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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Droit
terme de Droit, se dit en général de toutes les taxes et impositions que les sujets paient au roi ou à ceux qui gouvernent, pour subvenir aux besoins de l'état.

Les Anglais définissent le subside une taxe ou tribut accordé au roi par autorité du parlement, dans les besoins pressants de l'état, et qui se lève sur les sujets à-proportion de leurs richesses ou du revenu annuel de leurs terres, biens, etc. Voyez TAXE, etc.

Tel est l'impôt sur les terres ou taxe royale, comme on l'appele, qui monte ordinairement à deux, trois ou quatre schellings par livre pour le revenu des terres, et deux schellings et huit sols pour les biens personnels, quand celui des terres est de quatre schellings. Voyez AIDES, etc.

Les anciens rois saxons n'avaient point de subsides qui se levassent réglément ; mais au-lieu de cela, il y avait différentes coutumes par lesquelles on levait des deniers ou des corvées sur le peuple pour réparer les villes, châteaux, ponts, pour les expéditions militaires, etc. qu'ils appelaient burgote, brigbote, herefare, heregled, &c.

Mais depuis que leurs terres furent envahies par les Danois, le roi Ethelred convint en 1007, de payer à ceux-ci tous les ans 10000 liv. pour racheter la paix : cette somme fut depuis portée à 36000 l. et enfin jusqu'à 48000 liv. on l'appela danegeld, et on la leva sur les terres ; chaque hide ou charrue était taxée au douzième, excepté celles de l'Eglise. Voyez DANEGELD.

De-là ce tribut fut appelé hidage, nom qui par la suite devint commun à toutes les taxes et subsides qu'on imposait sur les terres ; comme celles qu'on imposait sur les bestiaux, furent appelées hornegeld.

Mais les Normands les appelaient quelquefois toutes les deux taxes, du mot grec ; et quelquefois taillage, qui vient de leur propre langage, et quelquefois, suivant les usages d'au-delà de la mer, subsidia et auxilia. Voyez AUXILIUM.

Depuis la conquête, il parait que ces subsides ont été accordés encore sur un autre pied qu'ils ne sont à présent : comme chaque neuvième agneau, chaque neuvième brebis, etc. quelquefois la taxe était le dixième, et quelquefois le quinzième. Voyez QUINZIEME, etc.

En France le roi seul, de sa propre autorité, impose des subsides sur le peuple à sa discrétion. Ce que Grotius dit ; que ceux qui paient des subsides aux autres souverains pour les engager à les défendre contre des ennemis puissants, reconnaissent en agissant ainsi leur propre faiblesse, et que cette reconnaissance fait tort à leur dignité ; ne doit s'entendre que de ces états qui sont trop faibles pour se défendre eux-mêmes, et qui, par rapport à cela, se rendent en quelque façon tributaires ; et non pas de ceux qui subsistant par leurs propres forces, donnent des subsides à leurs voisins, qui sont plus faibles, pour les empêcher d'être accablés par les autres.

Tels sont, par exemple, les rois de France et d'Angleterre par rapport aux rois de Suède et autres princes, à qui ils accordent des subsides dans les traités qu'ils font avec eux.

Dans le rôle des taxes et impositions d'Angleterre, il y a plusieurs sortes de subsides : l'ancien subside, le supplément à l'ancien subside, le nouveau subside, le tiers du subside, et les deux tiers du subside. Voyez IMPOTS, DROITS, etc.

Un homme de mérite a rassemblé sous un même point de vue l'apologie d'un des meilleurs auteurs politiques de nos jours, et la critique de quelques-uns de nos articles de finance. Son ouvrage, publié par lui-même, pouvait certainement lui faire plus d'honneur, et nous causer plus de peine (s'il était si pénible de reconnaître ses erreurs), que n'en peuvent jamais attendre de leurs injurieuses et pauvres productions une infinité d'hommes obscurs, qui depuis 20 ans jusqu'à ce jour, depuis le plat Ch.... jusqu'à l'hypocrite abbé de S.... se sont indignement déchainés contre nous.

Celui qui a écrit les observations suivantes, homme d'un caractère bien différent, nous les a envoyées à nous-mêmes, pour en faire l'usage qui nous conviendrait, et nous les imprimons.

M. de Voltaire s'est tout nouvellement chargé de nous venger des autres. Il a dit dans une de ses lettres, à-propos de la brochure de cet abbé de S... Quel est celui qui s'est occupé à vider les fosses d'un palais où il n'est jamais entré ?... Tel misérable petit architecte, qui n'est pas en état de tailler un chapiteau, ose critiquer le portail de S. Pierre de Rome. Nous voudrions bien que ces comparaisons flatteuses, plus méritées de notre part, nous honorassent autant qu'elles doivent humilier nos ennemis.

Notre siècle a produit plusieurs livres dangereux, et un grand nombre d'inutiles, comme le crient les déclamateurs : mais ce qu'ils ne disent point, c'est qu'il sort journellement des presses, des ouvrages précieux à la raison, dont ils étendent l'empire, à la saine philosophie qu'ils répandent, à la nature à laquelle ils nous rappelent, et à l'humanité dont ils réclament les droits.

Si le gouvernement profitait des vues présentées par quelques gens de lettres, le règne présent serait mis par la postérité beaucoup au-dessus des règnes précédents, parce que les mœurs seraient plus sévères, les âmes plus honnêtes, le système de la bienfaisance mieux suivi, et les peuples conséquemment plus heureux.

Parmi les auteurs qui ont consacré leurs travaux à l'utilité publique, on doit citer avec reconnaissance M. de M.... Un rédacteur intelligent, semblable à celui qui a publié un des projets de l'abbé de S. Pierre, qui saurait distinguer les maximes saines, lier les vérités, placer les réflexions, écarter les paradoxes, supprimer des digressions vides, des déclamations choquantes, et des ironies trop amères, formerait un excellent volume de tous ceux qui sont sortis de la plume de l'ami des hommes. Les doutes qui lui ont été adressés sur la théorie de l'impôt, n'ont point été conçus par une tête bien forte. On voit aisément l'esprit qui les a dictés ; ce qui ne prévient pas en leur faveur : car cet esprit n'est point celui de la candeur et du patriotisme. Ce n'est pas d'ailleurs avec quelques figures de rhétorique qu'on peut triompher des écarts d'un génie bouillant, et vaincre les élans d'un cœur que le spectacle de la misere a déchiré.

M. de M.... doit savoir gré à l'anonyme qui a consolidé ses maximes en s'efforçant de les détruire.

Tel est l'effet des objections faibles ; elles font présumer qu'un livre est hors de toute atteinte, parce qu'il a été mal attaqué, et que le vulgaire se persuade que le bouclier qui résiste est bon, tandis que c'est seulement le trait lancé qui manque de vigueur. Mais ce dont M. de M.... ne peut remercier son adversaire, c'est de cette politesse cruelle qui ne tend, en lui accordant des talents, qu'à le désigner comme un homme dangereux. N'est-il donc plus possible de critiquer sans rendre odieux ? C'est une méthode bien noire et bien usitée que celle qu'on emploie contre presque tous les auteurs. On calomnie leurs principes, en leur attribuant des conséquences aussi détournées que funestes ; et on parvient à intéresser la religion ou le ministère, dans des discussions qui leur sont étrangères. Le délire d'un bon citoyen n'en fera jamais de mécans, surtout lorsqu'il ne s'exercera que sur des matières qui ne sont qu'à la portée du petit nombre, la multitude seule pouvant devenir séditieuse ou fanatique.

Au reste, il importerait peu de relever les erreurs renfermées dans un in -12. obscur, qui aura le sort des écrits polémiques, si elles n'étaient soutenues et garanties par d'autres erreurs qui se sont glissées dans un ouvrage immortel (a). Elles y sont, il est vrai, réparées par la promesse que les éditeurs de l'Encyclopédie ont faite (b) d'insérer, sous une autre lettre, le correctif nécessaire aux mots ferme, (finance), et financier ; mais les espérances qu'on

(a) L'Encyclopédie.

