S. m. (Logique) le syllogisme est un raisonnement énoncé suivant les règles de la logique. Pour le construire, on compare deux idées dont on veut connaître le rapport ou la différence à une troisième idée qui se nomme moyenne. Quand deux idées peuvent être comparées ensemble pour en former immédiatement un jugement affirmatif ou négatif, il n'est pas besoin de recourir au raisonnement ; mais comme cela ne se peut pas toujours, c'est alors qu'on recourt à l'idée moyenne, qui sert de principe de comparaison. Si j'entreprends, par exemple, de prouver que la terre est sphérique, il m'est impossible de comparer immédiatement l'idée de la figure sphérique et celle de la terre ; mais avec le secours d'une idée moyenne, savoir celle de l'ombre de la terre, qui se trouve entre l'ombre d'un corps sphérique, je ferai la comparaison dont il s'agit ; et voici comment j'exprimerai mon argument : tout corps est sphérique, si son ombre tombant directement sur un plan est circulaire, quelle que soit la situation de ce corps ; or nous voyons dans les éclipses de la lune que l'ombre de la terre a cette propriété : donc la terre est un corps sphérique.

Pour que la conclusion soit juste, il faut 1°. que les prémisses qui constituent la matière de l'argument, soient vraies : ensuite que la conclusion en soit bien déduite, c'est-à-dire, que la comparaison de l'idée moyenne avec les termes de la conclusion démontre leur relation : ce qui fait la forme de l'argument.

Quand une seule idée moyenne suffit pour conduire à la conclusion cherchée, ce raisonnement est simple ; quand il faut plusieurs idées moyennes pour démontrer la relation qu'ont entr'elles deux idées qu'on veut comparer, le raisonnement devient composé, et se forme de l'assemblage de plusieurs raisonnements simples. Pour avoir une idée distincte des syllogismes, il faut connaître les parties qui les composent.

Dans chaque syllogisme régulier il y a trois termes et trois propositions : trois termes, le grand ou l'attribut, le petit ou le sujet, et le terme moyen : trois propositions, la majeure et la mineure, qui forment les deux prémisses, et la conclusion. L'attribut de la conclusion s'appelle le grand terme ; et la proposition dans laquelle ce terme est comparé avec l'idée moyenne, forme la majeure de l'argument. Le sujet de la conclusion se nomme le petit terme ; et on donne le nom de mineure de l'argument à la proposition dans laquelle ce terme est joint avec l'idée moyenne.

Les règles qui servent à construire un syllogisme, sont de deux sortes : les unes générales qui concernent tous les syllogismes, et les autres particulières, qui déterminent les figures et les modes. Voyez les figures et les modes où ces règles sont expliquées. Nous nous bornerons à parler ici des règles générales : ces règles sont fondées sur les axiomes qui ont été établis touchant les propositions affirmatives et négatives.

Les propositions considérées par rapport à leur quantité et à leur qualité, se partagent en quatre classes, qu'on désigne par les lettres A, E, I, O.

A, marque une proposition universelle affirmative.

E, une universelle négative.

I, une particulière affirmative.

O, une particulière négative.

Voici donc les axiomes qu'on peut regarder comme la base sur laquelle sont appuyées toutes les règles générales des syllogismes.

1°. Les propositions particulières sont enfermées dans les générales de même nature, I dans A, et O dans E. On pourrait dans la rigueur des termes, contester la vérité de cet axiome. On ne peut pas dire, par exemple, dans toute la précision philosophique, que quelque homme est raisonnable, que quelque cercle est rond, parce qu'en le disant, on semble restraindre la rationalité à certains hommes, et l'exclure des autres, de même qu'on parait restraindre la rondeur à quelques cercles seulement, avec l'exclusion des autres. Quoi qu'il en sait, il est certain que ce qui convient aux sujets pris dans toute leur universalité, convient aussi à tous les individus ou inférieurs de ces sujets : ce qui suffit par rapport aux règles des syllogismes.

2°. L'universalité ou la particularité d'une proposition dépend de l'universalité ou de la particularité du sujet : donc le sujet d'une proposition universelle est universel, et le sujet d'une proposition particulière est particulier.

3°. L'attribut est toujours particulier quand la proposition est affirmative, parce que l'affirmation ne regarde jamais qu'une partie de l'attribut. En disant, tout homme vit, je ne parle point de toute sorte de vie.

4°. L'attribut d'une proposition négative est toujours universel, à cause que ce sujet est séparé de l'attribut pris dans toute l'étendue dont il est capable. Un certain homme n'est point blanc ; il s'agit ici de toute sorte de blancheur.

De-là on déduit les conséquences suivantes : toute proposition universelle négative a ses deux termes pris universellement, et cette propriété ne convient qu'à ces sortes de propositions seules.

Toute proposition particulière affirmative a ses deux termes pris particulièrement, et il n'y a que ces sortes de propositions qui aient cette propriété.

Toute proposition universelle affirmative ou particulière négative n'a qu'un terme universel.

Une proposition affirmative qui a un terme universel, est universelle.

Une proposition négative qui n'a qu'un terme universel, est particulière.

