S. f. turcoides, turchesia, calaïs, jaspis aerizusa, (Histoire naturelle) pierre précieuse bleue et opaque, ainsi nommée, parce qu'elle vient de Turquie.

Les Lapidaires distinguent les turquaises en orientales et en occidentales ; les premières se trouvent, suivant Tavernier, en Perse près d'une ville appelée Necabour, à trois journées de Méched ; ce sont celles qu'on appelle turquaises de la vieille roche : il s'en trouve aussi, selon le même auteur, à cinq journées de chemin du premier endroit, elles ne sont point si estimées ; ce sont celles qu'on nomme turquaises de la nouvelle roche. Ainsi les orientales viennent de la Perse, des Indes et de la Turquie : les occidentales viennent de plusieurs endroits de l'Europe, d'Allemagne, de Bohème, d'Hongrie, de Silésie.

Les turquaises varient pour la couleur ; les plus belles et les plus estimées sont d'un bleu céleste, les autres sont d'un bleu plus clair, il y en a qui sont d'un bleu verdâtre ou tirant un peu sur le jaune.

M. de Réaumur, dans un mémoire inséré dans les mémoires de l'académie des Sciences de l'année 1715, a voulu prouver que les turquaises ne sont autre chose que des os d'animaux enfouis en terre, et qui ont été colorés par une dissolution de cuivre. Ce savant naturaliste appuie son sentiment par des os et des dents trouvés près de Simore, dans le bas Languedoc, qui n'ont point naturellement une couleur bleue, comme la turquaise, mais qui acquièrent cette couleur, lorsqu'après les avoir fait sécher à l'air, on les met sous une moufle pour les chauffer dans un fourneau. Par ce moyen on développe la couleur de ces os, mais il faut les chauffer avec précaution, parce que sans cela un feu trop violent et trop subit les ferait exfolier.

On assure qu'un chymiste, nommé Jean Cassianus, avait le secret de colorer artificiellement les os de mammoth qui se trouvent en Russie, et le célèbre Henckel parait avoir possédé le même secret. L'on voit en effet que le tissu d'un grand nombre de prétendues turquaises est le même que celui d'un os ou d'une dent, étant composé, comme eux, de lames appliquées les unes sur les autres. M. Hill dit aussi avoir fait des turquaises artificielles, qui ont trompé les Lapidaires. Voyez ses notes sur Théophraste.

De toutes ces expériences, on en a conclu très-précipitamment que toutes les turquaises n'étaient que des dents et des os d'animaux, mais il semble que l'on s'est trompé pour avoir voulu trop généraliser cette assertion, et nous allons faire voir que les vraies turquaises ne sont nullement des os, mais doivent être regardées comme de vraies pierres. En effet, M. Mortimer, secrétaire de la société royale de Londres, a fait voir à cette académie un morceau du turquaise, dans laquelle on ne remarquait nullement le tissu osseux des prétendues turquaises de Languedoc ; c'était une vraie pierre, en forme de mamelon, semblable aux mamelons de l'espèce d'hématite que l'on nomme pour cette raison hématite en grappe de raisin, haematites botryites ; M. Mortimer dit avec raison que c'est cette pierre qui mérite à juste titre d'être appelée la turquaise, et que l'on devrait la distinguer des os ou de l'ivoire coloré, qui ne peut être regardé que comme une turquaise bâtarde.

Le même auteur a trouvé que la vraie turquaise, dont il a montré un échantillon à la société royale, était très-chargée de cuivre ; cette pierre pulvérisée et trempée dans de l'esprit volatil de corne de cerf, a coloré cette liqueur d'un bleu foncé ; mise dans de l'eau-forte, ce dissolvant est devenu d'un beau verd, et en y trempant un fil de fer, ce fil devint de la couleur de cuivre. Quelques turquaises de cette nature mises dans un creuset, sont entrées en fusion sans qu'on leur eut joint d'addition, et se sont changées en une scorie vitreuse, tandis qu'à ce degré de chaleur les os ou l'ivoire eussent dû se calciner, Ve que M. Mortimer avait donné un feu très-violent. L'action du feu n'en rendait pas la couleur plus belle ; et lorsqu'elle avait été rougie, la pierre devenait cassante.

L'échantillon que M. Mortimer montra à la société royale avait 12 pouces de longueur, et 53 de largeur, et en quelques endroits 23 d'épaisseur ; cette pierre était inégale et rude par le côté par où elle avait été attachée au rocher, mais la partie supérieure était remplie de mamelons lisses et unis.

