CHOSES, c'est un terme de Médecine assez impropre, mais reçu surtout dans les écoles, qui demande toujours un commentaire pour être entendu : on appelle donc choses non-naturelles (d'après Galien qui parait avoir le premier employé cette épithète singuliere) celles qui ne composent pas notre nature ou notre être, mais dont l'économie animale éprouve de grands effets, de grands changements, de grandes altérations.

C'est, dans le livre de oculis, attribué à cet auteur, que l'on trouve qu'il y a sept choses naturelles, six non - naturelles et trois contre - nature. Les premières sont les éléments, les tempéraments, les parties, les humeurs, les esprits, les facultés et les actions ; ce sont celles qui concourent à former le physique de notre être : les secondes sont l'air que nous respirons, la matière des aliments et de la boisson, le mouvement et le repos, le sommeil et la veille, ce que nous retenons dans notre corps et ce qui en sort, et enfin les affections de l'âme : ces choses qui sont celles dont il s'agit dans cet article, sont toutes celles dont on ne peut pas éviter l'usage ou les influences, et qui servent essentiellement à la conservation de la santé, lorsqu'elles sont bien disposées et que l'on en fait un bon usage ; mais qui font un effet contraire lorsqu'elles sont mal disposées par elles-mêmes, ou qu'on n'en use pas bien, elles donnent alors naissance aux troisiemes des choses mentionnées qui sont dites contre-nature, et constituent les maladies, leurs causes et leurs symptômes.

Ces différentes choses font la matière de la plus grande partie de la science de la Médecine : la Physiologie traite des choses naturelles ; la Pathologie, des choses contre-nature et des mauvais effets que produisent les qualités vicieuses ou l'abus des choses non-naturelles ; et les règles qui établissent leurs bonnes qualités, leur bon usage, font la principale matière de l'Hygiene. Voyez l'hist. de la Méd. de Leclerc, part. III. liv. III. chap. IIIe Voyez aussi les articles PHYSIOLOGIE, PATHOLOGIE et HYGIENE.

Selon M. de Sauvage (Pathol. méthod. sect. 8.), Galien réduit à quatre les six choses non-naturelles ; savoir, 1° ce qui peut être reçu dans le corps, comme le manger et le boire, l'air, les médicaments, les poisons, etc. 2° ce qui peut être retenu dans le corps d'une manière nuisible, comme les excréments, les mauvais levains des premières voies, qu'on appelle sabure, les concrétions pierreuses, les matières flatueuses, les vers, etc. 3° ce qui peut être appliqué à la surface du corps, comme l'air, les vêtements, les bains, les morsures des animaux, les solutions de continuité faites par des corps étrangers, etc. 4° enfin les différentes actions du corps et de l'âme, ou ce qui en dérange l'exercice, le rend forcé, ou ce qui le suspend, le fait cesser entièrement, comme le mouvement, le repos, le sommeil, la veille et les passions.

Les choses non-naturelles, selon cette dernière division, sont désignées dans les institutions de Boerhaave §. 744. par les quatre mots latins qui suivent, savoir ingesta, retenta, applicata, gesta.

Pitcarn resserre encore davantage la matière, et présente ces choses sous une idée plus simple en les réduisant à l'action des autres corps sur le nôtre, et à celle de notre propre corps ou de ses facultés sur lui-même ; ainsi deux sortes d'actions qui affectent l'homme, l'une dont le principe lui est étranger, l'autre dont le principe se trouve dans l'économie animale.

Les corps étrangers qui sont susceptibles d'action sur l'homme, ou lui sont nécessaires, et tels même qu'il ne peut s'en passer, ou ils ne lui sont pas nécessaires, ni utiles, en sorte qu'il est même avantageux pour lui de n'en éprouver aucun effet ; les premiers sont l'air, les aliments, les vêtements ; les autres sont les miasmes, les poisons, qui peuvent pénétrer, être portés dans les corps, les choses qui peuvent le frapper, le blesser, etc.

Les corps étrangers ne peuvent exercer quelqu'action sur notre corps que par un principe mécanique, comme par leur masse, leur mouvement ou leur figure, ou par un principe physique, comme la force de cohésion, d'adhésion ou l'attraction, la dissolution, la fermentation, la putréfaction, c'est-à-dire que ces différentes forces opèrent sur les parties élémentaires, insensibles, qui entrent dans la composition de nos solides ou de nos fluides.

Les actions de l'homme sur lui-même sont de deux espèces ; ou elles sont l'effet de la liberté lorsqu'elles sont déterminées par l'entendement et la volonté ; ou elles sont l'effet de la nature, c'est-à-dire automatiques, lorsqu'elles sont produites comme machinalement par l'instinct et la cupidité. Voyez VOLONTE, LIBERTE, NATURE, INSTINCT, CUPIDITE.

La volonté et la cupidité sont toujours portées au bien, ou à ce qui parait être un bien : la première tend toujours au bien intellectuel ; la seconde au bien sensible, par conséquent à la conservation de la santé.

Cependant lorsque la volonté ne distingue pas facilement un bien réel d'avec un bien apparent, il lui arrive souvent de se tromper et de donner la préférence au dernier, d'où s'ensuit souvent que les actions qu'elle produit nuisent à la santé, comme lorsqu'une jeune fille, pour se guérir des pâles-couleurs et se rendre la peau blanche, se détermine à manger du plâtre, des citrons.

L'instinct qui semble diriger si surement les animaux en les portant à ce qui leur est utile, et les éloignant de ce qui peut leur être contraire, n'est pas un guide aussi infaillible pour l'homme, comme lorsqu'il est porté à boire dans le cas de l'hydropisie ascitique.

Ainsi ces considérations établissent la nécessité d'une science qui prescrive à l'entendement des règles, pour distinguer ce qui est utîle ou ce qui est nuisible à l'économie animale, et qui, en secondant la nature, en soutienne ou en dirige les opérations relativement à ce qui convient à chaque individu, selon la circonstance où il se trouve à l'égard de la santé ou de la maladie : c'est par-là que se démontrent l'utilité et les avantages pour le genre humain d'un art qui, en prescrivant la manière d'user des choses non-naturelles, fournit les préceptes et les moyens pour conserver la santé, pour prévenir ce qui peut l'altérer, pour la rétablir lorsqu'elle a éprouvé quelque altération, et pour prolonger la vie autant qu'il est possible en écartant, en corrigeant les causes qui peuvent l'abréger, la détruire avant son terme naturel ; en sorte qu'elle ne finisse que conformément aux lois de la nature par les effets de la vieillesse la plus reculée, qui amène inévitablement la cessation du mouvement qui constitue la vie ; par conséquent la mort qui n'est autre chose que cette cessation, et qui est, dans ce cas seul, véritablement naturelle. Voyez MEDECINE, VIE, SANTE, VIEILLESSE, MORT.