De ces axiomes nous déduisons des règles, par le secours desquelles nous déterminons si la conclusion du syllogisme est légitimement tirée des prémisses ; et ces mêmes règles nous enseignent ce qu'il faut observer dans la construction du syllogisme ; les voici :

1°. Dans tout syllogisme il y a trois termes, et il n'y en peut avoir que trois, chacun desquels est employé deux fais, et pas davantage, de manière que nous ayons pourtant six termes en trois propositions.

2°. Le moyen terme doit être pris, au moins une fais, universellement ; car s'il se prend particulièrement dans la majeure et dans la mineure, il pourra arriver que dans ces deux propositions, ce qu'on prend pour le terme moyen, exprimera des idées différentes, et alors il n'y aura point d'idée moyenne. Ainsi dans cet argument, quelque homme est saint : quelque homme est voleur : donc quelque voleur est saint, le mot d'homme étant pris pour diverses parties des hommes, ne peut unir voleur avec saint, parce que ce n'est pas le même homme qui est saint et qui est voleur. Pour déterminer donc si un argument est en forme, il faut examiner d'abord s'il n'a pas quatre termes, c'est-à-dire, si les termes majeur et mineur ont le même sens dans les prémisses que dans la conclusion, et si c'est la même idée qu'on emploie dans chaque prémisse, comme idée moyenne.

3°. Les termes de la conclusion ne doivent pas y avoir plus d'étendue que dans les prémisses. La raison est qu'on ne peut rien conclure du particulier au général ; car de ce que quelque homme est estimable, on n'en doit pas conclure que tous les hommes le soient.

De-là on déduit les conséquences suivantes : 1°. il doit toujours y avoir dans les prémisses un terme universel de plus que dans la conclusion ; car tout terme qui est général dans la conclusion, le doit être aussi dans les prémisses ; d'ailleurs le moyen terme doit être pris du moins une fois universellement ; 2°. lorsque la conclusion est négative, il faut nécessairement que le grand terme soit pris généralement dans la majeure ; car comme il est l'attribut de la conclusion, et que tout attribut de conclusion négative est toujours universel, s'il n'avait pas la même étendue dans la majeure, il s'ensuivrait qu'il serait pris plus universellement dans la conclusion que dans les prémisses : ce qui est contraire à la troisième règle ; 3°. la majeure d'un argument dont la conclusion est négative, ne peut jamais être une particulière affirmative ; car le sujet et l'attribut d'une proposition affirmative sont tous deux pris particulièrement, comme nous l'avons vu, et ainsi le grand terme n'y serait pris que particulièrement ; 4°. le petit terme est toujours dans la conclusion, comme dans les prémisses ; la raison en est bien claire ; car quand le petit terme de la conclusion est universel dans la mineure, tout ce qui en est prouvé, ne doit pas plutôt être rapporté à une de ses parties qu'à l'autre ; d'où il s'ensuit qu'étant le sujet de la conclusion auquel se rapporte l'affirmation ou la négation, il sera aussi universel dans la conclusion, et communiquera à celle-ci son universalité.

4°. On ne peut rien conclure de deux propositions négatives. Le moyen est séparé dans les prémisses, du grand et du petit terme ; or de ce que deux choses sont séparées de la même chose, il ne s'ensuit ni qu'elles soient, ni qu'elles ne soient pas la même chose. De ce que les Espagnols ne sont pas turcs, et de ce que les Turcs ne sont pas chrétiens, il ne s'ensuit pas que les Espagnols ne soient pas chrétiens, non plus que les Chinois le soient, quoiqu'ils ne soient pas plus turcs que les Espagnols.

5°. On ne saurait déduire une conclusion négative de deux propositions affirmatives. Comment deux termes pourraient-ils être séparés, parce qu'ils sont unis l'un et l'autre avec un même moyen ?

6°. La conclusion suit toujours la plus faible partie. La partie la plus faible, dans la qualité est la négation, et dans la quantité, c'est la particularité ; de sorte que le sens de cette règle est, que s'il y a une des deux propositions qui soit négative, la conclusion doit l'être aussi, comme elle doit être particulière, si une des deux prémisses l'est. Le moyen, s'il est séparé d'un des deux termes, ne saurait jamais démontrer que la conclusion est affirmative, c'est-à-dire, que les termes de cette conclusion sont joints ensemble ; c'est pourquoi une pareille conclusion ne saurait subsister avec une des prémisses qui serait négative.

Nous prouvons aussi que la conclusion est particulière, si l'une des prémisses est telle. Les prémisses sont toutes deux affirmatives, ou l'une d'elles est négative ; dans le premier cas, comme une des prémisses est particulière, nous aurons au-moins trois termes particuliers parmi les quatre termes des prémisses, savoir le sujet et l'attribut de la proposition particulière, et le prédicat de l'universelle, et il n'y aura au plus qu'un de ces termes, savoir le sujet de l'universelle, qui sera universel ; mais le moyen est pris au-moins une fois universellement : donc les deux termes de la conclusion seront pris particulièrement ; ce qui la rend elle-même particulière.

