(Géographie moderne) en latin Surrentum ; ville d'Italie, au royaume de Naples dans la terre de labour, à l'extrémité du golfe de Naples, et à 4 lieues à l'ouest d'Amalfi. Long. 31. 50. lat. 40. 38.

Cette ville est décorée d'un archevêché ; mais elle tire sa principale gloire d'être la patrie du Tasse, Tasso Torquato.

A ce que j'ai déjà dit de ce beau génie, en parlant du poème épique, je vais joindre ici d'autres particularités.

L'amour de la poésie entraina tellement le Tasse, malgré les conseils de son père, qu'il publia à l'âge de 17 ans son poème de Rénaud, Il Rinaldo, qui parut à Venise en 1572, in -4°. Il avait lu le Roland furieux de l'Ariosto, et s'était senti piqué d'une grande émulation pour ce poète, par qui sa réputation fut si longtemps balancée, et qui lui est encore préféré par un grand nombre de beaux esprits d'Italie. Comme l'Arioste avait adressé son poème à un cardinal d'Est, le Tasse voulut à l'envi se choisir un patron du même nom et de la même qualité ; en un mot, débuter par un nom célèbre, et par les éloges d'une maison capable de soutenir sa muse naissante. Mais pour adoucir le chagrin que cette résolution donnerait à son père, il tâcha de se le rendre favorable par deux strophes qui finissent son poème, dans lesquelles, parlant à son ouvrage, il lui ordonne d'aller se soumettre à sa censure, en des termes aussi fins et aussi délicats, que pleins de respect, de reconnaissance et de tendresse. Ce poème lui acquit l'estime des savants et des académies d'Italie. Les louanges qu'on lui adressa de toutes parts, l'ambition d'être mis au-dessus de ses concurrents, et son goût invincible pour la poésie, lui firent abandonner la jurisprudence, malgré la médiocrité de sa fortune, et tous les efforts de ce même père pour l'arracher à un penchant naturel, qui ne produit d'ordinaire qu'une magnifique fumée.

A l'âge de 27 ans il suivit en France le cardinal d'Est, et fut reçu du roi Charles IX. disent les historiens d'Italie, avec une bienveillance singulière. On n'en peut pas donner, ajoutent-ils, une preuve plus forte que ce qui se passa à l'occasion d'un homme de lettes qui avait été condamné à mort. C'était un poète de quelque réputation ; il était malheureusement tombé dans un crime énorme. Le Tasse, tant en faveur des muses, que par compassion, résolut d'aller demander sa grâce au roi. Il se rendit au Louvre ; mais il apprit en arrivant que le roi venait d'ordonner que la sentence fut exécutée en peu de jours, et qu'il avait déclaré là-dessus sa volonté. Cette déclaration d'un prince qui ne revenait guère de ses résolutions, n'étonna point le Tasse. Il se présenta au roi avec un visage ouvert : " Sire, lui dit-il, je viens supplier votre majesté, de laisser périr par les lois un malheureux, qui a fait voir par sa chute scandaleuse, que la fragilité humaine met à bout tous les enseignements de la philosophie ". Le roi frappé de cette réflexion du Tasse, et de cette manière de demander grâce, lui accorda la vie du criminel. C'est dommage que les historiens français n'aient point confirmé cette anecdote italienne.

Le Tasse de retour à Ferrare en 1573, donna l'Aminte, qui fut représentée avec un grand succès. Cette pastorale est l'originale du Berger fidèle et de la Philis de Sciros. On fut enchanté de la nouveauté du spectacle, et de ce mélange de bergers, de héros et de divinités qu'on n'avait pas Ve encore ensemble sur le théâtre. Il parut aux yeux des spectateurs comme un tableau brillant, où l'imagination et la main d'un grand peintre exposaient en même temps dans un beau paysage la grandeur héroïque, et la douceur de la vie champêtre. L'auteur s'était dépeint lui-même dans ce poème, sous la personne de Tircis, et s'y montrait dans cet état tranquille où l'avait mis la protection du duc de Ferrare, et dans cet heureux loisir qu'il consacrait aux muses. On y voyait le portrait du duc et de sa cour, touché d'une manière aussi fine que spirituelle ; tout cela était réhaussé par l'odieuse peinture de Mopse, sous le nom duquel le Tasse désigne un de ses envieux. On prétend encore qu'il y a décrit l'amour dont il brulait en secret pour la princesse Léonore sœur du duc, passion qu'il a toujours cachée avec beaucoup de soin.

