S. m. (Ordre Encyclopédique, Entendement, Raison, Mémoire, Histoire, Histoire naturelle, Histoire des Arts mécaniques) ouvrier qui sait préparer, et qui a le droit de vendre les peaux de chamois, pour être employées aux différents ouvrages qu'on en fait. On donne le même nom aux ouvriers qui prennent chez le Boucher les peaux de moutons, de brebis, de chèvres, de chevreaux et de boucs, couvertes de poil ou de laine, pour en faire le faux chamois. Ils achetent ces peaux par cent.

Voici la manière exacte de préparer ces peaux ; nous ne séparerons point le travail du Chamoiseur de celui du Mégissier, parce que la manœuvre de l'un diffère très-peu de la manœuvre de l'autre, surtout dans le commencement du travail.


Quand on a acheté les peaux, on peut les garder, en attendant qu'on les travaille, et qu'on en ait une assez grande quantité. Pour cet effet, on les étend sur des perches où elles se sechent ; il faut avoir soin de les battre pour en chasser les insectes appelés artusons, et autres qui les gâteraient. Cette précaution est surtout nécessaire dans les mois de Juin, de Juillet et d'Aout, les plus chauds de l'année. On en travaille plus ou moins à la fais, selon qu'on a plus ou moins de peaux et d'ouvriers.

Quand on a amassé des peaux, on les met tremper soit dans une rivière, quand on en a une à sa proximité, soit dans des pierres ou des vaisseaux de bois, qu'on appelle en quelques endroits timbres. Si la peau est fraiche, on peut la laver sur le champ ; il ne faut guère qu'un jour à un ouvrier pour laver un cent de peaux. Si au contraire elle est seche, il faut la laisser tremper un jour entier, sans y toucher. On lave les peaux en les agitant dans l'eau, et en les maniant avec les mains, comme on le voit exécuter Planche du Chamoiseur, figure 1. timbre 1. Cette préparation les nettoye.

Au sortir du timbre, on les met sur le chevalet, on les y étend, et on les passe au fer ou couteau à deux manches. Voyez de ces couteaux Pl. du Mégissier, fig. 11. 12. 14. même Pl. On voit en c un chevalet, une peau dessus, et un ouvrier occupé à la travailler. Cette opération s'appelle retaler. Son but est de blanchir la laine et de la nettoyer de toutes ses ordures.

Quand une peau a été retalée une fais, on la jette dans de l'eau nouvelle et dans un nouveau timbre ; ainsi il est à-propos que dans un atelier de Chamoiseur il y en ait plusieurs. Un ouvrier peut retaler en un jour vingt douzaines. Quand sa tâche est faite, il prend toutes ses peaux retalées et mises en un tas, et il les jette toutes dans l'eau nouvelle : il les y laisse passer la nuit, en quelque temps que ce soit ; cependant l'eau étant plus chaude ou moins dure en été, le lavage se fait mieux. Le premier retalage se fait de poil ou de laine. Le second jour, il se fait un second retalage ; à ce second retalage, on les étend sur le chevalet, comme au premier ; on y passe le fer, mais sur le côté de la chair ; cette opération nettoie ce côté et rend la peau molle. Il est à-propos que ce second retalage ait été précédé d'un lavage, et que les peaux aient été maniées dans l'eau. Il ne faut pas moins de peine et de temps pour ce second retalage que pour le premier.

A mesure que le second retalage s'avance, l'ouvrier remet ses peaux en tas les unes sur les autres ; et au bout de la journée il remplit les timbres de nouvelle eau, y jette ses peaux, les y laisse une nuit, et les retale le lendemain pour la troisième fais. Ce troisième retalage ne diffère aucunement des précédents ; il se fait sur le chevalet, et se donne du côté de la laine.

Il est à-propos d'observer que ces trois retalages de fleur et de chair ne sont que pour les peaux seches. Lorsque les peaux sont fraiches, on les retale trois fais, à la vérité, mais seulement du côté de la laine ; le côté de la chair étant frais, il n'a besoin d'aucune préparation ; l'ouvrage est alors bien abrégé, puisqu'un ouvrier pourrait presque faire en un jour ce qu'il ne fait qu'en trois.

Après le troisième retalage des peaux, on les rejette dans l'eau nouvelle, dans laquelle on les lave sur le champ ; il faut bien se garder de les laisser en tas, car elles s'échaufferaient, et se gâteraient. Quand elles sont lavées, on les fait égoutter ; pour cet effet, on les étend sur un treteau, toutes les unes sur les autres, et on les y laisse pendant trois heures.

Au bout de ce temps, on les met en chaux. Pour mettre en chaux, on est deux ; on prend une peau, on l'étend à terre, la laine contre la terre, et la chair en-haut ; on étend bien la tête et les pattes d'un côté, la queue et les pattes de l'autre ; on prend une seconde peau qu'on étend sur la première, tête sur tête, queue sur queue ; la laine de la seconde est sur la chair de la première ; la laine de la troisième sur la chair de la seconde, et ainsi de suite jusqu'à la concurrence de dix à douze douzaines. Quand elles sont toutes étendues, comme nous venons de le dire, on a à côté de soi un baquet ; il y a dans ce baquet de la chaux, cette chaux est fondue et délayée à la consistance de celle dont les Maçons se servent pour blanchir. Alors on prend une peau sans laine, cette peau s'appelle un cuiret : on saisit ce cuiret avec la tenaille par le milieu, après l'avoir plié en plusieurs doubles, ou on l'attache à l'extrémité d'un bâton, à-peu-près sous la forme d'un torchon, comme on voit Pl. du Mégissier fig. 1. On plonge ce cuiret dans la chaux, on frotte ensuite avec cette peau empreignée de chaux la première peau du tas, ce qu'on appelle enchaussener. Il faut que la peau soit enchaussenée par-tout, c'est-à-dire qu'il n'y ait à la peau qu'on enchaussene pas un endroit où le cuiret n'ait passé et n'ait laissé de la chaux. Cette précaution est de conséquence. A mesure qu'on met les peaux en chaux, on les met en pile. Il n'y a plus de danger à les mettre en pile, car les peaux ne s'échauffent plus quand elles sont enchausnées ou enchaussenées ; mais tout ce qui n'a pas été enchaussené se pourrit.