Le chevalier Hans-Sloane avait dans sa collection différents morceaux semblables de turquaises, dont un entr'autres qui venait de la Chine, avait 3 pouces de long, 23 pouces de large, et près de 13 d'épaisseur. Il possédait outre cela des prétendues turquaises, ou plutôt de l'ivoire coloré en bleu, qui venaient de Languedoc et d'Espagne. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 482. art. 17.

Ces faits prouvent clairement qu'on risque toujours de se tromper en voulant trop généraliser les choses dans l'histoire naturelle ; il faut en conclure qu'il y a deux espèces de turquaises, les véritables sont des pierres, de la nature d'un grand nombre d'agates, de jaspes et de cailloux, que l'on trouve souvent en mamelons ; celle-là ne sont point sujettes à perdre leur couleur ou en changer, ce qui arrive aux turquaises bâtardes, ou à celles qui sont des dents ou des os pénétrés d'une dissolution cuivreuse. La vraie turquaise parait, à la couleur près, être de la même nature que la malachite, qui est une pierre verte. Voyez l'article MALACHITE.

La pierre que nous nommons turquaise, était connue des anciens sous le nom de calaïs ou callaïs. Quelques-uns craient que Pline a voulu la désigner sous le nom de boreas, dont il dit que la couleur était semblable à celle du ciel du matin en automne ; les Grecs l'ont appelé . (-)

La turquaise n'entrait point dans le rational du grand-prêtre des juifs, quoique la paraphrase chaldaïque ait rendu le terme hébreu de l'Ecriture par celui de turkaia, qui approche fort de notre mot français.

Cette pierre est regardée comme la première des pierres opaques ; sa couleur est bleue, mais d'un bleu qui tire sur le verd-de-gris en masse, et qui ne doit pas ressembler au bleu d'empois, comme disent les Jouaillers. Sa dureté égale à peine celle des crystaux ou celle des cailloux transparents ; mais il y en a de bien plus tendres les unes que les autres ; les plus dures, toutes choses d'ailleurs égales, sont les plus belles, et cela parce que la vivacité du poli est dans toutes les pierres proportionnée à la dureté.

Cependant celles d'une belle couleur, d'un poli vif, qui n'ont sur leur surface ni filets, ni raies, ni inégalités, et qui pesent plusieurs karats, sont très-chères. Rosnel, jouailler, auteur d'un traité sur les pierres précieuses, à présent assez rare, apprécie les turquaises (qui rassemblent les qualités que nous venons de rapporter) sur le pied des éméraudes, c'est-à-dire presque autant que le diamant. Il est vrai qu'il est rare de trouver de ces pierres d'une grosseur un peu considérable sans défauts, et les défauts diminuent bien leur valeur ; le même Rosnel, qui a mis les parfaites à un si haut prix, n'estime qu'un écu (c'est-à-dire environ 6 liv. 12 sols de notre monnaie d'aujourd'hui) le karat de celles qui pesent peu, et qui pechent encore par quelqu'autre endroit.

Il n'est pas trop aisé de décider sous quel nom les anciens ont parlé de la turquaise ; ils ont caractérisé la plupart des pierres d'une façon qu'il n'est pas possible de les reconnaître. Plusieurs modernes ne travaillent pas mieux pour la postérité : ne serait-elle pas embarrassée de savoir quelle est la pierre que nous appelons aujourd'hui turquaise, quand elle trouvera dans Berqueu, jouailler de profession, qui par conséquent devait avoir manié bien des turquaises en sa vie, que cette pierre est transparente, et qu'elle ne tient son opacité que du chaton dans lequel elle est sertie ? Cependant si quelque pierre est opaque, celle-ci l'est assurément : les morceaux les plus minces qui sont à peine d'une demi-ligne d'épaisseur, considérés vis-à-vis le grand jour, n'ont aucune transparence. Je ne sai s'il est vrai que la turquaise des modernes soit la calaïs des anciens, cela me parait fort douteux, parce que Pline dit expressément que la calaïs était verte.

Tavernier nous assure qu'il n'y a d'autres turquaises orientales que celles de Perse, dont il distingue deux mines, l'une appelée la vieille roche, près du bourg qu'il nomme Nécabourg ; l'autre que l'on distingue par le nom de nouvelle roche, en est à cinq journées, et ces dernières sont peu estimées. Les chevalier Chardin qui a fait un long séjour en Perse, confirme la relation du baron d'Aubonne, et distingue, comme lui, les deux sortes de turquaises persanes de la vieille roche et la nouvelle ; il ajoute que la vieille se tire des mines de Nicapour (que Tavernier nomme mal Nécabourg) et de Carasson, dans une montagne entre l'Hyrcanie et la Parthide, à quatre journées de la mer Caspienne. La nouvelle roche qui n'a été découverte que bien des siècles après la vieille, n'est point estimée des Persans, à cause que la couleur de la pierre n'est pas durable.

