S. f. et MARÉCHAUSSÉE DE FRANCE, (Jurisprudence) est la juridiction du connétable et des maréchaux de France sur les gens de guerre, et sur tout ce qui a rapport à la guerre directement ou indirectement, tant en matière civîle que criminelle.

On l'appelle connétablie et maréchaussée, parce que quand il y avait un connétable, cet officier et les maréchaux de France ne faisaient qu'un corps dont le connétable était le chef, et rendait avec eux la justice dans cette juridiction.

Depuis la suppression de l'office de connétable, cette juridiction a cependant toujours retenu le nom de connétablie, et est demeurée aux maréchaux de France, dont le premier qui représente le connétable pour tout le corps des maréchaux de France, est le chef de cette juridiction.

Elle est la première des trois juridictions qui sont comprises et dénommées sous le titre général de siège de la table de marbre du palais à Paris ; savoir la connétablie, l'amirauté, et les eaux et forêts. Leur dénomination commune vient de ce qu'autrefois ces juridictions tenaient leurs séances sur la table de marbre qui était en la grand-salle du palais, et qui fut détruite lors de l'incendie arrivé en 1618.

Cette juridiction a aussi le titre de justice militaire.

On tenta en 1602 d'établir une connétablie à Rouen ; mais ce projet n'ayant pas eu lieu, la connétablie est la seule juridiction de son espèce pour toute l'étendue du royaume.

L'établissement de la connétablie parait être aussi ancien que celui du connétable, qui remonte jusqu'aux premiers temps de la monarchie. Les grands officiers de la couronne avaient chacun une juridiction pour ce qui était de leur ressort : ainsi il est probable que le connétable ayant été décoré du titre d'officier de la couronne, et étant ensuite devenu le premier des officiers militaires, exerça dès-lors une juridiction sur ceux qui étaient soumis à son commandement.

On ne trouve point d'ordonnance qui ait institué cette juridiction : mais dans un mémoire dressé au siège en 1655, il est dit que ce siège subsistait depuis 400, ce qui ferait remonter son institution jusqu'en 1255. Miraulmont dit qu'anciennement elle s'exerçait à la suite de nos rois ; que le connétable et les maréchaux de France avaient des prevôts qui avaient juridiction criminelle au camp et durant la guerre, et en temps de paix, sur les vagabonds et non domiciliés ; qu'ils connaissaient des matières de leur compétence à la suite du camp et armée, et des connétable et maréchaux de France : mais que depuis l'établissement du parlement à Paris, cette juridiction fut fixée au siège de la table de marbre.

Le plus ancien vestige que l'on trouve dans le siège de son ancienneté, est une sentence du 9 Février 1316, dont l'appel fut porté au parlement ; et un arrêt de cette cour du 22 Janvier 1361, qui sur l'appel d'une sentence du même siège, la qualifie sentence de l'audience de la cour des maréchaux, qui probablement était la même juridiction que la connétablie.

Miraulmont rapporte que Charles V. ordonna le 13 Décembre 1374, que les assignations devant les maréchaux de France se feraient pour comparoir en la ville de Paris, et non ailleurs ; que les ajournements seraient libellés et non royaux, et faits par les sergens royaux des lieux, et non par aucun commis-sergent, ou officier des maréchaux : ce qui se fit, dit-il, afin d'établir la juridiction des connétable et maréchaux de France au palais à Paris.

Les connétables, et depuis eux les maréchaux de France tenaient autrefois cette juridiction en fief du roi comme un domaine de la couronne, dont la propriété appartenait au roi, et qui leur avait été inféodée à cause de leurs offices : ils en faisaient hommage lors de leur prestation de serment. On en voit des exemples dans le Feron en 1424, 1631, 1637, et 1655 : mais depuis ce temps, cette juridiction est devenue royale, et les officiers ont le titre de conseillers du Roi.

Cette juridiction était d'abord ambulatoire à la suite du connétable près de la personne du Roi, et ne fut rendue sédentaire à Paris que vers le temps où le parlement y fut fixé. Dans cette ville, le siège se tenait en 1543, au-dessus de l'auditoire du bailliage du palais. Il fut transféré en 1549 aux Augustins, et en 1590 à Tours, puis rétabli à Paris en 1594 ; en 1671, il fut placé, où il est présentement, dans la galerie des prisonniers ; et depuis le 22 Septembre 1741 jusqu'au milieu d'Avril 1742, il se tint par emprunt dans la chambre des eaux et forêts, pendant qu'on travaillait à la galerie des prisonniers.

