S. f. terme de Grammaire, c'est la manière de faire prendre à un mot toutes les formes dont il est susceptible, pour lui faire exprimer toutes les idées accessoires que l'on peut joindre à l'idée fondamentale qu'il renferme dans sa signification.

Cette définition n'a pas dans l'usage ordinaire des Grammairiens, toute l'étendue qui lui convient effectivement. Par formation, ils n'entendent ordinairement que la manière de faire prendre à un mot les différentes terminaisons ou inflexions que l'usage a établies pour exprimer les différents rapports du mot à l'ordre de l'énonciation. Ce n'est donc que ce que nous désignons aujourd'hui par les noms de déclinaison et de conjugaison (Voyez ces deux mots), et que les anciens comprenaient sous le nom général et unique de déclinaison.

Mais il est encore deux autres espèces de formation, qui méritent singulièrement l'attention du grammairien philosophe ; parce qu'on peut les regarder comme les principales clés des langues : ce sont la dérivation et la composition. Elles ne sont pas inconnues aux Grammairiens qui dans l'énumération de ce qu'ils appellent les accidents des mots, comptent l'espèce et la figure : ainsi, disent-ils, les mots sont de l'espèce primitive ou dérivée, et ils sont de la figure simple ou composée. Voyez ACCIDENT.

Peut-être se sont-ils crus fondés à ne pas réunir la dérivation et la composition avec la déclinaison et la conjugaison, sous le point de vue général de formations ; car c'est à la Grammaire, peut-on dire, d'apprendre les inflexions, destinées par l'usage à marquer les diverses relations des mots à l'ordre de l'énonciation, afin qu'on ne tombe pas dans le défaut d'employer l'une pour l'autre : au lieu que la dérivation et la composition ayant pour objet la génération même des mots, plutôt que leurs formes grammaticales, il semble que la Grammaire ait droit de supposer les mots tout faits, et de n'en montrer que l'emploi dans un discours.

Ce raisonnement qui peut avoir quelque chose de spécieux, n'est au fond qu'un pur sophisme. La Grammaire n'est, pour ainsi dire, que le code des décisions de l'usage sur tout ce qui appartient à l'art de la parole : par-tout où l'on trouve une certaine uniformité usuelle dans les procédés d'une langue, la Grammaire doit la faire remarquer, et en faire un principe, une loi. Or on verra bien-tôt que la dérivation et la composition sont assujetties à cette uniformité de procédés, que l'usage seul peut introduire et autoriser. La Grammaire doit donc en traiter, comme de la déclinaison et de la conjugaison ; et nous ajoutons qu'elle doit en traiter sous le même titre, parce que les unes comme les autres envisagent les diverses formes qu'un même mot peut prendre pour exprimer, comme on l'a déjà dit, les idées accessoires, ajoutées et subordonnées à l'idée fondamentale, renfermée essentiellement dans la signification de ce mot.

Pour bien entendre la doctrine des formations, il faut remarquer que les mots sont essentiellement les signes des idées et qu'ils prennent différentes dénominations, selon la différence des points de vue sous lesquels on envisage leur génération et les idées qu'ils expriment. C'est de-là que les mots sont primitifs ou dérivés, simples ou composés.

Un mot est primitif relativement aux autres mots qui en sont formés, pour exprimer avec la même idée originelle quelque idée accessoire qui la modifie ; et ceux-ci sont les dérivés, dont le primitif est en quelque sorte le germe.

Un mot est simple relativement aux autres mots qui en sont formés, pour exprimer avec la même idée quelqu'autre idée particulière qu'on lui associe ; et ceux-ci sont les composés, dont le simple est en quelque sorte l'élément.

On donne en général le nom de racine, ou de mot radical à tout mot dont un autre est formé, soit par dérivation, soit par composition ; avec cette différence néanmoins, qu'on peut appeler racines génératrices les mots primitifs à l'égard de leurs dérivés, et racines élémentaires, les mots simples à l'égard de leurs composés.

