S. m. (Grammaire) ce mot purement latin a été adopté dans notre langue sans aucun changement, pour signifier l'espèce de cacophonie qui résulte de l'ouverture continuée de la bouche, dans l'émission consécutive de plusieurs sons qui ne sont distingués l'un de l'autre par aucune articulation. M. du Marsais parait avoir regardé comme exactement synonymes les deux mots hiatus et bâillement ; mais je suis persuadé qu'ils sont dans le cas de tous les autres synonymes, et qu'avec l'idée commune de l'émission consécutive de plusieurs sons non articulés, ils désignent des idées accessoires différentes qui caractérisent chacun d'eux en particulier. Je crois donc que bâillement exprime particulièrement l'état de la bouche pendant l'émission de ces sons consécutifs, et que le nom hiatus exprime, comme je l'ai déjà dit, la cacophonie qui en résulte : en sorte que l'on peut dire que l'hiatus est l'effet du bâillement. Le bâillement est pénible pour celui qui parle ; l'hiatus est desagréable pour celui qui écoute : la théorie de l'un appartient à l'Anatomie, celle de l'autre est du ressort de la Grammaire. C'est donc de l'hiatus qu'il faut entendre ce que M. du Marsais a écrit sur le bâillement. Voyez BAILLEMENT. Qu'il me soit permis d'y ajouter quelques réflexions.

" Quoique l'élision se pratiquât rigoureusement dans la versification des Latins, dit M. Harduin, secrétaire perpétuel de la société littéraire d'Arras (Remarques diverses sur la prononciation, page 106. à la note) : et quoique les François qui n'élident ordinairement que l'e féminin, se soient fait pour les autres voyelles une règle équivalente à l'élision latine, en proscrivant dans leur poésie la rencontre d'une voyelle finale avec une voyelle initiale ; je ne sais s'il n'est pas entré un peu de prévention dans l'établissement de ces règles, qui donne lieu à une contradiction assez bizarre. Car l'hiatus, qu'on trouve si choquant entre deux mots, devrait également déplaire à l'oreille dans le milieu d'un mot : il devrait paraitre aussi rude de prononcer meo sans élision, que me odit. On ne voit pas néanmoins que les poètes latins aient rejeté autant qu'ils le pouvaient les mots où se rencontraient ces hiatus ; leurs vers en sont remplis, et les nôtres n'en sont pas plus exempts. Non-seulement nos poètes usent librement de ces sortes de mots, quand la mesure ou le sens du vers parait les y obliger ; mais lors même qu'il s'agit de nommer arbitrairement un personnage de leur invention, ils ne font aucun scrupule de lui créer ou de lui appliquer un nom dans lequel il se trouve un hiatus ; et je ne crois pas qu'on leur ait jamais reproché d'avoir mis en œuvre les noms de Cléon, Chloé, Arsinoé, Zaïde, Zaïre, Laonice, Léandre, etc. Il semble même que loin d'éviter les hiatus dans le corps d'un mot, les poètes français aient cherché à les multiplier, quand ils ont séparé en deux syllabes quantité de voyelles qui font diphtongue dans la conversation. De tuer ils ont fait tu-er, et ont allongé de même la prononciation de ruine, violence, pieux, étudier, passion, diadème, jouer, avouer, etc. On ne juge cependant pas que cela rende les vers moins coulants ; on n'y fait aucune attention ; et on ne s'aperçoit pas non plus que souvent l'élision de l'e féminin n'empêche point la rencontre de deux voyelles, comme quand on dit, année entière, plaie effroyable, joie extrême, vue agréable, vue égarée, bleue et blanche, boue épaisse ".

Ces observations de M. Harduin sont le fruit d'une attention raisonnée et d'une grande sagacité ; mais elles me paraissent susceptibles de quelques remarques.

1°. Il est certain que la loi générale qui condamne l'hiatus comme vicieux entre deux mots, a un autre fondement que la prévention. La continuité du bâillement qu'exige l'hiatus, met l'organe de la parole dans une contrainte réelle, et fatigue les poumons de celui qui parle, parce qu'il est obligé de fournir de suite et sans interruption une plus grande quantité d'air : au lieu que quand des articulations interrompent la succession des sons, elles procurent nécessairement aux poumons de petits repos qui facilitent l'opération de cet organe : car la plupart des articulations ne donnent l'explosion aux sons qu'elles modifient, qu'en interceptant l'air qui en est la matière. Voyez H. Cette interception doit donc diminuer le travail de l'expiration, puisqu'elle en suspend le cours, et qu'elle doit même occasionner vers les poumons un reflux d'air proportionné à la force qui en arrête l'émission.

D'autre part, c'est un principe indiqué et confirmé par l'expérience, que l'embarras de celui qui parle affecte desagréablement celui qui écoute : tout le monde l'a éprouvé en entendant parler quelque personne enrouée ou begue, ou un orateur dont la mémoire est chancelante ou infidèle. C'est donc essentiellement et indépendamment de toute prévention que l'hiatus est vicieux ; et il l'est également dans sa cause et dans ses effets.

2°. Si les Latins pratiquaient rigoureusement l'élision d'une voyelle finale devant une voyelle initiale, quoiqu'ils n'agissent pas de même à l'égard de deux voyelles consécutives au milieu d'un mot ; si nous-mêmes, ainsi que bien d'autres peuples, avons en cela imité les Latins, c'est que nous avons tous suivi l'impression de la nature : car il n'y a que ses décisions qui puissent amener les hommes à l'unanimité.

Ne semble-t-il pas en effet que le bâillement doit être moins pénible, et conséquemment l'hiatus moins desagreable au milieu du mot qu'à la fin, parce que les poumons n'ont pas fait encore une si grande dépense d'air ? D'ailleurs l'effet du bâillement étant de soutenir la voix, l'oreille doit s'offenser plutôt de l'entendre se soutenir quand le mot est fini, que quand il dure encore ; parce qu'il y a analogie entre soutenir et continuer, et qu'il y a contradiction entre soutenir et finir.

Il faut pourtant avouer que cette contradiction a paru assez peu offensante aux Grecs, puisque le nombre des voyelles non élidées dans leurs vers est peut-être plus grand que celui des voyelles élidées : c'est une objection qui doit venir tout naturellement à quiconque a lu les poètes grecs. Mais il faut prendre garde en premier lieu à ne pas juger des Grecs par les Latins, chez qui la lettre h était toujours muette quant à l'élision qu'elle n'empêchait jamais ; au lieu que l'esprit rude avait chez les Grecs le même effet que notre h aspirée ; et l'on ne peut pas dire qu'il y ait alors hiatus faute d'élision, comme dans ce vers du premier livre de l'Iliade :