Dans le second cas, à cause d'une proposition particulière, il n'y a dans les prémisses que deux termes pris universellement, savoir le sujet de la proposition universelle et l'attribut de la négative ; mais le moyen est pris une fois universellement : donc il n'y a qu'un seul terme universel dans la conclusion, laquelle est négative, et par cela même particulière, comme nous l'avons démontré ci-dessus.

7°. De deux propositions particulières il ne s'ensuit rien ; si elles sont l'une et l'autre affirmatives, tous les termes seront particuliers, et le moyen ne sera pas pris universellement une seule fois : donc la conclusion ne saurait être juste. Si les deux prémisses sont négatives, on n'en peut aussi rien conclure ; mais si l'une est négative et l'autre affirmative, elles n'ont qu'un seul terme universel, mais ce terme est le terme moyen, et les deux termes de la conclusion sont particuliers : ce qui ne saurait être, à cause que la conclusion est négative.

Les syllogismes sont ou simples ou conjonctifs.

Les simples sont ceux où le moyen n'est joint à la fois qu'à un des termes de la conclusion ; les conjonctifs sont ceux où il est joint à tous les deux.

Les syllogismes simples sont encore de deux sortes : les uns, où chaque terme est joint tout entier avec le moyen, savoir avec l'attribut tout entier dans la majeure, et avec le sujet tout entier dans la mineure : les autres où la conclusion étant complexe, c'est-à-dire, composée des termes complexes, on ne prend qu'une partie du sujet ou une partie de l'attribut pour joindre avec le moyen dans l'une des propositions, et on prend tout le reste qui n'est plus qu'un seul terme, pour joindre avec le moyen dans l'autre proposition, comme dans cet argument :

La loi divine oblige d'honorer les rois :

Louis XV. est roi :

Donc la loi divine oblige d'honorer Louis XV.

Nous appellerons les premiers des syllogismes incomplexes, et les autres des syllogismes complexes, non que tous ceux où il y a des propositions complexes, soient de ce dernier genre, mais parce qu'il n'y en a point de ce dernier genre, où il n'y ait des propositions complexes.

Il n'y a point de difficulté sur les syllogismes incomplexes ; pour en connaître la bonté ou le défaut, il n'est question que de les plier aux règles générales que nous venons de rapporter. Mais il n'en est pas tout à fait de même des syllogismes complexes ; ce qui les rend obscurs et embarrassants, c'est que les termes de la conclusion qui sont complexes, ne sont pas pris tout entiers dans chacune des prémisses, pour être joints avec le moyen, mais seulement une partie de l'un des termes, comme en cet exemple :

Le soleil est une chose insensible :

Les Perses adoraient le soleil :

Donc les Perses adoraient une chose insensible.

où l'on voit que la conclusion ayant pour attribut, adoraient une chose insensible, on n'en met qu'une partie dans la majeure, savoir une chose insensible, et adoraient dans la mineure.

On peut réduire ces sortes de syllogismes aux syllogismes incomplexes, pour en juger par les mêmes règles. Prenons pour exemple ce syllogisme que nous avons déjà cité.

La loi divine commande d'honorer les rois :

Louis XV. est roi :

Donc la loi divine commande d'honorer Louis XV.

Le terme de roi, qui est le moyen dans le syllogisme, n'est point attribut dans cette proposition : la loi divine commande d'honorer les rais, quoiqu'il soit joint à l'attribut commande, ce qui est bien différent ; car ce qui est véritablement attribut, est affirmé et convient : or roi n'est point affirmé, et ne convient point à la loi de Dieu. Si l'on demande ce qu'il est donc, il est facîle de répondre, qu'il est sujet d'une autre proposition enveloppée dans celle-là. Car quand je dis que la loi divine commande d'honorer les rais, comme j'attribue à la loi de commander, j'attribue aussi l'honneur aux rais. Car c'est comme si je disais, la loi divine commande que les rois soient honorés. Ainsi ces propositions étant ainsi développées, il est clair que tout l'argument consiste dans ces propositions.

Les rois doivent être honorés.

Louis XV. est roi.

Donc Louis XV. doit être honoré.

Et que cette proposition, la loi divine commande, qui paraissait la principale, n'est qu'une proposition incidente à cet argument, à laquelle elle sert de preuve.

Il faut observer qu'il y a beaucoup de syllogismes complexes, dont toutes les propositions paraissent négatives, et qui néanmoins sont très-bons ; parce qu'il y en a une qui n'est négative qu'en apparence, comme on le peut voir par cet exemple.

Ce qui n'a point de parties ne peut périr par la dissolution de ses parties :

Notre âme n'a point de parties :

Donc notre âme ne peut périr par la dissolution de ses parties.

Il y a des personnes qui apportent ces sortes de syllogismes pour montrer que l'on ne doit pas prétendre que cet axiome de logique, on ne conclut rien de pures négatives, soit vrai généralement et sans distinction. Mais ils n'ont pas pris garde que dans le sens, la mineure de ce syllogisme et autres semblables, est affirmative, parce que le moyen, qui est le sujet de la majeure, en est l'attribut. Or le sujet de la majeure comprend tous ces mots, ce qui n'a point de parties. Donc, pour que le moyen terme, qui est le prédicat dans la mineure, soit le même que dans la majeure ; il doit être composé des mêmes mots, ce qui n'a point de parties. Ce qui étant, il est manifeste que pour faire de la mineure une proposition, il faut y sous-entendre le verbe est, qui servira à unir le sujet et l'attribut, et qui rendra par conséquent cette proposition affirmative. Il importe peu qu'il y ait une négation dans une proposition complexe. Elle conservera toujours sa qualité d'affirmative, pourvu que la négation ne tombe pas sur le verbe de la proposition principale, mais sur la complexion, soit du sujet, soit du prédicat. Ainsi, le sens de la mineure en question est : notre âme est une chose qui n'a point de parties.