Pour suivre à l'égard des choses non-naturelles, la division, l'ordre le plus connu, on Ve rapporter ici aussi sommairement qu'il se pourra, eu égard à l'abondance de la matière, tout ce qui détermine les règles par rapport au bon et au mauvais effet, au bon et au mauvais usage de ces choses, selon qu'on les considère ordinairement dans les écoles, d'après l'expérience, l'observation et la raison.

Ainsi en comptant les choses non - naturelles au nombre de six, comme il a été dit ci-devant, il se présente d'abord à traiter de l'air et de ses qualités par rapport à ses influences sur l'économie animale.

I. De l'air. L'usage de ce fluide que nous ne pouvons éviter de respirer dès que nous sommes nés, et dans lequel nous sommes toujours plongés, est continuel et comme l'aliment de la vie ; ainsi il est d'une plus grande conséquence pour tout ce qui a rapport à la vie, qu'aucune autre des choses non-naturelles : sa pesanteur, son élasticité, sa température, sa nature, à raison des corps étrangers qu'il contient, n'étant pas les mêmes dans les différentes parties de l'athmosphère ; il s'ensuit que les animaux ne peuvent qu'en être différemment affectés, suivant la différence de ces qualités ; il ne peut donc que contribuer beaucoup à la conservation de la santé, lorsqu'elles sont convenables ; et lui nuire, l'altérer, la détruire inévitablement, lorsqu'elles sont contraires. Voyez AIR, ATHMOSPHERE.

L'expérience de tous les temps et de tous les lieux a appris que l'air pur, autant qu'il peut l'être, serein, le plus constamment sec et tempéré, est le plus propre à procurer et à maintenir la vie saine, c'est-à-dire que pour cette disposition il doit être exempt ou purgé de toutes exhalaisons hétérogènes, corrompues, de tout mélange qui le rend trop pesant, trop humide, trop grossier ; qu'il ne doit pas être ordinairement chargé de nuages, de brouillards pour qu'il soit bien exposé à l'action du soleil ; qu'il ne doit être susceptible naturellement ni de trop de chaleur, ni de trop de froid, relativement à ce qui convient à l'économie animale (voyez CHALEUR, FROID), mais d'une douce température peu variable, proportionnée à l'ordre des saisons.

Le mouvement, l'agitation de l'air, en quoi consistent les vents, servent beaucoup à le dépouiller de ses parties étrangères : c'est pourquoi les lieux élevés, les montagnes qui sont exposées aux vents, surtout à ceux qui viennent des pays méditerranés, sont les lieux où l'air est le plus pur, parce qu'il y est continuellement renouvellé ; c'est la position des lieux qui décide lequel des vents principaux doit être regardé comme le plus salubre : en général celui qui a traversé de grands espaces de mer ou de grands amas d'eau, surtout des terrains marécageux, est toujours mal-sain à cause de l'humidité et souvent de la corruption dont il est chargé, et d'autant plus mal-sain qu'il est plus chaud. Hippocrate regardait avec raison cette qualité de l'air comme une des causes des plus ordinaires des fièvres putrides épidémiques et de la peste même, au-lieu que le froid joint à l'humidité ne produit que des maladies catarreuses.

Mais quel que soit le vent qui règne, il est toujours plus sain que le calme des airs qui dure considérablement ; car il peut devenir très-nuisible et même pestilentiel par cette seule cause, surtout encore s'il est chaud et humide.

En effet l'air modérement froid est toujours préférable à l'air chaud ; celui-ci relâche les fibres, affoiblit le mouvement oscillatoire des vaisseaux, engourdit la circulation, le cours des humeurs, les dissout, les dissipe par une trop grande transpiration : au-lieu que l'air froid en condensant les corps raffermit les solides de l'animal, le rend plus vigoureux, plus agile, favorise l'élaboration de ses fluides, et fortifie à tous égards le tempérament. C'est ce qu'on observe par rapport aux peuples du nord comparés à ceux du midi, qui sont d'une compléxion plus molle, plus délicate, à proportion qu'on approche davantage de l'équateur : au-lieu que dans les pays septentrionaux on jouit en général d'une vie plus saine et plus longue, et qu'il est fort commun d'y voir des hommes très-robustes, même dans l'âge le plus avancé, et d'y trouver des gens qui vivent plus de cent ans. Voyez CHALEUR, FROID, VIEILLESSE.

Il est aussi très-avantageux, pour la santé, que l'air ne soit pas d'une température trop variable ; que la chaleur et le froid dominent constamment, chacun dans sa saison respective ; que l'on ne soit pas exposé à passer continuellement de l'un à l'autre, à en avoir un mélange habituel dans toutes les saisons ; que la sérénité du ciel se soutienne longtemps de suite, et que, s'il devient pluvieux, ce soit aussi pour quelque temps, afin que les différentes impressions que les corps animés en reçoivent soient durables, et que les alternatives du chaud, du froid, du sec et de l'humide, ne soient pas trop promptes, trop répétées ; parce que cette inégalité trop marquée cause des altérations nuisibles dans l'économie animale, surtout relativement à la transpiration insensible. Voyez TRANSPIRATION.

Plus l'air est pesant, plus il est favorable à la santé, surtout s'il est en même temps plutôt froid que chaud ; il est plus élastique ; il augmente la force des vaisseaux, surtout dans les poumons qu'il dilate plus parfaitement, et il rend ainsi la respiration plus libre. On ne doit cependant pas juger de la pesanteur de l'air par le sentiment d'affaissement que l'on éprouve dans les temps couverts, nébuleux, pluvieux, avec un vent chaud, où tout le monde se plaint de se sentir appesanti, accablé ; c'est alors que l'air est le plus léger, il soutient moins les vaisseaux contre l'effort des humeurs, ce qui produit les effets qui viennent d'être rapportés : l'air est au contraire plus pesant à proportion qu'il est plus serein, et qu'il se soutient longtemps dans cet état. La pesanteur de l'air est très-rarement excessive par cause naturelle ; cette qualité est par conséquent très-rarement au point de nuire à la santé, au lieu que sa légéreté, en favorisant trop la dilatation des vaisseaux dans toute l'habitude du corps et dans les poumons principalement, peut donner lieu à ce qu'il se fasse des engorgements qui causent de grands embarras, de grands désordres dans la circulation du sang et dans le cours de toutes les humeurs.