Pour mettre en pile, voici comment on s'y prend. Quand une peau est enchaussenée, on la plie en deux selon sa longueur, c'est-à-dire que les deux parties de la tête sont appliquées l'une sur l'autre, et les deux parties de derrière pareillement l'une sur l'autre, chair contre chair. On met à terre cette peau ainsi pliée ; on en enchaussene une seconde qu'on plie comme la première, et qu'on pose sur elle, et ainsi de suite. Une centaine de peaux fournit trois à quatre tas ou piles, selon qu'elles sont plus ou moins fortes de laine. Le ployement des peaux se fait par deux ouvriers. On laisse les peaux en pîle ou tas à terre, passer enchaussenées une huitaine entière, ou même une dixaine de jours, si elles ont été travaillées seches ; il ne faut que deux jours, si elles sont fraiches.

Au bout de ce temps on les déchaussene ; pour cet effet, on les enlève du tas une à une, on les ouvre, on les plie en sens contraire à celui selon lequel elles étaient pliées, c'est-à-dire par le milieu, mais toujours laine contre laine, de manière que la laine de la tête soit contre la laine de la queue ; on a de l'eau nouvelle toute prête ; on passe chaque peau pliée comme nous venons de dire, dans cette eau, et on l'y agite jusqu'à ce que la chaux qui n'est pas encore séchée sur elle, en soit entièrement détachée.

Quand la chaux a été emportée par l'eau, on plie la peau selon sa longueur, c'est-à-dire de manière que le pli traverse la tête et la queue, et que la chair soit contre la chair, et on la met sur un treteau pour égoutter. On continue de déchaussener, de plier et de mettre en pîle sur le treteau. On ne peut guère déchaussener plus d'un cent dans la même eau ; au reste ceci dépend beaucoup de la grandeur des timbres. On prend ordinairement de l'eau nouvelle à chaque cent ; d'où l'on voit combien il est avantageux à un Chamoiseur de travailler sur une rivière où l'eau change sans-cesse.

Quand les peaux sont toutes déchaussenées, on les laisse égoutter sur les treteaux le temps à-peu-près qu'il faut pour tirer de l'eau nouvelle ; ce temps suffit pour que l'eau qui s'égoutte entraîne avec elle le gros de ce qui reste de chaud. Après cela, on les prend sur les treteaux, on les laisse pliées, et on les met ainsi une à une dans l'eau nouvelle, et on les lave précisément comme le linge, en frottant une partie de la peau contre une autre. Le but de ce lavage est d'ôter de dessus la laine la portion d'eau de chaux dont elle pourrait être chargée.

Quand une peau a été ainsi lavée, on la met étendue sur les treteaux, et ainsi de suite ; on y en forme un tas qu'on laisse égoutter jusqu'au lendemain : le lendemain, s'il fait beau, on prend les peaux dessus les treteaux, et on les expose au soleil à terre, sur des murs, la laine tournée du côté du soleil ; cette manœuvre n'est pas indifférente, la laine en devient beaucoup plus douce et plus marchande. On ne laisse les peaux exposées au soleil qu'environ une heure, quand il fait chaud.

C'est alors le temps de dépeler : on entend par dépeler, enlever la laine. Pour cet effet on prend une peau, on la place sur le chevalet sur lequel on l'a retalée ; et avec le même fer on en fait retomber toute la laine, qui se détache si facilement qu'un ouvrier peut dépeler vingt douzaines en un jour, et qu'on ne passe le fer qu'une fois pour dépeler.

Quand la laine est abattue, on l'étend sur le grenier pour la faire sécher. Cette laine est appelée laine de plie. Elle reste plus ou moins sur le grenier, selon la saison : il ne faut que huit jours en été ; en hiver il faut quelquefois quinze jours, ou même un mois. L'hiver est cependant la saison où l'on tue le plus de moutons, et où le Chamoiseur dépele davantage. Quand la laine est seche, elle se vend au Drapier, sans recevoir aucune autre préparation.

Quand les peaux ont été dépelées, elles prennent le nom de cuirets, et on les jette en plains. Les plains sont des fosses rondes ou carrées dont le côté a cinq pieds (Voyez de ces fosses en A B D, Pl. du Mégissier) : leur profondeur est de quatre pieds. On y met environ un muid de chaux, et on les remplit d'eau environ aux deux tiers. On y jette douze douzaines de cuirets les uns après les autres ; on les y étend ; on les enfonce dans la chaux avec un instrument qu'on voit Pl. du Mégiss. fig. 4. et qu'on appelle un enfonçoir ; c'est un carré de bois emmanché d'un long bâton. Toute cette manœuvre s'appelle coucher en plain.

