ou CONVERSE, s. f. (Logique et Mathématiques) C'est ainsi que les Logiciens nomment une proposition qui resulte d'un échange de fonctions entre le sujet et l'attribut d'une proposition quelconque qu'ils conçoivent comme directe.

Ils ont observé que la vérité de la directe n'emportait pas toujours celle de sa converse ; et ils ont donné là-dessus quatre règles, relatives à autant d'espèces de propositions. Je ne rapporterai et ne développerai ici, que celles qui concernent les propositions universelles affirmatives ; parce qu'elles sont presque les seules qui aient lieu dans les sciences exactes, et que les mêmes refléxions pourront s'appliquer aux trois autres espèces, à l'aide de quelques changements aisés à suppléer.

Cette règle porte : que de telles propositions ne peuvent se convertir universellement, que quand le sujet est aussi étendu que l'attribut.

On a élevé dans plusieurs livres élémentaires de Mathématiques, différentes questions sur les converses, suivies de décisions, souvent opposées, et appuyées de part et d'autre sur des exemples mal développés. La source de ces embarras dans une matière aussi susceptible de clarté, est sans-doute l'impatience avec laquelle les auteurs qui en ont traité occasionnellement, ont voulu tirer des conséquences avant que de s'être donné la peine de remonter aux principes, qui sont ici la nature et les parties des propositions de Mathématique pure. Ces propositions sont toutes conditionnelles ; c'est-à-dire, que leur attribut ne convient au sujet que sous une certaine condition, différente de ce sujet envisagé plus abstraitement. Il y a donc trois parties très-distinctes dans l'énoncé de toute vérité mathématique : le sujet qui est un être exprimé d'une manière trop universelle pour que l'attribut de la proposition puisse lui convenir dans tous les cas possibles ; mais auquel il ne manque pour cet effet que d'être rendu plus particulier par une seule qualité déterminante : l'hypothèse, par où l'on doit entendre cette condition qui manquait au sujet ; et la thèse enfin, ou la qualité qu'on assure convenir au sujet dès que l'hypothèse l'a rendu assez particulier pour cela.

Qu'il me soit permis d'illustrer cette sous-division que j'exige dans la première partie de toute proposition, par l'exemple de celle que mettent les Métaphysiciens dans la cause complete de tout effet. Un effet est toujours exactement simultané à sa cause complete , c'est-à-dire à la collection de tout ce qui est requis pour qu'il parvienne à l'existence : et si l'on a accoutumé de regarder l'effet comme postérieur à sa cause, c'est parce qu'on entend communément par ce dernier terme, une cause incomplete , à laquelle il manque encore, pour être accompagnée de son effet, une qualité qu'on nomme condition, ou occasion, et qu'on distingue expressément du reste. Cette comparaison est d'autant plus légitime, que, même dans la Géométrie, dont les objets sont des quantités co-existentes, on est en usage de commencer souvent l'hypothèse des théorèmes par des adverbes de temps, tels que ceux-ci, quand, ou lorsque ; et de mettre quelquefois la thèse au futur, alors on aura, &c.

Mais voici une considération qui fera mieux sentir encore la nécessité de distinguer trois parties dans toute proposition hypothétique. Si l'on fait choix de deux pareilles propositions visiblement converses l'une de l'autre, et qu'on les distribue seulement en deux parties, l'hypothèse et la thèse, on ne pourra jamais obtenir l'une de ces propositions, à l'aide d'un simple renversement de l'autre ; et il faudra toujours conserver dans leurs deux hypothèses quelque chose qui leur est commun, et qui ne peut passer ni dans la thèse de l'une, ni dans celle de l'autre. Ce sont ces qualités communes aux deux hypothèses, que j'en détache, pour former ce que je nomme le sujet.

Nous sommes à présent en état de rectifier la définition qui est à la tête de cet article, et de dire, que quand deux propositions ont un même sujet, mais que l'hypothèse et la thèse de l'une font un échange mutuel de leurs fonction pour former l'autre proposition, elles sont dites converses l'une de l'autre ; et que la plus importante des deux, ou bien celle que l'on met la première, parce qu'elle peut se démontrer plus aisément sans le secours de l'autre ; que celle-ci ne peut être prouvée indépendamment de celle-là, se nomme quelquefois la directe. Voici donc la forme à laquelle je réduis les énoncés de toutes les propositions et de leurs converses.

Sujet commun. Tout ce qui a les qualités A, B, C, etc.