(b) Voyez l'observation qui suit dans l'Encyclopédie l'article ferme, (finance).

avait de la continuation d'un dictionnaire qui aurait honoré la nation, sont malheureusement aujourd'hui très-foibles (c) On ne se flatte plus guère de lire les articles Régie et Régisseur, qui eussent sans - doute offert une réfutation complete de ceux qui contiennent des refléxions mal digérées, des assertions légères et une critique peu judicieuse de plusieurs passages de l'esprit des lois. Il faut donc tâcher de les détruire dans un morceau particulier, et d'empêcher que l'étranger ne se méprenne sur les idées qu'ont les François du crédit et de la finance.

Un coup-d'oeil rapidement jeté sur les doutes proposés à l'auteur de la théorie de l'impôt, conduira naturellement à l'examen des mots ferme et financier, où l'on retrouve les mêmes principes de la citation entière desquels l'anonyme s'est servi contre l'ouvrage de M. de M....

Je tombe (p. 38.) sur une observation fausse et perfide : fausse, parce qu'elle donne à une phrase un sens dont elle n'est point susceptible : perfide, parce qu'elle dénonce une expression innocente sous un rapport odieux. M. de M.... a dit : lorsque les peuples reçoivent un chef, soit par élection, soit par droit héréditaire, sur quoi l'on observe avec affectation, que recevoir ne peut s'entendre que de ce qu'on a droit de refuser : or, ajoute-t-on, dans un royaume héréditaire, le choix ne dépend pas du peuple. M. de M.... avait - il laissé la moindre équivoque ? En écrivant droit héréditaire, n'établissait-il pas que le peuple ne pouvait, ni refuser, ni choisir, puisque son souverain l'était de droit ?

M. de M.... a témoigné (p. 158 et 161.) ses alarmes sur l'abus qu'on pouvait faire de la souveraineté ; on lui en fait un crime grave (p. 140 des doutes). Eh quoi ! cette appréhension contredit-elle la confiance qu'il a dans la bonté paternelle du souverain ? Quand on voit la flatterie empressée à empoisonner le cœur des rois ; quand on réfléchit sur la facilité et sur le penchant qu'ont tous les hommes à être injustes, dès qu'ils ne sont point arrêtés par le frein de la loi ; quand on médite sur les suites de cet abus fatal aux mœurs qu'il corrompt, à la liberté qu'il enlève et à l'humanité qu'il dégrade, le vrai citoyen peut-il trop multiplier les avis, les prières, les images et tous les ressorts de cette éloquence qui maitrise l'âme ?

" J'emploie, a-t-on dit dans la théorie de l'impôt, (p. 187.) cinq mille livres que rapporte ma terre, au loyer d'une maison ; si le fisc prétend encore son droit sur cette location, il tire d'un sac deux moutures ". Surement ce raisonnement n'est point solide, mais la replique ne l'est pas davantage : car soutenir (p. 64. des doutes), que c'est le propriétaire de la maison et non le locataire qui paye l'imposition, c'est avancer que c'est le marchand, et non l'acheteur particulier, qui est chargé des droits d'entrée, tandis que les loyers, comme les marchandises, augmentent en raison des impôts qu'ils supportent : il fallait se borner à prouver que la possession qui donne un revenu, est très-distincte de l'emploi qu'on peut faire de ce même revenu ; que la propriété d'un fonds est indépendante d'une location ; et qu'ainsi les droits imposés tombent sur deux objets réellement différents, quoique réunis sous la même main.

L'anonyme veut démontrer à M. de M... (p. 70.) que le premier objet du contrôle des actes, est d'en constater la date et d'en assurer l'authenticité, et que le droit qu'on a joint à la formalité, n'en change point la véritable destination. L'anonyme s'est trompé : la quotité exorbitante du droit contredit absolument le but du législateur, puisqu'il est de fait que les particuliers aiment mieux encourir les peines de nullité et la privation d'hypothèque, en rédigeant leurs conventions sous signature privée, que d'acquitter les droits immenses auxquels sont assujettis les contrats publics. Est-on quelquefois contraint d'en passer ? on ne balance pas alors à s'exposer aux dangers d'un procès, en supprimant des clauses dont l'énonciation rendrait la formalité trop dispendieuse, ou en les embrouillant pour tâcher d'en soustraire la connaissance aux yeux avides du traitant. C'est ainsi que la condition du sujet est devenue pire qu'elle n'était avant l'établissement du contrôle : si la sûreté était alors moins grande à certains égards, elle l'était plus à d'autres ; et certainement elle était plus générale : la mauvaise foi altérait moins d'actes que la crainte des droits n'en annulle aujourd'hui que les riches seuls peuvent s'y soumettre. Je dis la même chose de l'insinuation et du centième denier ; en applaudissant à l'institution, je demande que la loi soit certaine, pour que la perception ne soit pas arbitraire ; qu'elle soit claire, pour que celui qui paye sache pourquoi il paye ; que le droit soit léger, pour que sa modicité permette de jouir de l'avantage qu'il procure ; qu'il soit volontaire, pour que le peuple conçoive que c'est en sa faveur, et non pas en faveur d'un fermier qu'il se lève et qu'il est établi. Le centième denier, par exemple, dit l'auteur, est représentatif de lods et ventes ; je le prie de me dire pourquoi on en exige, lors même que les mutations ne donnent pas ouverture aux droits seigneuriaux ? Plusieurs questions de ce genre convaincraient que le légal des édits n'est qu'un prétexte, et que le bursal en est le motif.

Que veut-on dire par cette sentence énigmatique : l'oisiveté a son utilité, ce qu'elle consomme est son tribut ? (p. 166.) Ignore-t-on que quand quelqu'un ne fait rien, un autre meurt de faim dans l'empire ? qu'il ne peut y avoir dans un corps politique parfaitement sain, un membre qui reçoive sans donner ? que le tribut n'en saurait être passif ? Voilà cependant ce que l'auteur des doutes appelle une vérité qu'il faudrait méditer pour en découvrir d'autres ; elles seraient probablement du même genre : on apprendrait, par exemple, que l'aisif est maître de son loisir (p. 168.) ce qui ne laisse pas que de composer un bon fonds pour asseoir un impôt.

On accuse aussi M. de M. de s'interdire les ressources du crédit (p. 170.) et on raisonne à perte de vue d'après cette supposition qui est très-gratuite. L'ami des hommes exclut le crédit, qui ne consiste qu'en expédiens, qui ne vient que des pertes que le roi fait avec certaines compagnies ; qui excède le degré fondé sur le revenu général de la nation ; qui détruit les arts, l'industrie, le commerce, après avoir anéanti la population et l'agriculture ; qui ayant desséché le germe de la prospérité d'un état, le déshonore et l'expose à une révolution funeste ; mais il est le partisan de ce crédit, qui nait de la confiance et d'une administration éclairée (théorie de l'impôt, p. 160.), qui est conséquent à ce principe : faites peu d'engagements, et acquittez-les exactement. En effet, la faculté d'emprunter, qui porte sur l'opinion conçue de l'assurance du payement, constitue l'essence du crédit solide ; elle n'entraîne ni la création de nouveaux impôts, ni l'extension des anciens ; et voilà celle qu'adopte un ministre intelligent.

M. de M... a parlé de la cession des restes du bail des fermes générales (p. 405, 406, etc. de la théorie de l'impôt) ; il en sollicite une sevère liquidation. Son critique répond à ses plaintes sur ce sujet, en dissertant sur l'abus qu'il y avait de les comprendre dans des affaires particulières, comme on faisait autrefois, au lieu de les réunir à la nouvelle adjudication, comme on fait depuis quelque temps. De ce que

(c) L'auteur ne parlait pas sans beaucoup de vraisemblance. Les jésuites existaient encore lorsqu'il écrivait.

l'abus était très-grand dans la forme passée, s'ensuit-il que la présente n'en ait aucun ? Et si elle en a, n'est-on pas autorisé à s'en plaindre (d) ? N'est-il pas de l'injustice la plus criante de laisser subsister ces recherches interminables, contre lesquelles le citoyen ne peut jamais assurer sa tranquillité, et d'exiger des arrérages de vingt années, lorsqu'on restreint à deux les répétitions que les parties qui ont trop payé sont en droit de demander ?