L'auteur de l'art de penser donne une règle plus générale, et par-là plus simple, pour juger tout-d'un-coup de la bonté ou du vice des syllogismes complexes, sans avoir besoin d'aucune réduction. Cette règle est qu'une des deux prémisses contienne la conclusion, et que l'autre prouve qu'elle y est contenue.

Comme la majeure est presque toujours plus générale, on la regarde d'ordinaire comme la proposition contenante, et la mineure comme applicative. Pour les syllogismes négatifs, comme il n'y a qu'une proposition négative, et que la négation n'est proprement enfermée que dans la négative, il semble qu'on doive toujours prendre la proposition négative pour la contenante, et l'affirmative seulement pour l'applicative.

Il n'est pas difficîle de montrer que toutes les règles tendent à faire voir que la conclusion est contenue dans l'une des premières propositions, et que l'autre le fait voir. Car toutes ces règles se réduisent à deux principales, qui sont le fondement des autres. L'une, que nul terme ne peut être plus général dans la conclusion que dans les prémisses. Or cela dépend visiblement de ce principe général, que les prémisses doivent contenir la conclusion. Ce qui ne pourrait pas être, si le même terme étant dans les prémisses et dans la conclusion, avait moins d'étendue dans les prémisses que dans la conclusion. Car le moins général ne contient pas le plus général. L'autre règle générale est, que le moyen doit être pris au-moins une fois universellement. Ce qui dépend encore de ce principe, que la conclusion doit être contenue dans les prémisses. Car, supposons que nous ayons à prouver que quelqu'ami de Dieu est pauvre, et que nous nous servions pour cela de cette proposition, quelque saint est pauvre ; je dis qu'on ne verra jamais évidemment que cette proposition contient la conclusion, que par une autre proposition, où le moyen qui est saint soit pris universellement. Car il est visible, qu'afin que cette proposition, quelque saint est pauvre, contienne la conclusion, quelque ami de Dieu est pauvre, il faut que tout saint soit ami de Dieu. Nulle des prémisses ne contiendrait la conclusion, si le moyen étant pris particulièrement dans l'une des propositions, il n'était pris universellement dans l'autre. Lisez le onzième chapitre de la troisième partie de l'art de penser ; et vous y verrez cette règle appliquée à plusieurs syllogismes complexes.

Les syllogismes conjonctifs ne sont pas tous ceux dont les propositions sont conjonctives ou composées ; mais ceux dont la majeure est tellement composée qu'elle enferme toute la conclusion. On peut les réduire à trois genres, les conditionnels, les disjonctifs et les copulatifs.

Les syllogismes conditionnels sont ceux où la majeure est une proportion conditionnelle, qui contient toutes les conclusions, comme

S'il y a un Dieu, il le faut aimer :

Or il y a un Dieu :

Donc il le faut aimer.

La majeure a deux parties ; la première s'appelle l'antécédent ; la seconde le conséquent. Ce syllogisme peut être de deux sortes ; parce que de la même majeure on peut former deux conclusions.

La première est, quand ayant affirmé le conséquent dans la majeure, on affirme l'antécédent dans la mineure selon cette règle, en posant l'antécédent, on pose le conséquent.

Si la matière ne peut se mouvoir d'elle-même, il faut que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

Or la matière ne peut se mouvoir d'elle même :

Il faut donc que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

La seconde sorte est, quand on ôte le conséquent pour ôter l'antécédent, selon cette règle, ôtant le conséquent, on ôte l'antécédent.

Si quelqu'un des élus périt, Dieu se trompe :

Mais Dieu ne se trompe point :

Donc aucun des élus ne périt.

Les syllogismes disjonctifs sont ceux où la majeure est disjonctive, c'est-à-dire, partagée en deux membres ou plus.

La conclusion est juste quand on observe cette règle ; en niant tous les membres, excepté un seul, ce dernier est affirmé ; ou en affirmant un seul, tous les autres sont niés. Exemple.

Nous sommes au printemps, ou en été, ou en automne, ou en hiver :

Mais nous ne sommes ni au printemps, ni en automne, ni en été.

Donc nous sommes en hiver.

Cet argument est fautif, quand la division dans la majeure n'est pas complete : car s'il y manquait une seule partie, la conclusion ne serait pas juste, comme on le peut voir dans ce syllogisme.

Il faut obéir aux princes en ce qu'ils commandent contre la loi de Dieu, ou se révolter contr'eux :

Or il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu :

Donc il faut se révolter contr'eux.

ou Or il ne faut pas se révolter contr'eux ;

Donc il faut leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu.