On les laisse dans le plain pendant quatre, cinq à six jours, puis on les en tire ; ce qui s'appelle lever. Plus on lève souvent, mieux on fait. Pour lever, on prend les tenailles, on saisit les peaux (Voyez ces tenailles, même Pl. fig. 8.) ; on les tire, on les jette sur des planches mises sur les bords du plain : on les laisse sur ces planches quatre jours, au bout desquels on les recouche ; on réitère cette opération pendant le cours de deux mois, ou deux mois et demi ; mais on observe au bout de ce temps de les coucher dans un autre plain neuf. Il ne faut pas mettre les peaux dans le plain aussi-tôt qu'il est fait ; c'est une règle générale, la chaleur de la chaux les brulerait : quand on a préparé un plain, il faut donc attendre toujours, avant que d'y jeter les peaux, au moins deux jours, temps qui lui suffit pour se refroidir.

Après ce travail de deux mois et demi, les peaux tirées des plains pour n'y plus rentrer, sont mises à l'eau, et rincées de chaux. On a de l'eau fraiche, et on les lave dans cette eau. Il y a des ouvriers qui ne rincent point, mais ils n'en font pas mieux. Après que les peaux ont été rincées de chaux, on les effleure. Cette opération de rincer et d'effleurer se fait sur chaque peau l'une après l'autre : on tire une peau du plain, on la rince et on l'effleure, puis on passe à une autre.

Effleurer, c'est passer le fer sur le côté où était la laine : cette opération s'exécute sur le chevalet avec un fer tranchant, et qu'on appelle fer à effleurer : celui dont on s'est servi jusqu'à-présent s'appelle fer à tenir. L'effleurage consiste à enlever la première pellicule de la peau. Cette pellicule s'enlève plus ou moins facilement : il y a des cuirets qui se prêtent avec tant de peine au couteau, qu'on est obligé de les raser. Effleurer, c'est passer le couteau sur la peau légèrement, et menant le tranchant circulairement et parallélement au corps tout le long de la peau ; raser au contraire, c'est appuyer le couteau fortement, couché de plat sur la peau, et le conduire dans une direction oblique au corps, comme si l'on se proposait de couper et d'enlever des pièces de la peau. Les ouvriers, pour désigner la qualité des peaux difficiles à effleurer, et qu'ils sont obligés de raser, disent qu'elles sont creuses. Les moutons creux ont le grain gros et la surface raboteuse. Il y en a de si creux, qu'on est obligé de les raser tous ; tels sont les grands moutons. Un ouvrier ne peut guère effleurer que quatre douzaines par jour ; mais s'il était obligé de raser toutes les peaux, il n'en finirait guère que deux douzaines dans sa journée.

Quand les peaux sont effleurées, on les met à l'eau : pour cet effet on a un timbre plein d'eau nouvelle ; on les jette dans cette eau ; on les en tire pour les travailler sur le chevalet avec le fer à écharner. Cette opération s'appelle écharner : elle se donne du côté de la chair, ou côté opposé à celui de la laine ; elle consiste à en détacher des parcelles de chair en assez petite quantité. On écharne jusqu'à dix douzaines par jour.

Après cette façon on leur en donne encore trois autres ; deux consécutives du côté de la fleur, et une du côté de la chair ; observant avant chacune de les passer dans l'eau nouvelle : toutes se donnent sur le chevalet, et toujours avec le même dernier fer : elles s'appellent façons de fleur, façons de chair, selon les côtés où elles se donnent.

Voici le moment d'aller au foulon. Si on a la quantité nécessaire de peaux pour cet effet, on y Ve : cette quantité s'appelle une coupe ; la coupe est de vingt douzaines. Ce terme vient de l'espèce d'auge du moulin à fouler où l'on met les peaux. Il y a des moulins où il y a jusqu'à quatre coupes : il y a deux maillets dans chaque coupe. Ces maillets sont taillés en dents à la surface qui s'applique sur les peaux : ce sont des pièces de bois très-fortes ou blocs à queue ; une roue à eau fait tourner un arbre garni de camnes ; ces camnes correspondent aux queues des maillets, les accrochent, les élèvent, s'en échappent, et les laissent retomber dans la coupe. Voilà toute la construction de ces moulins, qui diffèrent très-peu, comme on voit, des moulins à foulon des Drapiers. Voyez l'article DRAP.

Pour faire fouler les peaux, on les met dans la coupe en pelotes de trois ou quatre : pour faire la pelote, on met les peaux les unes sur les autres, on les roule : on les tient roulées en nouant les pattes et les têtes, et en passant les deux autres extrémités de la peau sous ce nœud : on jette ensuite ce nœud dans les coupes qui contiennent jusqu'à 20 douzaines de peaux. On laisse les pelotes sous l'action des pilons pendant deux heures ou environ ; au bout de ce temps on les retire de la coupe : on a des cordes tendues dans un pré à la hauteur de quatre pieds ; on disperse les peaux sur ces cordes, et on leur donne un petit évent ou vent blanc ; c'est-à-dire qu'on les y laisse exposées à l'air un peu de temps, un quart-d'heure, un demi-quart-d'heure. Il faut, comme on voit, avoir du beau temps ou des étuves : ces étuves ou chambres chaudes ont au plancher et de tous côtés des clous à crochet, auxquels on suspend les peaux jusqu'au nombre de trente douzaines. Ces chambres sont échauffées par de grands poêles.

