EXPLÉTIVE, adj. terme de Grammaire. On dit, mot explétif (méthode grecque, liv. VIIIe c. XVe art. 4 ; et l'on dit particule explétive. Servius (Aenaeid. vers. 424.) dit, expletiva conjunctio, et l'on trouve dans Isidore, liv. I. chap. XIe conjunctiones expletivae. Au lieu d'explétif et d'explétive, on dit aussi superflu, aisif, surabondant.

Ce mot explétif vient du latin explere, remplir. En effet, les mots explétifs ne servent, comme les interjections, qu'à remplir le discours, et n'entrent pour rien dans la construction de la phrase, dont on entend également le sens, soit que le mot explétif soit énoncé ou qu'il ne le soit pas.

Notre moi et notre vous sont quelquefois explétifs dans le style familier : on se sert de moi quand on parle à l'impératif et au présent : on se sert de vous dans les narrations, Tartuffe, dans Moliere, act. IIIe sc. 2. voyant Dorine, dont la gorge ne lui paraissait pas assez couverte, tire un mouchoir de sa poche, et lui dit :

.... Ah, mon Dieu, je vous prie,

Avant que de parler, prenez -moi ce mouchoir !

& Marot a dit :

Faites-les moi les plus laids que l'on puisse ;

Pochez cet oeil, fessez -moi cette cuisse.

Ensorte que lorsque je lis dans Térence (Heaut. act. j. sc. 4. vers. 32.), fac me ut sciam, je suis fort tenté de croire que ce me est explétif en latin, comme notre moi en français.

On a aussi plusieurs exemples du vous explétif, dans les façons de parler familières : il vous la prend, et l'emporte, etc. Notre même est souvent explétif : le roi y est venu lui-même : j'irai moi-même, ce même n'ajoute rien à la valeur du mot roi, ni à celle de je.

Au troisième livre de l'Enéide de Virgile, vers 632. Achéménide dit qu'il a Ve lui-même le Cyclope se saisir de deux autres compagnons d'Ulysse, et les dévorer :

Vidi, ego-met, duo de numero, &c.

Où vous voyez qu'après vidi et après ego, la particule met n'ajoute rien au sens, ainsi met est une particule explétive, dont il y a plusieurs exemples : ego-met narrabo (Térence, Adelphes, act. iv. sc. 3. vers. 13.), et dans Cicéron, au liv. V. épitr. IXe Vatinius prie Cicéron de le recevoir tout entier sous sa protection, suscipe me-met totum ; c'est ainsi qu'on lit dans les manuscrits.

La syllabe er, ajoutée à l'infinitif passif d'un verbe latin, est explétive, puisqu'elle n'indique ni temps, ni personne, ni aucun autre accident particulier du verbe, il est vrai qu'en vers, elle sert à abrévier l'i de l'infinitif, à fournir un dactyle au poète ; c'est la raison qu'en donne Servius sur ce vers de Virgile :

Dulce caput, magicas invitam accingi-er artes.

III. En. Ve 493.

Accingier, id est, praeparari, dit Servius ; ACCINGIER autem ut ad infinitum modum ER addatur, ratio efficit metri ; nam cum in eo ACCINGI ultima sit longa, additâ ER syllabâ, brevis fit (Servius : ibid.) Mais ce qui est remarquable, et ce qui nous autorise à regarder cette syllabe comme explétive, c'est qu'on en trouve aussi des exemples en prose : Vatinius cliens, pro se causam DICIER vult, apud Cic. liv. V. ad familiares, epist. IXe Quand on ajoute ainsi quelque syllabe à la fin d'un mot, les Grammairiens disent que c'est une figure qu'ils appellent paragoge.

Parmi nous, dit M. l'abbé Regnier, dans sa grammaire, pag. 565. in -4°. il y a aussi des particules explétives ; par exemple, les pronoms me, te, se, joints à la particule en, comme quand on dit : je m'en retourne, il s'en Ve ; les pronoms moi, toi, lui, employés par repétition : s'il ne veut pas vous le dire, je vous le dirai, moi ; il ne m'appartient pas, à moi, de me mêler de vos affaires ; il lui appartient bien, à lui, de parler comme il fait, &c.

