adject. (Grammaire) le mot personnel signifie qui est relatif aux personnes, ou qui reçoit des inflexions relatives aux personnes. C'est dans le premier sens, que les Grammairiens ont distingué les pronoms personnels, parce que chacun de ces pronoms a un rapport fixe à l'une des trois personnes : et c'est dans le second sens que l'on peut dire que les verbes sont personnels, quand on les envisage comme susceptibles d'inflexions relatives aux personnes. Le mot impersonnel est composé de l'adjectif personnel, et de la particule privative in : il signifie donc, qui n'est pas relatif aux personnes, ou qui ne reçoit pas a'inflexions relatives aux personnes. Les Grammairiens qualifient d'impersonnels certains verbes qui n'ont, disent-ils, que la troisième personne du singulier dans tous leurs temps ; comme libet, licet, evenit, accidit, pluit, lucescit, oportet, piget, poenitet, pudet, miseret, taedet, itur, fletur, etc. Cette notion, comme on voit, s'accorde assez peu avec l'idée naturelle qui résulte de l'étymologie du mot ; et même elle la contredit, puisqu'elle suppose une troisième personne aux verbes que la dénomination indique comme privés de toutes personnes.

Les Grammairiens philosophes, comme Sanctius, Scioppius, et l'auteur de la Grammaire générale, ont relevé justement cette méprise ; mais ils sont tombés dans une autre : ils ne se contentent pas de faire entrer dans la définition des verbes impersonnels, la notion des personnes ; ils y ajoutent celle des temps et des nombres : quod certâ personâ non finitur, sed nec numerum aut tempus certum habet, ut amare, amavisse, dit Scioppius (Gram. philos. de verbo) ; impersonale illud omninò deberet esse, quòd personis, numeris, et temporibus careret, quale est amare et amari, dit Sanctius, (Minerv. lib. I. cap. xij.) N'est-il pas évident que les idées du nombre et du temps ne font rien à l'impersonnalité ? D'ailleurs, pour donner en ce sens la qualification d'impersonnels aux infinitifs amare, amavisse, amari, et semblables, il faut supposer que les infinitifs n'admettent aucune différence de temps, ainsi que le prétend en effet Sanctius (ibid. cap. xiv.) mais c'est une erreur fondée sur ce que ce savant homme n'avait pas des temps une notion bien exacte ; la distinction en est aussi réelle à l'infinitif qu'aux autres modes du verbe. (Voyez INFINITIF et TEMS) et l'auteur de la Grammaire générale (Part. II. ch. xix.) semble y avoir fait attention, lorsqu'il attribue au verbe impersonnel de marquer indéfiniment, sans nombre et sans personne.

En réduisant donc l'idée de la personnalité et de l'impersonnalité à la seule notion des personnes, comme le nom même l'exige ; ces mots expriment des propriétés, non d'aucun verbe pris dans sa totalité, mais des modes du verbe pris en détail : de manière que l'on peut distinguer dans un même verbe, des modes personnels et des modes impersonnels ; mais on ne peut dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

Les modes sont personnels ou impersonnels, selon que le verbe y reçoit ou n'y reçoit pas des inflexions relatives aux personnes ; et cette différence vient de celle des points de vue sous lesquels on y envisage la signification essentielle du verbe. Voyez MODES.) L'indicatif, l'impératif, et le subjonctif, sont des modes personnels ; l'infinitif et le participe sont des modes impersonnels. Les premiers sont personnels, parce que le verbe y reçoit des inflexions relatives aux personnes : à l'indicatif, 1. amo, 2. amas. 3. amat ; à l'impératif 2. ama ou amato, 3. amato ; au subjonctif, 1. amem, 2. âmes, 3. amet. Les derniers sont impersonnels, parce que le verbe n'y reçoit aucune inflexion relative aux personnes : à l'infinitif, amare et amavisse n'ont de rapport qu'au temps ; au participe, amatus, a, um, amandus, a, um, ont rapport au temps, au genre, au nombre, et au cas, mais non pas aux personnes.