Comme les officiers de la couronne avaient anciennement le droit d'établir tels officiers qu'ils jugeaient à propos, pour exercer sous eux et en leur nom les mêmes fonctions dont ils étaient chargés, le connétable et les maréchaux de France ne pouvant vaquer continuellement à l'expédition de la justice à cause de leurs occupations militaires, ils instituèrent un lieutenant général et un procureur d'office, pour juger conjointement avec eux, et juger seuls en leur absence les affaires qui sont portées à ce tribunal. L'établissement d'un lieutenant particulier dans ce siège, résulte de la création des lieutenans particuliers, faite en 1581 dans tous les sièges royaux.

La connétablie est composée présentement d'un lieutenant général, un lieutenant particulier, un procureur du roi ; il y avait aussi un office d'avocat du roi, dont Me. Simon le Norman était pourvu en 1562, et par le décès duquel il fut uni à celui de procureur du roi, suivant des lettres du 8 Juillet 1563 ; un greffier en chef, un commis-greffier, trois huissiers-audienciers, et un très-grand nombre d'autres huissiers de la connétablie qui sont répandus dans les bailliages du royaume pour le service de la connétablie, et compris sous les différentes dénominations d'huissiers, archers, archers-huissiers, archers-gardes, huissiers-sergens royaux et d'armes, lesquels jouissent de plusieurs privilèges, notamment du droit d'exploiter par tout le royaume : ils sont justiciables de la connétablie pour leur service et fonctions de leur charge.

Les maréchaux de France sont les présidents de cette juridiction, et y viennent quand ils le jugent à propos ; ils y viennent ordinairement en corps, habillés comme les ducs et pairs en petit manteau, et avec des chapeaux ornés de plume, le premier maréchal de France étant accompagné des gardes de la connétablie, avec deux trompettes à la tête, qui sonnent jusqu'à la porte de l'auditoire ; et en sortant de l'audience, ils sont reconduits dans le même ordre et avec la même pompe.

Le lieutenant général Ve prendre les opinions des maréchaux de France, qui en matières sommaires opinent assis, mais découverts, et en s'inclinant. Si c'est une affaire de discussion, les maréchaux de France se réunissent près du doyen, et donnent leur avis debout et découverts. Le lieutenant général a seul la parole et prononce.

En l'absence des maréchaux de France, c'est lui qui préside. Il a en outre plusieurs autres droits curieux par leur ancienneté, et qui ont été cédés à cet officier par le maréchal de France, auquel ils appartenaient à cause de son office ; entr'autres une redevance dû. par les habitants d'Argenteuil, pour les îles dites de la maréchaussée, situées vis-à-vis d'Argenteuil : cette redevance consiste de la part des habitants à venir faire la foi et hommage à chaque nouveau lieutenant général ; à venir tous les ans la veille de la Pentecôte, par eux ou par leurs syndics et marguilliers, inviter le lieutenant général à se trouver à la fête du lieu, qui est ordinairement le lundi de la Pentecôte. Lorsque le lieutenant général accepte d'y aller, ils doivent venir au-devant de lui jusqu'à l'entrée de l'ile, et le recevoir avec tous les honneurs convenables ; lui payer trois sous parisis de cens, quarante sous tournois d'argent, et lui donner à diner et à sa compagnie. Le lieutenant général s'y transporta, en 1525, avec son greffier et un huissier, accompagné du prevôt à la suite du maréchal d'Aubigny, assisté de ces archers et de deux notaires au châtelet. Les marguilliers vinrent au-devant de lui avec les hautbais et autres instruments : ils lui offrirent au nom des habitants du pain, du vin, et une tarte, les trois sous de cens, et à diner ; ce qu'il accepta. Mais par arrêt du parlement de 15 Juin 1624, ce diner a été évalué à cinquante sols tournois, au moyen de quoi la redevance en argent est présentement de quatre livres dix sous, outre les trois sous de cens.

Les habitants de Nanterre doivent aussi une redevance au lieutenant général pour l'île de la maréchaussée située dans ce lieu. La redevance était d'un denier de cens, et en outre d'un pain blanc de la largeur d'un fer-à-cheval. Ce pain a été depuis converti en neuf sous parisis d'argent, ensuite évalué à seize sous parisis et un agneau gras, et enfin en 1603 arbitré à quarante sous tournois.

Il a encore un droit appelé ceinture de la reine à prendre sous le pont de Neuilly, qui consiste à prendre sur tous les bateaux montants ou descendants sous le pont de Neuilly, depuis la veille de la Notre Dame de Mars jusqu'à la S. Jean-Baptiste, dix-huit deniers parisis pour chaque bateau chargé, et douze deniers parisis pour chaque bateau vide, et un droit de neuvage de trois sous parisis sur chaque bateau neuf, sous peine de confiscation des bateaux et d'amende arbitraire.