Après ce premier petit vent blanc, on lève les peaux de dessus les cordes : tant qu'elles ont de l'eau, on dit qu'elles sont en tripes ; et quand elles commencent à s'en dépouiller, on dit qu'elles se mettent en cuir. Quand on les a levées de dessus les cordes, on les porte dessus une table pour leur donner l'huile. On se sert de l'huîle de poisson. On ne la fait point chauffer. On a cette huîle fluide dans une chaudière : on trempe sa main dedans ; puis la tenant élevée au-dessus de la peau, on en laisse dégoutter l'huîle dessus : on la promene ainsi par-tout, afin que la peau soit par-tout arrosée de l'huîle dégouttante des doigts. Pour mettre bien en huile, il faut environ quatre livres d'huîle par chaque douzaine de peau. Il n'y a point d'acception sur le côté de la peau ; on l'arrose d'huîle par le côté qui se présente.

A mesure qu'on donne l'huîle aux peaux, on les remet en pelotes de quatre peaux chacune, et on jette les pelotes dans la coupe du foulon, où elles restent exposées à l'action des maillets pendant environ trois heures ; au bout de ce temps, on les retire, et on leur donne sur les cordes un second vent un peu plus fort que le premier : il est d'un bon quart-d'heure.

Au bout de ce quart-d'heure, on lève de dessus les cordes, on remet en pelotes, et on jette les pelotes dans la coupe pour la troisième fais, où elles restent encore deux heures ; puis on les retire, et on leur donne une rosée d'huîle sur la même table, et semblable à la première qu'elles ont reçue : après cette rosée, on remet en pelotes, et on les fait fouler pendant trois heures.

Au bout de ces trois heures on les retire encore de la coupe ; on les étend sur des cordes, où on leur donne encore un vent un peu plus fort que le précédent : au sortir de dessus les cordes, et après avoir été remises en pelotes, on les foule encore pendant trois heures ou environ. On continue la foule et les vents alternativement jusqu'à huit vents, observant de donner immédiatement avant le dernier vent la troisième rosée d'huile. Après le huitième vent, qui est d'une ou de deux heures, il n'y a plus de foule.

Il faut ménager les vents qui précèdent le dernier avec beaucoup d'attention : s'ils étaient trop forts ou trop longs, les peaux se vitreraient ou deviendraient trop dures ; qualité qui les rendrait mauvaises. Les endroits faibles sont plus exposés que le reste à se vitrer ; mais si l'ouvrier était négligent, la peau se vitrerait par-tout.

Au sortir de la foule, et après le dernier vent, on met les peaux en échauffe. Mettre les peaux en échauffe, c'est en former des tas de vingt douzaines, et les laisser s'échauffer dans cet état. Pour hâter et conserver cette chaleur, on enveloppe ces tas de couvertures, de façon qu'on n'aperçoit plus de peaux. C'est alors qu'il faut veiller à son ouvrage ; si on le néglige un peu, les peaux se bruleront, et sortiront des tas noires comme charbon. On les laisse plus ou moins en échauffe, selon la qualité de l'huîle et la saison. Elles fermentent tantôt très-promtement, tantôt très-lentement. La différence est au point qu'il y en a qui passent le jour en tas sans prendre aucune chaleur ; d'autres qui la prennent si vite, qu'il faut presque les remuer sur le champ. On s'aperçoit à la main que la chaleur est assez grande pour remuer. Remuer les peaux, c'est en refaire de nouveaux tas en d'autres endroits, retournant les peaux par poignées de huit à dix plus ou moins. Leur chaleur est telle, que c'est tout ce que l'ouvrier peut faire que de la supporter.

On couvre les nouveaux ou le nouveau tas, et on fait jusqu'à sept ou huit remuages. On remue tant qu'il y a lieu de craindre à la force de la chaleur, qu'elle ne soit assez grande pour bruler les peaux. On laisse entre chaque remuage plus ou moins de temps selon la qualité de l'huîle : il y en a qui ne permet de repos qu'un quart-d'heure, d'autres davantage. Après cette manœuvre, les peaux sont ce qu'on appelle passées : pour les passer, on les a débarrassées de leur eau ; il s'agit maintenant pour les finir, de les débarrasser de leur huile.

Pour cet effet, on prépare une lessive avec de l'eau et des cendres gravelées : il faut une livre de cendres gravelées pour chaque douzaine de peaux. On fait chauffer l'eau au point de pouvoir y tenir la main ; trop chaude, elle brulerait les peaux : quand la lessive a la chaleur convenable, on la met dans un cuvier, et on y trempe les peaux ; on y jette à-la-fais tout ce qu'on en a ; on les y remue ; on les y agite fortement avec les mains, on continue cette manœuvre le plus longtemps qu'on peut, puis on les tord avec la bille.

La bille est une espèce de manivelle, telle qu'on la voit Pl. du Chamoiseur, fig. 5. cette manivelle est de fer : le coude et le bras B C D sont perpendiculaires à la queue A B : A B a environ 2 pieds de longueur ; C D un pied et demi ; l'ouverture du coude B, F, 4 pouces : le tout Ve un peu en diminuant depuis la tête du bras jusqu'au bout de la queue. Pour tordre, l'ouvrier a une perche fixée horizontalement dans deux murs, ou autrement, comme on voit Plan. du Chamoiseur, fig. 2. on prend cinq à six peaux : on les jette sur cette perche ; on les saisit de la main gauche par les bouts qui pendent ; on place entre ces bouts la queue A B de la bille : on prend de la main droite le manche D ; l'excédent des peaux depuis la perche jusqu'à la main gauche se range le long de la queue, et entre dans le coude B C F ; on fait tourner la bille à l'aide de ce manche, le plus fortement qu'on peut ; ou bien on se contente, après avoir saisi les bouts des peaux, de passer entr'elles et au-dessous de la perche un bâton qu'on tourne, et qui fait la même fonction que la bille.