On juge des différents changements qui se font dans les qualités de l'air, par le moyen des différents instruments que l'art a appropriés à cet effet : on observe les différents degrés de chaleur et du froid par l'inspection du thermomètre, ceux du différent poids de l'air par celle du baromètre, et la sécheresse ou l'humidité qui y dominent, par le moyen de l'hygromètre. Voyez THERMOMETRE, BAROMETRE, HYGROMETRE.

On observe constamment qu'il n'est aucun temps de l'année, où les qualités de l'air soient plus variables, que dans l'automne et au commencement du printemps : c'est ce qui rend ces saisons si sujettes à produire des maladies. Cependant, comme le printemps est la saison la plus tempérée, elle est aussi à cet égard la plus avantageuse pour la santé ; puisque c'est le temps de l'année où les animaux sont le plus vigoureux et le plus propres à la génération : ce qui convient principalement au mois de Mai ; le mois de Septembre approche beaucoup d'avoir les mêmes avantages.

Mais il faut avoir attention dans le printemps de ne pas se presser de prendre des habits légers, et dans l'automne de ne pas tarder à les quitter pour se couvrir davantage. Selon l'observation de Sydenham, la plupart des maladies catarreuses inflammatoires qui sont communes dans ces saisons, ne doivent être attribuées qu'au changement d'habits, ou à l'usage trop continué de ceux qui ne tiennent pas les corps assez défendus contre le froid de l'air et l'inconstance de sa température : c'est ce qui fait dire à Horace à ce sujet :

Matutina parùm cautos saepè frigora mordent.

On ne peut être trop attentif dans les temps froids à se tenir la tête surtout, l'estomac et les pieds chaudement, par le moyen des vêtements appropriés.

Mais, en cherchant à se défendre des rigueurs de la saison, en évitant de s'exposer à l'air, en se tenant renfermé dans des chambres échauffées par le feu domestique, par les poêles, on doit prendre garde que la chaleur ne soit pas trop considérable, qu'elle n'excède pas beaucoup le degré de température, tel qu'il est fixé par les thermomètres d'après celle que l'on observe constamment dans les caves de l'observatoire de Paris. Il faut éviter soigneusement de passer tout-à-coup d'une extrémité à une autre en ce genre : lorsqu'on a bien froid, on ne doit pas s'approcher subitement d'un grand feu, il faut se réchauffer par degrés, &, dans ce cas, il serait préférable de commencer par le mouvement du corps, par l'exercice, et la boisson de quelque infusion chaude de plantes aromatiques : et de même dans les grandes chaleurs, ou lorsqu'on s'est échauffé par quelque exercice violent, on doit bien se garder de chercher à se rafraichir tout-à-coup en passant dans quelque lieu frais, comme les souterrains, les caves le sont alors respectivement, ni de boire de l'eau bien fraiche, de l'eau à la glace ; il faut seulement se livrer au repos dans un lieu sec, fermé ou à l'ombre, et prendre quelque boisson tempérée, acidule.

On doit avoir soin de renouveller souvent l'air des habitations fermées, surtout lorsque plusieurs personnes y sont contenues ensemble et pendant un temps considérable, comme dans les cazernes, les hôpitaux, les prisons, où l'on peut faire un usage fort utîle du ventilateur. Voyez VENTILATEUR.

L'air, dans les habitations fermées, est très-susceptible de se corrompre par les exhalaisons des animaux vivants et morts ; à s'infecter par la vapeur du charbon, par la fumée des chandelles grasses, de l'huîle de noix, etc. par l'exhalaison de la chaux des murailles récemment faites ou blanchies, par l'humidité de la terre dans les logements bas, profonds, placés sur des terrains marécageux, où il est dangereux de vivre habituellement.

Les différents moyens qui servent à corriger les qualités vicieuses de l'air, consistent en général à dissiper le trop grand froid, l'humidité excessive, par des feux de bois sec, aromatique, allumés, entretenus dans les cheminées, les poêles des maisons où l'on a ôté tout accès à l'air extérieur. A l'égard de la chaleur et de la sécheresse excessive qu'il communique à celui des habitations, on y remédie par les exhalaisons de l'eau fraiche, répandue sur le sol du logement ; par celles de plantes fraiches dont on le jonche ; par celles des branches d'arbre bien garnies de feuilles vertes, bien trempées dans l'eau, qui répandent ainsi beaucoup d'humidité, de fraicheur dans l'air, selon les observations de Halles dans sa Statique des végétaux : il convient aussi dans ce cas d'employer l'agitation de l'air, qui fait un vent artificiel ; de favoriser l'admission du vent du nord, avec exclusion de celui du midi ; et en général de renouveller l'air, le plus qu'il est possible, par tous les moyens convenables, et particulièrement par l'effet du ventilateur.

On empêche ou on corrige la corruption de l'air en éloignant des habitations les latrines, les cimetières, les boucheries ; en desséchant les marécages, les fossés, où se trouvent des eaux croupissantes ; en ne laissant subsister aucun cloaque dans le voisinage des maisons : on désinfecte l'air d'une maison en y brulant du sucre, des grains de genièvre, des bois aromatiques, des parfums appropriés, &, ce qui est plus simple, en jetant du vinaigre sur des charbons ardents, sur du fer rougi au feu, qui en procurent d'abondantes évaporations anti-septiques. On purifie l'air de l'athmosphère en allumant un grand nombre de feux considérables en plein air, de distance en distance, comme le pratiquait Hippocrate, pour garantir son pays de la peste dont il était menacé par la corruption de l'air des pays voisins.

