Les plus grands troupeaux de ce climat sont partagés en trois parties. Dans l'une sont les brebis ; dans l'autre les moutons, et la troisième n'a que les agneaux lorsqu'ils sont sevrés. L'on y réserve du terroir destiné à ces troupeaux la partie la plus fertîle en pâturages et la moins pénible pour les brebis, surtout quand elles sont avancées dans la grossesse, ou qu'elles alaitent, ou quand elles approchent du temps d'entrer en chaleur. La partie la plus rude est destinée pour les moutons. Les agneaux sevrés participent souvent aux avantages des brebis, et de moins en moins à mesure qu'ils deviennent forts, pour prendre le supplément de leur nourriture sur ce qui est le moins rude qu'on destine aux moutons.

On mêle les béliers avec les brebis dès les premiers jours du mois d'Aout, et nous voyons ordinairement que les premiers agneaux naissent au commencement du mois de Janvier suivant, et qu'il en nait plusieurs encore dans le mois d'Avril. Voici ce qui s'ensuit.

Quand l'automne et l'hiver sont doux, et les plantes humectées de temps-en-temps, les arbres, les arbrisseaux, et les aromates en sont plus touffus ; les brebis se portent bien, et les agneaux naissent avec de l'embonpoint ; ils sont alaités tendrement et abondamment ; ils croissent vite : on les voit caracoler et bondir en troupes dans les bergeries, peu de jours après leur naissance ; dès que leurs mères sont aux champs, où elles restent chaque jour huit, neuf, dix, jusqu'à douze heures de suite ; les agneaux enfermés pendant la faiblesse de leur âge, mangent alors des provisions délicates ; ils préférent avec avidité des feuilles d'olivier, de l'yeuse, qu'on leur coupe à mesure ; ils ne passent guère au-delà d'un mois à vivre de cette façon ; ils suivent ensuite leurs mères pour commencer à paitre avec elles. Ils sont disposés ainsi à soutenir les épreuves de la sécheresse quand le printemps et l'été en affecte les plantes.

Les choses changent quand l'automne et l'hiver sont rudes, parce que les plantes étant alors dans une espèce d'engourdissement, les brebis n'y trouvent qu'une faible nourriture ; elles perdent peu-à-peu l'embonpoint que la transmigration, dans des pays gras pendant l'été, leur avait donné ; certaines avortent, et les agneaux qui naissent des autres sont la plupart maigres, les mères les rejettent (il n'y a que la violence qui les fait accueillir), le lait leur manque, malgré les secours artificiels des provisions qu'on leur donne ; enfin les agneaux souffrent, ils en deviennent plus faibles et languissants ; il est rare de les voir jamais, à quelques-uns près, dans un état heureux, et il en est peu de ceux qui naissant les derniers, et trop avant dans le printemps, résistent à la sécheresse de cette saison ; le lait leur manque alors, ils ne trouvent pas, quand ils peuvent manger, de quoi brouter sur nos plantes déjà désséchées, de-sorte que la chaleur venant les assaillir, et étant sevrés en même-temps que les premiers nés, ils ne peuvent les suivre qu'avec peine dans les campagnes, ils s'épuisent et périssent avant que d'arriver à l'automne prochaine.

Nous venons de dire que les brebis rejetaient leur agneaux : on les contraint de les accueillir en les enfermant dans une petite case faite exprès avec des claies, et en les y attachant avec une corde qui les embrasse au milieu du corps : on y met l'agneau qu'elle reçoit enfin, ni l'un ni l'autre ne pouvant s'échapper. C'est là où il faudrait soulager la misere et exciter la tendresse par des avoines, des orges, des herbes succulentes, etc. c'est-là aussi où les bergers infidèles contraignent de même les beaux agneaux de leurs maîtres à prendre leurs brebis qui en ont eu de misérables, ou qui les ont perdus.