A mesure qu'on tord, la lessive sort et emporte la graisse. Le mélange d'huîle et de lessive s'appelle dégras, et l'opération, dégraisser. Quand un premier dégraissage a réussi, il ne faut plus qu'un lavage pour conditionner la peau : ce lavage se fait dans l'eau claire, chaude, et sans cendres. Mais il en faut venir quelquefois jusqu'à trois dégraissages, quand les cendres sont faibles : les ouvriers prétendent qu'il faut alors écarter les femmes de l'attelier, et qu'il y a dans le mois un temps où leur présence fait tourner la lessive. On lave après ces dégraissages : après ce lavage, on tord un peu : cette dernière opération se fait aussi sur la perche et avec la bille.

Quand les peaux ont été suffisamment torses, on les secoue bien, on les détire, on les manie ; on les étend sur des cordes, ou on les suspend à des clous dans les greniers, et on les laisse sécher : il ne faut quelquefois qu'un jour ou deux pour cela.

Quand elles sont seches, on les ouvre sur un instrument appelé palisson : c'est ce que fait l'ouvrier de la Pl. du Chamoiseur, fig. 3. Le palisson simple est un instrument formé de deux planches, dont l'une est perpendiculaire à l'autre : la perpendiculaire porte à son extrémité un fer tranchant, un peu mousse, courbé, dont la corde de la courbure peut avoir six pouces, et la courbure est peu considérable. On passe la peau sur ce fer d'un côté seulement : cette opération n'emporte rien du tout ; elle sert seulement à amollir la peau, et à la rendre souple. On passe au palisson jusqu'à quinze douzaines de peaux par jour : l'opération du palisson se fait du côté de la fleur.

Lorsque les peaux ont été passées au palisson, on les pare à la lunette : c'est ce que fait l'ouvrier, Pl. du Chamoiseur, fig. 4. L'instrument qu'on voit, même fig. même Pl. qui consiste en deux montants verticaux, sur lesquels sont assemblées deux pièces de bois horizontales, dont l'inférieure est fixe sur les montants, et la supérieure peut s'écarter de l'inférieure, et entre lesquelles on peut passer la peau et l'y arrêter par le moyen d'une clé ou morceau de bois en talud qui traverse un des montants immédiatement au-dessus de la pièce de bois supérieure ; cet instrument, dis-je, s'appelle un paroir. Il y a encore un autre paroir qu'on peut voir même Pl. fig. 7. ce sont pareillement deux montants avec lesquels est emmortaisée une seule pièce de bois : il y a perpendiculairement à cette pièce de bois, mais parallèlement à l'horizon, deux espèces de pitons fixés à la même hauteur, et à-peu-près à la distance de la largeur de la plus grande peau : ces pitons reçoivent un rouleau de bois dans leurs anneaux : on jette la peau sur ce rouleau, et on l'y fixe par le moyen de trois espèces de valets : ces valets sont composés d'une espèce de crochets de bois qui peuvent embrasser la peau et le rouleau ; on en met un à chaque extrémité de la peau ; et un troisième sur le milieu des poids attachés au bout de ces valets, les empêche de lâcher la peau qu'ils tiennent serrée contre le rouleau de toute la pesanteur du poids. Voyez fig. 7. e g, les montants ; M, la traverse ; o, o, les pitons : n, n, le rouleau ; P q, P q, P q, les valets ; p, p, p, les crochets ; q, q, q, les poids ; m la peau.

L'opération de parer se fait du côté de la chair. La lunette enlève ce qui peut être resté de chair. La lunette est une espèce de couteau rond comme un disque, percé dans le milieu, et tranchant sur toute sa circonférence, tel qu'on le voit Pl. du Mégiss. fig. p. La circonférence de l'ouverture inférieure est bordée de peau : l'ouvrier passe sa main dans cette ouverture pour saisir la lunette et la manier. La lunette a cela de commode, que quand elle cesse de couper du côté où l'on s'en sert, le plus leger mouvement du poignet et des doigts la fait tourner, et la présente à la peau par un endroit qui coupe mieux. Il y a des ouvriers qui parent jusqu'à six douzaines de peaux par jour.

Quand les peaux sont parées, on les vend aux Gantiers et à d'autres ouvriers. Il est bon de savoir que s'il reste de l'eau dans les peaux quand on les met en échauffe, si elles sont mal passées, c'est autant de gâté ; elles se brulent, et deviennent noires et dures. C'est à l'échauffe qu'elles se colorent en chamois. Un ouvrier prudent n'épargnera pas les remuages.

On ne perd pas le dégras ; on le met dans une chaudière ; on le fait bouillir ; l'eau s'évapore ; et il reste une huîle épaisse qu'on vend aux Corroyeurs.

On mettait jadis de l'ocre au dernier lavage, pour rendre la peau plus jaune ; mais il n'y a plus que les paysans qui les veulent de cette couleur ; on prétend d'ailleurs qu'elle altère la peau, et la rend moins moèlleuse. Pour employer l'ocre, on le détrempait dans de l'eau ; et au dernier lavage, après le dégraissage, on passait les peaux dans cette eau.