" Ce mot de liberté, que chacun interprete ou confirme, admet ou rejette, fait aujourd'hui la base la plus générale des projets, des écrits et des conversations : on en a même fait une sorte de cri de guerre, un signal de combat ; il nous est venu d'Angleterre, et peut-être n'est-ce pas-là un des moindres torts que nous aient fait nos voisins ". Cet étonnant langage, qu'un esclave avili sous un despote de l'Orient aurait de la peine à prononcer, se trouve à la page 186 des doutes. N'est-on pas indigné de tant d'humiliation ? Un roi, le père de ses peuples, peut-il être plus noblement loué, que lorsque la liberté fait la base des écrits, des projets et des conversations ? C'est l'éloge le plus pur et le plus attendrissant qu'on puisse faire d'un souverain, que de s'entretenir devant lui du plus grand des biens. On ne le prononce pas sous un tyran, ce mot sacré ; il ne vient point de l'Angleterre, la nature l'a gravé dans tous les cœurs ; il est le cri du plus mâle des sentiments. On ne comprend point comment on a pu se permettre, à ce sujet, une sortie contre des livres anglais, qu'on ferait très-bien d'étudier avant d'en hasarder dans sa propre langue.

Par une suite des grandes vues de l'anonyme, il ne s'en fie pas à l'intérêt pour éclairer les hommes sur l'espèce de culture et de commerce qu'ils doivent choisir ; il veut qu'on décide à Paris, si ce sont des oliviers qui conviennent à la Provence et des manufactures de soye à la ville de Lyon.

En voilà assez, et peut-être trop, pour indiquer la manière du contradicteur de Mr. de M... Il est temps d'abandonner une critique qui ne respire, ni la chaleur de la bienfaisance, ni le courage de la justice, pour s'attacher à effacer ce que l'Encyclopédie offre de pernicieux sous les deux articles ferme, (finance) et financier.

Observations sur les articles ferme, finance, et financier de ce Dictionnaire. " Ferme du roi, finance. Il ne s'agit dans cet article que des droits du roi que l'on est dans l'usage d'affermer ; et sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d'affermer les revenus publics ou de les mettre en régie ? "

Premier principe de M. de Montesquieu. " La régie est l'administration d'un bon père de famille, qui lève lui - même avec économie et avec ordre, ses revenus. "

Observations de M. P ***. Tout se réduit à savoir, si dans la régie il en coute moins au peuple que dans la ferme ; et si le peuple payant autant d'une façon que de l'autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers. Car s'il arrive dans l'un ou dans l'autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple soit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l'autre ; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l'on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme et la régie ne seront-elles pas également propres à produire l'avantage de l'état, dès que l'on voudra et que l'on saura bien les gouverner ? Peut - être néanmoins pourrait-on penser avec quelque fondement, que dans le cas d'une bonne administration, il serait plus facîle encore d'arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c'est-à-dire qui prennent soin des intérêts d'autrui.

Quant à l'ordre et à l'économie, ne peut-on pas avec raison imaginer qu'ils sont bien moins observés dans les régies que dans les fermes ; puisqu'ils sont confiés ; savoir, l'ordre à des gens qui n'ont aucun intérêt de le garder dans la perception, l'économie à ceux qui n'ont aucune raison personnelle d'épargner les frais du recouvrement ? C'est une vérité dont l'expérience a fourni plus d'une fois la démonstration.

Réponses. Si de la solution de cette première question dépendait celle de la thèse générale, le principe de M. de Montesquieu aurait bientôt force de loi. Le régime le plus sage ne peut imprimer la perfection à aucun établissement, il ne peut que diminuer à un certain point, le nombre et la grandeur des abus. Laissons donc à la régie et à la ferme ceux dont elles sont susceptibles, et nous serons convaincus que le peuple paye plus dans la seconde que dans la première. La négligence ne poursuit ni ne surcharge ; elle est lente, elle oublie ; mais elle ne tourmente pas. Si elle fait perdre, c'est au souverain, qui dans une bonne administration doit compter sur ces pertes légères en elles-mêmes, utiles à plusieurs citoyens, par-là faciles à réparer ; puisqu'elles laissent des moyens dont le gouvernement peut se ressaisir dans des temps orageux. Cette méthode ne peut donc avec son abus, nuire à l'état. Il n'en est pas ainsi de l'exaction ; le petit nombre qui l'exerce est le seul qui en profite : un peuple est écrasé, et le prince ne s'enrichit point. Le royaume sera épuisé, sans que le trésor - royal soit rempli : les gains extraordinaires attaqueront les ressources dans leur principe, et les enfants n'auront, dans les plus pressants besoins de leur père, que des vœux stériles à lui offrir. Ceux qui connaitront les hommes et les gouvernements, avoueront que dans une monarchie, l'ardeur de l'intérêt particulier est bien plus impossible à réprimer, qu'il n'est difficîle d'exciter le zèle et de s'assurer de l'exactitude de ceux qui prennent soin des intérêts d'autrui. Accordons cependant, que l'un n'est pas plus aisé que l'autre, et il n'en sera pas moins évident que la paresse de la régie est préférable à la cupidité de la ferme.

Tout homme aime l'ordre et l'observe, tant que son intérêt ne s'y oppose point. C'est parce que le régisseur n'en a aucun à la perception, qu'elle sera juste : mais le fermier, dont les richesses augmentent en raison de l'étendue des droits, interprétera, éludera et forcera sans-cesse la loi ; seul il multipliera les frais, parce qu'ils déterminent le recouvrement qui est le mobîle de sa fortune, et qui est, comme nous l'avons supposé, indifférent au régisseur.

Second principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de son peuple. "

Observations. Il l'est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l'amélioration de certaines parties de la recette et par la diminution de la dépense, il se met en état de se relâcher du prix du bail convenu, ou d'accorder des indemnités : les sacrifices qu'il fait alors en faveur de l'agriculture, du commerce et de l'industrie se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d'une autre espèce. Mais ces louables opérations ne sont, ni particulières à la régie, ni étrangères à la ferme ; elles dépendent dans l'un et dans l'autre cas d'une administration, qui mette

(d) Un ministre auquel un étranger demanderait pourquoi il n'y a pas au-moins dans la capitale une salle où l'on puisse représenter convenablement les chefs-d'œuvres du théâtre français, répondrait-il en disant qu'autrefois une populace d'importuns se mêlait à un sénat romain, qu'Athalie avait un panier, et que ces grossieretés ridicules sont abolies ?

à portée de soulager le peuple et d'encourager la nation, etc.

Réponses. Il ne s'agit pas ici de savoir par quels moyens on parvient à la remise d'une partie des tributs : il est encore moins nécessaire d'établir qu'en accordant d'un côté, il faut reprendre d'un autre. Mais j'examine si le souverain, quand il peut et qu'il veut retarder la levée de l'impôt, est plus en état de le faire dans la régie, que dans la ferme ; je me décide pour l'affirmative. En effet, s'il juge à-propos d'accorder des modérations en affermant, il faut qu'il revienne sur un arrangement consommé, qu'il change des dispositions arrêtées, qu'il renonce à la destination déjà faite de revenus fixes, et qu'enfin, il intervertisse l'ordre qu'il avait établi : ce qui exige ainsi des opérations contraires à celles qui ont été faites, découle naturellement d'une régie qu'on presse ou qu'on retient conformément aux circonstances.

Traisième principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers qui l'appauvrissent d'une infinité de manières. "

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la régie le perd en frais ; en sorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vu, n'a pas bien Ve : il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé ; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté. Mais l'un ne peut-il pas être excité, ne peut-on pas contenir l'autre ? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles et des facilités, des inconvénients et des avantages qui peuvent se trouver dans l'une et dans l'autre de ces opérations : mais on ne voit pas les raisons de se décider en faveur de la régie aussi promptement, aussi positivement, que le fait l'auteur de l'Esprit des lois.

Réponses. C'est surement ne pas tout voir, ne pas bien voir, que d'assurer que la régie perd en frais, ce que la ferme absorbe en profits. Il a été démontré plus haut que le régisseur fait peu de frais, parce qu'il n'a aucun intérêt au produit que rendent ces frais : à lumières égales, son administration sera donc plus douce et moins chère que celle du fermier. Que sera-ce, si l'on veut comparer ce que coutent à l'état les profits de celui-ci, avec le montant des appointements de l'autre ? Si c'est aux hommes d'état qu'il appartient de décider sur cet objet, personne n'en contestera, je crois, le droit à M. de Montesquieu. Dans cette occasion il ne fallait que calculer ; il le fit, et il prononça.

