S. f. (Grammaire) , comprehensio ; c'est la même étymologie que celle du mot syllabe, voyez SYLLABE ; mais elle doit se prendre ici dans le sens actif, au-lieu que dans syllabe elle a le sens passif : , comprehensio duorum sensuum sub unâ voce ; ou-bien acceptio vocis unius duos simul sensus comprehendentis. C'est tout-à-la-fais la définition du nom et celle de la chose.

La syllepse est donc un trope au moyen duquel le même mot est pris en deux sens différents dans la même phrase, d'une part dans le sens propre, et de l'autre dans un sens figuré. Voici des exemples cités par M. du Marsais. trop. part. II. art. XIe pag. 151.

" Corydon dit que Galatée est pour lui plus douce que le thym du mont Hybla ; Galatea thymo mihi dulcior Hyblae, Virg. ecl. VIIe 37. le mot doux est au propre par rapport au thym, et il est au figuré par rapport à l'impression que ce berger dit que Galatée fait sur lui. Virgile fait dire ensuite à un autre berger ; ibid. 41. Ego Sardoïs videar tibi amarior herbis, (quoique je te paraisse plus amer que les herbes de Sardaigne, &c.) Nos bergers disent, plus aigre qu'un citron verd.

Pyrrhus, fils d'Achille, l'un des principaux chefs des Grecs, et qui eut le plus de part à l'embrasement de la ville de Troie, s'exprime en ces termes dans l'une des plus belles pièces de Racine : Andromaq. act. I. sc. IVe

Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie ;

Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,

Brulé de plus de feux que je n'en allumai.

brulé est au propre, par rapport aux feux que Pyrrhus alluma dans la ville de Troie ; et il est au figuré, par rapport à la passion violente que Pyrrhus dit qu'il ressentait pour Andromaque...

Au reste, cette figure joue trop sur les mots pour ne pas demander bien de la circonspection : il faut éviter les jeux de mots trop affectés et tirés de loin. "

Cette observation de M. du Marsais est très-sage ; mais elle aurait pu devenir plus utile, s'il avait assigné les cas où la syllepse peut avoir lieu, et qu'il eut fixé l'analyse des phrases sylleptiques. Il me semble que ce trope n'est d'usage que dans les phrases explicitement comparatives, de quelque nature que soit le rapport énoncé par la comparaison, ou d'égalité, ou de supériorité, ou d'infériorité : brulé d'autant de feux que j'en allumai, ou de plus de feux, ou de moins de feux que je n'en allumai. Dans ce cas, ce n'est pas le cas unique exprimé dans la phrase, qui réunit sur soi les deux sens ; il n'en a qu'un dans le premier terme de la comparaison, et il est censé répété avec le second sens dans l'expression du second terme. Ainsi le verset 70 du ps. 118. Coagulatum est sicut lac cor eorum, est une proposition comparative d'égalité, dans laquelle le mot coagulatum, qui se rapporte à cor eorum, est pris dans un sens métaphorique ; et le sens propre qui se rapporte à lac est nécessairement attaché à un autre mot pareil sous-entendu ; cor eorum coagulatum est sicut lac coagulatur.

Il suit de-là que la syllepse ne peut avoir lieu, que quand le sens figuré que l'on associe au sens propre est autorisé par l'usage dans les occurrences où il n'y a pas de syllepse. C'est ainsi que feux est de mise dans l'exemple de Racine, parce qu'indépendamment de toute comparaison on peut dire par métaphore, les feux de l'amour. J'ajouterai que peut-être serait-il plus sage de restraindre la syllepse aux seuls cas où le sens figuré ne peut être rendu par un mot propre.

M. du Marsais semble insinuer, que le sens figuré que la syllepse réunit au sens propre, est toujours une métaphore. Il me semble pourtant qu'il y a une vraie syllepse dans la phrase latine, Nerone neronior ipso, et dans ce vers français, Plus Mars que le Mars de la Thrace ; puisque Nero d'une part et Mars de l'autre sont pris dans deux sens différents : or le sens figuré de ces mots n'est point une métaphore ; c'est une antonomase ; ce sont des noms propres employés pour des noms appelatifs. Je dis que dans ces exemples il y a syllepse, quoique le mot pris à double sens soit exprimé deux fois : c'est que s'il n'est pas répété dans les exemples ordinaires, il est sous-entendu, comme je l'ai remarqué plus haut, et que l'ellipse n'est point nécessaire à la constitution de la syllepse.

Il y a aussi une figure de construction que les Grammairiens appellent syllepse ou synthèse. Mais comme il me semble dangereux pour la clarté de l'enseignement, de donner à un même mot technique des sens différents, je n'adopte, pour nommer la figure dont il s'agit, que le nom synthèse, et c'est sous ce nom que j'en parlerai. Voyez SYNTHESE, Grammaire. (E. R. M. B.)