Eclaircissons ces définitions par des exemples tirés de notre langue. Voici deux ordres différents de mots dérivés d'une même racine génératrice, d'un même mot primitif destiné en général à exprimer ce sentiment de l'âme qui lie les hommes par la bienveillance. Les dérivés du premier ordre sont amant, amour, amoureux, amoureusement, qui ajoutent à l'idée primitive du sentiment de bienveillance, l'idée accessoire de l'inclination d'un sexe pour l'autre : et cette inclination étant purement animale, rend ce sentiment aveugle, impétueux, immodéré, etc. Les dérivés du second ordre sont ami, amitié, amical, amicalement, qui ajoutent à l'idée primitive du sentiment de bienveillance, l'idée accessoire d'un juste fondement, sans distinction de sexe ; et ce fondement étant raisonnable, rend ce sentiment éclairé, sage, modéré, etc. Ainsi ce sont deux passions toutes différentes qui sont l'objet fondamental de la signification commune des mots de chacun de ces deux ordres : mais ces deux passions portent l'une et l'autre sur un sentiment de bienveillance, comme sur une tige commune. Si nous les mettons maintenant en parallèle, nous verrons de nouvelles idées accessoires et analogues modifier l'une ou l'autre de ces deux idées fondamentales : les mots amant et ami expriment les sujets en qui se trouve l'une ou l'autre de ces deux passions. Amour et amitié expriment ces passions mêmes d'une manière abstraite, et comme des êtres réels ; les mots amoureux et amical servent à qualifier le sujet qui est affecté par l'une ou par l'autre de ces passions : les mots amoureusement, amicalement, servent à modifier la signification d'un autre mot, par l'idée de cette qualification. Amant et ami sont des noms concrets ; amour et amitié des noms abstraits ; amoureux et amical sont des adjectifs ; amoureusement et amicalement sont des adverbes.

La syllabe génératrice commune à tous ces mots est la syllabe am, qui se retrouve la même dans les mots latins amator, amor, amatorius, amatoriè, &c... amicus, amicè, amicitia, etc. et qui vient probablement du mot grec , una, simul ; racine qui exprime assez bien l'affinité de deux cœurs réunis par une bienveillance mutuelle.

Les mots ennemi, inimitié, sont des mots composés, qui ont pour racines élémentaires les mots ami et amitié, assez peu altérés pour y être reconnaissables, et le petit mot in ou en, qui dans la composition marque souvent opposition, voyez PREPOSITION. Ainsi ennemi signifie l'opposé d'ami ; inimitié exprime le sentiment opposé à l'amitié.

Il en est de même et dans toute autre langue, de tout mot radical, qui par ses diverses inflexions, ou par son union à d'autres radicaux, sert à exprimer les diverses combinaisons de l'idée fondamentale dont il est le signe, avec les différentes idées accessoires qui peuvent la modifier ou lui être associées. Il y a dans ce procédé commun à toutes les langues un art singulier, qui est peut-être la preuve la plus complete qu'elles descendent toutes d'une même langue, qui est la souche originelle : cette souche a produit des premières branches, d'où d'autres sont sorties et se sont étendues ensuite par de nombreuses ramifications. Ce qu'il y a de différent d'une langue à l'autre, vient de leur division même, de leur distinction, de leur diversité : mais ce qu'on trouve de commun dans leurs procédés généraux, prouve l'unité de leur première origine. J'en dis autant des racines, soit génératrices soit élémentaires, que l'on retrouve les mêmes dans quantité de langues, qui semblent d'ailleurs avoir entr'elles peu d'analogie. Tout le monde sait à cet égard ce que les langues grecque, latine, teutone, et celtique, ont fourni aux langues modernes de l'Europe, et ce que celles-ci ont mutuellement emprunté les unes des autres ; et il est constant que l'on trouve dans la langue des Tartares, dans celle des Perses et des Turcs, et dans l'allemand moderne, plusieurs radicaux communs.

Quoi qu'il en sait, il résulte de ce qui vient d'être dit, qu'il y a deux espèces générales de formations qui embrassent tout le système de la génération des mots ; ce sont la composition et la dérivation.

La composition est la manière de faire prendre à un mot, au moyen de son union avec quelqu'autre, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées particulières qui peuvent s'associer à celle dont il est le type.

La dérivation est la manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent modifier celle dont il est le type.

Or deux sortes d'idées accessoires peuvent modifier une idée primitive : les unes, prises dans la chose même, influent tellement sur celle qui leur sert en quelque sorte de base, qu'elles en font une toute autre idée ; et c'est à l'égard de cette nouvelle espèce d'idées, que la première prend le nom de primitive ; telle est l'idée exprimée par canere, à l'égard de celles exprimées par cantare, cantitare, canturire : canere présente l'action de chanter, dépouillée de toute autre idée accessoire ; cantare l'offre avec une idée d'augmentation ; cantitare, avec une idée de répétition ; et canturire présente cette action comme l'objet d'un désir vif.