Quatrième principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'afflige. "

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement des provinces entières. Ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent et qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir et les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, et l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chute qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont point là des raisons de louer ou de blâmer, de rejeter ou d'admettre la régie ou la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais louable et renfermée dans les bornes de la justice et de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables. La négligence et le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette et de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vide de l'une, et pourvoir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions ; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence et leur crédit.

Réponses. Les fortunes excessives de quelques particuliers n'attristent pas par elles-mêmes, ce sont les images qu'elles présentent avec elles, la disette du peuple et la dépopulation des provinces, les fondements sur lesquels elles sont élevées, les matériaux dont elles sont construites, les moyens qui les conservent et les augmentent ; voilà ce qui porte le désespoir dans le cœur des sujets. " La matière des troubles, dit Bacon, est dans la misere publique et dans le mécontentement universel ". Les émigrations, les terres en friche, le germe de l'état desseché ; telles sont les conséquences de ces richesses. Elles doivent donc inspirer l'effroi : le ridicule suffit - il alors pour punir les abus aussi violents ? Les riches sont-ils susceptibles d'une punition que tout le monde leur inflige au loin, mais que personne ne leur dénonce ? Ces maux ne se trouvent que dans la ferme. M. de Montesquieu les a considérés sous le même point de vue que le roi qui nous gouverne. " Les fortunes immenses et précipitées des gens d'affaires (édit de 1716) l'excès de leur luxe et de leur faste, qui semble insulter à la misere de nos autres sujets sont par avance une preuve de leurs malversations, et il n'est pas étonnant qu'ils dissipent avec profusion, ce qu'ils ont acquis avec injustice : les richesses qu'ils possèdent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples et le patrimoine de l'état, etc. " L'auteur de l'Esprit des lois ne s'est pas, à beaucoup près, exprimé avec tant de sévérité, mais ses maximes étaient celles de l'édit. A l'égard de cette ressource qui consiste à mettre les riches à contribution, il semble qu'elle n'ait été employée jusqu'ici, que pour donner lieu à des gains plus rapides, et pour faire passer dans les mains de quelques-uns, les débris de la véxation. Pour le crédit, qui est-ce qui ignore à quelles conditions onéreuses ils l'ont procuré ?

Cinquième principe de M. de Montesquieu. " Par la régie l'argent levé passe par peu de mains ; il Ve directement au prince, et par conséquent revient plus promptement au peuple ".

Observations. L'auteur de l'Esprit des lois appuie tout ce qu'il dit sur la supposition que le régisseur qui n'est que trop communément avare des peines et prodigue de frais, gagne et produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel et des engagements considérables excitent sans-cesse à suivre de près la perception ; mais cette présomption est-elle bien fondée ? est-elle bien conforme à la connaissance que l'on a du cœur et de l'esprit humain ? est-il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le contraire ?

Réponse. M. de Montesquieu ne suppose pas (ce qui serait absurde relativement à son axiome), que le régisseur retire du peuple autant d'argent que le fermier : il dit simplement, ce qui est très-vrai, qu'il en remet davantage au trésor royal. Son idée, pour être entendue, n'avait pas besoin de cet éclaircissement. Ce seul moyen parait d'abord bien efficace pour moins intercepter la circulation : il n'est pas douteux qu'elle est bien plus vive quand le prince a l'argent qu'il est forcé de répandre promptement jusqu'aux extrémités de son royaume, que lorsque des fermiers l'enfouissent dans leurs coffres, ou le prodiguent dans la capitale.

Sixième principe de M. de Montesquieu. " Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois, qu'exige de lui l'avarice toujours importune des fermiers, qui montre un avantage présent pour des règlements funestes pour l'avenir. "

Observations. On ne connait en finances, comme en d'autres matières, que deux sortes de lois ; les lois faites, et les lois à faire : il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être réservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables, mais conviennent-ils à la régie plus qu'à la ferme ? le fermier va, dit-on, trop loin sur les lois à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les lois qui sont faites ? on craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, et l'on ne s'aperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Réponses. Il a déjà été prouvé que l'inexactitude à faire observer les lois anciennes ne peut, dans aucun cas, être aussi funeste que l'avarice, qui chaque jour en obtient de nouvelles. Le fermier abuse également des unes et des autres : il interprête cruellement celles qui sont faites, il en propose sans-cesse d'analogues à son avidité, de façon qu'il corrompt tout, le passé et le présent.

Septième principe de M. de Montesquieu. " Comme celui qui a l'argent est toujours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois ".

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable et bien entendu. Il laissera sans-doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des événements par rapport au roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre et recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques et de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité : la dénomination de traitant manque de justesse ; on s'est fait illusion sur l'espèce de crédit dont il jouit effectivement, il a celui des ressources, et le gouvernement sait en profiter ; il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois, mais il reconnaitra toujours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation, avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement.

Réponses. Peut-on parler des risques que court le fermier, et des travaux qu'il essuie ? Ne le voit-on pas au moindre danger solliciter une indemnité ? est-ce là se charger des événements ? Pour son travail, il le remet à des commis, et son opulence est d'autant plus scandaleuse, qu'elle est le prix de l'oisiveté : ses avances au moyen de l'intérêt qu'elles lui valent, sont plutôt une charge ruineuse, qu'une ressource réelle pour l'état.

Je ne vois pas pourquoi la dénomination de traitant manque de justesse ; elle convient à des gens qui traitent avec le roi pour ses revenus. Ce nom n'a pas par lui-même une acception odieuse ; il ne la reçoit que par l'abus que ceux qui le portent font de leurs traités.

Une compagnie qui ne prête qu'à un fort intérêt, qui ne donne d'une main que pour qu'on lui laisse la liberté de saisir de l'autre des droits plus onéreux, qui répète que les moyens qu'elle fournit, dépendent du succès de ses engagements, et que ce succès tient à tel ou tel règlement, doit forcer le prince à lui accorder toutes les lois qu'elle désire. Elle est donc bien loin de la générosité patriotique qu'on s'efforce de lui attribuer ; elle est donc despotique : les expédiens qu'elle fournit, sont donc funestes à ceux qui les reçoivent, et n'ont d'utilité que celle que trouve un homme obéré, dans la bourse d'un usurier.

uitième principe de M. de Montesquieu. " Dans la république les revenus de l'état sont presque toujours en régie ; l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux ; témoins la Perse et la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer et ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitants. "

Observations. Ce serait un examen fort long, très-difficile, et peut-être assez inutîle à faire dans l'espèce présente, que de discuter et d'approfondir la question de savoir ce qui convient mieux, de la ferme ou de la régie relativement aux différentes sortes de gouvernement. Il est certain qu'en tout temps, en tous lieux, et chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrêmement en réserve sur les nouveautés, et qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le trésor public, ou, si l'on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus surement et le plus doucement le plus d'argent. C'est sur quoi l'on pourrait ajouter bien des réflexions à celles qu'on vient de faire ; et c'est aussi sur quoi les sentiments peuvent être partagés sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l'état ; mais ce qu'on ne peut faire sans les compromettre, ce serait d'imaginer que l'on put tirer d'une régie tous les avantages apparents qu'elle présente, sans la suivre, et la surveiller avec la plus grande attention : et certainement le même degré d'attention mis en usage pour les fermes, aurait la même utilité présente, sans compter pour certaines conjonctures, la ressource toujours prête que l'on trouve, et souvent à peu de frais, dans l'opulence et le crédit des citoyens enrichis.

