on suppose n'avoir point de bornes ; ligne indéfinie est celle qu'on suppose se terminer où l'on voudra, sans que sa longueur ni par conséquent ses bornes soient fixées.

On admet en Géométrie, du moins par la manière de s'exprimer, des quantités infinies du second, du troisième, du quatrième ordre ; par exemple on dit que dans l'équation d'une parabole y = x2/a, si on prend x infinie, y sera infinie du second ordre, c'est-à-dire aussi infinie par rapport à l'infinie Xe que x l'est elle-même par rapport à a. Cette manière de s'exprimer n'est pas fort claire ; car si x est infinie, comment concevoir que y est infiniment plus grande ? voici la réponse. L'équation y = x2/a représente celle-ci y/x = x/a, qui fait voir que le rapport de y à x Ve toujours en augmentant à mesure que x croit, en sorte que l'on peut prendre x si grand, que le rapport de y à x soit plus grand qu'aucune quantité donnée : voilà tout ce qu'on veut dire, quand on dit que x étant infini du premier ordre, y l'est du second. Cet exemple simple suffira pour faire entendre les autres. Voyez INFINIMENT PETIT.

Arithmétique des infinis, est le nom donné par M. Wallis à la méthode de sommer les suites qui ont un nombre infini de termes. Voyez SUITE ou SERIE et GEOMETRIE. (O)

INFINIMENT PETIT, (Géométrie) on appelle ainsi en Géométrie les quantités qu'on regarde comme plus petites que toute grandeur assignable. Nous avons assez expliqué au mot DIFFERENTIEL ce que c'est que ces prétendues quantités, et nous avons prouvé qu'elles n'existent réellement ni dans la nature, ni dans les suppositions des Géomètres. Il nous reste à dire un mot des infiniment petits de différents ordres, et à expliquer ce qu'on doit entendre par-là. Prenons l'équation même y = x2/a que nous avons déjà considérée au mot INFINI, on dit ordinairement en Géométrie que quand x est infiniment petit, y est infiniment petit du second ordre, c'est-à-dire aussi infiniment petit par rapport à Xe que x l'est par rapport à a ; l'explication de cette manière de parler est la même que nous avons déjà donnée au mot INFINI : elle signifie que plus on prendra x petit, plus le rapport de y à x sera petit, en sorte qu'on peut toujours le rendre moindre qu'aucune quantité donnée. Voyez LIMITE, etc. (O)