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Catégorie parente: Science
Catégorie : Analyse combinatoire
S. f. (Analyse des hasards) est la même chose que pari, qui est plus usité en cette rencontre. Voyez PARI, JEU, GEURE (Jurisprudprud.)

Cet article nous fournit une occasion, que nous cherchions, d'insérer ici de très-bonnes objections qui nous ont été faites sur ce que nous avons dit au mot CROIX OU PILE, de la manière de calculer l'avantage à ce Jeu si commun. Nous prions le lecteur de vouloir bien d'abord relire le commencement de cet article CROIX OU PILE. Voici maintenant les objections que nous venons d'annoncer. Elles sont de M. Necker le fils, citoyen de Genève, professeur de Mathématiques en cette ville, correspondant de l'académie royale des Sciences de Paris, et auteur de l'article FROTTEMENT ; nous les avons extraites d'une de ses lettres.

" On demande la probabilité qu'il y a d'amener croix en deux coups. Vous dites qu'il n'y a que trois événements possibles, 1°. croix d'abord, 2°. pîle et croix, 3°. pîle et pîle ; et comme de ces événements deux sont favorables et un nuisible, vous concluez que la probabilité d'amener croix en deux coups, est de deux contre un. Cette conclusion suppose deux choses ; 1°. que cette énumeration de tous les événements possibles est complete ; 2°. qu'ils sont tous trois également possibles, aequè proclives, comme dit Bernoulli. Je conviens avec vous de la vérité du premier chef ; mais nous différons sur le second point. Je crois que la probabilité d'amener croix d'abord est double de celle d'amener pîle et croix ou pîle et pile. La preuve directe que je crois en avoir, est celle-ci. Il est aussi facîle d'amener croix d'abord que pîle d'abord ; mais il est bien plus probable qu'on amenera pîle d'abord, que pîle et croix : car pour amener pîle et croix, il faut non-seulement amener pîle d'abord, mais après avoir amené pile, il faut ensuite amener croix ; second événement aussi difficîle que le premier. S'il était aussi facîle d'amener en deux coups pîle et pîle que pîle en un coup, il serait par la même raison encore de la même facilité d'amener pile, pile, et pîle en trois coups, et en général d'amener n fois pîle en n coups ; cependant qui est-ce qui ne trouve pas incomparablement plus probable d'amener pîle en un coup, que d'amener pîle cent fois de suite ? Voici une autre façon d'envisager la chose. Ou j'amenerai croix du premier coup, ou j'amenerai pile. Si j'amène croix, je gagne toute la mise de l'autre ; si j'amène pile, je ne perds ni ne gagne, parce qu'ensuite au second jet j'ai une espérance égale à la sienne. Donc, puisque j'ai chance égale à avoir sa mise ou à n'avoir rien, c'est comme s'il rachetait tout son risque, en me donnant la moitié de sa mise. Or la moitié de sa mise qu'il me donne, avec la mienne que je rattrape, fait les 3/4 du tout, et l'autre moitié de sa mise qu'il garde fait l'autre quart du tout : j'ai donc trois parts, et lui une ; ma probabilité de réussir était donc de 3 contre 1. Mais voici quelque chose de plus décisif. Il suivrait de votre façon, Monsieur, de compter les probabilités, qu'on ne pourrait en aucun nombre de coups gager avec parité d'amener la face A d'un dez à trois faces A, B, C ; car vous la trouverez toujours de 2n - 1 contre 2n, n étant le nombre de coups dans lequel on entreprend d'amener la face A. Voici en effet tous les cas possibles en quatre coups, par exemple " :

Il est aisé de voir qu'il y a ici 15 cas favorables et 16 défavorables ; de façon qu'il y a 24 - 1 contre 24, qu'on amenera la face A. Il me parait donc certain que le cas A ne peut pas être regardé comme n'étant pas plus probable que le cas B, C, B, B, &c.

Ces objections, surtout la dernière, méritent sans-doute beaucoup d'attention. Cependant il me parait toujours difficîle de bien expliquer pourquoi et comment l'avantage peut être triple, lorsqu'il n'y a que deux coups favorables ; et on conviendra du-moins que la méthode ordinaire par laquelle on estime les probabilités dans ces sortes de jeux, est très-fautive, quand même on prétendrait que le résultat de cette méthode serait exact ; c'est ce que nous examinerons plus à fond aux articles JEU, PARI, PROBABILITE, etc. (O)

GAGEURE, (Jurisprudence) est une convention sur une chose douteuse et incertaine, pour raison de laquelle chacun dépose des gages entre les mains d'un tiers, lesquels doivent être acquis à celui qui a gagné la gageure.

On fait des gageures sur des choses dont l'exécution dépend des parties, comme de faire une course en un certain temps fixé, ou sur des faits passés, présents, ou à venir, mais dont les parties ne sont pas certaines.

Les gageures étaient usitées chez les Romains ; on les appelait sponsiones, parce qu'elles se faisaient ordinairement par une promesse réciproque des deux parties, per stipulationem et restipulationem ; au lieu que dans les autres contrats, l'un stipulait, l'autre promettait.

En France on appelle ce contrat gageure, parce qu'il est ordinairement accompagné de consignation de gages ; car gager signifie proprement bailler des gages ou consigner l'argent, comme on dit gager l'amende, gager le rachat. Néanmoins en France on fait aussi les gageures par simples promesses réciproques sans déposer de gages ; et ces gageures ne laissent pas d'être obligatoires, pourvu qu'elles soient faites par des personnes capables de contracter et sur des choses licites, et que s'il s'agit d'un fait, les deux parties fussent également dans le doute.