Je serai à présent beaucoup plus aisément compris dans ce que j'avais à observer sur les différentes questions dont on a embrouillé cette matière, et sur quelques autres règles contre lesquelles péchent la plupart des éléments qu'on met entre les mains des jeunes gens.

Première question. Tout théorème a-t-il une converse ?

Je me croirais dispensé d'une réponse, si des auteurs très-applaudis d'ailleurs, n'avaient pas prétendu le contraire, en s'appuyant par exemple de la 32e d'Euclide ; que par cette raison, je vais exprimer ici à ma manière : dans toute figure rectiligne, où il y a précisément trois côtés, la somme des angles vaut deux droits. La converse en est à présent aisée à trouver : dans toute figure rectiligne, où la somme des angles vaut deux droits, il y a précisément trois côtés.

On voit ici, que pour avoir mes trois parties, j'ai été obligé de substituer la définition au défini, parce que ce dernier renfermait sous un seul mot, les qualités qui devaient appartenir au sujet, avec celle qui constituait l'hypothèse. C'est ce que l'on est souvent obligé de faire ; et c'est-là sans-doute ce qui a empêché jusqu'à présent les auteurs d'apercevoir cette distinction.

Seconde question. Tout théorème universellement vrai, a-t-il une converse universellement vraie ?

Oui, pourvu que l'hypothèse soit aussi étendue que la thèse. Un des principaux auteurs qui ont soutenu la négative, s'étant fait fort surtout de l'exemple d'une diagonale qui coupe en deux également son parallélogramme, sans que pour cela toute droite qui coupe un parallélogramme en deux également en soit la diagonale : je ferai peut-être plaisir à ses lecteurs, en leur indiquant trois manières de rendre ce théorème universellement convertible. Premièrement en généralisant l'hypothèse, c'est-à-dire, en l'étendant à toutes les droites qui passent par le point d'intersection des deux diagonales, ou en particularisant la thèse, ce qui aurait lieu si on disait que le parallélogramme est coupé en deux triangles ; ou enfin en décomposant l'idée de diagonale, comme nous avons décomposé dans la première question l'idée de triangle, ce qui donnerait l'énoncé que voici : Toute droite qui passe par le sommet d'un des angles d'un parallélogramme, si elle passe aussi par le sommet de l'angle opposé, elle coupera ce parallélogramme en deux parties égales. On me proposa une fois l'exemple suivant à convertir : Tout polygone inscriptible au cercle, s'il est équilatéral, est-il aussi équiangle ; et je la rendis convertible en généralisant l'hypothèse, c'est-à-dire, en disant : si ces côtés alternatifs sont égaux. On remarquera en passant, que c'est seulement dans les théorèmes dont la thèse n'est pas plus étendue que l'hypothèse, qu'on peut donner le nom de propriété à la qualité que renferme cette thèse.

Je dois aussi un mot à ceux qui donnent dans l'excès opposé, et qui répondent à la question présente par l'affirmative, sans y mettre aucune restriction sur l'étendue de la thèse relativement à l'hypothèse ; mais qui craient y suppléer en distinguant les vérités mathématiques de celles qui ont un autre objet que la quantité. Les Savants de tous les siécles ayant pris plaisir à rendre leurs propositions aussi universelles qu'il leur était possible, et ayant trouvé plus de facilité à le faire dans les mathématiques que dans quelque autre science que ce fût, il en est arrivé que presque toutes les propositions de cette science ont eu des hypothèses aussi étendues que leurs thèses, et par conséquent des converses aussi vraies qu'elles ; ce qui a porté quelques esprits peu profonds à conclure par une induction précipitée, qu'il suffisait qu'une proposition certaine eut pour objet quelque branche des Mathématiques pour que sa converse fût certaine aussi ; et quand ils ont rencontré dans leurs lectures géométriques des théorèmes dont la converse était fausse, où ils n'y ont pas fait attention, où ils ont attribué cette fausseté à la malhabileté de l'auteur, qui avait pris pour converse d'une proposition ce qui ne l'était pas précisément. Une conséquence naturelle de leur opinion a été, qu'on pouvait se dispenser entièrement de démontrer les converses, erreur qui leur est commune avec toutes les personnes qui, n'ayant pas naturellement l'esprit net, n'y ont pas un peu suppléé par l'étude de la philosophie.

Traisième question. La même proposition a-t-elle plusieurs converses toutes aussi vraies qu'elle ?