Or il n'y a aucun verbe, dont la signification essentielle et générique ne puisse être envisagée sous chacun des deux points de vue qui fondent cette différence de modes : on ne peut donc dire d'aucun verbe, qu'il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

On m'objectera peut-être que la signification des mots étant arbitraire, les Grammairiens ont pu donner la qualification d'impersonnels à certains verbes défectifs qui n'ont que la troisième personne du singulier, et qui s'emploient sans application à aucun sujet déterminé ; qu'en ce cas, leur usage devient pour nous une loi inviolable, malgré toutes les raisons d'analogie et d'étymologie que l'on pourrait alléguer contre leur pratique.

Je connais toute l'étendue des droits de l'usage en fait de langue : mais j'observerai avec le P. Bouhours, (Rem. nouv. tom. IIe pag. 340.) que comme il y a un bon usage qui fait la loi en matière de langue, il y en a un mauvais contre lequel on peut se révolter justement ; et la prescription n'a point lieu à cet égard : j'ajouterai avec M. de Vaugelas, (Rem. sur la langue franç. tom. I. préf. pag. 20.) que le mauvais usage se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur ; que le bon au contraire est composé, non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix ; et que c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues. Si ces deux écrivains, reconnus avec justice pour les plus surs appréciateurs de l'usage, ont pu en distinguer un bon et un mauvais dans le langage national, et faire dépendre le bon de l'élite, et non de la pluralité des voix ; combien n'est-on pas plus fondé à suivre la même règle en fait du langage didactique, où tout doit être raisonné, et transmettre avec netteté et précision les notions fondamentales des Sciences et des Arts ? Si l'usage, dit encore M. de Vaugelas, (ibid. pag. 19.) n'est autre chose, comme quelques-uns se l'imaginent, que la façon ordinaire de parler d'une nation dans le siège de son empire ; ceux qui y sont nés et élevés, n'auront qu'à parler le langage de leurs nourrices et de leurs domestiques pour bien parler la langue de leur pays. J'en dis autant du langage didactique : s'il ne faut qu'adopter la façon ordinaire de parler de ceux qui se mêlent d'expliquer les principes des Arts et des Sciences ; il n'y a plus de choix à faire, les termes techniques ne feront plus techniques, par la raison même que souvent ils seront introduits par le hasard, ou même par l'erreur, plutôt que par la réflexion et par l'art.

Tel est en effet le mot impersonnel ; on l'applique mal, et il suppose faux. J'ai déjà fait sentir qu'il est mal appliqué, quand j'ai remarqué qu'il désigne comme privés de toutes personnes les prétendus verbes impersonnels, dans lesquels on reconnait néanmoins une troisième personne du singulier. Pour ce qui est de la supposition de faux, elle consiste en ce que les Grammairiens s'imaginent que ces verbes s'emploient sans application à aucun sujet déterminé, quoiqu'ils ne soient pas à l'infinitif, qui est le seul mode où le verbe puisse être dans cette indétermination. Voyez INFINITIF.

Mais ne nous contentons pas d'une remarque si générale ; peut-être ne serait-elle pas suffisante pour les Grammairiens qu'il s'agit de convaincre. Entrons dans une discussion détaillée des exemples les plus plausibles qu'ils alleguent en leur faveur. Ces verbes prétendus impersonnels sont de deux sortes ; les uns ont une terminaison active, et les autres une terminaison passive.

I. Parmi ceux de la première sorte, arrêtons-nous d'abord à cinq, qui dans les rudiments font ordinairement une figure très-considérable ; savoir miseret, piget, poenitet, pudet, taedet. On a déjà indiqué, article GENITIF, que ces verbes étaient réellement personnels, et appliqués à un sujet déterminé : le génitif qui les accompagne pour l'ordinaire, suppose un nom appelatif qui le précède dans l'ordre analytique, et dont il doit être le déterminatif ; que ferait-on de ce nom appelatif communément sousentendu, si on ne le mettait au nominatif comme sujet grammatical des verbes en question ? On trouve à l'article GENITIF, plusieurs exemples où l'on a suppléé ainsi ce nom ; mais on ne s'y est autorisé pour le faire, que d'un seul texte de Plaute, (stich. in arg.) et me quidem haec conditio nunc non poenitet, (& à la vérité cette condition ne me peine point à présent) ; explication littérale, qui fait assez sentir combien est possible l'application de ce verbe à d'autres sujets. Voici des preuves de fait pour les autres. On lit dans Valerius Flaccus, (lib. II. de Vulcano), Adelinem scopulo inveniunt, miserentque, foventque ; où l'on voit misèrent au pluriel, et appliqué au même sujet que les deux autres verbes inveniunt et fovent. Plaute nous fournit un passage où piget et pudet tout-à-la-fais sont appliqués personnellement, s'il est possible de le dire : quod pudet faciliùs fertur quàm illud quod piget ; (in Pseud.) Lucain emploie pudebunt au pluriel ; semper metuit quem saeva pudebunt supplicia ; et l'on trouve pudent dans Térence, non te haec pudent ? (in Adelph.) Pour ce qui est de taedet, on le trouve avec un sujet au nominatif dans Séneque, (lib. I. de irâ) ira ea taedet quae invasit : et Aulu-Gelle, (lib. I.) s'en sert même au pluriel ; verbis ejus defatigati pertaeduissent.