Tout ce qui précéde, nous prescrit qu'il faut que les brebis se portent bien, autant que cela dépendra de nous, eu égard à leurs descendants, indépendamment de tous les autres avantages, et que cet état est à rechercher, surtout dans le temps de leurs penchants à la génération, parce qu'il amène vite à celui de s'accoupler, et fait devancer par conséquent dans l'arriere-saison pour mettre bas leur fruit ; de cette façon les premiers nés se fortifient mieux, et les derniers ne périssent pas.

Quels sont les moyens qu'on emploie pour se procurer cet état favorable des brebis ? les uns ont accoutumé ou de faire passer leurs troupeaux dans les montagnes verdoyantes en tout temps, et la plupart pendant l'été, dans les plaines fertiles pour y faire manger les herbes qui naissent dans les champs, les épis échappés aux glaneuses, et le chaume. Voici les effets funestes et ordinaires, quand les bergers sans la moindre prudence, et sous le prétexte d'engraisser vite leurs troupeaux, les laissent paitre à leur gré. Ces animaux venant de souffrir la faim et souvent la soif dans les lieux de leur demeure ordinaire, à cause de la sécheresse qui desseche les herbes et les autres plantes dont ils font leur nourriture, et n'ayant pu quitter des lieux si incompatibles alors avec leurs besoins, parce que les moissons sont encore répandues dans les champs où ils doivent se réparer : ces animaux, dis-je, se jettent avec avidité sur cette espèce d'abondance, et s'en remplissent ; un grand nombre crève d'indigestion, surtout là où les épis n'ont pas été bien ramassés, parce que le grain, en s'enflant dans l'estomac, leur cause sans-doute une espèce de suffocation d'autant plus prompte, que la soif, suite ordinaire, en les faisant boire immodérément sans opposition des bergers, augmente l'enflure des grains. Il est encore un autre danger dont la mort est aussi la suite, mais dont les effets sont plus lents. Les pâturages gras sont souvent sujets à l'humidité, elle s'y conserve plus avant dans le jour, selon qu'ils sont enfoncés et privés des rayons du soleil ; de manière que si nos troupeaux y paissent avant l'évaporation de l'humidité qui affecte les plantes, ils en contractent une maladie qui semble tenir de la pulmonie, qu'on appelle dans le pays le gam, et dont ils meurent après avoir langui pendant plusieurs mois. Tous ces endroits seraient bien moins dangereux aux troupeaux sous des bergers sages et vigilans ; mais presque tous paresseux, ne comptant pour rien le danger, et aussi avides de les engraisser que ces animaux sont voraces, s'y laissent tromper. Il faut donc se garantir de ces lieux dangereux, étant plus raisonnable de se retirer sans perte, et avec moins d'embonpoint, que de périr en l'acquérant.

Revenons à la naissance des agneaux. Mêler trop-tôt les brebis avec les beliers, c'est hâter la conception des plus vigoureuses, tandis que celles d'un tempérament faible, quoique également ou plus empressées, ne conçoivent que trois ou quatre mois plus tard ; de sorte que les agneaux premiers nés ont déjà profité des fourrages ensemencés, et de l'étalage des feuilles des plantes de nos guérets et de nos montagnes, quand les autres naissent : il ne reste presque aux derniers nés, pour être nourris, que le lait de leurs mères toujours insuffisant alors : on les livre à suivre bientôt leurs mères pour aller paitre ensemble comme les autres suivent les leurs ; il faut parcourir beaucoup d'étendue, à cause des consommations antérieures, pour fournir à la nourriture de tous ; les plus jeunes manquent de force et restent les derniers du troupeau ; les premiers nés en profitent, ils mangent, ils dévorent presque tout, et ne laissant chaque jour aux traineurs que les parties les plus grossières, ceux-ci ne pouvant fournir à ces marches trop longues pour eux, s'épuisent pour attraper une faible subsistance ; ils succombent enfin.