Toute la vieille roche se réserve pour le roi qui garde les plus belles, et vend ou échange les moindres. Cependant il n'est pas si difficîle d'en avoir, parce que les ouvriers qui travaillent aux mines et les officiers qui y commandent pour le prince, en détournent souvent des plus belles, que, pour n'être pas découverts, ils ne vendent guère qu'aux marchands étrangers.

Il est cependant fort rare que nous voyions de vraies turquaises persanes un peu grosses ; de-là vient qu'on regarde comme une chose très-singulière dans son genre celle qui était exposée dans la galerie du grand-duc de Toscane, et dont un ancien graveur fit un buste ; elle avait près de trois pouces de haut ; tous les auteurs qui ont traité des pierres précieuses en ont parlé, et M. Mariette en a donné une description très-détaillée. Ainsi je crois que la topase de M. Mortimer n'était point une topase persane de la vieille roche.

Quoi qu'il en sait, la turquaise sort d'entre les mains de la nature, à-peu-près comme l'opale ; mais elle est tout à fait opaque, et il faut qu'elle soit taillée et polie par l'art, si on veut qu'elle soit également luisante dans toute sa superficie, et qu'elle acquière une forme régulière ; la plus naturelle, et celle qu'on lui donne, est la forme ronde ou ovale, en cabochon.

Les plus belles turquaises sont les plus saillantes, et celles qui étant les mieux conformées sont en même temps teintes d'un beau bleu céleste, sans aucun mélange de blanc. Les turquaises européennes, et en particulier celles qu'on trouve en France, dans le Vélay et autres endroits du Languedoc, sont blanchâtres, et d'ordinaire traversées par des veines comme l'ivoire ; aussi nos turquaises ne sont d'aucun prix, et M. de Réaumur ne les a pas remises en valeur, malgré tous les efforts qu'il a faits pour y parvenir ; les turquaises de Perse ne sont point des os d'animaux auxquelles le feu donne la couleur bleue, ce sont des vraies pierres précieuses d'une nature très-différente et d'une toute autre origine.

On dit qu'avec le temps la turquaise perd sa couleur, et l'on marque outre cela certaines circonstances, dans lesquelles on a Ve des turquaises changer subitement de couleur. On assure encore qu'elles verdissent en vieillissant : cette opinion passe pour constante dans l'esprit de beaucoup de personnes, et M. de Réaumur lui-même s'en est déclaré le défenseur ; mais d'autres physiciens moins faciles à persuader regardent cette idée comme une fable, d'autant plus que ce changement de couleur serait une singularité unique, puisque les autres pierres précieuses sont d'une couleur inaltérable. Selon ce dernier système, les turquaises qui sont verdâtres n'ont jamais cessé de l'être, c'était une imperfection de la pierre.

Il est certain que le merveilleux, dont on a chargé les récits des transmutations de couleurs de la turquaise, a dû véritablement choquer les amateurs de la vérité ; mais d'un autre côté, ils auraient tort de douter qu'il n'y ait des turquaises qui changent de couleur, et ce sont les turquaises européennes. On ne peut nier qu'il n'y ait des turquaises qui naissent verdâtres, mais toutes celles qui ont actuellement cette couleur ne l'ont pas toujours eue ; c'est une maladie qui attaque tantôt plus tôt, tantôt plus tard, nos turquaises occidentales ; on en voit assez fréquemment, qui, après avoir conservé pendant assez longtemps leur couleur bleue, commencent insensiblement à tirer au verd : presque toujours le mal se manifeste par un point qui se fait apercevoir, ou dans la partie la plus éminente de la pierre, ou sur un des bords ; cet endroit affecté devient terne et pâlit, peu-à-peu le verd se montre, s'étend, &, comme une gangrene, il gagne toute la capacité de la turquaise ; si dans les commencements on abat la tache en retaillant la pierre, on arrête le progrès du mal, mais il est rare qu'il ne fasse bientôt de nouveaux ravages. Il y a toute apparence qu'une turquaise qui se gâte ainsi, porte dans elle - même quelque partie métallique, quelque particule de cuivre qui se dissout, et qui se chargeant de verd-de-gris corrompt la couleur de la pierre. (D.J.)