S'il s'agit des verbes qui expriment l'existence des météores et autres phénomènes naturels, comme pluit, fulminat, fulgurat, lucescit ; ils sont dans le même cas que les précédents. On trouve dans les écrivains les plus surs, des exemples où ils sont accompagnés de sujets particuliers, comme tous les autres verbes reconnus pour personnels. Malum quam impluit caeteris, non impluat mihi ; (Plaut. Mostell.) Multus ut in terras deplueritque lapis ; (Tib. lib. II.) non densior aère grando, nec de concussâ tantum pluit ilice glandis ; (Virg. Geor. IV.) Fulminat Aeneas armis ; (Id. Aen. XII.) Antra aetnea tonant (Id. Aen. VIII.) Et elucescet aliquando ille dies ; (Cic. pro Mil.) Vesperascente coelo Thebas possunt pervenire (Corn. Nep. Pelop.) Il serait superflu d'accumuler un plus grand nombre d'exemples ; mais je remarquerai que la manière dont quelques grammairiens veulent que l'on supplée le sujet de ces verbes, lorsqu'il n'est pas exprimé, ne me parait pas assez juste : ils veulent qu'on leur donne un sujet cognatae significationis, c'est-à-dire un nom qui ait la même racine que le verbe, et que l'on dise par exemple pluvia pluit, fulmen fulminat, fulgur fulgurat, lux lucescit. C'est introduire gratuitement un pléonasme ; ce qu'on ne doit jamais se permettre qu'en faveur de la netteté ou de l'énergie. On a voulu indiquer un moyen général de suppléer l'ellipse ; mais ne vaudrait-il pas mieux renoncer à cette vue, que de lui sacrifier la justesse de l'expression, comme il semble qu'on la sacrifie en effet dans lux lucescit ? Lux signifie proprement la splendeur du corps lumineux ; lucescit veut dire acquiert des degrés de splendeur ; car lucescère est un verbe inchoatif. Voyez INCHOATIF. Réunissez ces deux traductions, et jugez ; la splendeur acquiert des degrés de splendeur ! Consultons les bonnes sources, et réglons-nous dans chaque occurrence sur les exemples les plus analogues que nous aurons trouvés ailleurs : c'est, je crois, la règle générale la plus sure que l'on doive proposer, et qu'il faille suivre.

Parcourons encore quelques verbes de terminaison active, prétendus impersonnels par la foule des grammatistes, et cependant appliqués par les meilleurs auteurs à des sujets déterminés, quelquefois même au nombre pluriel.

Accidit. Qui dies quàm crebro accidat, experti debemus scire ; (Cic. pro Mil.) En accido ad tua genua ; (Tacit.)

Contingit. Nam neque divitibus contingunt gaudia solis. (Hor. epist. I. 17.)

Decet. Nec velle experiri quàm se aliena deceant ; id enim maximè quemque decet quod est cujusque maximè suum. (Cic. Offic. I.)

Libet et lubet. Nam quod tibi lubet, idem mihi libet. (Plaut. Mostell.)

Licet. Non mihi idem licet quod iis qui nobili genere nati sunt. (Cic.)

Licet et oportet. Est enim aliquid quod non oporteat, etiamsi liceat ; quidquid verò non licet, certè non oportet. (Cic. pro Balbo.)