On vit dans cette espèce d'indifférence pour ces animaux, et l'on n'a d'autre ressource que celle de les hasarder, quand on ne veut ou l'on ne peut pas les vendre. Il y a cependant un moyen bien simple d'éviter ou du moins de diminuer cette perte : séparons ces derniers nés et leurs mères du troupeau, pour les faire paitre sans partage dans la meilleure partie et la moins éloignée de nos pâturages ; nous devons même leur ménager, s'il est possible, des fourrages tendres, leur donner des provisions enfermées, soit des foins les plus fins, des luzernes, des esparsets, soit des avoines ou des orges, afin de hâter leur bonne constitution ; la réussite dédommagera de ces frais. Il serait peut-être plus avantageux d'avoir des moyens de les alaiter abondamment ; je me suis bien trouvé plusieurs fois d'avoir des chèvres pour suppléer à la disette de lait des brebis, mes agneaux les plus faibles ayant resisté, tandis que la plupart de leurs contemporains, manquant de cette ressource, ont péri : on ne peut être détourné de cette pratique, que par la vue d'économie et pour éviter les ravages des chèvres par-tout où elles broutent.

On trouve un autre moyen pour n'avoir pas des faibles agneaux, ou d'en avoir beaucoup moins ; en mêlant plus tard les beliers avec les brebis, les plus ardentes conserveront leur penchant, quoique satisfait plus tard, et celles à qui le leur aura fait porter le plus loin la conception, acheveront de rendre plus court l'intervalle des premiers nés aux derniers ; de cette manière les premiers nés étant plus jeunes, et ayant moins de consistance, auront moins dévoré la nourriture destinée pour les uns et les autres ; cette nourriture d'ailleurs sera plus abondante, parce qu'elle commencera à être dévorée plus tard ; les plus jeunes en trouveront encore assez, que les premiers nés n'auront pas eu le temps de manger, et nos campagnes moins dévorées causeront moins de fatigues aux derniers nés pour trouver leur subsistance.

Ces précautions cependant peuvent bien ne pas suffire, en suivant la pratique ordinaire de sevrer en même-temps tous les agneaux malades comme les sains, les derniers nés comme les premiers : on manque ainsi contre la pratique la plus naturelle : on devrait par analogie faire pour ces animaux qui méritent nos soins à tant d'égards, comme nous faisons pour nos enfants : on les alaite pendant un temps assez limité pour ceux d'un bon tempérament ; mais on le prolonge selon les circonstances, quand les enfants sont valétudinaires. N'aurait-on pas raison de blâmer une mère qui faisant deux enfants de neuf à dix mois de terme l'un de l'autre, s'aviserait de les sevrer tous deux le même jour, dans les climats même où l'on alaite jusqu'à l'âge de deux ans les enfants bien constitués ? et si ce procédé est blâmable, combien ne l'est pas celui des bergers qui ayant des agneaux nés au commencement du mois de Mai, les sevrent le même jour que ceux du mois de Janvier, vers le commencement du mois de Juillet ? (car il faut que les brebis commencent dès-lors à s'engraisser pour accueillir les beliers dans le mois d'Aout suivant) : on a par-là des agneaux, les uns âgés de six mois, les autres seulement d'environ deux, quand on les sèvre. En quel temps d'ailleurs se fait cette cruelle séparation d'avec leurs mères ? pendant les grandes chaleurs si propres à causer des épuisements mortels aux plus faibles, et lorsque les subsistances diminuent chaque jour.

Il faudrait donc se garder de priver de leur mère ces derniers nés, et réserver, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus, un coin de gras pâturage à ces mères et à leurs petits.

Nous avons une ressource plus sure, et dont il faut tâcher d'accompagner les autres, pour n'avoir pas de ces derniers nés trop tard ; ne gardons pas des vieilles brebis ; la nature en elles, quoique bien déchue de sa vigueur, ne leur ôte pas le penchant à la génération, elles le satisfont en même-temps que les autres, mais elles engendrent plus tard, quoiqu'on leur ait départi avec abondance pendant l'hiver et le printemps précédent, de cette nourriture réservée pour toutes les brebis : on en perd beaucoup malgré ces grâces particulières.