Ces mots enfin, seulement, à tout hasard, après tout, et quelqu'autres, ne doivent souvent être regardés que comme des mots explétifs et surabondants, c'est-à-dire des mots qui ne contribuent en rien à la construction ni au sens de la proposition, mais ils ont deux services.

1°. Nous avons remarqué ailleurs que les langues se sont formées par usage et comme par une espèce d'instinct, et non après une délibération raisonnée de tout un peuple ; ainsi quand certaines façons de parler ont été autorisées par une longue pratique, et qu'elles sont reçues parmi les honnêtes gens de la nation, nous devons les admettre, quoiqu'elles nous paraissent composées de mots redondants et combinés d'une manière qui ne nous parait pas régulière.

Avons-nous à traduire ces deux mots d'Horace, sunt quos, etc. au lieu de dire, quelques-uns sont qui, etc. nous devons dire, il y en a qui, etc. ou prendre quelqu'autre tour qui soit en usage parmi nous.

L'académie Française a remarqué que dans cette phrase : c'est une affaire où il y Ve du salut de l'état, la particule y parait inutile, puisque où suffit pour le sens ; mais, dit l'académie, ce sont là des formules dont on ne peut rien ôter (remarques et décisions de l'acad. Franç. chez Coignard, 1698.) : la particule ne est aussi fort souvent explétive, et ne doit pas pour cela être retranchée : j'ai affaire, et je ne veux pas qu'on vienne m'interrompre ; je crains pourtant que vous ne veniez : que fait là ce ne ? c'est votre venue que je crains ; je devrais donc dire simplement, je crains que vous veniez : non, dit l'académie, il est certain, ajoute-t-elle, aussi-bien que Vaugelas, Bouhours, etc. qu'avec craindre, empêcher, et quelqu'autres verbes, il faut nécessairement ajouter la négative ne : j'empêcherai bien que vous ne soyez du nombre, etc. Remarq. et décis. de l'acad. pag. 30.

C'est la pensée habituelle de celui qui parle, qui attire cette négation : je ne veux pas que vous veniez ; je crains, en souhaitant que vous ne veniez pas : mon esprit tourné vers la négation, la met dans le discours. Voyez ce que nous avons dit de la syllepse et de l'attraction, au mot CONSTRUCTION, tom. IV. pag. 78 et 79.

Ainsi le premier service des particules explétives, c'est d'entrer dans certaines façons de parler consacrées par l'usage.

Le second service, et le plus raisonnable, c'est de répondre au sentiment intérieur dont on est affecté, et de donner ainsi plus de force et d'énergie à l'expression. L'intelligence est prompte ; elle n'a qu'un instant, spiritus quidem promptus est ; mais le sentiment est plus durable ; il nous affecte, et c'est dans le temps que dure cette affection, que nous laissons échapper les interjections, et que nous prononçons les mots explétifs, qui sont une sorte d'interjection, puisqu'ils sont un effet du sentiment.

C'est à vous à sortir, vous qui parlez.

Moliere.

Vous qui parlez, est une phrase explétive, qui donne plus de force au discours.

Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,

Ce qu'on appelle vu.

Moliere, Tartuffe, act. Ve sc. 3.

Et je ne puis du tout me mettre dans l'esprit,

Qu'il ait osé tenter les choses que l'on dit. Id. ib.

Ces mots, Ve de mes yeux, du tout, sont explétifs, et ne servent qu'à mieux assurer ce que l'on dit : je ne parle pas sur le témoignage d'un autre ; je l'ai Ve moi-même ; je l'ai entendu de mes propres oreilles : et dans Virgile, au neuvième livre de l'Enéide, vers 457.

Me, me adsum qui feci, in me convertite ferrum.

Ces deux premiers me ne sont là que par énergie et par sentiment : elocutio est dolore turbati, dit Servius. (F)