C'est lui qui a la garde du sceau du premier maréchal de France, dont on se sert pour sceller toutes les expéditions de ce siège. Ce sceau qui contient les armoiries du connétable, et au-dessous celles du premier maréchal, leur a été accordé par nos Rais, comme on voit par des lettres de Charles IX. du 6 Décembre 1568 ; il change à l'avenement de chaque maréchal de France ; l'empreinte des armes du connétable est néanmoins toujours la même : mais l'écusson des armes du doyen des maréchaux de France, qui est au-dessous des armes du connétable, change à chaque mutation de doyen ; c'est pourquoi chaque doyen donne un nouveau sceau. Le privilège de ce sceau est d'être exécutoire par tout le royaume, sans visa ni pareatis.

Comme il n'y a que deux juges dans ce siège, dans les procès criminels on y appelle pour conseil un troisième gradué ; et depuis longtemps le lieutenant général, ou en son absence celui qui préside, sont dans l'usage d'inviter pour cet effet un ou plusieurs avocats du parlement.

A l'égard des affaires civiles, il y en a quelques-unes d'une nature particulière où le lieutenant général invite en tel nombre qu'il juge à-propos les commissaires, contrôleurs, et trésoriers des guerres, lesquels en ce cas y ont séance et voix délibérative, dans les contestations entre les trésoriers et leurs commis. Les commissaires des guerres s'y assemblent en outre les premiers lundis de chaque mois, pour y délibérer des affaires de leur compagnie.

On y a quelquefois appelé des maîtres des comptes, lorsqu'il s'agissait de finance.

Des maîtres des requêtes y ont aussi assisté quelquefois pour différents objets, en vertu de mandements et de lettres de jussion à eux adressées.

Le prévôt de la connétablie y a séance et voix délibérative dans toutes sortes d'affaires après le lieutenant particulier. Pour ce qui est de ses lieutenans, et des autres prévôts et lieutenans des maréchaux de France, ils n'ont de séance que sur les bas-siéges, et quant à la voix délibérative, ils ne l'ont que quand ils apportent des procès prevôtaux à juger.

Le connétablie connait premièrement de tous excès, dommages, crimes, et délits commis par les gens de guerre, à pied ou à cheval, au camp, en garnison, en y allant ou revenant, ou tenant les champs ; des excès et violences qui peuvent leur être faits ; des infractions de sauve-garde, et des gardes enfreintes ; logement de gens de guerre sans commission et sans route, ou qui se font dans les maisons des exempts et des privilégiés ; et de tous crimes et délits commis à l'occasion des faits dont on vient de parler.

2°. Elle connait de tous procès et différends procédants du fait de la guerre et gendarmerie, comme des rançons, butins, prisonniers de guerre, espions, proditeurs, transfuges, déserteurs, enrollements forcés, destitution et cassation de gens de guerre ; de la reddition des villes, châteaux et forteresses rendus aux ennemis du Roi, par faute et malversation des gentilshommes sujets au ban et arriere-ban ; des actions et poursuites qui en peuvent être faites, et des appelations interjetées des maires et échevins, sur le fait de la milice, guet, et garde des bourgeois et habitants ; des délits et différends survenus entre eux ou autres particuliers dans les corps-de-garde desdites villes ; et de tous cas et crimes commis par gens étant sous les armes ; comme aussi de l'appel des sentences rendues par les prevôts des compagnies bourgeoises d'arquebusiers, fusiliers, et chevaliers de la flèche ou de l'arc.

C'est à cause de ce ressort d'appel, et de la supériorité que la connétablie a sur toute la maréchaussée et gendarmerie de France, qu'il y a deux degrés ou marches pour monter au siège sur lequel s'asseyent les juges de la connétablie.

3°. Elle connait des actions personnelles que les gens de guerre peuvent avoir, en vertu de contrats, cédules, promesses, obligations faites entr'eux ou autres personnes, pour prêt de deniers, vente de vivres, armes, chevaux, ou autres munitions et équipages de guerre, en demandant, ou défendant, ou intervenant, nonobstant les privilèges de committimus aux requêtes, et attributions du scel du châtelet.

4°. Des montres et revues, payement de gages, soldes, appointements, taxations, droits de paye et de registres, et autres droits prétendus par les gens de guerre à pied ou à cheval, mortes-payes, prevôts, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs officiers et archers, commissaires et contrôleurs des guerres, trésoriers-payeurs, hérauts-d'armes, capitaines et conducteurs des charrais, munitionnaires, et autres officiers de la gendarmerie et des guerres, et des poursuites qui se peuvent faire contre les trésoriers généraux de l'ordinaire et extraordinaire des guerres ; cavalerie légère, artillerie, payeurs, receveurs, ou leurs commis ; du prêt fait aux armées, réponses, obligations faites au camp ou en garnison ; lesquels commissaires des guerres, contrôleurs, trésoriers, et payeurs, sont tenus deux mois après l'expédition de leurs lettres de provision, de les faire enregistrer au greffe de la connétablie ; ce qui ne se fait qu'après information de vie et mœurs : les payeurs sont aussi obligés d'y faire enregistrer les actes de réception de leurs cautions deux mois après leur réception.