Quoiqu'il en sait, cette pastorale est d'une grande beauté. L'auteur y a scrupuleusement observé les règles prescrites par Aristote sur l'unité du lieu, et sur celle des caractères. Enfin il a su soutenir l'intérêt de sa pièce en ménageant dans son sujet des situations intéressantes. On peut cependant lui reprocher quelquefois de la sécheresse, et surtout ce nombre de récits consécutifs, qui ne donnant rien à la représentation, laissent sans occupation un des principaux sens, par l'organe duquel les hommes sont plus facilement touchés. Le père Bouhours condamne avec raison la Silvie du Tasse, qui en se mirant dans une fontaine, et en se mettant des fleurs, leur dit qu'elle ne les porte pas pour se parer, mais pour leur faire honte. Cette pensée n'est point naturelle à une bergère. Les fleurs sont les ajustements qu'elle emprunte de la nature, elle s'en met lorsqu'elle veut être plus propre et plus parée qu'à l'ordinaire, et elle est bien éloignée de songer qu'elle puisse leur faire honte.

L'Aminte fut imprimée pour la première fois en 1581, avec les Rimes du Tasse, à Venise, par Alde le jeune, in -8°. et dans les autres recueils des œuvres de l'auteur, qui parurent aussi à Venise les années suivantes en 1582 et 1583. Depuis il s'en est fait plusieurs éditions séparément. Ménage en donna une à Paris en 1655, in -4°. avec des remarques, sur lesquelles l'académie della Crusca fit des observations que le traducteur a insérées à la page 74. de ses mescolanze, imprimées à Paris en 1678, in -8°. Il y a aussi une édition de l'Aminte fort jolie, faite à Amsterdam en 1678. On en a des traductions en plusieurs langues, et même en latin. En 1734 et 1735 il y en a eu deux en français ; la première de M. Pecquet, et la seconde de M. l'Escalopier. Il a paru aussi une traduction anglaise de l'Aminte à Londres en 1628, in -4°. Jean de Xauregui en a publié une version espagnole à Séville en 1618, in -4°. On en a donné une traduction hollandaise à Amsterdam en 1715, in -8°.

Le Tasse acheva en 1574, à l'âge de 30 ans, sa Jérusalem délivrée. La première édition complete de ce beau poème épique parut à Ferrare, l'an 1581, chez Vittorio Baldini, in -4°. Il s'est fait quantité de traductions de la Jérusalem délivrée dans toutes les langues. Scipion Gentilis en a traduit les deux premiers livres en vers latins, sous ce titre. Solimeidos libri duo priores, de Torquati Tassi italicis expressi, Venise 1585, in -4°. Il y en a deux traductions espagnoles, l'une de Jean Sedeno, imprimée à Madrid en 1587, in -8°. l'autre d'Antoine Sarmento de Mendosa, qui parut dans la même ville en 1649, in -8°. Fairfax a traduit ce poète en anglais avec beaucoup d'élégance et de naturel, et tout-à-la-fais avec une exactitude scrupuleuse. Chaque ligne de l'original est rendue par une ligne correspondante dans la traduction ; c'est dommage qu'il ait servilement imité l'italien dans ses stances, dont la prolixe uniformité déplait dans un long ouvrage. M. Hill en a donné une nouvelle traduction imprimée à Londres en 1713. Gabriel Fasagno en a fait une version en langue napolitaine, imprimée à Naples en 1720, in-fol. Le poème et la version napolitaine sont sur deux colonnes.

Les François se sont aussi empressés à donner des traductions de ce poème ; la première et la plus mauvaise de toutes, est celle de Vigenere, qui parut à Paris en 1595, in -4°. et 1598, in -8°. Les endroits qu'il a mis en vers, déplaisent encore plus que sa prose. Depuis Vigenere, on a Ve plusieurs autres traductions en vers alexandrins de la Jérusalem, mais aucune de ces traductions n'a réussi. Enfin en 1724 M. Mirabaud publia une traduction en prose de la Jérusalem délivrée, et il en donna une nouvelle édition beaucoup meilleure en 1735.

On n'ignore point les jugements qu'un grand nombre de savants de tous les pays ont porté de ce célèbre poème, soit en sa faveur, soit à son désavantage, et je ne crois pas devoir m'y arrêter ici. La critique de M. Despréaux a non-seulement révolté les Italiens, mais presque tous les Français. Il est vrai cependant que Despréaux estimait le Tasse, et qu'il en connaissait le mérite ; autrement comment aurait-il pu dire de cet illustre poète ?