S'il se trouve quelques chèvres et quelques boucs dans un habillage (c'est le nom qu'on donne à la quantité de toutes les peaux qu'on a travaillées, depuis le moment où l'on a commencé jusqu'au sortir du foulon) ; s'il s'y trouve même des chamois, des biches, et des cerfs, le travail sera tel qu'on l'a décrit : mais quand les peaux de boucs, de chèvres, de chamois, de biches, de cerfs, etc. sont revenues du foulon, et qu'elles ont souffert l'échauffe, le travail a quelque différence : on les met tremper dans le dégras jusqu'au lendemain, et ensuite on les ramaille.

Le ramaillage est l'opération la plus difficîle du Chamoiseur ; elle consiste à remettre les peaux auxquelles cette manœuvre est destinée, sur le chevalet ; à y passer le fer à écharner ; à enlever l'arriere-fleur ; et à faire par ce moyen cotonner la peau du côté de la fleur. Si le fer n'a pas passé et pris partout, il y aura des endroits où l'arriere-fleur sera restée : ces endroits ne seront point cotonnés, et ne prendront point couleur. Ramailler est un travail dur ; il faut être bon ouvrier pour ramailler par jour, soit une douzaine et demie de boucs, soit deux douzaines de chèvres, ou dix peaux de cerfs.

S'il fait soleil, on expose à l'air les peaux immédiatement après les avoir ramaillées, sinon on les dégraisse tout de suite.

Quand il s'agit de donner les vents, lors de la foule, il faut les donner d'autant plus forts que les peaux sont plus fortes. Selon la force des peaux, il faut même et plus de vents et plus de foule ; les cerfs reçoivent alternativement jusqu'à douze vents et douze foules.

Quand on emploie en ouvrages les peaux de chèvres, de boucs, de cerfs, etc. la fleur est en-dehors et fait l'endroit de l'ouvrage ; la chair est à l'envers. C'est le contraire pour les peaux de mouton.

On effleure les peaux, pour que celui qui les emploie puisse facilement les mettre en couleur. La peau effleurée prend plus facilement la couleur que la peau qui ne l'est pas.

Les Chamoiseurs et les Mégissiers doivent prendre garde dans l'emplette des peaux, que celles de mouton ne soient point coutelées, c'est-à-dire qu'au lieu d'avoir été enlevées de dessus l'animal avec la main, elles n'aient pas été dépouillées avec le couteau. On ne coutele les peaux qu'à leur détriment, et la durée en est moindre.

Quand l'opération de la foule n'a pas été bien faite, le Chamoiseur est quelquefois obligé de broyer ces peaux à la claie. Voyez l'article CORROYEUR.

On paye au foulon quatre francs par coupe de vingt douzaines.

Toutes les opérations du Chamoiseur et du Mégissier se font ordinairement dans des tanneries, où ils ont des eaux de citerne ou de puits, au défaut d'eau de rivière.

Il y a des Chamoiseurs qui ne se donnent pas la peine de préparer les peaux ; ils les achetent des Tanneurs en cuirets, et se contentent d'achever le travail : ils sont même presque dans la nécessité de céder ce profit aux Tanneurs, qui exercent ici une espèce de petite tyrannie sur le Boucher. Celui-ci craignant de ne pas vendre bien ses peaux de bœufs et de veaux, s'il les séparait de celles de mouton, est obligé de les vendre toutes ensemble au tanneur ; ce qui gêne et vexe le Chamoiseur, surtout en province. Il serait à souhaiter qu'on remédiât à cet inconvénient. Il ne doit pas être plus permis au Tanneur d'empiéter sur le travail du Chamoiseur et du Mégissier, qu'à ceux-ci d'empiéter sur le sien.

On apprête aussi en huîle des peaux de castor ; mais cela n'est pas ordinaire. Ce travail est le même que celui des peaux de boucs et de chèvres. Lorsque ces dernières sont teintes en différentes couleurs, on les appelle castors, surtout employées en gants d'hommes et de femmes. Voyez l'article CASTOR.

On est à présent dans l'usage de passer en huîle des peaux de veaux ; on en peut aussi réduire le travail à celui des peaux de boucs et de chèvres.

On emploie les nappes ou peaux de chamois, cerfs, biches, et bufles pour la cavalerie. On y destine même quelquefois des cuirs de bœufs qu'on passe alors en huile. On fait des culottes avec les peaux de biches, quand elles sont minces : on en fait aussi avec les peaux de moutons quand elles sont fortes. C'est par cette raison, qu'on aura soin dans l'un et l'autre cas de séparer les peaux selon leurs différentes qualités. Les peaux de mouton faibles se mettront en doublures de culottes, bas, chaussettes à étrier, etc.

Plusieurs fabriquans font tort au public, lorsqu'ils s'avisent en appareillant leurs peaux pour les vendre, d'en mettre une forte avec une faible : il serait mieux, même peut-être pour leur intérêt, de mettre les excellentes avec les excellentes, les bonnes avec les bonnes, les médiocres avec les médiocres, et de vendre les unes et les autres ce qu'elles valent. Par ce moyen l'acheteur userait sa marchandise en entier, et le marchand n'aurait pas moins gagné.

Les rebuts qui ne manquent jamais de se trouver dans un foulage de peaux de différentes qualités, se vendent ordinairement aux Gantiers.

Les peaux de chamois, cerfs, biches et daims, qu'on passe en huile, ne demandent pas une autre main-d'œuvre que celle que nous avons expliquée ; il n'y a de différence que dans les doses, les délais, les nourritures, etc. Il est à propos, autant qu'on peut, de ne mettre qu'une sorte de peaux dans un même foulage ; sans quoi les unes seront trop foulées, les autres ne le seront pas assez. Les Chamoiseurs ne s'assujettissent peut-être pas assez à cette règle.