Je répondrai encore une fois en distinguant : le choix des qualités dont on veut composer l'hypothèse et la thèse étant une fois déterminé, il n'est plus possible de convertir la proposition de plus d'une manière ; mais, si l'on n'avait encore déterminé que la qualité qui doit former la thèse de la directe, on pourrait varier de plusieurs manières l'expression de cette directe, et par conséquent l'expression et le fond même de sa converse ; savoir, en tirant du sujet pris selon l'acception commune, tantôt une qualité et tantôt une autre, pour en former ce que j'appelle l'hypothèse. A présent, si l'on me demande quelles règles doit suivre un auteur dans le choix de la qualité qu'il destine à former l'hypothèse de la directe ; je répondrai en général, qu'il doit préférer celle qui devenue thèse à son tour, formera la converse la plus utîle et la plus élégante. Mais voici une règle plus particulière : quand on a une classe de théorèmes, qui ne diffèrent qu'à un seul égard, on doit choisir pour hypothèse la qualité qui constitue cette différence, de sorte que le sujet soit absolument le même dans toutes ces propositions et dans toutes leurs converses. Outre l'uniformité qui résulte de l'observation de cette maxime, ce qui offre plus de commodité à l'attention et à la mémoire ; on en retirera encore l'avantage de pouvoir toujours sans aucune étude, démontrer les converses de ces sortes de propositions, par une méthode générale qui sera expliquée plus bas. On aura un exemple de ce que je prescris, si dans celui que j'ai allégué à l'occasion de la première question, à la place des nombres trois et deux, dont l'un est dans l'hypothèse et l'autre dans la thèse, on met les nombres 4 et 4, ou 5 et 6, ou 6 et 7, ou 7 et 10, etc. ou généralement a et 2 a -4 ; ce qui fournira des théorèmes sur la somme des angles d'un quadrilatère, d'un pentagone, et généralement d'un polygone quelconque.

Quatrième question. Convient-il de faire suivre chaque théorème par une converse ?

La symétrie le demanderait : mais premièrement, comme les Mathématiques s'étendent tous les jours, sans qu'il en arrive autant à la vie de ceux qui s'y appliquent ; il faut, dans ce siècle surtout, sacrifier cet avantage à celui de la briéveté, quand on prévait que ces converses n'auraient aucune utilité considérable : nous devons imiter la sage retenue d'Euclide, qui, quoiqu'il vécut dans un temps où l'objet des Mathématiques était mille fois moins vaste qu'à présent, a su cependant se borner aux converses dont il avait besoin pour démontrer ses principaux théorèmes, sans qu'on ait lieu de soupçonner un si grand génie d'avoir agi de la sorte par incapacité. En second lieu, on est bien forcé, surtout dans les Mathématiques mixtes, d'abandonner souvent le projet d'insérer certaines converses dans un traité, faute de pouvoir en donner la démonstration. Il est bien plus aisé de descendre des causes aux effets, que de remonter des effets aux causes. Le nombre des causes combinées dont on cherche le résultat, étant arbitraire, ce nombre est connu et aussi petit que l'on veut ; au lieu que celui des effets devant être puisé dans la nature, sous peine de se perdre dans des conclusions chimériques ; ce nombre nous est souvent inconnu par l'imperfection de nos sens, et même il est souvent trop considérable pour les forces de notre entendement : sans ces deux obstacles, rien n'empêcherait que nous ne pussions acquérir sur les causes physiques des lumières aussi certaines que celles dont nous jouissons à l'égard de la Géométrie pure ; savoir, en employant la voie d'exclusion pour découvrir les converses en physique, comme on le fait ordinairement en Géométrie pour les démontrer ; mais comment mettre en usage cette méthode, quand on ne peut pas avoir des énumérations complete s, et que la rejection de chaque membre de cette énumération exige des calculs dont nous avons à peine les éléments ? Ceci nous mène tout naturellement à la question suivante.

Cinquième question. Quelle méthode doit-on mettre en usage pour la démonstration des converses ?

On peut les démontrer d'une manière qui n'ait aucun rapport avec celle qu'on aura employée pour leurs directes, lorsqu'on est assez heureux pour trouver sans efforts un moyen considérablement plus abrégé ou plus élégant que celui sur lequel on a fondé la certitude de ces directes ; mais voici deux méthodes générales, dont peuvent faire usage ceux qui n'ont pas le génie ou le loisir nécessaire pour faire mieux ; méthodes qui pourront plaire d'ailleurs aux amateurs de l'uniformité, Ve la relation qu'elles mettent entre les démonstrations des propositions converses l'une de l'autre.