Les Romains faisaient aussi comme nous des gageures accompagnées de gages ; mais les simples sponsions étaient plus ordinaires.

Ces sortes de sponsions étaient de deux sortes, sponsio erat judicialis aut ludicra.

Sponsio judicialis était lorsque dans un procès le demandeur engageait le défendeur à terminer plus tôt leur différend, le provoquait à gager une certaine somme, pour être payée à celui qui gagnerait sa cause, outre ce qui faisait l'objet de la contestation.

Cette première sorte de gageure se faisait ou par stipulation et restipulation, ou per sacramentum. On trouve nombre d'exemples de gageures faites par stipulations réciproques dans les oraisons de Cicéron pour Quintius, pour Ceccina contre Verrès, dans son livre des offices ; dans Varron, Quintilien, et autres auteurs.

La gageure per sacramentum est lorsque l'on déposait des gages in aede sacrâ. Les Grecs pratiquaient aussi ces sortes de gageures, comme le remarque Budée. Ils déposaient l'argent dans le prytanée ; c'était ordinairement le dixième de ce qui faisait l'objet du procès, lorsque la contestation était entre particuliers, et le cinquième dans les causes qui intéressaient la république, comme le remarque Julius Pollux. Varron explique très-bien cette espèce de gageure ou consignation dans son livre II. de la langue latine. C'est sans-doute de là qu'on avait pris l'idée de l'édit des consignations, autrement appelé de l'abréviation des procès, donné en 1563, et que l'on voulait renouveller en 1587, par lequel tout demandeur ou appelant devait consigner une certaine somme proportionnée à l'objet de la contestation ; et s'il obtenait à ses fins, le défendeur ou intimé était obligé de lui rembourser une pareille somme.

L'usage des gageures judiciaires fut peu-à-peu aboli à Rome ; on y substitua l'action de calomnie, pro decimâ parte litis, dont il est parlé aux instit. de poenâ temerè litigant. ce qui étant aussi tombé en non-usage, fut depuis rétabli par la novelle 112 de Justinien.

On distinguait aussi chez les Romains deux sortes de gageures, ludicres. L'une qui se faisait par stipulation réciproque, et dont on trouve un exemple mémorable dans Pline, liv. IX. chap. xxxv. où il rapporte la gageure de Cléopatre contre Antoine ; et dans Valere Maxime, liv. II. où est rapportée la gageure de Valerius contre Luctatius. Il est aussi parlé de ces gageures en la loi 3. au digeste de aleo lusu et aleat. qui dit, licuisse in ludo qui virtutis causâ fit sponsionem facère ; suivant les lais, Cornelia et Publicia, alias non licuisse.

L'autre sorte de gageure, ludicre, se faisait en déposant des gages, comme on voit dans une églogue de Virgile.

Depono, tu dic mecum quo pignore certes.

Il en est parlé dans la loi si rem, au digeste de praescriptis verbis, par laquelle on voit qu'on mettait assez ordinairement les anneaux en gage, comme étant plus en main que toute autre chose : si quis, dit la loi, sponsionis causâ annulos acceperit, nec reddat victori, praescriptis verbis adversus eum actio competit. Planude rapporte que Xantus maître d'Esope, ayant parié qu'il boirait toute l'eau de la mer, avait donné son anneau en gage. Cette sorte de gageure per depositionem pignorum était la seule usitée chez les Grecs, comme il résulte d'un passage de Démosthène ; lequel en parlant d'une gageure, dit qu'elle ne pouvait subsister, parce que l'on avait retiré les gages.

On ne doit pas confondre toutes sortes de gageures avec les contrats aléatoires, qui sont proscrits par les lois ; et c'est une erreur de croire que toutes sortes de gageures soient défendues, qu'il n'y ait point jamais d'action en justice pour les gageures, à-moins que les gages ne soient déposés. Ce n'est pas toujours le dépôt des gages qui rend la gageure valable ; c'est plutôt ce qui fait l'objet de la gageure : ainsi elles ont été rejetées ou admises en justice, selon que les personnes qui avaient fait ces gageures étaient capables, ou non, de contracter, et que l'objet de la gageure était légitime.

Mornac sur la loi 3. au digeste, et sur la loi si rem de praescriptis verb. de aleat. dit qu'elles sont permises in rebus honestis, veluti ob spem futuri eventus, et similibus.

Boniface, tome I. liv. VIII. titre xxjv. chapit. Ve Despeisses, tome I. part. I. tit. XVIIIe Catelan, tom. II. rapportent plusieurs arrêts qui ont déclaré des gageures valables.

L'exemple le plus récent que l'on connait d'une gageure assez considérable, dont l'exécution fut ordonnée au conseil du Roi, est celui d'une gageure de 30000 liv. que M. le maréchal d'Estrées et le sieur Law contrôleur général, avaient faite ensemble par un écrit double du 14 Mars 1720, au sujet du cours que pourrait avoir dans cette année le change avec Londres et Amsterdam. M. le maréchal d'Estrées ayant gagné la gageure, les directeurs des créanciers du sieur Law furent condamnés à lui payer les 30000 liv. quoique la somme n'eut pas été déposée. (A)




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