Oportet. Haec facta ab illo oportebant. (Tèrent.) Adhuc Achillis quae adsolent, quaeque oportent signa ad salutem esse, omnia huic esse video. (Id.)

Si nous trouvons ces verbes appliqués à des sujets déterminés dans les exemples que l'on vient de voir, pourquoi faire difficulté de reconnaître qu'il en est encore de même, lorsque ces sujets ne sont pas exprimés, ou qu'ils sont moins apparents ? Me liceat casum miserari insontis amici ; (Aen. V.) le sujet de liceat dans ce vers, c'est me miserari casum insontis amici : c'est la même chose dans ce texte d'Horace, Licuit semperque licebit signatum praesente nota producère nomen ; (art poet. 58.) le sujet grammatical de licuit et de licebit, c'est l'infinitif producère ; le sujet logique, c'est signatum praesente notâ producère nomen. On lit dans Corn. Nepos, (Milt. 1.) Accidit ut Athenienses Chersonesum colonos vellent mittère ; la construction pleine montre clairement le sujet du verbe accidit : c'est res accidit ita ut Athenienses vellent mittère colonos in Chersonesum ; ou bien, haec res, ut Athenienses vellent mittère colonos in Chersonesum accidit : selon la première manière, le nom sous-entendu res est le sujet d'accidit, et ita ut Athenienses, etc. est une expression adverbiale, modificative du même verbe accidit ; selon la seconde manière, le nom sous-entendu res, n'en est que le sujet grammatical, haec ut Athenienses vellent, etc. est une proposition incidente, déterminative de res, et qui constitue avec res le sujet logique du verbe accidit. On peut, si je ne me trompe, choisir assez arbitrairement l'une de ces deux constructions, également approuvées par la saine Logique ; mais il résulte également de l'une et de l'autre qu'accidit n'est pas impersonnel. Je ne dois pas insister davantage sur cette matière ; il suffit ici d'avoir indiqué la voie pour découvrir le sujet de ces verbes revétus de la terminaison active, et taxés faussement d'impersonnalité.

II. Il ne faut pas croire davantage que ceux que l'on allegue sous la terminaison passive, soient employés sans relation à aucun sujet ; cela est absolument contraire à la nature des modes personnels, qui ne sont revétus de cette forme, que pour être mis en concordance avec le sujet particulier et déterminé auquel on les applique. Mais la méthode de trouver ce sujet mérite quelque attention ; et je ne puis approuver celle que Priscien enseigne, et qui a été adoptée ensuite par les meilleurs grammairiens.

Voici comment s'explique Priscien : (lib. XVIII.) sed si quis et haec omnia impersonnalia velit inspicère penitùs, ad ipsas res verborum referuntur, et sunt tertiae personae, etiamsi prima et secunda deficiant. Il ajoute un peu plus bas : possunt habere intellectum nominativum ipsius rei, quae in verbo intelligitur : nam cùm dico curritur, cursus intelligitur ; et sedetur, sessio ; et ambulatur, ambulatio ; sic et similia ; quae res in omnibus verbis etiam absolutis necesse est ut intelligatur ; ut vivo, vitam ; et ambulo, ambulationem ; et sedeo, sessionem ; et curro, cursum.

Sanctius, (Minerv. lib. III. cap. j.) donne à ces paroles de Priscien, le nom de paroles d'or, aurea Prisciani verba, tant la doctrine lui en parait plausible : aussi l'adopte-t-il dans toutes ses conséquences ; et il s'en sert (cap. iij.) pour prouver qu'il n'y a point de verbes neutres, et que tous sont actifs ou passifs. Pour moi je ne saurais me persuader, que pour rendre raison de quelques locutions particulières, il faille adopter universellement le pléonasme, qui est en soi un vice entièrement opposé à l'exactitude grammaticale, et qui n'est en effet permis en aucune langue, que dans quelques cas rares, et pour des vues particulières que l'art de la parole ne doit point négliger. " Il y aurait autant de raison, comme l'observe très-bien M. Lancelot, (Grammaire gén. part. II. ch. xviij.) de prétendre que quand on dit homo candidus, il faut sous-entendre candore, que de s'imaginer que quand on dit currit, il faut sous-entendre cursum, ou currere ". Toute la langue latine deviendrait donc un pléonasme perpétuel : que dis-je ? il en serait ainsi de toutes les langues ; et rien ne me dispenserait de dire que je dormais, signifie en français, je dormais le dormir ; et ainsi du reste. Credat judaeus Apella, non ego.