Réponses. Il me semble qu'on ne pouvait mieux s'y prendre pour débarrasser cette question des difficultés qui à force d'être généralisées, deviendraient insolubles, que de rassembler des faits et d'en tirer des conséquences. L'expérience est un guide sur, les inductions qui en naissent ne trompent point ; il n'était point inutîle d'y avoir recours : cette méthode était nécessaire pour jeter un jour satisfaisant sur une matière obscure. Pour détruire l'opinion de M. de M... il fallait lui opposer des résultats historiques, contraires à ceux qu'il présente, nous montrer les revenus publics affermés dans quelque état que ce fût, et ce même état redoutable au-dehors, florissant au-dedans, et ne cherchant d'autre gloire que la félicité du peuple : il fallait, en combattant un grand homme, user du scepticisme décent, qui doit être le partage de ceux qui ne pensent pas comme lui : il fallait, dans un examen qui tient au bien de sa patrie, procéder avec l'impartialité d'un citoyen : il fallait que la prévention se tut : il fallait enfin sentir que peu de mots tracés sur un objet, par un génie vigoureux, étaient le fruit d'une méditation profonde ; qu'ils ne pouvaient être attaqués qu'avec un esprit patriotique, et non pas avec un esprit de finance ; qu'un critique devait user d'une extrême circonspection sur la nature des preuves, et d'une bonne foi décidée dans le choix des raisonnements.

Les défauts que l'on remarque dans la composition de cet article, reparaissent au mot financier, où l'on poursuit encore le respectable auteur de l'Esprit des lois.

" Financier, homme qui manie les finances, c'est-à-dire les deniers du roi, qui est dans les fermes de sa majesté, quaestorius aerarii collector. "

Principe de M. de Montesquieu. " Il y a un lot pour chaque profession ; le lot de ceux qui lèvent les tributs est la richesse ; et les récompenses de ces richesses, sont les richesses même. La gloire et l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connait, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien, que l'honneur et la gloire. Le respect et la considération sont pour ces ministres et ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit et jour pour le bonheur de l'empire. "

Observations de M. P ***. Mais comment un philosophe, un législateur, un sage, a-t-il pu supposer dans le royaume une profession qui ne gagnât, qui ne méritât que de l'argent, et qui fût exclue par état de toute autre sorte de récompense ? etc. &c. etc. Un financier ne sera sans-doute ni récompensé, ni respecté, ni consideré comme un Turenne, un Colbert, un Seguier... Les services qu'il rend, les sacrifices qu'il fait, les vertus qu'il montre, ne sont ni de la même nature, ni du même prix ; mais peut-on, mais doit-on décemment, équitablement, raisonnablement en conclure qu'ils n'ont aucune sorte de valeur et de réalité ? et lorsqu'un homme de finance, tel qu'on vient de le peindre, et que l'on conçoit qu'il doit être, vient justifier l'idée que l'on en donne, sa capacité ne rend-elle pas à l'état des services essentiels ? son désintéressement ne fait-il pas des sacrifices ? et sa vertu ne donne-t-elle pas des exemples à suivre, à ceux-même qui veulent le dégrader ?

Il est certain (& l'on doit en convenir en ami de la vérité), il est certain que l'on a Ve dans cette profession des gens dont l'esprit, dont les mœurs, dont la conduite ont mérité qu'on répandit sur eux à pleines mains, le sel du sarcasme et de la plaisanterie ; et ce qui devait les toucher encore plus, l'amertume des reproches les mieux fondés. Mais ce corps est-il le seul qui présente des membres à retrancher ? et refusera-t-on à la noblesse, au ministère, à la magistrature, les éloges, les récompenses, et les distinctions qu'ils méritent, parce qu'on a Ve quelquefois en défaut dans le militaire le courage ; dans le ministère les grandes vues ; dans la magistrature le savoir et l'intégrité ? On reclamerait avec raison contre cette injustice. La finance n'a-t-elle pas autant à se plaindre de l'Esprit des lois ? et ne doit-elle pas le faire avec d'autant plus de force, que l'auteur ayant plus de mérite et de célébrité, est aussi plus dangereux pour les opinions qu'il veut accréditer. Le moindre reproche que l'on puisse faire en cette occasion à cet écrivain, dont la mémoire sera toujours chère à la nation, c'est d'avoir donné pour assertion générale, une observation personnelle et particulière à quelques financiers, et qui n'empêche pas que le plus grand nombre ne désire, ne recherche, ne mérite, et n'obtienne la sorte de récompense et de gloire, de respect et de considération qui lui est propre.

Réponse. Quel autre lot une âme libre et vraie pouvait-elle assigner à une profession qui ne travaille que pour amasser de l'argent, qui n'a d'autre émulation que celle de grossir sa fortune, et qui tourne toute son industrie du côté des richesses ? Si les services qu'elle rend sont la levée des tributs ; s'il est démontré qu'elle ne fait de sacrifices que ceux dont elle obtient un retour usuraire ; si les vertus qu'elle montre consistent à exécuter fidèlement ses traités, qui peut sans aveuglement lui décerner d'autre récompense que la richesse ? Cette récompense est proportionnée à la nature de ses soins ; elle n'a aucun titre pour en exiger d'autres ; lui en assigner de différentes, ce serait confondre les principes, malheureusement ils ne sont que trop confondus dans le fait : car les cœurs nobles sont rares, et les vils flatteurs sont communs ; ils sont venus à bout de faire évanouir les distinctions. La capacité du financier ne s'exerce que pour sa propre utilité : son désintéressement est un être de raison : et sa vertu, si elle donne des exemples à suivre, est celle du particulier, et non pas celle de son état.

M. de Montesquieu était trop intègre et trop instruit, pour avoir rejeté les exceptions ; il les admettait telles qu'elles sont, c'est-à-dire dans le sens contraire à celui que son contradicteur indique : son principe, loin d'en être affoibli, en recevait une nouvelle force : il y comprenait, dans l'exception, non des gens dépravés, ineptes et méprisables, mais des hommes éclairés, justes, et bienfaisants ; ce qui est conforme à l'opinion générale, et à celle que les éditeurs de l'Encyclopédie ont établie dans la note qu'ils ont mise à la fin de cet article. La différence des autres corps à celui des financiers est sensible : dans les premiers, quelques membres isolés manquent à leur devoir et sont flétris ; dans l'autre c'est le petit nombre seul qui mérite l'estime ; et cela, parce que là l'esprit général est celui de l'honneur, et qu'ici l'esprit général est celui de la vexation. Il y a plus ; dans l'espèce présente, la nature même de la chose résiste à une meilleure constitution. M. P *** en peignant le financier tel qu'il devait être selon ses principes, s'est attaché à une chimère, qu'aucun effort de la part du ministère ne pourrait réaliser : la grande fortune est le fléau de la vertu, et ne la souffre point avec elle. " Comment seriez-vous hommes de bien, vous qui n'ayant pas eu de bien de votre père, possédez de si grands trésors " ? Cette question d'un romain à Sylla, ne peut dans l'application souffrir de replique. Quel est l'homme qui ait la tête assez froide et le cœur assez pur, pour conjurer la séduction des richesses ? Elles énervent le courage, avilissent l'âme, concentrent dans l'individu l'affection qu'il aurait étendue sur ses semblables. Le cœur endurci, les mœurs sont bien-tôt corrompues ; le vice infecte également l'extrême misere, comme l'extrême opulence : le pauvre a par-tout sur le riche l'inestimable avantage de ne pouvoir faire le mal avec la même facilité.

Considération sur la finance. Qu'il soit permis de terminer l'examen que nous venons de faire, par quelques réflexions qui y sont analogues. Elles seront peu nombreuses, parce qu'il est difficîle de présenter des idées neuves sur une matière agitée depuis quelque temps par tant d'écrivains, et qu'il est rebutant de ne prendre la plume, que pour transcrire des volumes qui ont jusqu'ici causé plus d'ennui que de réforme.

I. Ce n'est point une médiocre preuve et une petite utilité de cet esprit philosophique qui doit son progrès à la persécution, que la quantité d'ouvrages sur l'Agriculture, le Commerce, et la Finance ; mémoires, journaux, feuilles hebdomadaires, gazettes, livres de toute espèce ; on ferait aujourd'hui un recueil immense de tout ce qui s'imprime sur l'administration politique. Plusieurs moralistes se sont élevés contre le français que l'amour de la nouveauté et la manie de l'imitation jettent tout d'un côté, et qui n'a pas un goût qui ne se tourne en passion. Mais ils ne comprennent pas que pour qu'il y ait assez dans de certains genres, il faut qu'il y ait trop ; qu'il n'y a presque pas de mauvais écrit qui ne renferme quelque vue saine, quelque répétition qui ne grave un objet important dans la mémoire, et quelque paradoxe qui ne force à réfléchir. Les faiseurs de systèmes ont engagé les vrais observateurs à tenter des expériences : enfin, il est heureux qu'on discoure sur les choses utiles, parce qu'à force d'en dire, on s'excite à en faire.