Les autres idées accessoires qui peuvent modifier l'idée primitive, viennent non de la chose même, mais des différents points de vue qu'envisage l'ordre de l'énonciation ; en sorte que la première idée demeure au fond toujours la même : elle prend alors à l'égard de ces idées accessoires, le nom d'idée principale : telle est l'idée exprimée par canere, qui demeure la même dans la signification des mots cano, canis, canit, canimus, canitis, canunt : tous ces mots ne diffèrent entr'eux que par les idées accessoires des personnes et des nombres ; voyez PERSONNE et NOMBRE. Dans tous, l'idée principale est celle de l'action de chanter présentement : telle est encore l'idée de l'action de chanter attribuée à la première personne, à la personne qui parle ; laquelle idée est toujours la même dans la signification des mots cano, canam, canebam, canerem, cecini, cecineram, cecinero, cecinissem ; tous ces mots ne diffèrent entr'eux que par les idées accessoires des temps. Voyez TEMS.

Telle est enfin l'idée de chanteur de profession, qui se retrouve la même dans les mots cantator, cantatoris, cantatori, cantatorem, cantatore, cantatores, cantatorum, cantatoribus ; lesquels ne diffèrent entr'eux que par les idées accessoires des cas et des nombres. Voyez CAS et NOMBRE.

De cette différence d'idées accessoires naissent deux sortes de dérivation ; l'une que l'on peut appeler philosophique, parce qu'elle sert à l'expression des idées accessoires propres à la nature de l'idée primitive, et que la nature des idées est du ressort de la Philosophie ; l'autre, que l'on peut nommer grammaticale, parce qu'elle sert à l'expression des points de vue exigés par l'ordre de l'énonciation, et que ces points de vue sont du ressort de la Grammaire.

La dérivation philosophique est donc la manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent modifier en elle-même l'idée primitive, sans rapport à l'ordre de l'énonciation : ainsi cantare, cantitare, canturire, sont dérivés philosophiquement de canere ; parce que l'idée primitive exprimée par canere y est modifiée en elle-même, et sans aucun rapport à l'ordre de l'énonciation. Felicior et felicissimus sont aussi dérivés philosophiquement de felix, pour les mêmes raisons.

La dérivation grammaticale est la manière de faire prendre à un mot, au moyen de ses diverses inflexions, les formes établies par l'usage pour exprimer les idées accessoires qui peuvent présenter l'idée principale, sous différents points de vue relatifs à l'ordre de l'énonciation : ainsi canis, canit, canimus, canitis, canunt, canebam, canebas, etc. sont dérivés grammaticalement de cano ; parce que l'idée principale exprimée par cano y est modifiée par différents rapports à l'ordre de l'énonciation, rapports de nombres, rapports de temps, rapports de personnes : cantatoris, cantatori, cantatorem, cantatores, cantatorum, etc. sont aussi dérivés grammaticalement de cantator, pour des raisons toutes pareilles.

Pour la facilité du commerce des idées, et des services mutuels entre les hommes, il serait à désirer qu'ils parlassent tous une même langue, et que dans cette langue, la composition et la dérivation, soit philosophique soit grammaticale, fussent assujetties à des règles invariables et universelles : l'étude de cette langue se réduirait alors à celle d'un petit nombre de radicaux, des lois de la formation, et des règles de la syntaxe. Mais les diverses langues des habitants de la terre sont bien éloignées de cette utîle régularité : il y en a cependant qui en approchent plus que les autres.

Les langues grecque et latine, par exemple, ont un système de formation plus méthodique et plus fécond que la langue française, qui forme les dérivés d'une manière plus coupée, plus embarrassée, plus irrégulière, et qui tire de son propre fonds moins de mots composés, que de celui des langues grecque et latine. Quoi qu'il en sait, ceux qui désirent faire quelque progrès dans l'étude des langues, doivent donner une attention singulière aux formations des mots ; c'est le seul moyen d'en connaître la juste valeur, de découvrir l'analogie philosophique des termes, de pénétrer jusqu'à la métaphysique des langues, et d'en démêler le caractère et le génie ; connaissances bien plus solides et bien plus précieuses que le stérîle avantage d'en posséder le pur matériel, même d'une manière imperturbable. Pour faire sentir la vérité de ce qu'on avance ici, nous nous contenterons de jeter un simple coup-d'oeil sur l'analogie des formations latines ; et nous sommes surs que c'est plus qu'il n'en faut, non-seulement pour convaincre les bons esprits de l'utilité de ce genre d'étude, mais encore pour leur en indiquer en quelque sorte le plan, les parties, les sources même, les moyens, et la fin.