Les syllogismes copulatifs ne sont que d'une sorte, qui est quand on prend une proposition copulative niante, dont ensuite on établit une partie pour ôter l'autre.

Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu, et idolâtre de son argent :

Or l'avare est idolâtre de son argent :

Donc il n'est pas serviteur de Dieu.

Car cette sorte de syllogisme ne conclut point nécessairement, quand on ôte une partie pour mettre l'autre ; comme on peut voir par ce raisonnement tiré de la même proposition.

Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu et idolâtre de l'argent :

Or les prodigues ne sont point idolâtres de l'argent ;

Donc ils sont serviteurs de Dieu.

Un syllogisme parfait ne peut avoir moins de trois propositions : mais cela n'est vrai que quand on conclut absolument, et non quand on ne le fait que conditionnellement ; parce qu'alors la seule proposition conditionnelle peut enfermer une des prémisses outre la conclusion, et même toutes les deux : prenons pour exemple ce syllogisme.

Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts est raboteux :

Or la lune réfléchit la lumière de toutes parts,

Donc la lune est un corps raboteux.

Pour conclure conditionnellement, je n'ai besoin que de deux propositions.

Tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts est raboteux :

Donc si la lune réfléchit la lumière de toutes parts, c'est un corps raboteux.

Je puis même renfermer ce raisonnement en une seule proposition ; ainsi,

Si tout corps qui réfléchit la lumière de toutes parts est raboteux, et que la lune la réfléchisse ainsi ; il faut avouer que ce n'est point un corps poli, mais raboteux.

Toute la différence qu'il y a entre les syllogismes absolus, et ceux dont la condition est enfermée avec l'une des prémisses dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions d'accord de ce qu'on nous voulait persuader : au lieu que dans les derniers, on peut accorder tout, sans que celui qui les fait ait encore rien gagné ; parce qu'il lui reste à prouver, que la condition d'où dépend la conséquence qu'on lui accorde est véritable.

Et ainsi ces arguments ne sont proprement que des préparations à une conclusion absolue : mais ils sont aussi très-propres à cela ; et il faut avouer que ces manières de raisonner sont très-ordinaires et très-naturelles ; et qu'elles ont cet avantage, qu'étant plus éloignées de l'air de l'école, elles en sont mieux reçues dans le monde.

Le plus grand usage de ces raisonnements, est d'obliger celui à qui on veut persuader une chose, de reconnaître, 1°. la bonté d'une conséquence qu'il peut accorder, sans s'engager encore à rien, parce qu'on ne lui propose que conditionnellement, et séparée de la vérité matérielle, pour parler ainsi de ce qu'elle contient ; et par-là on le dispose à recevoir plus facilement la conclusion absolue qu'on en tire. Ainsi, une personne m'ayant avoué que nulle matière ne pense, j'en conclurai, donc si l'âme des bêtes pense, il faut qu'elle soit distincte de la matière ; et comme il ne pourra pas me nier cette conclusion conditionnelle, j'en pourrai tirer l'une ou l'autre de ces deux conséquences absolues : or l'âme des bêtes pense : donc elle est distincte de la matière. Ou bien au-contraire : or l'âme des bêtes n'est pas distincte de la matière ; donc elle ne pense pas.

On voit par-là, qu'il faut quatre propositions, afin que ces sortes de raisonnements soient achevés, et qu'ils établissent quelque chose absolument. Voyez logique de Port-Royal.

Il se présente ici naturellement une question, savoir, si les règles des syllogismes, qu'on explique avec tant d'appareil dans les écoles, sont aussi nécessaires qu'on le dit ordinairement pour découvrir la vérité. L'opinion de leur inutilité est la plus grande de toutes les hérésies dans l'école ; hors d'elles point de salut. Quiconque erre dans les règles, est un grand homme ; mais quiconque découvre la vérité d'une manière simple par la connexion des idées claires et distinctes que nous fournit l'entendement, n'est qu'un ignorant. Cependant, si nous examinons avec un peu d'attention les actions de notre esprit, nous découvrirons que nous raisonnons mieux et plus clairement, lorsque nous observons seulement la connexion des preuves, sans réduire nos pensées à une règle ou forme de syllogisme. Nous serions bien malheureux, si cela était autrement ; la raison serait alors le partage de cinq ou six pédants, de qui elle ne fut jamais connue. Je ne crois pas qu'on s'amuse à chercher la vérité par le syllogisme dans le cabinet des princes, où les affaires qu'on y décide, sont d'assez grande conséquence pour qu'on doive y employer tous les moyens nécessaires pour raisonner et conclure le plus justement qu'il est possible : et si le syllogisme était le grand instrument de la raison, et le meilleur moyen pour mettre cette faculté en exercice, je ne doute pas que les princes n'eussent exigé que leurs conseillers d'état apprissent à former des syllogismes dans toutes les espèces, leur royaume et leur personne même, dépendant des affaires dont on délibère dans leurs conseils. Je serais fort étonné qu'on voulut me prouver que le reverend père professeur de philosophie du couvent des cordeliers, grand et subtil scotiste, fût aussi excellent ministre que le cardinal de Richelieu, ou Mazarin, qui, à coup sur, ne formaient pas un syllogisme dans les règles aussi-bien que lui. Henri IV. a été un des plus grands princes qu'il y ait eu. Il avait autant de prudence, de bon sens et de justesse d'esprit, qu'il avait de valeur. Je ne pense pourtant pas qu'on le soupçonne jamais d'avoir su de sa vie ce que c'était qu'un syllogisme. Nous voyons tous les jours une quantité de gens, dont les raisonnements sont nets, justes et précis, et qui n'ont pas la moindre connaissance des règles de la logique.

