S. f. (Médecine) . Ce nom est composé de deux mots grecs, , qui signifie glissant, poli ; et , intestin. On s'en sert pour désigner un flux de ventre alimenteux, dans lequel on rend par les selles les aliments indigérés tels qu'on les a pris. L'étymologie de ce nom vient de l'idée fausse qu'avaient les anciens, regardant cette maladie comme une suite nécessaire du poli contre nature des intestins ; ils l'appelaient lienterie, comme s'ils eussent dit , polissure des intestins. Le symptôme principal, univoque, nécessaire, seul diagnostic, est cette excrétion fréquente des aliments inaltérés ; à ce symptôme se joignent quelquefois des nausées, vomissements, pesanteur d'estomac, ptialisme, etc. d'autres fois des douleurs, tranchées ; les selles sont sanguinolentes. Assez souvent la lienterie est précédée, mais rarement accompagnée de , faim canine, à la suite de laquelle vient l'anorexie ou défaut d'appétit, et enfin la lienterie se déclare ; la maigreur, la faiblesse, l'exténuation ne tardent pas à gagner. Hippocrate, d'après l'observation, regarde cette maladie comme plus commune en automne, et particulièrement affectée aux adultes, Aphor. 22 et 41. lib. III. D'autres pensent au contraire qu'elle doit être plus fréquente en hiver et plus appropriée aux gens vieux.

Pour que cette maladie ait lieu, il faut absolument qu'il ne se fasse aucune digestion dans l'estomac, que les aliments éludent entièrement l'action dissolvante des sucs gastriques, , dit Aretée. Cette condition, qui est absolument necessaire, suffit ; car lorsque les menstrues de l'estomac n'ont fait aucune impression sur les aliments, ils sont insolubles et inaltérables par les sucs des intestins. La première élaboration doit précéder nécessairement la seconde, et la seconde coction, suivant l'axiome justement reçu, ne saurait corriger les vices de la première. La faiblesse, l'atonie extrême de l'estomac, la vappidité des sucs gastriques, sont une cause très-simple, mais peut-être pas aussi fréquente, de ce défaut total de digestion : il est assez difficîle à comprendre comment l'estomac pourrait venir à ce dernier point de relâchement, excepté peut-être quelques cas très-rares de paralysie de viscère, encore y aurait-il alors lienterie ? Comment les aliments seraient-ils poussés dans le pylore, car ce passage est une excrétion active ? Il pourrait aussi se faire que le cours des humeurs qui concourent à la digestion stomachale fût intercepté : alors il y aurait indigestion totale, et peut-être aussi lienterie.

On a cru, et sans doute avec plus de raison, que la digestion pouvait être empêchée par quelqu'irritation dans les intestins, par des ulcères, par exemple ; c'est un sentiment qu'Asclepiade a le premier soutenu, que Galien a réfuté, que quelques modernes ont renouvellé, et qui pourrait être appuyé, 1°. sur l'Aphorisme 75. liv. VII. d'Hippocrate, , à la dissenterie survient la lienterie ; 2°. sur les symptômes qu'on observe dans quelques lienteries, douleurs, tranchées, excrétions sanguinolentes, &c ; 3°. sur l'observation de Bontius, médecine des Indiens, liv. III. chap. XIIe qui dit avoir trouvé des abscès au mésentère de la plupart des personnes qui étaient mortes de la lienterie ; 4°. sur l'analogie qui nous fait voir dans le diabete l'irritation des reins, suivie de l'excrétion des boissons inaltérées, sous le nom et par les conduits de l'urine ; 5°. sur l'épidémicité de cette maladie dans certaines constitutions de l'air ; 6°. enfin, parce qu'il est certain qu'une irritation dans les intestins est très-capable d'empêcher la digestion, et d'attirer, pour me servir des termes expressifs et usités des anciens, les aliments dans leur conduit. Il est incontestable que les lavements pris en certaine quantité et forts, dérangent, troublent et arrêtent la digestion : je suis persuadé qu'on pourrait par ce moyen exciter une lienterie artificielle.

La polissure, laevitas, des intestins parait par-là être une cause très-insuffisante et précaire de la lienterie, tout au plus pourrait-elle déterminer une passion coeliaque ; il en est de même de l'obstruction des vaisseaux lactés, qui est aussi fort inutîle dans cette maladie, et qui n'est propre qu'à occasionner le flux chyleux. La plupart des auteurs admettent pour cause de la lienterie toute sorte d'abscès, de suppurations internes aux reins, aux poumons, les vapeurs noires, comme dit Menjot, qui s'échappent d'une vomique ouverte, parce qu'on a observé dans la même personne ces deux maladies en même temps. Ils raisonnent à-peu-près comme ceux qui attribuent à l'opération d'un remède la guérison d'une maladie aiguë, effet constant de la nature ; post hoc, concluent-ils, ego propter hoc. L'excrétion des aliments inaltérés, le défaut en conséquence du nouveau chyle, pour nourrir et séparer, donnent la raison de tous les phénomènes qu'on observe dans cette maladie, de l'exténuation, de la maigreur, de la mort prochaine, etc. On observe cependant que ces accidents ne sont pas aussi prompts que dans ceux qui ne mangent pas du tout ; cependant les aliments sont souvent rendus peu de temps après avoir été pris, et sans la moindre altération : ce qui peut dépendre et de la sensation agréable et restaurante qu'opère le poids des aliments sur l'estomac, et de ce qu'il échappe toujours des aliments quelques particules subtiles, quelques vapeurs qui entrent par les pores absorbans de l'estomac et des intestins : , dit Hippocrate, l'esprit est aussi nourriture.