Tout le monde sait que l'on dit également en latin, multi homines reperiuntur, plusieurs hommes sont trouvés, et multos homines reperire est, trouver, ou l'action de trouver plusieurs hommes, est ; ce qui signifie également, selon le tour de notre langue, on trouve plusieurs hommes. C'est ainsi que Virgile (Aen. VI. 595.) dit, Necnon et Tityon terrae omnipotentis alumnum cernere erat, et qu'il aurait pu dire, n'eut été la contrainte du vers, Necnon et Tityus terrae omnipotentis alumnus cernebatur. Il n'y a plus qu'à se laisser aller au cours des conséquences de cette observation fondamentale, afin d'expliquer la langue latine par elle-même, plutôt que par des suppositions arbitraires et peu justes. Itur, fletur, statur, curritur, etc. sont pareillement des expressions équivalentes à ire est, flere est, stare est, currere est ; ce qui parait sans-doute plus raisonnable que ire, ou itio itur ; flere, ou fletus fletur ; stare, ou statio statur ; currere, ou cursus curritur ; quoiqu'en ait pensé Priscien, et ceux qui l'ont répété d'après lui. Or dans ire est, flere est, stare est, il y a très-nettement un sujet, savoir, ire, flere, stare ; et le verbe personnel est : itur, fletur, statur, ne sont que des expressions abrégées, qui renferment tout-à-la-fais le sujet et le verbe, de même à-peu-près que eo, fleo, sto, sont équivalents à ego sum iens, ego sum flents, ego sum stants, renfermant conjointement le sujet de la première personne, et le verbe.

On a coutume de regarder comme un latinisme très-éloigné des lois de la syntaxe générale, le tour ire est ; et je ne sais si l'on s'est doute que l'équivalent itur s'écartât le moins du monde des lois les plus ordinaires ; c'est pourtant l'expression la moins naturelle des deux, et la plus difficîle à justifier. Ire est l'action d'aller, cela est simple, quand on ne veut affirmer que l'action d'aller, sans assigner à cet acte aucun sujet déterminé. Mais comment le tour passif itur peut-il présenter la même idée ? c'est que l'effet produit par une cause est en soi purement passif, et n'existe que passivement ; ainsi il suffit d'employer la voix passive pour affirmer l'existence passive de cet effet, quand on ne veut pas en désigner la cause active. Ceci me parait encore naturel, mais beaucoup plus détourné que le premier moyen ; et par conséquent le second tour approche plus que le premier de ce que l'on nomme idiotisme.

Cette observation me conduit à une question qui y a bien du rapport, et qui Ve peut-être apprêter à rire à cette foule d'érudits, qui ont garni leur mémoire de tous les mots et de tous les tours matériels de la langue latine, sans en approfondir un seul ; qui en connaissent la lettre, si l'on veut, mais qui n'en ont jamais pénétré l'esprit. Itum est, fletum est, statum est, on alla, on pleura, on s'arrêta ; ces tours sont-ils actifs ou passifs ?