M. Locke dit avoir connu un homme, qui, malgré l'ignorance profonde où il était de toutes les règles de syllogisme, apercevait d'abord la faiblesse et les faux raisonnements d'un long discours artificieux et plausible, auquel d'autres gens exercés à toutes les finesses de la logique se sont laissés attraper.

" Ces subtilités, dit Seneque en parlant des arguments, ne servent point à éclaircir les difficultés, et ne peuvent fournir aucune véritable décision ; l'esprit s'en sert comme d'un jouet qui l'amuse, mais qui ne lui est d'aucune utilité ; et la bonne et véritable philosophie en reçoit un très-grand dommage. S'il est pardonnable de s'amuser quelquefois à de pareilles fadaises, c'est lorsqu'on a du temps à perdre ; cependant elles sont toujours pernicieuses, car on se laisse aisément séduire à leur clinquant et à leurs fausses et ridicules subtilités ".

Si le syllogisme est nécessaire pour découvrir la vérité, la plus grande partie du monde en est privée. Pour une personne qui a quelque notion des formes syllogistiques, il y en a dix mille qui n'en ont aucune idée. La moitié des peuples de l'Asie et de l'Afrique n'ont jamais oui parler de logique. Il n'y avait pas un seul homme dans l'Amérique, avant que nous l'eussions découverte, qui sut ce que c'était qu'un syllogisme ; il se trouvait pourtant dans ce continent des gens qui raisonnaient peut-être aussi subtilement que les Logiciens. Nous voyons tous les jours des paysans avoir dans les choses essentielles de la vie, sur lesquelles ils ont réfléchi, plus de bon sens et de justesse que des docteurs de Sorbonne. L'homme serait bien malheureux, si sans le secours des règles d'Aristote, il ne pouvait faire usage de sa raison, et que ce présent du ciel lui devint un don inutile.

Dieu n'a pas été si peu libéral de ses faveurs envers les hommes, que se contentant d'en faire des créatures à deux jambes, il ait laissé à Aristote le soin de les rendre créatures raisonnables ; je veux dire ce petit nombre, qu'il pourrait engager à examiner de telle manière les fondements du syllogisme, qu'ils vissent qu'entre plus de 60 manières dont trois propositions peuvent être rangées, il n'y en a qu'environ quatorze où l'on puisse être assuré que la conclusion est juste, et sur quel fondement la conclusion est certaine dans ce petit nombre de syllogismes et non dans d'autres. Dieu a eu beaucoup plus de bonté pour les hommes. Il leur a donné un esprit capable de raisonner, sans qu'ils aient besoin d'apprendre les formes des syllogismes. Ce n'est point, dis-je, par les règles du syllogisme que l'esprit humain apprend à raisonner. Il a une faculté naturelle d'apercevoir la convenance ou la disconvenance de ses idées ; il peut les mettre en ordre sans toutes ces répétitions embarrassantes. Je ne dis point ceci pour rabaisser en aucune manière Aristote, qu'on peut regarder comme un des plus grands hommes de l'antiquité, que peu ont égalé en étendue, en subtilité, en pénétration d'esprit, et qui, en cela même qu'il a inventé ce petit système des formes de l'argumentation, par où l'on peut faire voir que la conclusion d'un syllogisme est juste et bien fondée, a rendu un grand service aux savants contre ceux qui n'avaient pas honte de nier tout. Il faut convenir que tous les bons raisonnements peuvent être réduits à ces formes syllogistiques. Mais cependant je crois pouvoir dire que ces formes d'argumentation, ne sont ni le seul ni le meilleur moyen de raisonner ; et il est visible qu'Aristote trouva lui-même que certaines formes étaient concluantes, et que d'autres ne l'étaient pas, non par le moyen des formes mêmes, mais par la voie originale de la connaissance, c'est-à-dire, par la convenance manifeste des idées. Dites à une dame que le vent est sud-ouest, et le temps couvert et tourné à la pluie ; elle comprendra sans peine qu'il n'est pas sur pour elle de sortir, par un tel jour, légèrement vêtue après avoir eu la fièvre ; elle voit fort nettement la liaison de toutes ces choses, vent sud-ouest, nuages, pluie, humidité, prendre du froid, rechute, danger de mort, sans les lier ensemble par une chaîne artificielle et embarrassante de divers syllogismes, qui ne servent qu'à retarder l'esprit, qui sans leur secours Ve plus vite d'une partie à l'autre.

