S. m. pl. (Antiquité grecque et lacédémonienne) Phiditia, les phidities étaient des repas publics qui se donnaient en Grèce. Ils furent institués par Lycurgue. Ce législateur voulant faire plus vivement la guerre à la molesse et au luxe, et achever de déraciner l'amour des richesses, fit à Lacédemone l'établissement des repas publics. Il en écarta toute somptuosité et toute magnificence : il ordonna que tous les citoyens mangeraient ensemble des mêmes viandes qui étaient réglées par la loi ; et il leur défendit expressément de manger chez eux en particulier.

Les tables étaient de quinze personnes chacune, un peu plus ou un peu moins ; et chacun apportait par mois un boisseau de farine, huit mesures de vin, cinq livres de fromage, deux livres et demie de figues, et quelque peu de leur monnaie pour acheter de la viande. Il est vrai que quand quelqu'un faisait chez lui un sacrifice, ou qu'il avait été à la chasse, il envoyait une pièce de sa victime ou de sa venaison, à la table dont il était ; car il n'y avait que ces deux occasions où il fût permis de manger chez soi ; savoir, quand on était revenu de la chasse fort tard, et que l'on avait achevé fort tard son sacrifice : autrement on était obligé de se trouver au repas public ; et cela s'observa fort longtemps avec une très-grande exactitude, jusques-là que le roi Agis, qui revenait de l'armée, après avoir défait les Athéniens, et qui voulait souper chez lui avec sa femme, ayant envoyé demander ses portions dans la salle, les polémarques les lui refusèrent ; et le lendemain Agis ayant négligé par dépit d'offrir le sacrifice d'actions de grâces, comme on avait accoutumé après une heureuse guerre, ils le condamnèrent à une amende qu'il fut obligé de payer.

Les enfants même se trouvaient à ces repas, et on les y menait comme à une école de sagesse et de tempérance. Là, ils entendaient de graves discours sur le gouvernement ; ils voyaient des maîtres qui ne pardonnaient rien, et qui raillaient avec beaucoup de liberté, et ils apprenaient eux-mêmes à railler sans aigreur et sans bassesse, et à souffrir d'être raillés ; car on trouvait que c'était une qualité digne d'un lacédemonien, de supporter patiemment la raillerie. S'il y avait quelqu'un qui ne put la souffrir, il n'avait qu'à prier qu'on s'en abstint, et l'on cessait sur l'heure.

A mesure que chacun entrait dans la salle, le plus vieux lui disait en lui montrant la porte, rien de tout ce qui a été dit ici, ne sort par là.

Quand quelqu'un voulait être reçu à une table, voici de quelle manière on procédait à son élection, pour voir s'il était agréé dans la compagnie : ceux qui devaient le recevoir parmi eux, prenaient chacun une petite boule de mie de pain : l'esclave qui les servait, passait au milieu d'eux, portant un vaisseau sur sa tête : celui qui agréait le prétendant, jetait simplement sa boule dans ce vaisseau ; et celui qui le refusait, l'aplatissait auparavant entre ses doigts. Cette boule ainsi aplatie valait la feve percée qui était la marque de condamnation ; et s'il s'en trouvait une seule de cette sorte, le prétendant n'était point reçu ; car on ne voulait pas qu'il y en eut un seul qui ne plut à tous les autres. Celui qu'on avait réfusé était dit decaddé, parce que le vaisseau dans lequel on jetait les boules, était appelé caddos.

Après qu'ils avaient mangé et bu très-sobrement, ils s'en retournaient chez eux sans lumière ; car il n'était pas permis de se faire éclairer, Licurgue ayant voulu que l'on s'accoutumât à marcher hardiment partout de nuit et dans les ténèbres. Voilà quel était l'ordre de leur repas.

Par cet établissement des repas communs, et par cette frugale simplicité de la table, on peut dire que Lycurgue fit changer en quelque sorte de nature aux richesses, en les mettant hors d'état d'être désirées, d'être volées, et d'enrichir leurs possesseurs ; car il n'y avait plus aucun moyen d'user ni de jouir de son opulence, non pas même d'en faire parade, puisque le pauvre et le riche mangeaient ensemble en même lieu ; et il n'était pas permis de venir se présenter aux salles publiques, avec la précaution d'avoir pris d'autre nourriture, parce que tous les convives observaient avec grand soin celui qui ne buvait et ne mangeait point, et lui réprochaient son intempérance ou sa trop grande délicatesse, qui lui faisaient mépriser ces repas publics.

Les riches furent extrêmement irrités de cette ordonnance, et ce fut à cette occasion que dans une émeute populaire, un jeune homme nommé Alcandre créva un oeil à Lycurgue d'un coup de bâton. Le peuple irrité d'un tel outrage, remit le jeune homme entre les mains de Lycurgue qui sut bien s'en venger ; car d'emporté et de violent qu'était Alcandre, il le rendit très-sage et très-modéré.

Les repas publics étaient aussi fort en usage parmi les philosophes de la Grèce. Chaque secte en avait d'établis à certains jours avec des fonds et des revenus, pour en faire la dépense ; et c'était, comme le remarque Athenée " afin d'unir davantage ceux qui s'y trouvaient, afin de leur inspirer la douceur et la civilité si nécessaires au commerce de la vie. La liberté d'une table honnête produit ordinairement tous ces bons effets ". Et qu'on ne s'imagine point que ces repas fussent des écoles de libertinage, où l'on rafinât sur les mets et sur les boissons enivrantes, et où l'on cherchât à étourdir sa sevère raison : tout s'y passait avec agrément et décence. On n'y cherchait que le plaisir d'un entretien libre et enjoué : on y trouvait une compagnie choisie, et aussi sobre que spirituelle : on y chantait l'hymne qu'Orphée adresse aux muses, pour faire voir qu'elles président à toutes les parties de plaisir dont la vertu ne rougit point. Timothée général des Athéniens, fut un jour traité à l'académie par Platon. Un de ses amis l'arrêta en sortant, et lui demanda s'il avait fait bonne chère. Quand on dine à l'académie, répondit-il en souriant, on ne craint point d'indigestion.

Rien ne ressemblait mieux à ces festins philosophiques, que les agapes, ou repas de charité des premiers chretiens qui faisaient même une partie du service divin dans les jours solennels ; mais comme les meilleures choses degénèrent insensiblement, le luxe y prit la place de la modestie, et la licence qui ose tout, en chassa la retenue. On fut enfin obligé de les supprimer.

Meursius a épuisé tout ce qui regarde les phidities, lisez-le. (D.J.)