(Morale) on prend ordinairement ce mot en mauvaise part, pour désigner une affectation de mœurs, d'opinions, de manières d'agir, ou de s'habiller, contre l'usage ordinaire ; cependant il faut distinguer la singularité louable, de la vicieuse.

1°. Tout homme de bon sens tombera d'accord avec moi, que la singularité est digne de nos éloges, lorsque malgré la multitude qui s'y oppose, elle suit les maximes de la morale et de l'honneur ; dans de semblables cas, il faut savoir que ce n'est pas la coutume, mais le devoir, qui est la règle de nos actions, et que ce qui doit diriger notre conduite, est la nature même des choses : alors la singularité devient une vertu qui élève un homme au-dessus des autres, parce que c'est le caractère d'un esprit faible, de vivre dans une opposition continuelle à ses propres sentiments, et de n'oser paraitre ce qu'on est ou ce qu'on doit être.

La singularité n'est donc vicieuse que lorsqu'elle fait agir les hommes contre les lumières de la raison, ou qu'elle les porte à se distinguer par quelques niaiseries ; comme je ne doute pas que tout le monde ne condamne les personnes qui se singularisent par les mauvaises mœurs, le désordre et l'impiété ; je ne m'arrête qu'à ceux qui se rendent remarquables par la bizarrerie de leurs habits, de leurs manières, de leurs discours, ou de telles autres choses de peu d'importance dans la conduite de la vie civîle ; il est certain qu'à tous ces égards, on doit donner beaucoup à la coutume, et quoique l'on puisse avoir quelque ombre de raison, pour ne suivre pas la foule, on doit sacrifier son humeur particulière, et ses opinions, aux usages reçus du public.

Il faut donc s'y prêter, et se ressouvenir qu'en suivant toujours le bon sens même, on peut paraitre ridicule dans l'esprit de gens qui nous sont beaucoup inférieurs, et se rendre moins propres à être utîle aux autres, dans des affaires réellement importantes ; au reste, parmi nous, on voit très - peu de gens se singulariser dans les modes, les usages, et les opinions reçues ; mais combien n'en voit-on pas qui, de peur de se donner un ridicule, n'osent se montrer ce qu'ils devraient être, et ce que la vertu leur prescrit d'être ? (D.J.)