II. N'y a-t-il pas dans l'abbé de Saint-Pierre et dans M. de M.... ces deux grands rêveurs, des idées excellentes ? J'ai déjà dit ce que je pensais du dernier : mais, ce que je n'ai point remarqué, c'est que son intention bien reconnue étant d'encourager l'Agriculture, il n'en charge pas moins son produit de tout le fardeau des impositions : sa taxe porte sur les besoins réels qu'il veut favoriser, et l'exemption sur les besoins d'opinion qu'il veut proscrire (e). Ce qu'il y a encore de plus singulier, c'est que son adversaire qui devait faire valoir uniquement une contradiction si frappante, l'a négligée. De la seule exposition qu'il en eut faite, dérivaient des conséquences si opposées aux principes de l'ami des hommes, que la théorie de l'impôt était ruinée. Il est vrai que cela n'aurait pas fait un livre ; mais une note qui détruit une erreur, vaut bien trois cent pages de déclamation.

III. Un peuple ne doit s'attendre à aucun soulagement, quand ses intérêts sont dirigés par une âme paresseuse et timide, qui redoute les travaux qu'exige toute réforme, et qui s'effraye des dangers qu'elle présente. Il faut renoncer aux changements, si on a résolu de n'admettre que ceux qui ne sont susceptibles d'aucun abus : il est simplement question de considérer si l'abus qu'on fait naître est passager, particulier, et faible ; et si celui qu'on supprime est permanent, général, et considérable : alors il n'y a point à balancer : un mal léger et momentané pour un bien solide et durable. Telle devrait être la maxime d'un ministre éclairé, laborieux, et hardi.

IV. On a demandé si dans une monarchie il pouvait exister un bon ministre (f), c'est-à-dire un homme, qui ayant les moyens de faire le plus grand bien de l'état, en aurait aussi la volonté. Ceux qui ont proposé cette question, sont convenus qu'on découvrirait peut-être un génie rare, éclairé par l'étude, formé par la méditation, mûri par les voyages, et qui aurait rassemblé, discuté, et combiné une assez grande quantité de faits politiques, pour avoir acquis dans la vigueur de l'âge une expérience consommée. Mais ils ont nié qu'un tel sujet voulut porter ses connaissances et ses talents dans l'administration. Dans un royaume, ont-ils dit, la prospérité de l'état n'est jamais liée à la fortune du particulier ; celle-ci ne peut même se faire très-souvent qu'aux dépens de l'autre ; le ministre réformateur n'obtiendra rien pour lui, ni pour les siens ; car il sera traversé par une cour sur laquelle porteront les premiers efforts de son économie, et il ne plaira point à un maître qu'il ne servira qu'au préjudice de ses favoris (g). Il y a plus ; les innovations qu'il entreprendra, ne devant produire qu'un avantage éloigné, il sera d'abord détesté du peuple : il faudra qu'il sacrifie sa réputation actuelle, la seule dont il puisse jouir, à la justice de la postérité, qui ne s'élevera que sur son tombeau. Enfin, il ne tiendra qu'à lui de pressentir que la rage de la multitude profanera ses cendres (h). Quel homme après ces considérations aura assez d'intrépidité pour immoler au bien public tout ce qu'il a de plus cher, et tout ce qui doit lui être le plus sacré ? Je ne sais que répondre à des objections de cette nature ; tout ce que je sais, c'est qu'il faudrait avoir la folie de la vertu pour braver des peines si amères (i). Mais je suis persuadé, qu'un roi qui ne laisserait à son ministre d'autre ressource pour augmenter sa fortune et satisfaire son ambition, que de travailler au bonheur de ses sujets, qui le soutiendrait contre ses ennemis, qui le consolerait par une confiance entière, de la haine aveugle ; je suis, dis-je, persuadé qu'un tel prince aurait un ministre qui ressemblerait beaucoup à un ministre patriote (k).

V. Il est des temps malheureux où l'homme le plus sage est forcé de recourir à des expédiens qu'il condamne, pour subvenir à des dépenses urgentes et inévitables. Mais si cet homme connaissait mieux qu'aucun autre la finance de son pays et celle des deux états qui font sur cette partie la destinée des deux mondes par leur banque, leur commerce, et leur crédit ; il faudrait bien se garder de céder à des cris stupides et à l'orage du moment, en le privant d'une place qu'il peut remplir dignement, qui dans le fait est la plus importante du royaume, et qui, quand elle est mal occupée, enlève à la guerre sa gloire, à la marine son utilité, et toute considération aux affaires étrangères.

VI. C'est sans-doute une opération imparfaite, que celle par laquelle voulant convertir en espèce l'argent ouvragé, on n'en remet cependant qu'une partie à celui qui apporte la matière : car quel est le but de cette opération ? De faciliter les emprunts, de donner une plus grande activité au commerce, effets qui suivent l'augmentation de l'argent monnoyé. Or si on ne satisfait qu'à une partie de la remise, quelque promesse que l'on fasse de l'entier payement, on inspire la méfiance, on engage le particulier à la soustraction de son argenterie, et l'on manque le résultat qu'on s'était proposé.

VII. C'est encore une bien mauvaise opération, que la suspension du payement de tous les papiers sur lesquels porte le seul crédit dont jouisse une nation, parce que son commerce, qui tient à une solvabilité prompte et sure, en est interrompu pour le présent, et diminué pour l'avenir. Le négociant est longtemps arrêté par la crainte d'un événement qui nuit à ses expéditions, et qui met sa fortune à découvert. J'ajoute au sujet de cet expédient et du précédent, qu'ils prouvent qu'on est réduit aux dernières ressources, et qu'ils peuvent ainsi dans un temps de guerre, rendre l'ennemi plus fier, et les conditions de la paix plus dures.

VIII. Mais si ces fautes sont excusées par les circonstances, si le travailleur qui les a commises a été forcé par des raisons antérieures à sa gestion ; si en chargeant le luxe conformément à ses principes, et l'agriculture malgré ses maximes, il conçoit que c'est le seul moyen d'éviter à la nation la honte et le desastre d'une banqueroute, qui, en tombant sur un grand nombre de citoyens, la discréditerait entièrement chez l'étranger, on fera bien de ne rien reprocher à un tel ministre, et de s'abandonner aux soins de son intelligence. Continuant, puisque le sujet le comporte, le portrait que j'ai commencé plus haut, (article 5.) je dirai : si ce ministre joint à l'économie sévère, qui est la source de toute justice, le ressort de toute entreprise heureuse, et l'âme d'un régime vigoureux, les connaissances les plus vastes ; s'il sait comment on doit encourager l'Agriculture, sans altérer la concurrence ; s'il sait comment le laboureur pourra trouver l'aisance dans son travail, et ne la trouver que là ; s'il peut consulter dans la répartition de l'impôt, la fortune générale et la fortune particulière ;

(e) Nous ne pouvons nous dispenser de remarquer ici que nous ne sommes point du tout de l'avis de l'auteur de ces considérations. S'il y eut jamais un besoin d'opinion, c'est la dentelle, par exemple ; cependant qu'il calcule le prix énorme du chanvre manufacturé de cette manière, le temps et le nombre des mains employées, et il verra combien ce besoin d'opinion rend à la terre.

(f) On conçoit que l'on satisfait mal à la question, en citant d'Ambaise, Richelieu ou Mazarin : on peut faire de grandes choses, sans être un bon ministre. Celui qui aurait vendu le royaume pour acheter la tiare, celui qui sacrifiait tout à son orgueil et à sa vengeance, celui qui faisait servir son pouvoir à son insatiable avarice, ne mérite point le titre de bon ministre.

(g) Si le bon, l'adorable Henri IV. s'aigrissait souvent contre le vertueux Sully, quel souverain pourra se promettre d'être plus inaccessible que lui aux calomnies travaillées de mains de courtisan.