II. Des aliments et de la boisson. La déperdition que le mouvement, qui fait la vie, occasionne continuellement dans le corps animal, le mettant dans le cas d'avoir un besoin toujours renouvellé d'une intus-susception, qui, pour la conservation de l'individu, soit proportionnée à cette déperdition, chaque animal est porté à rechercher pour cet effet les matières qui sont susceptibles d'être converties en sa propre substance : ce sont les corps, composés de parties qui ont de l'analogie avec nos humeurs, d'où se sépare le suc nevro-lymphatique destiné à l'ouvrage de la nutrition. Voyez NUTRITION. Ces corps sont tirés du règne végétal et du règne animal : le minéral n'en fournit aucun de propre à cet ouvrage, si ce n'est l'eau qui, sans être nourricière par elle-même, est le véhicule des matériaux de la nutrition : ainsi la matière qui forme les corps d'où nous tirons notre nourriture, étant de différente nature, ne peut par conséquent qu'être une des choses non-naturelles qui influent le plus, en bien ou en mal, dans l'économie animale, selon qu'elle a des qualités qui lui sont plus ou moins convenables ou contraires.

Notre sang qui est le fluide qui fournit toutes les humeurs utiles à la conservation de notre individu, est principalement composé de parties mucilagineuses, qui ne sont autre chose qu'un mélange de parties aqueuses, huileuses et terreuses, qui forme une espèce de gelée : ainsi les matières qui sont d'une substance le plus propre à fournir des sucs mucides, gélatineux ; qui ont le plus d'analogie, d'affinité avec la nature de nos humeurs ; qui sont le plus faciles à être converties en suc nourricier ; qui ont le moins de parties féculentes, excrémentitielles ; qui sont le plus simples et le moins sujettes à se dissiper, à se volatiliser ; qui n'ont par conséquent point d'odeur forte, point trop de goût actif, aromatique, âcre ; qui possèdent ces différentes qualités de leur nature, ou qui peuvent les acquérir par les préparations, par l'art de la cuisine, sont les choses les plus propres et qui doivent être préférées pour fournir une bonne nourriture. Tous les aliments que la nature nous offre avec les qualités convenables pour être employés sans préparation, ou qui en demandent très-peu et point d'assaisonnement, sont doux, tempérés ; tels sont les grains farineux, les fruits, les viandes : il en est de même de la boisson ; la plus naturelle est sans goût ; les fluides fermentés, très-savoureux, peuvent être regardés comme l'ouvrage de l'art.

Ainsi les grains farineux sont un très-bon aliment pourvu qu'ils aient été rôtis et macérés dans l'eau, ou qu'ils aient fermenté pour qu'ils perdent la faculté (découverte par Boyle) qu'ils ont éminemment de produire beaucoup de matière élastique qui donne lieu à la flatuosité. Voyez FLATUOSITE. La nourriture que l'on tire des seuls végétaux est très-saine, très-propre à procurer une longue vie : c'est ce qu'ont prouvé les Gymnosophistes, les plus anciens des philosophes, qui ne mangeaient rien de ce qui avait eu vie, rien de ce qui avait pris son accroissement au-dessous de la surface de la terre et sans être exposé aux rayons du soleil ; ils parvenaient, avec ce genre de vie, à un âge si avancé, que la plupart ennuyés de vivre étaient obligés de se donner la mort, comme le fit Calanus qui se brula en présence d'Alexandre et de toute son armée. Il y a encore aujourd'hui de ces philosophes dans les Indes. Voyez VEGETAL, GYMNOSOPHISTE, PYTHAGORICIEN.

Mais, entre les végétaux, le meilleur aliment est, sans contredit, le pain qui est la base de la nourriture dans presque toute la terre. On le prépare avec du blé en Europe ; avec du riz en Asie ; et du maïs en Amérique : son usage est de tous les temps de la vie, excepté la première enfance. C'est l'aliment le plus convenable à tous les tempéraments ; on le mêle avec avantage à toute autre sorte de nourriture, et surtout à celle qui est tirée du règne animal dont il corrige la disposition alkalescente par l'acescence qui lui est naturelle, par laquelle il sert aussi de correctif à pareille disposition vicieuse qui se trouve dans la masse des humeurs. Mais à cet égard il ne peut être considéré que comme un médicament, tandis qu'il fournit la matière de la nutrition, par la seule substance mucide dont il abonde, qui est très-analogue à celle qui se trouve dans toutes les parties solides des animaux, dans leur sang et dans leur lait, substance qui constitue un principe commun entre ces différentes parties.

C'est par l'extrait que fait de cette partie mucide l'ouvrage de la digestion et des autres préparations qu'eprouve le chyle pour être converti en sang et en suc nourricier, qu'elle est séparée de ce qui lui est étranger, comme la partie huileuse destinée à former la bile, la graisse, et de ce qui forme la partie lixivielle de nos humeurs, pour qu'il en résulte la véritable matière de la nutrition, qui est la même dans l'embryon et dans l'adulte, et qui parait être aussi de la même nature dans tout le règne animal, malgré la différence des genres et des espèces qu'il renferme : ainsi tous les individus qui les composent peuvent être convertis en la propre substance les unes des autres, d'une manière plus ou moins parfaite, selon que la partie mucide nourricière en est extraite plus ou moins facilement, et s'y trouve plus ou moins abondamment.

Il suit de-là que la substance mucide de tous les végétaux où elle se trouve, peut être aisément appropriée aux animaux, par les moyens que la nature a établis à cet effet : presque toutes les plantes en contiennent dans leur parenchyme, c'est-à-dire dans les interstices de la partie fibreuse, insoluble, qui est comme un tissu spongieux, dont les débris qui résultent de la division qu'opère la digestion, forment la partie fécale qui n'a rien d'alimentaire, de nourricier, lorsque l'extrait des sucs mucides en a été fait entièrement ; en sorte que ce qu'on appelle aliment en général, n'est pas tout susceptible d'être converti en suc nourricier, n'est pas par conséquent proprement alimenteux dans toutes ses parties, mais suppose une substance qui peut fournir plus ou moins de matière mucide nourricière.

De tous les végétaux, ceux qui contiennent un suc mucide qui a le plus de rapport à celui qui se trouve dans les animaux, sont les plantes à fleurs en croix, dans lesquelles la Chimie a trouvé le plus d'analogie avec les qualités caractéristiques des substances animales, et une plus grande quantité de ce suc mucide gélatineux propre à former le suc nourricier des animaux. Telles sont les plantes succulentes potageres, comme les navets, les raves, etc. Les végétaux qui approchent le plus des qualités de ces derniers, sont les racines, les fruits doux, et les semences à farine : tels sont les panais et autres racines semblables, les châtaignes, les pommes, les poires, les figues, etc. les fruits de noyau ; tels que les amandes, les noix, etc. tous les blés, etc.