Il n'eut point de son livre illustré l'Italie,

Si son sage héros toujours en oraison,

N'eut fait que mettre enfin Satan à la raison ;

Et si Renaud, Argand, Tancrede et sa maîtresse,

N'eussent de son sujet égayé la tristesse.

M. l'abbé d'Olivet, dans son histoire de l'académie française, assure avoir entendu tenir à M. Despréaux le discours suivant, peu de temps avant sa mort, à une personne qui lui demanda s'il n'avait point changé d'avis sur le Tasse : " J'en ai si peu changé, dit-il, que le relisant dernièrement, je fus très-fâché de ne m'être pas expliqué un peu au long dans quelqu'une de mes réflexions sur Longin. J'aurais commencé par avouer que le Tasse a été un génie sublime, étendu, heureusement né à la poésie et à la grande poésie ; mais ensuite venant à l'usage qu'il a fait de ses talents, j'aurais montré que le bon sens n'est pas toujours ce qui domine chez lui ; que dans la plupart de ses narrations, il s'attache bien moins au nécessaire, qu'à l'agréable ; que ses descriptions sont trop chargées d'ornements superflus ; que dans la peinture des plus fortes passions, et au milieu du trouble qu'elles venaient d'exciter, souvent il dégénere en traits d'esprit qui font tout-à-coup cesser le pathétique ; qu'il est plein d'images trop fleuries, de tours affectés, de pointes et de pensées frivoles, qui loin de pouvoir convenir à sa Jérusalem, pourraient à-peine trouver place dans son Aminte. Or, conclut M. Despréaux, tout cela opposé à la sagesse, à la gravité, à la majesté de Virgile, qu'est-ce autre chose que du clinquant opposé à de l'or " ? Cependant il est toujours certain, malgré les réflexions de Despréaux, que la Jérusalem du Tasse est admirable par la conduite, l'intérêt, la variété, les grâces et cette noblesse qui relève le sublime.

La tragédie de Torrismond, il Torrismondo, parut à Vérone en 1587, in -8°. Mais le Tasse lui-même n'était pas content de cette pièce, et se plaignait de ses amis qui la lui avaient arrachée des mains, et l'avaient publiée avant qu'il eut pu la mettre dans la perfection où il la souhaitait. Dalibray, poète du dernier siècle, en a fait une traduction libre en vers français, au devant de laquelle il a mis un discours où l'on trouve de bonnes réflexions sur le génie de la tragédie, sur celui du Tasse, et sur la tragédie de Torrismond en particulier. Cette traduction de Dalibray, quoique pesante et prosaïque, fut jouée deux fais, et imprimée à Paris en 1636, in -4°.

Le Tasse lassé des critiques qu'on faisait de sa Jérusalem délivrée, se proposa de faire un nouvel ouvrage, sous le titre de la Jérusalem conquise, la Jérusalemme conquistata, libri XXIV. Ce poème parut à Rome en 1593, in -4°. mais il n'a point été reçu avec le même applaudissement que le premier, où l'auteur s'était abandonné à son génie, au lieu que dans la Jérusalem conquise il s'est proposé de s'accommoder en quelque manière au goût et aux idées de ses critiques.

Toutes les œuvres de ce beau génie ont été imprimées ensemble avec sa vie par Jean-Baptiste Manso son ami, à Florence en 1724, en six. vol. in-fol. Les deux premiers tomes contiennent ses poésies : la Jérusalem délivrée, la Jérusalem conquise, le Renaud, le poème sur la création, Torrismond, l'Aminte : les autres poésies sont divisées en trois classes. 1. Poésies galantes. 2. Poésies héroïques. 3. Poésies sacrées et morales. Elles sont suivies de quelques pièces imparfaites du Tasse, et de quelques-unes de celles qui passent sous son nom. Les ouvrages en prose forment les tomes III. et IV. Ils consistent en vingt-cinq dialogues sur différents sujets, et environ quarante discours ou autres pièces sur diverses matières d'érudition, principalement sur l'art poétique, sur le poème épique ; tout cela est suivi de la défense de la Jérusalem délivrée. Le tome V. est divisé en deux parties ; dans la première se trouvent les lettres familières et poétiques du Tasse ; dans la seconde sept pièces de l'académie della Crusca, et d'autres beaux esprits d'Italie, concernant les disputes sur les poésies de l'auteur et celles de l'Arioste. Le VI. tome contient dix-huit pièces, dialogues ou discours sur le même sujet, c'est-à-dire pour ou contre le Tasse. (D.J.)