Suivons maintenant les agneaux sevrés, jusqu'à ce que ceux de l'année suivante prennent leur place ; c'est une année bien dangereuse pour eux ; il en périt souvent, et la perte s'étend jusque aux vigoureux ; ce n'est que par des soins assidus et des secours de nourriture artificielle, et des pâturages choisis, que nous pouvons diminuer leurs dangers. Préservons les du froid et des pluies, ménageons leur, contre les temps rudes, des pâturages où ils soient abriés ; ne les fatiguons pas ; donnons leur quelque brebis vigoureuse pour leur servir de guide dans leur marche ; leur stupidité en a besoin pour aider la voix du berger qui les mène ; elle seule ne pouvant réussir, il y joint les mauvais traitements toujours dangereux ; ayant ménagé ainsi leur faiblesse jusqu'à la saison prochaine des nouveaux agneaux qu'on Ve sevrer, on sépare alors les mâles des femelles, pour remettre celles-ci au berger des anciennes brebis, et les mâles en passant au troupeau des moutons, subissent bien-tôt le même état de mouton ; on ne réserve pour rester belier pour toute leur vie, que quelques-uns des mieux faits et des plus vigoureux, de laine fine et blanche, ayant des oreilles longues, en vue d'en avoir des pareils pour y pouvoir avec un emporte-pièce, y imprimer le sceau du maître. S'il en est parmi les uns et les autres, certains dont l'état soit valétudinaire, on les associe aux nouveaux venus ou aux brebis, pour vivre mieux à leur aise et se fortifier. Le temps de renouveller les galanteries de nos troupeaux étant arrivé, on voit quelquefois des jeunes brebis que nous avons incorporées avec les anciennes, certaines dont le tempérament vigoureux et comme anticipé leur permet d'accueillir les beliers ; la prudence et l'expérience condamnent cet usage, parce que devenant pleines, elles affoiblissent leur tempérament, et la plupart durent peu. Il est des bergers qui par cette raison, séparent toutes les jeunes brebis d'avec les vieilles, lorsqu'on veut mêler les beliers avec les anciennes, pour ne les livrer toutes ensemble que quand elles ont atteint l'âge de trois ans.

Toutes les brebis, même les jeunes, ne donnent pas des agneaux tous les ans ; certaines sont stériles pour une ou deux années, et d'autres pour toujours ; elles aideraient, restant mêlées avec les fécondes, à consommer les bonnes nourritures destinées à celles-ci : on les sépare chaque année, à mesure qu'on les reconnait, pour les réunir au troupeau de moutons destinés à se nourrir des autres pâturages.

Les pâturages où se trouvent nos plus grands troupeaux sont dans les campagnes entremêlées de terres pour le labourage, de terres incultes, et de montagnes ; en celles-ci croissent des arbrisseaux, à l'ombre et autour desquels végetent des herbes douces, assez verdoyantes pendant l'hiver et une bonne partie du printemps, se desséchant pendant le reste de l'année plus ou moins, selon la qualité du terroir et le degré de sécheresse.

Les champs, après la moisson, poussent aussi des herbes dès que la pluie y tombe ; ils peuvent quelquefois suffire à nourrir les troupeaux, avec le faible secours des arbustes qu'elle fait revivre, et que les chaleurs avaient épuisés. Quand ces pluies nous manquent avant ou peu après la recolte, il faut (on le fait par précaution pendant les étés) faire transmigrer nos troupeaux dans les montagnes éloignées, où l'humidité et le temps frais entretiennent des pâturages toujours verdoyans, ou bien se contenter, sans les changer de climat, de les faire descendre dans les plaines fertiles, pour les y nourrir pendant l'été : on conserve ainsi pour leur retour à la demeure ordinaire, des herbages propres à leur conserver l'embonpoint acquis dans ces plaines ; les pluies d'automne survenant, elles augmentent ces pâturages des champs et des montagnes, et faisant développer de nouvelles graines, nos guérets donnent ainsi des herbages pour l'hiver, servant comme de régal chaque jour, partie par partie pendant quelques heures, aux brebis et aux agneaux, tour-à-tour jusqu'à la fin du premier labour de ces guérets : on réserve pour une partie du printemps quelque coin de terre le plus herbu, pour subvenir à l'entretien des mères et de leurs descendants, quand les fourrages ensemencés pour les nouveaux agneaux ou pour les bêtes malades, sont mangés. Les terres incultes et les montagnes suppléent à tout le reste pendant certaines années ; aulieu qu'il se consume beaucoup de provisions quand elles sont rudes.