Les végétaux, au contraire, les moins propres à nourrir, sont les légumes aqueux, fades ou acidules ; tels que les laitues, les épinards, l'oseille, etc. et les feuilles des arbres, parce qu'ils contiennent très-peu de substance mucide alimenteuse, en automne surtout, par rapport aux feuilles, lorsqu'elles commencent à se dessécher.

La preuve de ce qui vient d'être établi sur ces deux différentes classes de végétaux considérés comme aliments, c'est que les bestiaux qui se nourrissent des premiers, s'engraissent beaucoup et en peu de temps ; au lieu que, lorsqu'ils n'ont que des derniers pour tout aliment, ils n'en mangent que forcés par la faim, et deviennent bientôt très-maigres.

Mais les substances qui fournissent le plus de nourriture et de la meilleure, sont les corps des jeunes animaux sains et point chargés de graisse, soit que l'on les tire d'entre les quadrupedes ou les volatiles, soit d'entre les poissons ou les insectes, qui peuvent tous être préparés simplement en les faisant cuire dans l'eau, ou en les rotissant, ou, par l'art de la cuisine, en les assaisonnant de différentes manières, etc. le lait et les œufs sont de ce genre.

Les aliments végétaux, cruds, grossiers, pesans conviennent aux personnes d'une organisation forte, robuste, comme aux paysans ; à ceux qui sont accoutumés à des travaux rudes, tels que les laboureurs, les soldats, les artisans grossiers ; à ceux qui sont d'un tempérament chaud ; à tous ceux enfin qui sont constitués de manière que la force des organes puisse aisément corriger la disposition des végétaux à la fermentation, en en arrêtant les progrès, et convertissant en sucs de nature animale ceux des plantes et des fruits, dont l'usage, par la raison des contraires, ne peut qu'être nuisible aux personnes délicates, d'un tempérament froid, d'une constitution faible ; à ceux qui s'exercent peu ou qui vivent dans l'inaction : les aliments tirés du règne animal conviennent à ces personnes-là, parce que la disposition qu'ont ces aliments à l'alkalinité, à la putréfaction, les rend de plus facîle digestion, et qu'ils contiennent des sucs d'une nature déjà fort analogue à celle des fluides du corps humain, en laquelle ils se changent facilement. Mais cette même disposition est la raison pour laquelle ils ne sont pas convenables à ceux dont on vient de dire que les végétaux doivent faire leur principale nourriture. En général, les acescens conviennent aux personnes d'un tempérament porté à l'alkalescence ; et au contraire les alkalescens doivent être employés contre l'acescence. Voyez REGIME.

Les aliments sous forme fluide ou molle, comme le laitage, les crêmes de grains rôtis, les panades, les bouillons, les jus de viande, les soupes conviennent préférablement à ceux qui n'ont point de dents, qui ne peuvent pas faire une bonne mastication, comme les enfants, les vieillards ; mais ces mêmes aliments ne suffisent pas pour soutenir les forces des gens robustes, et exercés par le travail, qui ne peuvent pas s'en rassasier. Voyez REGIME.

Les aliments qui contiennent dans leur substance beaucoup de matière flatueuse, élastique, comme les légumes et les grains farineux non fermentés ; les fruits pulpeux cruds ; les matières qui sont spécifiquement plus légères que les sucs digestifs salivaires, comme la graisse, l'huîle ; les corps durs, qui ne peuvent être que difficilement pénétrés de ces sucs, comme les substances osseuses, tendineuses, les ligaments, les peaux ; les matières visqueuses, gluantes, tenaces, comme les huitres, les anguilles : tous ces différents aliments sont de très-difficîle digestion.

Quant au régime, on se bornera ici à observer, par rapport à ce qui vient d'être dit de la nature des aliments, que leur usage doit être réglé conformément à l'âge et au genre de vie de chacun en particulier. On apprend par expérience ce qui est utîle ou nuisible, dans la manière dont on se nourrit. C'est d'après cette connaissance réfléchie, à juvantibus et laedentibus, que l'on peut devenir le médecin de soi-même, non pour s'administrer convenablement des remèdes, mais pour se garantir des maladies qui peuvent provenir du défaut de régime approprié.

On peut juger que l'on n'a pris que la nourriture convenable, lorsqu'après le repas on ne se sent point le corps appesanti ; et que l'on se trouve au contraire agile, et relevé de l'abattement que l'on éprouve après un certain temps par la privation des aliments.

La sobriété est sans doute un des moyens qui contribuent le plus à conserver saine l'économie animale, et à prolonger la vie autant qu'il est possible, comme l'a très-bien établi le fameux vieillard Louis Cornaro, dans sa dissertation della vita sobria. Mais il ne s'ensuit pas qu'il convienne à tous les tempéraments de manger peu ; ce qui est excès pour l'un ne l'est pas pour l'autre.

Un homme robuste qui fait beaucoup d'exercice, et qui travaille beaucoup et consomme beaucoup de sa force, ne peut se borner à une petite quantité d'aliments ; il faut que les réparations soient proportionnées aux déperditions, autrement il serait bientôt exténué : les maux qui viennent d'inanition, sont plus difficiles à guérir que ceux que produit la replétion.

Le peu de nourriture ne convient qu'aux personnes d'une constitution faible, délicate ; mais l'excès ne convient à personne. Sanctorius, Aphorism. 54. libr. I. observe très-bien, que, qui mange plus qu'il ne faut, se nourrit moins qu'il ne faut.

Les gens riches, d'une vie sédentaire, qui emploient tout l'art imaginable pour s'exciter à manger au delà de l'appétit, du besoin naturel, ont ordinairement une vieillesse précoce ; la variété et les assaisonnements des différentes choses destinées à la nourriture, comme les ragouts, sont en général très-pernicieux à la santé, par la disposition qu'ils donnent à manger avec excès, autant que par la corruption qu'ils portent dans les humeurs : les aliments les plus simples sont les meilleurs pour toute sorte de tempéraments. Voyez REGIME.

Au reste, pour tout ce qui regarde les aliments considérés comme causes de maladies, voyez ALIMENT.