Afin de répondre avec précision, qu'il me soit permis de remarquer en premier lieu que, ire est est au présent, itum est au prétérit, et eundum est au futur ; personne apparemment ne le contestera. En second lieu que ces trois tours sont analogues entr'eux, puisque dans tous trois, l'idée individuelle de la signification du verbe ire est employée comme sujet du verbe substantif ; d'où il suit que ces trois expressions sont comparables entr'elles, comme parties d'une même conjugaison, de la même manière, quant au sens, que doceo, docui, docturus sum. Il en est donc du sens d'itum est, comme de celui d'ire est, et de celui d'eundum est ; mais il est hors de doute que ire est est un tour actif, et il est aisé de prouver qu'il en est de même de eundum est. On lit dans Virgile (Aenéide XI. 230.) pacem trojano ab rege petendum, il faut demander la paix au prince troyen : pacem est à l'accusatif à cause du verbe actif petendum, qui n'est autre chose que le gérondif de petère, et qui n'en diffère que par la relation au temps. Nos rudimentaires modernes imagineront peut-être une faute des copistes à ce vers de Virgile, et croiront qu'il faut lire petendam, afin de ne pas y avouer le sens actif, mais mal-à-propos. Servius qui vivait au quatrième siècle, dont le latin était la langue naturelle, et qui nous a laissé sur Virgile un commentaire estimé, loin de vouloir esquiver pacem petendum, remarque que c'est un tour nécessaire quand on emploie le gérondif ; cum per gerundi modum aliquid dicimus, per accusativum elocutionem formemus necesse est, ut petendum mihi est equum ; il ajoute à cela un exemple pris dans Lucrèce, aeternas quoniam poenas in morte timendum. Min-Ellius, dans ses annotations sur Virgile, observe sur le même vers que c'est une façon de parler familière à Lucrèce, dont il cite d'abord le même exemple que Servius, et ensuite un second, motu privandum est corpora. Il faut donc avouer que comme petendum est pacem est une locution active, eundum est à plus forte raison doit être pris également dans le sens actif ; devoir aller, eundum est, est ; devoir aller est, c'est-à-dire on doit aller, comme aller est, ire est, signifie on va.

Servius au même endroit déjà cité, après l'exemple tiré de Lucrèce, en ajoute un autre tiré de Salluste, castra sine vulnere introitum, mettant ainsi sur la même ligne petendum, timendum et introitum, qu'il désigne également par la dénomination de gerundi modus. Sur le servitum matribus ibo (Aeneide II. 786.) il s'était expliqué de même, modus gerundi est, et à propos de quis talia fando, etc. (ibid. 6.) gerundi modus est, dit-il, sive pro infinitivo modo dictum accipiunt. Ce dernier mot est important ; il prouve que ire, itum et eundum, sont également du mode infinitif, et qu'apparemment ils ne doivent différer entr'eux que par les relations temporelles ; aussi n'est-ce que par ces mots que diffèrent les trois phrases ire est, itum est, eundum est, que nous traduisons activement par on va, on est allé, on doit aller.

Concluons donc par analogie que itum est est également actif, qu'il signifie littéralement être allé est, et selon le tour français, on est allé.

Il faut bien que Varron ait pensé que le supin spectatum avait le sens actif, quand il a dit esse in Arcadia scio spectatum suem pour spectasse, dit la méthode latine de Port-royal. Et Plaute a dit dans le même sens (Amphytr. in prol.) justam rem et facilem esse oratum à vobis volo : sur quoi il est bon de remarquer que sans volo, ce comique aurait dit, justam rem et facilem esse oratum à vobis, conformément à l'analogie que j'établis ici, et que lui-même a suivie dans le texte dont il s'agit.

Quelques-uns de nos grammairiens français, par un attachement aveugle à la prétendue impersonnalité des verbes latins, ont voulu la retrouver dans notre phrase française, on va, on est allé, on doit aller ; il faut, il pleut, etc. mais il est évident que c'est fermer les yeux à la lumière : quelle que puisse être l'origine de notre on, il est constant que c'est un pronom général qui désigne par l'idée précise de la troisième personne, un sujet d'une nature quelconque, et conséquemment qu'il n'y a point d'impersonnalité partout où on le rencontre. Dans les autres exemples notre il est chargé des mêmes fonctions, avec cette différence que on fixe plus particulièrement l'attention sur les hommes, et que il détermine d'une manière plus générale. Il pleut, c'est-à-dire, l'eau pleut. Il faut aimer Dieu, il est un pronom appelatif, déterminé par ces mots aimer Dieu, de sorte que le sujet total est il aimer Dieu ; faut manque, est nécessaire, à l'imitation du desideratur latin. Il y a des hommes, ou plusieurs philosophes qui le nient, c'est-à-dire il des hommes, ou il savoir plusieurs philosophes qui le nient, a place ici. Dans il des hommes le déterminatif de il y est joint par la préposition de ; dans il plusieurs philosophes, le déterminatif est joint à il par simple opposition, comme cela était très-commun al temps Innocent III. Villehardouin.