Nous avons des terres, des montagnes dont la qualité et l'exposition produisent des arbrisseaux et des aromates toujours verdoyans, faisant le fond principal de la nourriture des troupeaux ; tels sont le kermès, appelé vulgairement garrouille, dont ils mangent les feuilles quoique hérissées de pointes sur leur contour, et les glands qu'ils aiment beaucoup ; tels sont aussi les romarins, dont les feuilles et les fleurs leur sont si agréables, et dont la conservation contribue par leurs parties dont ils se dépouillent annuellement comme le kermès, à fortifier, en se réduisant en terreau, toutes les herbes qui les environnent. Il est d'un dommage infini pour nos troupeaux, que certains seigneurs de la montagne de la Clape, permettent à tous les habitants de plusieurs villages de détruire à grand force ces arbustes indispensables et presque l'unique ressource pendant l'hiver pour la nourriture de ces animaux ; l'objet de ces permissions est de retirer la plus faible des retributions des paysans qui transportent sans cesse à Narbonne ces plantes, pour entretenir le feu des pauvres familles ; feu qui aussi peu utîle que celui de la paille, et aussi facîle à s'enflammer, augmente leur pauvreté en la soulageant dans le moment par la modicité du prix : on travaillerait pour leur intérêt, et en même temps pour la conservation et l'augmentation des troupeaux, si l'on interdisait ces permissions qu'un faible intérêt a introduites depuis peu, et qui frappe directement contre la partie la plus précieuse des manufactures de Languedoc, et en même temps contre l'agriculture. Il est aisé de voir que cela diminue les engrais nécessaires aux terres cultivées de ces montagnes qui, toutes légères, ne donnent que des pauvres récoltes et peu d'herbes dans les guérets, si indispensables dans l'hiver pour fournir, comme nous venons de l'expliquer, des nourritures aux brebis et à leurs agneaux.

C'est ici le lieu de parler des abeilles. La fleur des romarins dure, en se renouvellant, pendant huit à neuf mois de l'année. C'est celle que les abeilles recherchent par préférence à toutes les autres ; c'est aussi celle qui donne le miel le plus parfait ; c'est perdre tous ces avantages en arrachant ces plantes, comme c'est détruire visiblement les troupeaux, au lieu de faire les derniers efforts pour les conserver. L'exposition des bergeries n'est pas indifférente pour y concourir ; on cherche pour leur emplacement des monticules qui ne soient pas dominées de trop près par d'autres hauteurs pour en détourner apparemment l'humidité qui y serait produite par les transpirations, et pour y conserver un air sain ; on parait d'ailleurs assez indifférent à l'exposition quant au soleil. J'ai remarqué cependant que les agneaux qu'on tient enfermés pendant que leurs mères sont aux champs, vont toujours se placer vis-à-vis les ouvertures par lesquelles le soleil échauffe les bergeries, cherchant le plus grand jour, et surtout une chaleur bienfaisante propre à les défendre des rigueurs du froid qui les tient engourdis, couchés et immobiles. Cela nous indique l'exposition à donner aux bergeries. Il faut tourner les longues faces au midi, y pratiquer les portes et les fenêtres, les abat-jours, et n'en faire aux autres faces que les indispensables, surtout en celles qui sont tournées aux vents, dont il faut tâcher de se garantir, soit par-là, soit en plaçant les bergeries de façon à en être à l'abri. Il vaut mieux faire les bergeries longues et étroites pour remplir ces deux conditions à l'avantage des troupeaux, et on diminuera ainsi la hauteur des pignons, et par conséquent la grandeur sans diminuer l'étendue du sol ; la transpiration, les excréments et le souffle des animaux échauffera mieux les bergeries. On fera bien, quand ces pignons seront trop hauts, de les retrancher par un plancher qui sera propre à y déposer des fourrages en provision, et à intercepter les frimats qui se font sentir à-travers les toits.