Il faut donc observer, 1°. que la composition et la dérivation ont également pour but d'exprimer des idées accessoires ; mais que ces deux espèces de formations emploient des moyens différents et en un sens opposé.

Dans la composition, les idées accessoires s'expriment, pour la plupart, par des noms ou des prépositions qui se placent à la tête du mot primitif ; au lieu que dans la dérivation elles s'expriment par des inflexions qui terminent le mot primitif : fidi-cen, tibi-cinium, vati-cinari, vati-cinatio, ju-dex, ju-dicium, ju-dicare, ju-dicatio ; par-ticeps, parti-cipium, parti-cipare, parti-cipatio ; ac-cinere, con-cinere ; in-cinere, inter-cinere ; ad-dicère, con-dicère, in-dicère, inter-dicère ; ac-cipere, con-cipere, in-cipere, inter-cipere : voilà autant de mots qui appartiennent à la composition. Canere, canax, cantio, cantus, cantor, cantrix, cantare, cantatio, cantator, cantatrix, cantitare, canturire, cantillare ; dicère, dicax, dicacitas, dictio, dictum, dictor, dictare, dictatio, dictator, dictatrix, dictatura, dictitare, dicturire ; capere, capax, capacitas, capessere, captio, captus, captura, captare, captatio, captator, captatrix, etc. ce sont des mots qui sont du ressort de la dérivation.

Il faut observer, 2°. qu'il y a deux sortes de racines élémentaires qui entrent dans la formation des composés ; les unes sont des mots qui peuvent également paraitre dans le discours sous la figure simple et sous la figure composée ; c'est-à-dire seuls ou joints à un autre mot : telles sont les racines élémentaires des mots magnanimus, respublica, senatusconsultum, qui sont magnus et animus, res et publica, senatus et consultum : les autres sont absolument inusitées hors de la composition, quoiqu'anciennement elles aient pu être employées comme mots simples : telles sont jux et jugium, ses et sidium, ex et igium, plex et plicium, spex et spicium, stes et stitium, que l'on trouve dans les mots conjux, conjugium ; praeses, praesidium ; remex, remigium ; supplex, supplicium ; extispex, frontispicium ; antistes, solstitium.

Il faut observer, 3°. qu'il y a quantité de mots réellement composés, qui au premier aspect peuvent paraitre simples, à cause de ces racines élémentaires inusitées hors de la composition ; quelque sagacité et un peu d'attention suffisent pour en faire démêler l'origine : tels sont les mots judex, justus, justitia, juvenis, trinitas, aeternitas ; et une infinité d'autres. Judex renferme dans sa composition les deux racines jus et dex : cette dernière se trouve employée hors de la composition dans Cicéron ; dicis gratiâ, par manière de dire : judex signifie donc jus dicens, ou qui jus dicit ; et c'est effectivement l'idée que nous avons de celui qui rend la justice : ce qui prouve, pour le dire en passant, que la définition de nom, comme parlent les Logiciens, diffère assez peu, quand elle est exacte, de la définition de chose. Il en est de même de la définition étymologique de justus et de justitia : le premier signifie in jure stants, et le second, in jure constantia ; expressions conformes à l'idée que nous avons de l'homme juste et de la justice.

Quand à juvenis, il parait signifier juvando ennis ; et cet ennis est un adjectif employé dans bi-ennis, triennis, etc. pour signifier qui a des années : perennis parait n'en être que le superlatif, tant par sa forme que par sa signification, ainsi juvenis veut dire juvando ennis, qui a assez d'années pour aider ; cela est d'autant plus probable, que juvenis est effectivement relatif au nombre des années ; et que tout homme parvenu à cet âge, est dans l'obligation réelle de mériter par ses propres services les secours qu'il tire de la société. Au reste la suppression d'une n dans juvenis ne le tire pas plus de l'analogie, que le changement de cette lettre en m n'en tire le mot de solennis, qui semble être formé de solitò ennis, et signifie solitus quot annis, qui fieri solet quot annis ; et de fait, dans plusieurs bréviaires on trouve le mot d'annuel pour celui de solennel, dans la qualification des fêtes.

Les mots trinitas et aeternitas sont également composés : trinitas n'est autre chose que trium unitas ; expression fidèle de la foi de l'Eglise catholique sur la nature de Dieu ; trinus et unus ; trinus in personis, unus in substantiâ. Pour ce qui est du mot aeternitas, il signifie aevi-trinitas, ou aevi triplicis unitas, la trinité du temps qui réunit et embrasse tout à la fois le présent, le passé, et le futur.