Au reste, ce n'est pas seulement dans l'usage ordinaire de la société civile, que l'on se passe très-bien du burlesque étalage des syllogismes : c'est encore dans les écrits des savants et dans les matières les plus dogmatiques. Les mathématiques mêmes et la géométrie en particulier, qui portent avec elles l'évidence de la démonstration, ne s'avisent point de rechercher le secours du syllogisme ; leurs traités n'en sont ni moins solides, ni moins conformes aux règles de la plus exacte logique.

Ainsi à l'égard de la plus essentielle des vérités, je veux dire, l'existence de Dieu, tous les syllogismes du monde ne convaincront pas l'esprit plus efficacement, que cette suite uniforme et simple de propositions.

1°. L'univers a des parties ; 2°. ces parties ont de la subordination ; 3°. cette subordination est établie et conservée par quelque principe d'ordre ; 4°. le principe qui établit et qui conserve l'ordre dans toutes les parties de l'univers, est une intelligence supérieure à tout ; 5°. cette intelligence supérieure est appelée Dieu.

Par cette simple suite ou liaison d'idées, l'esprit aperçoit toute la vérité qu'on pourrait découvrir ; par le plus exact tissu de syllogismes ; et même on ne pourra former de syllogismes sur ces articles, qu'en supposant cette suite d'idées que l'esprit aura déjà aperçues. Car un syllogisme ne contribue en rien à montrer ou à fortifier la connexion de deux idées jointes immédiatement ensemble ; il montre seulement par la connexion, qui a été déjà découverte entr'elles, comment les extrêmes sont liés l'un à l'autre. Cette connexion d'idées ne se voit que par la faculté perceptive de l'esprit qui les découvre jointes ensemble dans une espèce de juxta-position ; et cela, lorsque les deux idées sont jointes ensemble dans une proposition, soit que cette proposition constitue ou non la majeure ou la mineure d'un syllogisme.

C'est dans cette vue que quelques-uns ont ingénieusement défini le syllogisme ; le secret de faire avouer dans la conclusion ce qu'on a déjà avoué dans les prémisses.

On voit plus aisément la connexion de ses idées lorsqu'on n'use point du syllogisme, qui ne sert qu'à ralentir la pénétration et la décision de l'entendement. Supposons que le mot animal, soit une idée moyenne, et qu'on l'emploie pour montrer la connexion qui se trouve entre homme et vivant, je demande si l'esprit ne voit pas cette liaison aussi promptement et aussi nettement, lorsque l'idée qui lie ces deux termes, est au milieu dans cet argument naturel,

homme.... animal.... vivant....

que dans cet autre plus embarrassé,

animal.... vivant.... homme.... animal ?

Ce qui est la position qu'on donne à ces idées dans un syllogisme, pour faire voir la connexion qui est entre homme et vivant, par l'intervention du mot ANIMAL.

De tout ce que nous avons dit jusqu'ici, il en résulte que les règles des syllogismes ne sont pas, à beaucoup près, si nécessaires que se l'imagine le vulgaire des philosophes, pour découvrir la vérité. S'il fallait attendre à former un raisonnement, qu'on s'appliquât à observer les règles du syllogisme, quand serait-ce fait ? Il en serait comme de ceux qui attendraient, pour danser un ballet, qu'ils eussent appris par les règles de la mécanique, la manière dont il faut remuer la jambe : la vie entière pourrait s'écouler, sans avoir fait le premier pas du ballet.

Connaître et agir, raisonner ou marcher, sont des puissances qui sont en nous sans que nous nous en mêlions. Ce sont des présents de Dieu. L'expérience, l'exercice et nos réflexions, plutôt que les règles, nous apprennent à raisonner vrai. Combien de gens dans l'étude de la logique, qui ont mis tout leur soin à connaître les secrets et la pratique du syllogisme, ne jugent pas plus sainement que d'autres hommes, des choses les plus ordinaires et les plus importantes de la vie ! Il est donc un autre exercice plus nécessaire pour découvrir la vérité ; et cet exercice est l'attention à la liaison immédiate qu'a une idée avec une autre idée, pour former une proposition juste et un jugement exact : c'est-là ce qu'on peut appeler l'essentiel et la dernière fin de la logique. Sans cette attention, l'exercice même du syllogisme pourrait éloigner de la vérité, dégénérant en sophisme ; au lieu qu'avec cette attention seule, on peut se mettre à couvert de l'illusion des sophismes.