(h) On sait jusqu'où la fureur du peuple poussa l'atrocité après la mort de Colbert, qu'on ne nomme aujourd'hui que pour en faite l'éloge.

(i) Je ne trouve dans l'histoire de France que Sully qui ait constamment voulu le bien ; mais il était parvenu dans ces temps orageux qui forment les âmes vigoureuses et sublimes : il avait partagé les malheurs de son maître ; il était son ami, et il travaillait sous les yeux et pour la gloire de cet ami.

(k) Si le maître ne s'était point trompé dans son objet, c'est-à-dire s'il n'eut pas pris pour la gloire ce qui n'en était que le fantôme, Colbert aurait préféré l'utilité à la splendeur.

si après avoir forcé la population par l'abondance, il doit porter ses vues sur le commerce intérieur et extérieur, en favoriser la branche avantageuse, gêner l'inutile, supprimer la plus dangereuse ; s'il sait garnir les manufactures sans dépeupler la campagne ; si dans les échanges, les traités, les retours, il fait pancher la balance du côté de sa nation ; si débarrassant l'exportation de toutes ses entraves, il tire parti de l'importation et de la réexportation ; s'il place utilement ses colonies ; s'il les entretient avec soin, et qu'il ne les applique qu'à la culture la plus fructueuse à la métropole ; s'il découvre lequel est le plus sage, de détruire la compagnie des Indes, ou de lui donner une meilleure direction ; s'il ne paye que des gens qui rendent plus qu'ils ne coutent ; s'il a, sur toutes les parties de l'administration, des notions claires et précises ; s'il possède ce tact fin et prompt, qui distingue la liberté de la licence, qui aperçoit où confine l'usage et où commence l'abus ; s'il ne se méprend pas sur les cas qui sollicitent des gratifications, et sur ceux qui exigent des prohibitions ; certainement ce ministre assurera le bonheur du gouvernement auquel il présidera.

IX. Un auteur célèbre (l), qui voit presque toujours si philosophiquement, dit que ceux qui attribuèrent dans les temps malheureux de Louis XIV, l'affoiblissement des sources de l'abondance aux profusions que ce roi fit en tous genres, ne savent pas que les dépenses qui encouragent l'industrie, enrichissent l'état. Comment cet écrivain ignore-t-il que la richesse que procure à l'état la dépense de son souverain, ne tombe d'abord que sur un petit nombre, et sur ce petit nombre déjà opulent, qui n'a point de relation immédiate avec les denrées de première nécessité ? Comment n'a-t-il pas Ve que la circulation toujours lente ne vivifie le général de la nation des produits de la dépense royale, que longtemps après qu'elle est faite ? L'argent reste même souvent enfoui dans les coffres de quelques particuliers. Or, dans des guerres ruineuses où le secours est indispensable, comment le demander à ceux qui n'ont pas une seule partie des profusions du monarque ? Comment retirer d'une bourse ce qui n'y est point entré ? Comment reprendre en un jour ce qui n'a été acquis qu'à force de peines et de temps, et ce qui a été détourné par différents emplois ? D'ailleurs, il faut que l'argent reste bien des années à la disposition du peuple, pour que la population, l'agriculture et le commerce en rapportent l'intérêt. Enfin, il n'est que trop bien démontré par les faits, qui sont les seules conséquences qui puissent, quand il est question de gouvernement, appuyer un principe, que lorsqu'une sage économie ne préside pas au fisc, l'état est oberé, que les sujets sont foulés, qu'on est contraint de renoncer aux opérations fermes, pour s'attacher à des expédiens funestes, qu'on ne peut réformer aucun abus, qu'on est enfin l'esclave et la victime de ceux qui ont l'argent, et qu'on réussit aussi mal à se relever pendant la paix, qu'à se défendre pendant la guerre. Les règnes de Charles V. de Henri IV. de Louis XIV. lui-même dans ses plus beaux moments, opposés aux exemples qu'il n'est que trop aisé d'accumuler, prouvent ce que j'avance.

X. M. de V. dit encore (m) que " le roi de France eut en 1756 tout l'argent dont il avait besoin pour se venger des déprédations de l'Angleterre, par une des promptes ressources, qu'on ne peut connaître que dans un royaume aussi opulent que la France : vingt places nouvelles de fermiers généraux, et quelques emprunts suffirent pour soutenir les premières années de la guerre, tandis que la grande - Bretagne s'épuisait en taxes exorbitantes ". M. de V. se trompe ici dans tous les points. D'abord, ces vingt places de fermiers généraux ne produisirent aucun avantage, même passager, et elles causèrent un mal à la circulation : leur création fut la suite de la suppression des sousfermes, dont la continuation aurait rendu surement autant, et peut - être plus, que les nouvelles places : le ministre qui fit en 1756 le bail des fermes, livra à vingt personnes les profits qui se partageaient entre cinq cent particuliers. Voilà le résultat de son opération, directement contraire à cette maxime qui établit, que dans une monarchie, les fortunes divisées valent mieux que les fortunes réunies.

Secondement, quelques emprunts ne suffirent pas, puisqu'il y eut un nouveau vingtième en 1756, un doublement de capitation en 1760, précédé d'un troisième vingtième imposé en 1759. Ne sont-ce pas-là des taxes exorbitantes, et ne faut-il pas convenir que la guerre a été aussi ruineuse à la France qu'à l'Angleterre ?

XI. Quand j'ai discuté l'utilité de la régie et celle de la ferme, je n'ai point entendu qu'on fût actuellement maître de préférer l'un ou l'autre parti ; j'ai projeté pour l'avenir : lorsque le trésor royal est épuisé et que les choses sont venues au point, que le crédit qui n'est plus dans le corps desseché de l'état, ne repose encore que faiblement sur une compagnie opulente ; alors la ferme est forcée, parce qu'il faut des avances, et qu'il n'y a lieu ni à la réforme ni à ces dispositions des revenus, qui supposent les dettes liquidées et des fonds réservés.

XII. On le voit clairement, que l'état n'a point de crédit, et que l'on redoute les propositions, les banques et les arrangements qui viendraient de lui. Dans les contrats de prêt, à quelque titre que ce puisse être, le débiteur s'oblige à ne jamais rembourser en papiers ou effets royaux. De telles conventions sont la preuve d'un très-grand mal. Emery disait que la foi n'était que pour les marchands ; et que ceux qui l'alleguaient dans les affaires du roi, méritaient d'être punis. Ce discours du surintendant des finances était d'une férocité stupide. Les étrangers reçoivent l'alarme d'une nation qui n'a aucune confiance dans son gouvernement : ainsi, en se discréditant au-dedans, on se ruina au-dehors.

XIII. On a voulu dans ce siècle encourager l'agriculture, et on a eu raison ; elle est la richesse de première nécessité, et la source de toutes celles de convention : mais on s'est trompé sur les moyens ; les sociétés, les mémoires, les ordres des intendants, tout cela, ou contrarie l'objet, ou n'y tend qu'imparfaitement. Il est question de ramener et d'attacher les hommes à la terre ; ceux qui la travaillent, en leur faisant trouver leur aisance dans leur peine ; et ceux qui la possèdent, ou qui sont en état d'acquérir, de défricher, d'améliorer, en leur présentant dans leur possession un revenu aussi avantageux et plus sur que celui qu'ils pourraient chercher ailleurs. On y parviendra en baissant l'intérêt de l'argent, et en augmentant le produit des terres. Tant qu'une somme rendra 6 pour %, et que l'immeuble n'en fournira que 2, on voit bien qu'on fera valoir son argent sur la place. Mais si le taux de l'argent est réduit à 3 pour %, et que les terres, au moyen d'une exportation des grains non-seulement permise mais encouragée, et d'une décharge d'une partie des taxes qui absorbent près du tiers du revenu, donnent autant, ou à-peu-près autant ; alors les inquiétudes et les banqueroutes qui suivent le travail de l'argent, le feront rejetter. On désirera une richesse plus douce et plus solide ; elle excitera le courage et l'attention du cultivateur, comme le zèle et les observations du propriétaire. Je ne parle point ici de la supériorité

(l) Essai sur l'histoire générale, vol. VII. p. 190.