Il faut observer, 4°. que la composition et la dérivation concourent souvent à la formation d'un même mot ; en sorte que l'on trouve des primitifs simples et des primitifs composés, comme des dérivés simples et des dérivés composés. Capio est un primitif simple ; particeps est un primitif composé ; capax est un dérivé simple ; participare est un dérivé composé. Les uns et les autres sont également susceptibles des formes de la dérivation philosophique et de la dérivation grammaticale : capio, capis, capit ; particeps, participis, participi ; capax, capacis, capaci ; participo, participas, participat.

Il faut observer, 5°. que les primitifs n'ont pas tous le même nombre de dérivés, parce que toutes les idées primitives ne sont pas également susceptibles du même nombre d'idées modificatives ; ou que l'usage n'a pas établi le même nombre d'inflexions pour les exprimer. D'ailleurs un même mot peut être primitif sous un point de vue, et dérivé sous un autre : ainsi amabo est primitif relativement à amabilis, amabilitas, et il est dérivé d'amo : de même affectare est primitif relativement à affectatio, affectator, et il est dérivé du supin, qui en est le générateur immédiat. Ainsi un même primitif peut avoir sous lui différents ordres de dérivés, tirés immédiatement d'autant de primitifs subalternes et dérivés eux-mêmes de ce premier.

Il faut observer, 6°. que comme les terminaisons introduites par la dérivation grammaticale forment ce qu'on appelle déclinaison et conjugaison, on peut regarder aussi les terminaisons de la dérivation philosophique comme la matière d'une sorte de déclinaison ou conjugaison philosophique. Ceci est d'autant mieux fondé, que la plupart des terminaisons de cette seconde espèce sont soumises à des lois générales, et ont d'ailleurs, dans la même langue ou dans d'autres, des racines qui expriment fondamentalement les mêmes idées qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation.

Nous disons en premier lieu, que ces terminaisons sont soumises à des lois générales, parce que telle terminaison indique invariablement une même idée accessoire, telle autre terminaison une autre idée ; de manière que si on connait bien la destination usuelle de toutes ces terminaisons, la connaissance d'une seule racine donne sur le champ celles d'un grand nombre de mots. Posons d'abord quelques principes usuels sur les terminaisons ; et nous en ferons ensuite l'application à quelques racines.

1°. Les verbes en are, dérivés du supin d'un autre verbe, marquent augmentation ou répétition ; ceux en essere, ardeur et célérité ; ceux en urire, désir vif ; ceux en illare, diminution.

2°. Dans les noms ou dans les adjectifs dérivés des verbes, la terminaison tio indique l'action d'une manière abstraite ; celle en tus ou en tum en exprime le produit ; celle en tor pour le masculin, et en trix pour le féminin, désigne une personne qui fait profession ou qui a un état relatif à cette action ; celle en ax, une personne qui a un penchant naturel ; celle en acitas marque ce penchant même.

On pourrait ajouter un grand nombre d'autres principes semblables ; mais ceux-ci sont suffisans pour ce que l'on doit se proposer ici : un plus grand détail appartient plutôt à un ouvrage sur les analogies de la langue latine, qu'à l'Encyclopédie ; et il est vraisemblable que c'était la matière des livres de César sur cet objet.

Eprouvons maintenant la fecondité de ces principes. Dès que l'on sait, par exemple, que canere signifie chanter, on en conclut avec certitude la signification des mots cantare, chanter à pleine voix ; cantitare, chanter souvent ; canturire, avoir grande envie de chanter ; cantillare, chanter bas et à différentes reprises ; cantio, l'action de chanter ; cantus, le chant, l'effet de cette action ; cantor et cantrix, un homme ou une femme qui fait profession de chanter, un chanteur, une chanteuse ; canax, qui aime à chanter.

Pareillement, de capere, prendre, on a tiré par analogie captare, capessere, saisir ardemment, se hâter de prendre ; captio, captus, captatio, captator, captatrix, capax, capacitas.

De la différente destination des terminaisons d'une même racine, naissent les différentes dénominations des mots qu'elles constituent : de-là les diminutifs, les augmentatifs, les inceptifs, les inchoatifs, les fréquentatifs, les desidératifs, etc. selon que l'idée primitive est modifiée par quelqu'une des idées accessoires que ces dénominations indiquent.