La boisson la plus naturelle est celle qui est commune à tous les animaux pour faire cesser le sentiment du besoin qu'on appelle soif, et pour fournir la matière d'un mélange de fluide aux aliments solides, et celle du véhicule principal de la masse des humeurs. Voyez SOIF. C'est l'eau douce, la plus légère, bien battue, sans odeur et sans gout, au degré de la chaleur actuelle de l'air, qui est le fluide le plus propre à satisfaire à ces différents besoins : elle était regardée par les Grecs et les Romains, non-seulement comme un moyen très-propre à maintenir la santé, à dépurer le sang, à fortifier le corps, mais encore comme un remède presqu'universel. Hérodote parait attribuer la longue vie extraordinaire des Ethiopiens (qu'il appelait par cette raison macrobes) principalement à l'usage qu'ils faisaient d'une eau si légère que le bois ne pouvait se soutenir sur sa surface. Voyez EAU, (Diète).

L'eau est donc bien préférable à toute boisson spiritueuse, qui par sa qualité stimulante, échauffante, ne peut que disposer aux maladies aiguës ; aussi on ne peut pas disconvenir qu'elle doit nuire dans tous les cas où une boisson cordiale est nécessaire ; nécessité qui n'a jamais lieu dans la bonne santé : mais par l'habitude que l'on a contractée dès l'enfance, de faire usage des liqueurs fermentées, les humeurs prennent une certaine énergie, sans laquelle les solides ne seraient pas suffisamment excités à faire leurs fonctions. C'est un aiguillon, qui devient nécessaire à l'économie animale pour mettre suffisamment en jeu la faculté qui parait être le principe de toutes les actions du corps (l'irritabilité), voyez IRRITABILITE. Mais lorsque la partie spiritueuse qui forme cet aiguillon, est trop dominante dans la boisson de liqueur fermentée, ou qu'elle est prise en plus grande quantité qu'à l'ordinaire, elle fait d'abord naître plus de gaieté ; elle rend l'esprit plus vif, et dispose à exprimer mieux et avec plus de facilité, les idées qu'elle réveille, lorsque les effets de la boisson ne sont pas plus forts ; il est bon, selon le conseil de Celse, de s'y livrer quelquefois à ce point-là.

Mais si l'excès est plus considérable, les idées se troublent, le délire suit ; le corps devenu chancelant sur ses membres, peut à peine se soutenir, et l'abattement général des forces qui s'ensuit est ordinairement suivi du sommeil le plus profond, quelquefois avec danger qu'il ne se change en apoplexie, et de laisser quelque partie affectée de paralysie ; ou à la longue, lorsque l'on retombe souvent en cet état, de dissoudre le sang et de disposer à la cachexie, à l'hydropisie, et à une fin prématurée. Voyez VIN, Diete, IVRESSE, maladie.

Cependant il faut observer, par rapport à la boisson en général, qu'il est plus nuisible à l'économie animale de boire trop peu que de boire avec excès, surtout pour ceux qui ont le ventre paresseux, parce que c'est la boisson qui, comme on vient de le dire, fournit la plus grande partie du dissolvant des aliments dans l'ouvrage de la digestion ; qui constitue le principal véhicule des humeurs pour la circulation, les sécrétions et les excrétions : c'est pourquoi il est si important que la matière de la boisson ne soit pas de nature à nuire aisément par sa quantité.

Ainsi, l'usage de l'eau pure ou des liqueurs fermentées bien trempées, c'est-à-dire mêlées avec environ les deux tiers d'eau, surtout en été, est la boisson la plus convenable, qu'il vaut mieux répéter souvent dans le cours d'un repas, en petite quantité à-la-fais, selon que le pratiquait Socrate, que de boire à grands coups. Il faut arroser les aliments dans l'estomac à mesure que l'on mange, mais ne pas les inonder. La boisson doit être moins abondante en hiver, et l'on peut alors boire son vin moins trempé, et même en boire de pur lorsqu'il est bon, mais à petite dose. C'est à tort que l'on le recommande ainsi aux vieillards, quoique dans l'hiver de la vie ; ils n'ont pas besoin d'ajouter aux causes qui tendent continuellement à les dessécher de plus en plus : ainsi le vin trempé leur est toujours plus convenable.

On doit dans tous les temps de la vie éviter de boire hors des repas, surtout des liqueurs fermentées, pour ne pas troubler la digestion, et ne pas l'exposer aux pernicieux effets de l'ivresse, que l'on éprouve bien plus facilement lorsqu'on bait sans manger.

Les liqueurs fortes, c'est-à-dire toutes celles qui sont principalement composées d'esprit-de-vin, doivent être regardées comme de délicieux poisons pour ceux qui en font un grand usage : il est rare de voir que quelqu'un qui s'est habitué dans sa jeunesse à cette boisson et qui en continue l'usage, passe l'âge de cinquante ans.

III. Du mouvement et du repos. Les effets du mouvement, c'est-à-dire de l'exercice du corps, du travail, et ceux du repos, relativement à la santé et aux maladies qui dépendent de la manière réglée ou excessive en plus ou en moins avec laquelle on s'y livre, ont été suffisamment expliqués aux articles qui y ont rapport. Voyez EXERCICE, MOUVEMENT, TRAVAIL, REPOS, OISIVETE, HYGIENE, REGIME.

Il suffira de dire ici que la vraie mesure de l'exercice que l'on doit faire pour le bien de la santé, est de s'y livrer assez pour qu'il ne se fasse point d'amas dans le corps, d'humeurs crues mal travaillées ; et non pas trop, au point qu'il se fasse une dissipation de celles qui sont bien préparées à remplir leur destination dans l'économie animale.

Lorsque le corps acquiert plus de poids que de coutume, c'est une marque qu'il n'est pas assez exercé, qu'il est trop livré au repos ; lorsque le corps devient plus leger qu'à l'ordinaire, c'est une preuve qu'il se fait trop de déperdition, que l'exercice ou le travail a été trop fort, et que le repos est nécessaire. On est assuré d'avoir trouvé la proportion que l'on doit mettre entre la quantité des aliments que l'on prend et celle de l'exercice du travail, lorsque le corps conserve à-peu-près le même poids pendant plusieurs années de suite.