Il est donc nécessaire de procurer la chaleur à nos bergeries pendant l'hiver, au lieu qu'elle est dangereuse pendant le temps chaud. On y respire alors un air échauffé, piquant et mauvais, toujours nuisible aux troupeaux qu'on y enferme pendant la nuit : ce qui nous doit porter à les faire parquer, indépendamment des avantages résultants pour nos terres ; il est fâcheux que la paresse de nos bergers l'emporte sur une raison aussi forte. Les moins indolents se contentant de parquer vers le mois de Mai, au lieu de commencer vers le mois de Mars, et souvent plus tôt, selon la constitution favorable de l'année. On se fonde sur ce délai à parquer, en ce que l'on craint que la pluie survenant dans la nuit, il faudrait que les troupeaux, quelque grande qu'elle fût, la supportassent, et qu'il en périrait beaucoup ; on en est si prévenu, que nos bergers la redoutent pendant le jour en toute saison, au point qu'ils se rapprochent des bergeries dès que le temps leur parait un peu ménaçant. Il est pourtant vrai que les troupeaux des environs de Montpellier où la température de l'air diffère peu de celle du climat dont il est question, parquent presque toute l'année sans qu'on en ressente de plus grands inconvéniens. Les qualités des laines rendraient-elles différents les effets de cette bonne pratique, et serait-elle seulement pernicieuse pour les troupeaux à laine fine ? Il est du-moins certain que l'humidité qui les imbibe, y dure plus longtemps, parce que les poils en sont plus fins et plus serrés, donnant par-là plus de difficulté à l'air de pénétrer dans l'épaisseur de la taison, et à l'eau de s'en écouler.

Il s'ensuit cependant, en ne parquant que tard, un autre désavantage. Les sols des bergeries deviennent humides, à mesure qu'on avance dans la belle saison, parce que les troupeaux se nourrissant beaucoup des herbes fraiches, font des excréments et rendent des urines à proportion : cela produit comme une espèce de glu qui s'attache à la laine des flancs, et plus encore à celle des fesses sur laquelle ils se couchent. On voit alors du crotin arrondi pendre au derrière et grossir comme des noix jusqu'au temps de la taison, matière nuisible sans doute aux parties qui en sont affectées, rendant la laine plus courte et d'une couleur brulée, au point qu'on la met à part, et qu'on ne la vend guère au-delà de la dixième partie du prix de celle du reste de l'animal. La plus belle est celle qui se trouve vers le milieu des flancs ; elle diminue de beauté à mesure qu'elle se trouve à la partie que les excréments atteignent ; celle qui couvre le dos, vaut moins que celle des flancs, soit à cause que le suint y abonde moins, soit parce que la poussière qu'élèvent les troupeaux en marchant, y tombant, se mêle à demeure avec elle en descendant jusque sur la peau, et cause beaucoup de peine aux tondeurs, quand les ciseaux parviennent à ces endroits. La laine des flancs n'est pas sujette à retenir cette poussière à cause de la direction des poils de la laine en ces parties qui est de haut vers le bas, au lieu qu'ils vont presque verticalement en remontant vers l'échine.

Cette poussière qu'on ne peut empêcher de s'élever sous les troupeaux, d'autant plus abondamment que la terre est seche, a fait naître à certains bergers l'envie d'en augmenter le volume sur leurs troupeaux au temps de la taison, afin que pesant davantage et la vendant en suint, ils aient plus d'argent. Ils cherchent pour cela un champ labouré dont la terre soit légère, seche et d'un sable extrêmement fin ; ils y resserrent leurs troupeaux, et les forçant de courir ou marcher vite en cet état, il s'élève un tourbillon de poussière qui les couvre et se dépose dessus d'autant plus abondamment, qu'un vent arrière favorise leur course.