Les peaux de daim sont aujourd'hui les plus recherchées pour les culottes.

La différence seule qu'il y ait entre le Chamoiseur et le Mégissier, c'est que le Chamoiseur passe en huile, et le Mégissier ne passe qu'en blanc. Cette différence se sentira mieux par ce que nous allons dire de ce dernier.

La manœuvre du Mégissier est la même que celle du Chamoiseur jusqu'aux plains. Quand les peaux sont dépelées, on les jette en plain : on les y laisse trois mois ; et pendant tout ce temps, on les lève de huit en huit jours. Au bout de ces trois mois, on les tire tout à fait ; on les met à l'eau, c'est-à-dire qu'on les porte dans l'eau fraiche pour les travailler ; on les échancre sur le chevalet, et on les rogne, c'est-à-dire qu'on en coupe les bouts des pattes et de la tête, et toutes les extrémités dures. Quand elles sont rognées, on les met boire, et on les jette dans l'eau ; puis on les épierre : épierrer, c'est avec une pierre de grais ou à éguiser, montée sur un morceau de bouis ou manche, un peu tranchante, et servant de fer ou de couteau au Mégissier, travailler la peau du côté de la fleur, ce qui s'appelle tenir. Quand les peaux ont été tenues, on les jette dans de l'eau claire ; on les foule et bat bien dans cette eau ; on les en tire pour les travailler du côté de la chair, ce qui s'appelle donner un travers de chair : cette manœuvre se fait avec le couteau à écharner. On dit donner un travers ; parce que dans cette façon la peau ne se travaille pas en long, ou de la tête à la queue, mais en large.

Quand on a donné le travers aux peaux, on les met dans de la nouvelle eau, et on les foule ; ce qui se fait à bras, avec des pilons ou marteaux de bois, emmanchés et sans dents. La foule dure à chaque fois un quart-d'heure ; puis on rince. Après avoir rincé, on fait reboire dans de nouvelle eau ; on donne ensuite un bon travers de fleur : ces travers n'enlèvent rien, ils font seulement sortir la chaux. On remet encore à l'eau nouvelle ; on foule, on rinse, on remet boire ; puis on donne une glissade de fleur avec le couteau rond : donner une glissade, c'est travailler légèrement en long, ou de la tête à la queue. On remet dans l'eau, on foule, on rinse, on donne une seconde glissade de fleur, après laquelle on recoule de chair : recouler, c'est passer légèrement le couteau à écharner. En général, le couteau rond sert toujours pour la fleur, et le couteau à écharner pour la chair.

Lorsque les peaux sont recoulées, on prépare un confit avec de l'eau claire et du son de froment. Pour dix douzaines de peaux, il faut une carte de son, ou un demi-boisseau comble ; on met le mélange d'eau et de son dans un muid ; on y jette aussi-tôt les peaux ; on les y remue bien, en sorte qu'elles soient couvertes par-tout de son et de confit ; on les y laisse jusqu'à ce qu'elles lèvent comme la pâte : quand elles sont levées, on les renfonce, ce qui se fait d'un jour à l'autre ; il ne faut pas plus de temps aux peaux pour lever, surtout dans les jours chauds. On ne les tire du confit, que quand elles ne lèvent plus : mais il leur arrive ordinairement de lever et d'être renfoncées jusqu'à sept ou huit fais. Quand elles ne lèvent plus, on les recoule pour en ôter le son : mais cette opération se fait seulement du côté de la chair. On les met ensuite en presse. Pour cet effet, on les enveloppe dans un drap ; on les couvre d'une claie : on charge cette claie de pierres ; elles ne restent en presse que du jour au lendemain.

Le lendemain, on les secoue et on les passe. Voici la manœuvre importante du Mégissier à cet effet. Pour dix douzaines de moutons passables et assez beaux, on prend vingt-quatre livres de la plus belle fleur de blé, dix livres d'alun, et trois livres de sel ; on fait fondre l'alun avec le sel en particulier, dans un petit seau d'eau chaude ; on a dix douzaines de jaunes d'œufs, et trois livres d'huîle d'olive : on fait de l'alun fondu avec le sel et de la farine, une pâte ; on répand l'huîle d'olive sur cette pâte ; on délaye bien le tout ensemble : quant aux jaunes d'œufs, il ne faut les mêler à la pâte délayée, que quand elle n'est presque plus chaude, et avoir soin d'en rendre le mélange très-égal. Quant à sa consistance, il ne la lui faut pas si grande que celle du miel ; il lui faut un peu plus de fluidité.

Si l'on a dix douzaines de peaux, on les divisera en cinq parties égales, qu'on appelle passées, de deux douzaines chacune ; et quant à la quantité de pâte ou sauce qu'on aura préparée, on la divisera aussi en cinq parties ou platées. Pour passer, on prendra une des platées, qu'on divisera encore en deux demi-platées ; on aura un cuvier assez grand pour que la peau y puisse être étendue ; on aura près de soi les deux douzaines de peaux ; on aura fait tiédir à-peu près trois fois autant d'eau qu'on aura de sauce, c'est-à-dire la valeur de trois demi-platées : on mêlera cette eau tiede avec la demi-platée de sauce ; on remuera bien le tout ; on mettra alors les deux douzaines de peaux, où l'on aura répandu son mélange ; on les y trempera bien : pour cet effet, on y agitera les peaux jusqu'à ce qu'elles aient bu toute la sauce. Pendant cette manœuvre, le cuvier est incliné en-devant ; et la manœuvre se fait dans la partie basse du cuvier. Quand elle est faite on prend les peaux, et on les repousse à la partie supérieure du fond, qui forme un plan incliné : là elles s'égouttent, et ce qui en sort se rend à la partie inférieure.