Ceux qui sont accoutumés dès l'enfance à des travaux rudes, comme ceux de la terre, qui les rendent exposés à toutes les injures de l'air et à toutes les vicissitudes, ont une vieillesse précoce ; ils sont dans un état de décrépitude dès l'âge de soixante ans : par la raison du contraire, les gens de lettres, et tous ceux qui mènent une vie sédentaire, devraient, ce semble, avoir plus de droit à une longue vie ; mais il est cependant vrai qu'ils parviennent aussi très-rarement à un âge avancé, parce que le trop peu, comme le trop de dissipation, nuit également à l'économie animale, par la plénitude et les crudités dans le dernier cas, par l'épuisement et le desséchement dans le premier. Voyez VIEILLESSE.

IV. De la veille et du sommeil. Pour ce qui regarde les effets du sommeil et de la veille, en tant que l'usage réglé, l'excès ou le défaut en ce genre influe essentiellement sur la santé, pour la conserver ou pour lui nuire ; il doit en être traité suffisamment aux articles respectifs. Voyez VEILLE, SOMMEIL.

On se bornera à rappeler ici que le vrai temps où l'on doit faire cesser la veille et se livrer au sommeil, est lorsque dans l'état de santé et sans une fatigue extraordinaire, on se sent le corps engourdi, les membres pesans, la tête lourde, ce qui arrive ordinairement deux heures après le repas du soir fait, environ la fin du jour, pendant lequel on s'est suffisamment exercé. La mesure de la durée convenable du sommeil est que lorsqu'on s'éveille on se sente le corps dispos, agile, et l'esprit libre : le sommeil trop continué rend la tête pesante, cause un sentiment de malaise dans tout le corps, procure des inquiétudes par le défaut d'exercice des organes du mouvement, dont le retour devient nécessaire pour favoriser la circulation du sang, le cours des humeurs, les sécrétions et les excrétions ; ce qui rend indispensable pour le bien de la santé, la veille d'une certaine durée réglée de telle sorte, que la cessation pour le sommeil ne soit pas en général de plus de sept à huit heures pour les adultes ; les enfants en exigent davantage.

Mais la veille ne peut être que très-nuisible lorsqu'elle est employée à entretenir le corps trop longtemps en action (surtout pendant la nuit, qui est le temps que la nature a destiné au repos du corps et de l'esprit), et qu'elle procure par-là une trop grande dissipation des esprits et des bonnes humeurs, soit pour le travail ou pour l'étude, ce qui jette dans l'abattement et la faiblesse : à quoi on ne peut remédier que par le repos et le sommeil, qui sont toujours très-favorables à la digestion et au rétablissement des forces, lorsqu'ils sont placés convenablement, et que l'on ne s'y livre pas trop, surtout par l'habitude. Ensorte que pour qu'ils ne soient pas contraires à la santé, et qu'ils lui soient véritablement utiles, ils doivent être proportionnés à l'exercice et au travail de la veille qui a précédé : d'où il suit que les règles concernant le mouvement et le repos, conviennent également à ce qui regarde la veille et le sommeil.

V. De ce qui doit être retenu dans le corps, et de ce qui doit en être porté dehors. L'homme adulte en bonne santé, qui tient son corps et son esprit en action d'une manière convenable et suffisante, prend chaque jour environ huit livres d'aliments ou de boisson, sans qu'il lui en reste aucune augmentation de poids après que la digestion est faite, et que la digestion des humeurs, les sécrétions et les excrétions sont achevées ; il s'ensuit donc qu'il se fait dans l'économie animale saine une juste proportion entre la matière de la nourriture que l'on prend et celle des excréments que l'on rend : en sorte que la santé se dérange inévitablement toutes les fois que la quantité des humeurs formées et retenues dans les différents vaisseaux du corps, excède celle des déperditions qui doivent se faire naturellement, ou que la dissipation qui s'en fait est plus considérable que leur entretien.

La conservation de la santé exige qu'il se fasse une séparation, une excrétion de tout ce qui est inutîle et superflu dans le corps ; elles se font par la voie des selles, des urines, de la transpiration, et par l'expulsion de la mucosité des narines, de la gorge, des crachats, etc.

Une des plus importantes de ces évacuations, est celle de la partie grossière des aliments, qui n'est pas susceptible d'être digérée, et n'est pas propre à prendre la nature des humeurs utiles à l'économie animale ; il est très-nécessaire que cette partie fécale, disposée à contracter de mauvaises qualités par son séjour dans le corps, n'y soit point retenue assez pour y donner lieu, et soit convenablement évacuée avec les parties excrémenticielles des humeurs qui s'y trouvent mêlées : c'est pourquoi il est très-avantageux, d'après l'observation faite à cet égard, que le ventre se vide de ces matières une fois par jour, pour éviter les mauvais effets qui s'ensuivent lorsqu'elles sont retenues trop longtemps. Voyez CONSTIPATION.

Cependant le ventre paresseux, à l'égard d'une personne de bonne santé, est une marque de tempérament robuste : les personnes délicates au contraire ont naturellement le ventre libre ; les aliments humides végétaux, la boisson abondante, favorisent cette disposition, ainsi que l'usage des lavements simples ; elle contribue beaucoup à procurer un teint frais ; mais si elle est excessive, elle affoiblit beaucoup. Il faut pour la corriger éviter l'usage des aliments stimulants, âcres, fermentescibles, et ceux qui sont huileux et trop gras. Voyez DEJECTION et DIARRHEE.

Pour ce qui regarde les autres évacuations des matières excrémenticielles, voyez EXCREMENT, SECRETION, URINE, TRANSPIRATION, MORVE, MUCOSITE, NARINES, CRACHATS, etc.

Il y a aussi des humeurs qui, quoiqu'elles ne soient pas excrémenticielles de leur nature, ne laissent pas de devenir nuisibles lorsqu'elles sont retenues en trop grande quantité, absolue ou respective, comme le sang à l'égard des menstrues, des lochies, des hémorrhoïdes, et de toutes les hémorrhagies naturelles ou critiques, la semence et le lait, dont l'évacuation est utîle et même nécessaire dans les circonstances qui l'exigent, mais dont la trop grande perte est aussi très-désavantageuse à la santé, et peut occasionner de grandes maladies ; la salive dans l'état de santé n'abonde jamais assez pour devoir être jetée, comme la matière des crachats, qui ne peut jamais être qu'une pituite ou une mucosité véritablement excrémenticielle. Voyez LAIT, SEMENCE, SALIVE.