5°. Elle connait encore des différends qui surviennent à l'occasion des comptes, assignations, mandements, rescriptions, récépissés, ordonnances, billets et lettres de change que les trésoriers des guerres, payeurs, leurs clercs et commis, se donnent les uns aux autres, pour le fait de leurs charges, commissions, maniements, et entremises ; des abus et malversations que ces officiers pourraient commettre en leurs offices et commissions ; des procès et différends des commissaires des guerres, contrôleurs et trésoriers payeurs et leurs commis, capitaines et conducteurs des charrais et artillerie, munitionnaires, et autres officiers de guerre ; et ce nonobstant tout committimus.

6°. Des actions qui peuvent être intentées pour l'exécution ou explication des traités faits pour les offices de prévôts, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs officiers et archers ; et des commissaires, contrôleurs, trésoriers des guerres et payeurs, et autres officiers de milice ; vente de tous offices de gendarmerie par autorité de justice ; des décrets interposés sur les biens des condamnés par jugement prevôtal ; procès et différends qui peuvent naître à cause des armes et blasons des familles nobles.

7°. Des causes et actions personnelles des domestiques des connétables et maréchaux de France, maîtres armuriers-arquebusiers, fourbisseurs, s'agissant du fait d'armes et de leur négoce, vente et achat entr'eux et les particuliers, pour le fait des marchandises de contrebande ; et encore les marchands tailleurs et artisans qui fournissent aux gens de guerre les sayes, casaques, et habits d'ordonnance, et autres choses pour le fait de la guerre.

8°. Les maréchaux de France, ou leur lieutenant général en la connétablie, connaissent par prévention de tous crimes et cas prevôtaux, lesquels sont jugés en la connétablie au nombre porté par les ordonnances, qui doit être rempli en appelant des avocats ou autres gradués ; même de tous autres délits et contre toutes sortes de personnes, sauf à en faire le renvoi, s'il est requis, après l'information et le decret exécuté ; comme aussi des contraventions faites aux édits de S. M. sur le fait des duels et rencontres, contre toutes personnes et en tous lieux ; des contraventions aux ordonnances touchant le port d'armes ; et de tous crimes ordinaires royaux commis hors les villes closes où il y a bailliage et sénéchaussée ; et ce par prévention et à la charge de l'appel.

9°. Les prevôts des maréchaux, tant généraux, provinciaux, que particuliers, vice-baillifs, vice-sénéchaux, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, leurs lieutenans, assesseurs, procureurs du Roi, greffiers, commissaires et contrôleurs à faire les montres, trésoriers de la solde, receveurs et payeurs de leur compagnie, doivent être reçus en la connétablie après information de vie et mœurs, et les oppositions à leur réception doivent y être jugées.

10°. Elle connait aussi des fautes et délits des prevôts des maréchaux, vice-baillifs, vices sénéchaux, leurs lieutenans, assesseurs, lieutenans criminels de robe-courte, chevaliers du guet, officiers et archers de leur compagnie, en l'exercice de leurs charges et commissions, des excès et rébellions à eux faites, et à ceux par eux appelés en aide ; des règlements faits entr'eux pour leurs états ; des procès qui surviennent entr'eux pour raison de leurs fonctions ; des provisions, nominations, destitutions ou suspensions de leurs archers ; taxe de leur salaire et vacations ; des montres, police, et discipline de leur compagnie ; des appelations interjetées desdits prevôts ; savoir, en matière criminelle, par ceux qui ne sont pas de leur gibier, ou en cas de déni de justice ; et en matière civile, des destitutions, suspensions ou interdictions par eux faites de leurs officiers et archers, taxes de leurs salaires et vacations.

Enfin elle connait de toutes lettres d'abolition, pardon, et innocence, qui s'obtiennent pour les délits faits par les gens de guerre et par les officiers ci-dessus dénommés, ou autres personnes qui se trouvent prévenus de quelqu'un des délits exprimés ci-devant. Voyez le recueil de la connétabl. et maréchaussée par Pinson de la Martinière ; celui de Saugrain ; celui de Joly, ses remontrances et son traité de la justice militaire ; l'histoire des connétables et maréchaux de France par le Feron ; Miraumont ; et le diction. de la maréchaussée de M. de Beauclas. (A)