Quand elles sont suffisamment égouttées, on prend l'autre demi-platée, on y ajoute à-peu-près deux fois autant d'eau tiede ; on met le tout dans le même cuvier où sont les peaux ; on remue bien ; puis on prend chacune des peaux déjà passées et qu'on a mises égoutter à la partie supérieure du fond du cuvier, l'une après l'autre ; on tient étendue avec les deux mains celle qu'on a prise, et on la trempe trois ou quatre fois dans la sauce, en l'y frottant bien. On met ensuite cette peau trempée ou passée, dans un autre endroit de la partie supérieure du fond du cuvier : on prend une autre peau ; on l'étend avec les mains : on la trempe trois ou quatre fois en la frottant bien dans la sauce : et on la met sur la première ; et ainsi de suite jusqu'à ce que toute la passée soit finie. Quand toute la passée est finie, on ramène toutes les peaux du haut du fond du cuvier, dans le bas, et on leur fait achever de boire toute la sauce.

Quand les cinq passées sont faites, on les met toutes ensemble dans un cuvier, et on les foule, soit avec les pieds, soit avec des pilons : cette foule dure environ un quart-d'heure. Quand on a bien foulé les peaux, on les laisse reposer dans le cuvier jusqu'au lendemain. Le lendemain, s'il fait beau, on les étend au soleil ; s'il fait laid, on les laisse dans le cuvier à la sauce, où elles ne souffrent point : elles y peuvent rester jusqu'à quinze jours : si elles ne peuvent pas sécher dans un même jour, on les remet dans la sauce.

Quand elles sont seches, ce qui ne demande qu'un jour quand il fait très-beau, on tire environ une dixaine de seaux d'eau, qu'on met dans un cuvier ; on prend les peaux seches par deux douzaines, et on les plonge dans l'eau, d'où on les retire sur le champ, de peur qu'elles n'en prennent trop. Quand elles n'en ont pas assez pris, on les y replonge une seconde fois ; puis on les broye ou foule aux pieds sur une claie qui est à terre : dix douzaines de peaux ne se broyent pas en moins de trois heures.

Quand elles sont broyées, on les laisse reposer jusqu'au lendemain. Le lendemain, on leur donne encore un coup de pied ; puis on les ouvre sur le palisson du côté de la chair : on les fait sécher ensuite, en les étendant dans le grenier. Voyez Pl. du Mégissier, ces peaux étendues dans le grenier. On en ouvre douze douzaines en un jour.

On les laisse étendues dans le grenier jusqu'au lendemain ; puis on les broye encore fortement sur la claie. On les redresse ensuite sur le palisson du côté de la chair ; un ouvrier en peut redresser jusqu'à quinze douzaines en un jour. Quand elles sont redressées, on les pare à la lunette, toujours du côté de la chair. Ce qui s'en détache à la lunette, s'appelle du parun, et se vend aux Cordonniers, aux Tisserands et aux Cartiers qui en font de la colle. Le parun est blanc comme de la farine, si le pareur est un ouvrier propre ; mais il n'est pas aussi fin.

Nous n'avons pas insisté ici sur ce que c'est que redresser au palisson, ouvrir sur le même instrument, et parer à la lunette, ces opérations se trouvant expliquées plus au long dans la première partie de cet article, où nous avons traité de l'art du Chamoiseur.

La police a pris quelques précautions contre la corruption de l'air qui peut être occasionnée par le travail des peaux passées, soit en huile, soit en blanc, ou en mégie. La première, c'est d'ordonner à ces ouvriers d'avoir leurs tanneries hors du milieu des villes : la seconde, de suspendre leurs ouvrages dans les temps de contagion ; et la troisième, qui est particulière peut-être à la ville de Paris, c'est de ne point infecter la rivière de Seine, en y portant leurs peaux.

Quant à leurs règlements, il faut y avoir recours, si l'on veut s'instruire des précautions qu'on a prises, soit pour la bonté des chamois vrais ou faux, soit pour le commerce des laines : voyez aussi l'article MEGISSIER. Nous avons exposé l'art de Mégisserie et de Chamaiserie, avec la dernière exactitude : on peut s'en rapporter en sûreté à ce que nous en venons de dire ; le peu qu'on en trouvera ailleurs, sera très-incomplet et très-inexact. Si la manœuvre varie d'un endroit à un autre, ce ne peut être que dans des circonstances peu essentielles, auxquelles nous n'avons pas cru devoir quelque attention. Il suffit d'avoir décrit exactement un art tel qu'il se pratique dans un lieu, et tel qu'il se peut pratiquer par-tout. Or c'est ce que nous venons d'exécuter dans cet article, qu'on peut regarder comme neuf ; mérite que nous tâcherons de donner à tous ceux qui suivront sur les Arts, dans les troisième, quatrième, etc. volumes, comme nous avons fait dans les deux premiers ; ce qui n'étant la partie de ce Dictionnaire ni la moins difficile, ni la moins pénible, ni la moins étendue, devrait être principalement examinée par ceux qui se proposeront de juger de notre travail sans partialité.