Il n'est pas possible de se méprendre dans la connaissance de cette maladie. Pour la différencier des autres flux de ventre avec lesquels elle a quelque rapport, il n'y a qu'à examiner la nature des excréments ; on la distinguera surement, 1°. de la passion coeliaque, qui n'en est qu'un degré, une demi-lienterie, si l'on peut ainsi parler ; parce que les aliments ont souffert l'action des menstrues gastriques, ils sont dans un état chimeux ; 2°. du flux chyleux dans lequel on voit du chyle mêlé avec les excrements ; 3°. du cours de ventre colliquatif, par l'odeur fétide, putride, cadavéreuse qui s'exhale des excréments, par leur couleur, etc. &c. etc. Il est à propos pour la pratique de ne pas confondre les causes qui ont produit la lienterie : elles se réduisent à deux chefs principaux, comme nous avons dit ; les unes consistent dans l'abolition absolue des fonctions digestives de l'estomac, les autres dans l'irritation du conduit intestinal. Lorsque la lienterie doit être attribuée à la première cause, la faim canine, ensuite le défaut d'appétit, quelquefois aussi la passion coeliaque précédent ; il y a ptyalisme, pesanteur d'estomac, etc. Lorsqu'elle dépend de l'irritation et surtout de l'exulcération des intestins, elle succede à la dissenterie, n'est point précédée de passion coeliaque, de faim canine, etc. Le malade éprouve des ardeurs, des tranchées, un morsus formicans dans le bas-ventre ; il y a soif, sécheresse dans le gosier, âpreté et rudesse de la langue, les excrétions sont sanieuses, etc.

La lienterie n'est jamais, comme quelques autres cours de ventre, salutaire, critique ; c'est une maladie très-grave, surtout funeste aux vieillards : il est rare qu'on en guérisse. Nicolas Pechlin raconte n'avoir Ve que trois personnes lientériques, dont aucune ne put réchapper. C'est à tort que M. Lieutaud dit, et surtout sans restriction, que la passion coeliaque est plus dangereuse que la lienterie. " Lorsque la lienterie est jointe à une respiration difficîle et point de côté, elle se termine en éthisie, tabem. Les malades qui, après avoir été tourmentés longtemps de lienterie, rendent par les selles des vers avec des tranchées et des douleurs violentes, deviennent enflés quand ces symptômes disparaissent ". Hippocrate, coac. praenot.

Le danger dans la lienterie est proportionné à la fréquence des selles, à la diminution des urines, à l'état des excréments plus ou moins altérés. Le danger est pressant et la mort prochaine si le visage est rouge, marqueté de différentes couleurs, si le bas-ventre est mol, sale et ridé, et surtout si dans ces circonstances le malade est âgé. Il y a au contraire espoir de guérison si les symptômes precédents manquent, si la quantité des urines commence à se proportionner à celle de la boisson, si le corps prend quelque nourriture, s'il n'y a point de fièvre, si le malade rend des vents mêlés avec les excréments. Hippocrate regarde comme un signe très-favorable s'il survient des rots acides qui n'avaient pas encore paru ; il a vérifié ce pronostic heureux dans Demanéta : ce qui prouve un commencement de digestion ; car une indigestion totale ou un refroidissement extrême est , sans vents ; peut-être aussi, dit-il, les rots acides emportent la polissure des intestins.

Il est à présumer que la lienterie par irritation est moins dangereuse que l'autre, qui marque un affaissement absolu, un anéantissement extrême de l'estomac.

Curation. Chaque espèce de lienterie demande des remèdes particuliers ; il est des cas où il ne faut qu'animer, fortifier l'estomac et en reveiller le ton engourdi ; les stomachiques astringens, absorbans, sont les remèdes indiqués pour remplir ces vues. Waldschimidius remarque que dans ce cas-là les stomachiques les plus simples, les plus faciles à préparer, sont les plus appropriés et réussissent le mieux. Les plus efficaces sont, suivant cet auteur, la muscade, le gingembre en conserve, le vin d'absynthe préparé avec le mastic et les sudorifiques, l'exercice, l'équittation, et comme dit un auteur moderne, le mariage, produisent dans ces cas-là de grands effets. Si les forces de l'estomac n'étaient qu'oppressées et non pas épuisées, l'émétique pourrait convenir ; son administration pouvant avoir des suites fâcheuses, il est plus prudent de s'en abstenir. Hippocrate nous avertit d'éviter dans les lienteries les purgations par le haut, surtout pendant l'hiver, Aphor. 12. lib. IV. Puisque les rots sont avantageux dans cette maladie, il serait peut-être utîle de les exciter par les remèdes appropriés, comme l'ail, la rue, que Martial appelle ructatricem. Ces remèdes seraient plus goutés en Espagne, où c'est une coutume et non pas une indécence de chasser les vents incommodes par les voies les plus obvies.

Si la lienterie dépend d'une irritation dans le conduit intestinal, il faut emporter la cause irritante, si on la connait, sinon tâcher d'en émousser l'activité par les laitages affadissants les plus convenables, pris surtout en lavement ; on ne doit pas négliger les stomachiques : l'émétique serait encore ici plus pernicieux. Si l'on a quelques marques d'ulcères dans les intestins, il faut avoir recours aux différents baumes de copahu, de la Mecque, du Canada, etc. les lavements térébenthinés peuvent être employés avec succès. (M)