La conservation de la santé exige absolument que l'on ne fasse point usage, pour quelque raison que ce sait, de remèdes, de médicaments, surtout de ceux qui sont propres à procurer des évacuations extraordinaires, tant que toutes les fonctions se font convenablement et sans aucune apparence de surabondance d'humeurs qui indique le besoin de recourir aux secours de l'art pour aider la nature ou suppléer à son défaut : rien n'est plus contraire à la santé que l'abus en ce genre ; on ne doit faire usage de remèdes que dans les cas où l'on a véritablement besoin du conseil du médecin. Voyez REMEDES, MEDICAMENS, HYGIENE.

VI. Des affections de l'âme. L'expérience et l'observation de tous les temps, apprennent que tous les hommes affectés de quelque passion de l'âme qui affecte fortement, violemment, éprouvent un changement considérable dans l'action des organes vitaux ; que le mouvement du cœur, le pouls, la respiration en sont augmentés ou diminués d'une manière très-sensible, respectivement à l'état naturel, avec des variétés, des inégalités que l'on ne peut déterminer ; que la transpiration, selon Sanctorius, ainsi que les autres excrétions, en sont aussi plus ou moins altérées ; que l'appétit et les forces en sont souvent diminués, etc. Ainsi la tranquillité constante de l'âme, l'éloignement de toute ambition, de toute affection, de toute aversion dominante, contribue beaucoup au maintien de la santé, et lui est essentiellement nécessaire. Il n'est pas moins important à cet égard d'éviter toute application à l'étude trop forte, trop continuée, toute contention d'esprit de longue durée, parce qu'il en résulte une trop grande dissipation du fluide nerveux, outre qu'il est aussi détourné par-là des organes de la digestion et de l'élaboration des humeurs, auxquels il est si nécessaire que la distribution s'en fasse, conformément aux besoins de l'économie animale : en sorte que cette dissipation ou cette diversion sont suivies inévitablement de la diminution, de l'épuisement des forces, et de l'affoiblissement du tempérament, de tous les effets que de semblables lésions peuvent produire. Voyez DEBILITE.

Mais de ce que les passions peuvent nuire à la santé, on n'en doit pas conclure qu'il faille les détruire entièrement, pour n'en recevoir aucune impression : d'abord c'est la chose impossible (voyez PASSION, Morale) ; d'ailleurs en supposant que cela se put, ce serait détruire des modifications de notre être qui peuvent lui procurer des avantages. En effet, les affections vives de l'âme, lorsqu'elles sont agréables ou qu'elles ne causent pas de trop fortes émotions, les exercices de l'esprit réglés par la modération, sont très-utiles, et même nécessaires à l'homme, pour que la vie ne lui soit pas ennuyeuse, et qu'il y soit attaché par quelque intérêt qui la lui rende agréable, ou au moins en remplisse l'espace : autrement elle serait, pour ainsi dire, sans feu et sans sel ; elle n'aurait rien qui put animer et en faire souhaiter la continuation. Les désirs, l'espérance et les plaisirs, auxquels on ne se livre qu'avec modération (& avec l'attention, selon le conseil du chancelier Bacon, de ne se procurer jamais une satisfaction complete , et de se tenir toujours un peu en haleine pour tendre à la possession des biens que l'on peut ambitionner, qui quels qu'ils soient ne sont jamais aussi agréables par la jouissance que par l'attente un peu fondée), sont les seules affections de l'âme qui ne troublent pas l'économie animale, et qui peuvent au contraire contribuer autant à entretenir la vie saine, qu'à la rendre chère et précieuse. Voyez les conseils admirables de Seneque à ce sujet (de tranquillitate animi, cap. xv.), que les bornes de cet ouvrage ne permettent pas de rapporter dans cet article, déjà peut-être trop long.

Conclusion. Mais telle est la triste condition du genre humain, que la disposition nécessaire pour rendre la santé parfaite autant qu'il soit possible, qui est une très-grande mobilité dans les organes, ne peut pas être longtemps exercée sans se détruire elle-même. Ainsi, quelque soin que l'on prenne pour ne faire que le meilleur usage des choses non-naturelles, et pour écarter toutes les affections contre nature qui peuvent résulter de leurs mauvaises influences, il reste démontré qu'il est très-difficîle de conserver une bonne santé, et de se préserver de maladie pendant une longue vie. Voyez SANTE, VIE, VIEILLESSE, MALADIE.

Il faut encore observer en finissant, que comme les choses non-naturelles ne peuvent être regardées comme salutaires ou nuisibles que relativement à leurs effets dans l'économie animale, cette influence est différente selon la différence de l'âge, du sexe, du tempérament des individus ; selon la différente saison de l'année, la différente température et différent climat, et surtout selon les différentes habitudes que l'on a contractées : en sorte que ce qui peut être avantageux aux uns, peut être nuisible à d'autres, et qu'il ne convient pas par conséquent de fixer une règle générale par rapport à la façon de vivre, tant morale que physique. Il ne peut y en avoir qui convienne également à toutes sortes de personnes, dans les différentes circonstances qui viennent d'être établies : on observe même souvent que ce qui convient dans un temps à quelqu'un, ne lui convient pas dans un autre qui parait peu différent. In omnibus fère, minus valent praecepta, quam experimenta, dit avec raison Quintilien.

Ainsi, c'est à l'expérience qui apprend à connaître ce qui est utîle et ce qui est nuisible, et au raisonnement que l'on peut faire en conséquence, qu'il appartient de déterminer, et même seulement par approximation, relativement aux différences génériques des individus et des circonstances, les conditions qui indiquent le bon ou le mauvais usage des choses non-naturelles. Voyez REGIME. Le bon sens éclairé des lumières de la Physique, peut bien servir pour faire connaître ces conditions à ceux qui veulent faire une étude de ce qui intéresse la conservation de la santé ; mais comme cette étude fait rarement de bons médecins de soi-même en ce genre, il est toujours plus sur, pour les personnes qui veulent ou qui doivent par état régler tout ce qui a rapport à leur santé et à la prolongation de leur vie, d'avoir recours aux conseils de ceux qui se dévouent spécialement à acquérir les connaissances necessaires à cet égard, et qui jouissent de la réputation bien fondée de les posséder : ce qui n'est pas commun, parce qu'elles exigent qu'ils soient surtout bien versés dans la Chimie, pour être en état de donner des préceptes de santé, plus salutaires et plus surs que les autres. Voyez MEDECINE, MEDECIN, CHIMIE, CHIMISTE.