Il est encore une autre malversation moins connaissable et bien souvent pernicieuse au maître du troupeau : elle consiste à l'enfermer la veille du jour qu'on veut les tondre, dans la bergerie où l'on le contraint d'occuper beaucoup moins de place qu'à l'ordinaire, afin que suant avec abondance pendant la nuit, le suint remplisse mieux les vides des fils de la laine et la rende plus pesante. Cette transpiration est si abondante quelquefois, qu'il périt plusieurs de ces pauvres bêtes sur la place. Il est pourtant essentiel d'enfermer les troupeaux pendant cette nuit-là, parce que s'ils parquaient, la fraicheur empêcherait la transpiration suffisante, et les tondeurs le lendemain matin ne trouvant pas la laine assez humide pour la tondre légèrement, la besogne serait mal faite, plus difficile, et souvent les animaux blessés avec les ciseaux ; on verrait sur la peau comme des sillons de laine trop éminens en pure perte ; il faut donc enfermer les troupeaux, mais les laisser dans la bergerie avec la même aisance qu'auparavant. La transpiration qui en resulte, est reconnue si nécessaire, qu'on préfère de les laisser enfermés et à jeun perdant tout le jour de la taison, pour la conserver ou la produire, afin qu'ils ne sentent pas l'air extérieur avant que d'être tondus. Le jeune cruel ne finit cependant que vers le coucher du soleil, temps auquel la journée des ouvriers finissant aussi, laisse encore un temps suffisant pour faire paitre frugalement ces animaux ; s'il était plus long, le jeune causerait l'indigestion. Cette pratique est une espèce d'épreuve dont les effets peuvent nuire. Les bêtes moins vigoureuses devraient être tondues les premières, afin de les faire paitre en troupeau d'abord après.

Je finis en expliquant comment on peut connaître la qualité de nos laines en les voyant sur l'animal. Elle y est crevassée sur tous, y formant sur le dos des bandes distinctes dans le sens de la tête à la queue, et des espèces de zones ceignant les flancs et le cou dans une direction verticale ou à-peu-près, séparées entr'elles par des sillons ou crevasses ouvertes à la surface de la laine se réduisant à rien sur la peau. Chaque zone est entrecoupée de-près-en-près par des petits sillons en tous les autres sens. Tous ces sillons sont plus ou moins ouverts, selon la posture de l'animal ; ils sont plus grands quand il marche ou qu'il est couché, que quand il est debout en repos, ou qu'il regarde. Ils sont plus étroits et plus nombreux sur l'animal à laine fine que sur celui qui l'a moins fine et plus grossière, parce qu'en celui-là la laine y est plus courte. Il en est de ces différentes largeurs des sillons comme de la grandeur des degrés de deux différents cercles, les plus grands degrés se trouvant dans celui dont le rayon est plus grand. Ils sont plus nombreux, parce que les fils en sont plus fins, et qu'il y en a un plus grand nombre à étendues égales de la peau de l'un et de l'autre, en sorte qu'ayant moins de vide sur l'animal à laine fine entre les fils pour se rapprocher et s'unir, il faut nécessairement qu'ils se mettent, pour ainsi dire, en plus petits flocons qu'en l'animal qui les a plus gros et plus distants entr'eux. Le plus de finesse des fils et leur plus grande proximité étant plus propre à arrêter la transpiration appelée le suint ; la laine en est plus pesante, quoique moins longue. Ce suint est si abondant, surtout dans le printemps, qu'il se distingue singulièrement sur l'animal à laine fine vers la jointure de ses épaules ; on le voit alors comme couler le long de la laine qu'il réduit là en une forme appelée par les bergers des aiguillettes, ressemblante assez à la frisure que les Perruquiers appellent en béquille. Article de M. BARTHES le père, de la société royale des Sciences de Montpellier.