(m) Essai sur l'histoire générale, vol. VIII. p. 275.

qu'une réduction réfléchie de l'intérêt donnerait à une nation sur les autres par les facilités et l'accroissement qu'elle communiquerait à toutes les branches du commerce.

XIV. Tous les moyens de favoriser la population et l'agriculture, dit un philosophe anglais (M. Hume) sont violents ou inutiles, excepté celui qui prend sa force dans l'intérêt même du propriétaire des fonds.

XV. Le meilleur règlement qu'un souverain pourrait faire pour augmenter le commerce, serait l'assurance d'un prêt sans intérêt de sommes considérables, à des négociants pour exécuter ou étendre des entreprises auxquelles leurs fortunes ne suffiraient pas. Tel est le moyen avec lequel Henri VII. quoiqu'avare, jeta les fondements de la puissance de l'Angleterre : mais pour opérer ainsi, il faut avoir des fonds. Le grand principe de l'économie se démontre donc à l'homme d'état toutes les fois qu'il veut déraciner l'abus et commencer les établissements fructueux.

XVI. Si une compagnie établie chez une nation, exporte son argent, pour acquérir dans des climats éloignés des marchandises qu'elle revient vendre à cette seule nation, elle est certainement nuisible. Si dans un autre royaume, une compagnie de la même espèce répète les achats que fait l'autre ; mais que n'en limitant point la vente à ses concitoyens, elle l'étende assez pour remettre dans l'état, par son gain, la quantité d'espèces qu'elle lui enlève pour l'emplette, cette compagnie est nulle. Mais, si dans une république qui possède les épiceries de l'Inde, une compagnie, au-lieu de sortir l'argent de sa patrie, lui en rapporte de toutes les parties du monde où elle trafique avec ses propres richesses ; cette compagnie est utile, et on peut ajouter qu'elle est le trésor du gouvernement sous lequel elle travaille.

Donc, en temps de paix, la dépense excède la recette de plus de douze millions quatre cent cinquante mille livres ; puisque j'ai compris dans la recette le profit de la douanne, qui n'a lieu qu'en temps de guerre, et que l'intérêt qui se paye à 4 pour %, n'a été porté qu'à 3. Donc, ce royaume, loin de pouvoir éteindre les capitaux augmentera ses emprunts pour suffire aux intérêts ; donc il sera forcé à une banqueroute générale, s'il ne tire de son sein un revenu bien plus considérable par des moyens extraordinaires.

Ainsi la dépense excède la recette de vingt millions ; et ce gouvernement n'a ni banqueroute à craindre, ni ressources violentes à mettre en œuvre.

Un meilleur système d'économie suffirait seul pour apurer en moins de quinze ans la dette nationale. Concluons encore, qu'aucune des deux nations ne peut continuer la guerre sans marcher à sa ruine, surtout si son argent passe à des mains étrangères ; comme il arrivera quelquefois à la France, et toujours à l'Angleterre, quand elle combattra sur terre (n).

XVIII. Jaques premier, dont l'ardeur pour le despotisme fut si funeste à son fils et à sa postérité, agitait sans-cesse des questions relatives à la puissance absolue. Il demandait un jour à deux évêques qui dinaient avec lui, si un roi pouvait, sans autre loi que sa volonté, s'emparer de tout le bien de ses sujets. L'un dit qu'il n'y avait aucun doute, et que sa majesté pouvait disposer de tout ce que possédait son peuple : l'autre voulut éluder la question ; mais pressé d'y satisfaire, il répondit : " Je crois que votre majesté peut prendre le bien de mon confrère qui le lui offre ". C'est ainsi que la nation voudrait qu'en usât son maître à l'égard de ces gens qui, partant du même principe que l'un des deux évêques avait la bassesse d'admettre, imaginent sans-cesse de nouveaux impôts, et osent en presser l'établissement : leurs mémoires deviendraient fort rares, si on commençait par s'emparer de leurs biens, avant de charger les peuples des taxes qu'ils ont inventées.

XIX. On pourrait juger assez surement de la bonne ou mauvaise administration d'un état, par le plus ou le moins de perfection qu'on y aurait donnée aux taxes sur les consommations du luxe. Je ne définis point ici le luxe, que je prends dans l'acception la plus générale. Le système du chevalier Deker sur cet objet, peut fournir à un ministre de très-heureuses parties. On a indiqué un projet pour remplacer à Paris la capitation et le dixième d'industrie, impôts onéreux et arbitraires, par une taxe sur les domestiques et sur les fenêtres : mais on n'a pas suffisamment développé cette idée. Pour les domestiques, il faudrait accroitre l'imposition en raison de leur nombre, de leur nécessité et de leur destination. A l'égard des fenêtres, on devrait aussi observer des proportions entre celles du devant, du premier, de la rue, du quartier ; se régler sur la quantité et peut-être sur la forme. Mais comme on ne mettrait point de taxe, ou qu'il n'y en aurait qu'une très-légère pour les domestiques que la charge du maître rendrait d'une nécessité absolue, on exempterait aussi les artisans qui ne tirent le jour que par un seul endroit. Voilà une petite branche du luxe imposée sans inconvénient, et même avec avantage, surtout la première qui renverrait à la culture des terres et dans les manufactures cette armée d'hommes forts ou adroits, qui surcharge insolemment les villes. Eh combien d'autres articles sur lesquels on pourrait détourner des impôts qui écrasent les fonds !

(n) Quand les calculs énoncés dans cet article ne seraient pas justes, pourvu qu'ils ne s'éloignassent pas du vrai, de façon à présenter des inductions opposées, les raisonnements que l'on fait conserveraient toujours la même force.

XX. On a bientôt fait en divisant et subdivisant tout en genres, en classes et en espèces : le vrai philosophe rejette ces divisions puériles : un faiseur de systèmes politiques qui voudra renouveller l'idée que d'assez bons esprits ont eue (séduits par la simplicité et l'unité des moyens), de réduire tous les impôts à un seul, divisera une nation en vingt classes ; il supposera qu'il y a deux millions de contribuables ; il assurera que c'est bien assez de taxer cent mille personnes à un écu, que ce n'est pas trop d'en taxer cent mille autres à 750 liv. il ne verra pas qu'il impose plus de la moitié de la nation à plus de 400 liv. Ce plan sera saisi avec une espèce d'enthousiasme par ceux qui ne sont point instruits de ce qui peut former la finance d'un état ; quelques écrivains voudront corriger les vices de la première exposition du projet ; ils tâcheront, en conservant le fonds, de le revêtir d'une forme régulière : tous présenteront un total qui s'élevant à une somme excessive, leur fera penser qu'ils ont fait développer une découverte de génie : aucun de ces réformateurs ne se sera aperçu qu'il ne suit ni états ni facultés, ni ressources ; qu'il ne distingue ni consommation, ni utilité absolue, ni besoin d'opinion ; et qu'enfin une telle opération ne peut être admise dans une monarchie où il y a du luxe, de l'industrie, du commerce, une banque et une diversité de productions, de revenus, d'occupations, de moyens et d'intérêts généraux et particuliers dont le détail serait immense. Il est risible de considérer tant de gens qui ont la vue faible et mauvaise, qui n'ont ni ordre, ni justesse ; qui sont incapables de sentir qu'un principe, quoique simple, a des résultats compliqués, et qu'un ensemble régulier est formé d'une multitude de parties sagement combinées ; il est, dis-je, risible de les voir s'échauffer, prendre la plume, se croire inspirés, parce qu'ils ne peuvent se croire instruits, et s'ériger en législateurs.

Ces considérations, continue l'auteur, n'étaient point destinées à voir le jour ; mais les circonstances ont paru trop convenables à sa publication, pour qu'il se refusât de mêler sa faible voix à celle que plusieurs bons citoyens font entendre sur les objets relatifs à la prospérité de l'état. On ne trouvera ici de prétention que celle de saisir le vrai ; ce qui a paru tel est énoncé sans la déclamation qui lui nuit, et avec le respect dû à l'administration publique qui ne l'altère pas. Le style de la discussion n'a point comporté la véhémence avec laquelle on s'exprime sur les matières de finance dans un discours couronné par l'académie française ; et la délicatesse de l'écrivain ne lui a pas même permis d'employer des traits aussi vigoureux, que ceux qui sont répandus dans l'éloge éloquent de M. de Sully.




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