Pour rendre la première méthode appliquable à un théorème donné, il faut à ce théorème en joindre un autre dont le sujet soit le même, mais dont l'hypothèse et la thèse soient précisément l'opposé de celles de ce premier. Cette seconde directe étant démontrée, ce qui est ordinairement fort aisé à celui qui a déjà démontré la première, il faut démontrer la converse de cette première, en disant simplement que si elle n'avait pas lieu, la seconde directe serait fausse, et démontrer la converse de la seconde, en avertissant seulement que si elle n'était pas vraie, la première directe ne le serait pas non plus. Quoique cette méthode soit fort connue, j'espère qu'on me pardonnera d'en rapporter ici la formule, en considération de la règle que j'ai donnée en répondant à la troisième question, Ve que cette règle en deviendra plus intelligible encore, ce qui arrivera aussi aux réflexions que je joindrai à la formule.

Première directe. Dans tout sujet qui a les qualités A, B, etc. si la quantité p est égale à la quantité q, la quantité r ne sera pas égale à la quantité s.

Seconde directe. Dans tout, etc. si p n'est pas égale à q, r ne sera pas égale à s.

Première converse. Dans tout, etc. si r est égale à s, p sera égale à q.

Démonstration. Si p et q étaient inégales, r et s le seraient aussi par la seconde directe ; mais r et s sont supposées égales, donc p et q ne sauraient être inégales.

Seconde converse. Dans tout, etc. si r n'est pas égale à s, p ne sera pas égale à q.

Démonstr. Si p et q étaient égales, r et s le seraient aussi par la première directe ; mais r et s sont supposées inégales, donc p et q ne sauraient être égales.

Pour éviter l'idée négative qu'offre l'inégalité prise abstraitement, et les raisonnements négatifs qu'elle exige quelquefois, on la distribue souvent en deux cas, celui de majorité et celui de minorité ; ce qui donne à la vérité trois directes et trois converses au lieu de deux : Si, dit-on, p = q, on aura r = s ; si p > q, on aura r > s dit-on, p < q, on aura r < s, et réciproquement.

On peut même diviser l'inégalité d'une manière plus déterminée encore, et en quelque façon plus positive, en lui substituant séparément différentes égalités, comme on peut s'en éclaircir par l'exemple des diverses valeurs de la somme des angles des divers polygones : cette méthode fournit un grand nombre de directes, quelquefois une infinité qu'on doit démontrer sur un même modèle et d'une manière précise ; mais dont toutes converses se démontrent dans un instant par l'idée indéterminée d'inégalité : c'est ainsi qu'Euclide aurait sans-doute démontré en un seul mot la converse du théorème favori de Pythagore en la plaçant après les propositions 12e et 13e du second livre, dont il aurait pu aussi démontrer les converses en même temps dans un trait de plume, s'il n'avait pas imaginé cette autre démonstration plus directe et plus indépendante, par laquelle il termine son premier.

Par rapport à la seconde méthode que j'ai annoncée, elle consisterait à donner, dès le commencement du traité, la converse de chaque axiome, et à démontrer ensuite la converse de chaque théorème par la même chaîne de conséquences qu'on aurait employées pour démontrer le théorème direct, en substituant à chaque conséquence sa converse, et en y faisant des converses précédentes le même usage qu'on vient de faire de leurs directes pour démontrer la dernière directe. C'est encore ainsi qu'Euclide aurait pu démontrer cette même 47e proposition dont nous venons de parler, en citant la 13e. proposition et un corollaire de la 38e, au lieu de la 14e et de la 41e, auxquelles il avait renvoyé dans la démonstration de la 37e.

Si je n'ai pas fait mention dans tout ceci des converses des problèmes, c'est que j'ai présumé qu'on préfererait une seule règle générale, quoique plus embarassante dans l'exécution, à l'ennui de lire autant de remarques particulières sur les problèmes, que j'en ai déjà fait sur les théorèmes. Cette règle est aisée à imaginer et à retenir ; réduisez le problème que vous avez en main sous la forme du théorème, appliquez-lui alors les préceptes que nous avons donnés sur ceux-ci, tant pour les convertir que pour en démontrer les converses, et présentez enfin ces converses sous la forme de problèmes. Cet article est de M. LE SAGE fils citoyen de Genève, dont il a déjà été parlé au mot GRAVITE.