Au reste, dans tout ce que je viens de dire, je n'ai garde de blâmer ceux qui s'aident des règles syllogistiques pour découvrir la vérité. Il y a des yeux qui ont besoin de lunettes pour voir clairement et distinctement les objets ; mais ceux qui s'en servent, ne doivent pas dire pour cela que personne ne peut bien voir sans lunettes. On aura raison de juger de ceux qui en usent ainsi, qu'ils veulent un peu trop rabaisser la nature en faveur d'un art auquel ils sont peut-être redevables. Lorsque la raison est ferme et accoutumée à s'exercer, elle voit plus promptement et plus nettement par sa propre pénétration, que lorsqu'elle est offusquée, retenue et contrainte par les formes syllogistiques. Mais si l'usage de cette espèce de lunettes a si fort offusqué la vue d'un logicien, qu'il ne puisse voir sans leur secours, les conséquences ou les inconséquences d'un raisonnement, on aurait tort de le blâmer parce qu'il s'en sert. Chacun connait mieux qu'aucun autre ce qui convient le mieux à sa vue ; mais qu'il ne conclue pas de-là, que tous ceux qui n'emploient pas justement les mêmes secours qu'il trouve lui être nécessaires, sont dans les ténèbres ; quoiqu'à dire le vrai il paraisse assez plaisant, que la raison soit attachée à ces mots barbara, celarent, darii, ferio, etc. qui tiennent tant soit peu de la magie, et qui ne sont guère d'un plus grand secours à l'entendement, qu'ils ne sont doux à l'oreille. Il a été sans-doute permis à M. de Gravesande, de vouloir apprendre aux hommes à parler et à penser d'une manière juste et précise, par un certain arrangement de lettres de l'alphabet. Mais il serait fort injuste à lui de trouver mauvais qu'on se moquât d'une méthode si extraordinaire. Je pense, dit un critique moderne, que ces préceptes figureraient fort bien dans le Bourgeais Gentilhomme ; il me semble ouïr M. Jourdain, a e e, a o o, o a o, e i o, e a e, e a o. Que cela est beau ! que cela est savant ! La façon d'apprendre aux hommes à raisonner est bien sublime et bien élevée.

Montagne ne se contente pas de mépriser, ainsi que Locke, les règles de l'argumentation ; il prétend que la logique ordinaire ne sert qu'à former des pédants crottés et enfumés. " La plus expresse marque, dit-il, de la sagesse, c'est une jouïssance constante ; son état est comme des choses au-dessus de la lune toujours serein. Ces baroco et baralipton qui rendent leurs suppôts ainsi crottés et enfumés, ce n'est pas elle, ils ne la connaissent que par ouï-dire, comme elle fait état de sereiner les tempêtes de l'âme et d'apprendre à rire la faim et les fièvres, non par épicycles imaginaires, mais par raisons naturelles et probables ". Si Montagne avait Ve les a a et les o o du professeur hollandais, sans-doute qu'il en eut dit ce qu'il a dit des baroco et des baralipton.

Enfin pour terminer ce que j'ai à dire sur le syllogisme, je dirai qu'il est principalement d'usage dans les écoles, où l'on n'a pas honte de nier la convenance manifeste des idées, ou bien hors des écoles à l'égard de ceux qui, à l'occasion et à l'exemple de ce que les doctes n'ont pas honte de faire, ont appris aussi à nier sans pudeur la connexion des idées qu'ils ne peuvent s'empêcher de voir eux-mêmes. Pour ceux qui cherchent sincèrement la vérité, ils n'ont aucun besoin de ces formes syllogistiques, pour être forcés à reconnaître la conséquence, dont la vérité et la justesse paraissent bien mieux en mettant les idées dans un ordre simple et naturel. Delà vient que les hommes ne font jamais des syllogismes en eux-mêmes lorsqu'ils cherchent la vérité ; parce qu'avant de pouvoir mettre leurs pensées en forme syllogistique, il faut qu'ils voient la connexion qui est entre l'idée moyenne et les deux autres idées auxquelles elle est appliquée, pour faire voir leur convenance ; et lorsqu'ils voient une fois cela, ils voient si la conséquence est bonne ou mauvaise ; et par conséquent le syllogisme vient trop tard pour l'établir.

On croit, à la vérité, qu'il est à-propos de connaître le secret du syllogisme, pour démêler en quoi consiste le vice des raisonnements captieux, par lesquels, on voudrait nous embarrasser et nous surprendre, et dont la fausseté se dérobe sous l'éclat brillant d'une figure de rhétorique, et d'une période harmonieuse qui remplit agréablement l'esprit. Mais on se trompe en cela. Si ces sortes de discours vagues et sans liaison, qui ne sont pleins que d'une vaine rhétorique, imposent quelquefois à des gens qui aiment la vérité, c'est que leur imagination étant frappée par quelques métaphores vives et brillantes, ils négligent d'examiner quelles sont les véritables idées d'où dépend la conséquence du discours, ou bien éblouïs de l'éclat de ces figures, ils ont de la peine à découvrir ces idées. Mais pour leur faire voir la faiblesse de ces sortes de raisonnements, il ne faut que les dépouiller d'un faux éclat, qui impose d'abord à l'esprit, des idées superflues, qui, mêlées et confondues avec celles d'où dépend la conséquence, semblent faire voir une connexion où il n'y en a point ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nues, d'où dépend la force de l'argumentation ; et l'esprit venant à les considérer en elles-mêmes dans une telle position, voit bientôt, sans le secours d'aucun syllogisme, quelles connexions elles ont entr'elles. Les meilleurs ouvrages que nous ayons, les plus étendus, les plus clairs, les plus profonds et les mieux raisonnés, ne sont point hérissés de syllogismes, ils ne sont qu'un tissu de propositions ; tant il est vrai que l'art du syllogisme n'est pas le moyen le plus immédiat, le plus simple et le plus commode de découvrir et de démontrer la vérité. Lisez le chap. XIe qui traite de la raison, liv. IV. de l'essai sur l'entendement humain, où l'inutilité du syllogisme est approfondie.