Nous disons en second lieu, que ces terminaisons ont dans la même langue, ou dans quelqu'autre, des racines qui expriment fondamentalement les mêmes idées, qu'elles désignent comme accessoires dans la dérivation ; nous allons en faire l'essai sur quelques-unes, où la chose sera assez claire pour faire présumer qu'il peut en être ainsi des autres dont on ne connaitrait plus l'origine.

1°. Dans les noms, les terminaisons men et mentum signifient chose, signe sensible par lui-même ou par ses effets : l'une et l'autre paraissent venir du verbe minere dont Lucrèce s'est servi, et qu'on retrouve dans la composition des verbes e-minere, im-minere, pro-minere, et qui tous renferment la signification que nous prêtons ici à men et à mentum ; la voici justifiée par l'explication étymologique de quelques noms :

Flumen, (men ou res quae fluit.)

Fulmen, (men quod fulget.)

Lumen, (men quod lucet.)

Semen, (men quod seritur.)

Vimen, (men vinciens, quod vincit.)

Carmen, peigne à carder, (men quod carpit.)

Il est vraisemblable que les Romains donnèrent le même nom à leurs poèmes ; parce que les premiers qu'ils connurent étaient satyriques et picquans comme les dents du peigne à carder, et avaient une destination analogue, celle de corriger.

Armentum, (mentum quod arat, ou arare potest.)

Jumentum, (mentum quod juvat, ou mentum jugatorium.)

Monumentum, (mentum quod monet.)

Alimentum, (mentum quod alit.)

Testamentum, (mentum quod testatur.)

Tormentum, (mentum quod torquet.)

La terminaison culum semble venir de colo, j'habite, et signifie effectivement une habitation, ou du moins un lieu habitable.

Cubiculum, (cubandi locus.)

Coenaculum, (coenandi locus.)

Habitaculum, (habitandi locus.)

Propugnaculum, (pro-pugnandi locus.)

Il faut cependant observer, pour la vérité de ce principe, que cette terminaison n'a le sens et l'origine que nous lui donnons ici, que quand elle est adaptée à une racine tirée d'un verbe : car si on l'appliquait à un nom, elle en ferait un simple diminutif ; tels sont les mots corculum, opusculum, corpusculum, &c.

2°. Dans les adjectifs, la terminaison undus désigne abondance et plénitude, et vient d'unda, onde, symbole d'agitation ; ou du mot undare, d'où abundare, exundare. Ordinairement cette terminaison est jointe à une autre racine par l'une des deux lettres euphoniques b ou c.

Cogita-b-undus, (cogitationibus undants.)

Furi-b-undus, (furore ou furiis undants.)

Foe-c-undus, (foetu abundants.)

Fa-c-undus, (fundi copiâ abundants.)

La terminaison stus venue de sto, marque stabilité habituelle.

Justus, (in jure constants.)

Modestus, (in modo constants.)

Molestus, (pro mole stants.)

Moestus, (in moerore constants.)

Honestus, (in honore constants.)

Scelestus, (in scelere constants.)

3°. Dans les verbes, la terminaison scère ajoutée à quelque radical significatif par lui-même, donne les verbes inchoatifs, c'est-à-dire ceux qui marquent le commencement de l'acquisition d'une qualité ou d'un état ; cette terminaison parait avoir été prise du vieux verbe escère, esco, dont on trouve des traces dans le II. livre des lois de Cicéron, dans Lucrèce, et ailleurs. Ce verbe, dans son temps, signifiait ce qu'a signifié depuis esse, sum, et a été consacré dans la composition à exprimer le commencement d'être. Selon ce principe,

Calesco, je commence à avoir chaud, je m'échauffe, équivaut à calidus esco.

Frigesco, je commence à avoir froid, (frigidus esco.)

Albesco, (albus esco.)

Senesco, (senex esco.)

Duresco, (durus esco.)

Dormisco, (dormiens esco.)

Obsolesco, (obsoletus esco.)

Une observation qui confirme que le vieux mot escère est la racine de la terminaison de cette espèce de verbes, c'est que comme ce verbe n'avait ni prétérit ni supin (voyez l'article PRETERIT, où nous en ferons voir la cause), les verbes inchoatifs n'en ont pas d'eux-mêmes : ou ils les empruntent du primitif d'où ils dérivent, comme ingemisco, qui prend ingemui de ingemo ; ou ils les forment par analogie avec ceux qui sont empruntés, comme senesco qui fait senui ; ou enfin ils s'en passent absolument, comme dormisco.

Cette petite excursion sur le système des formations latines, suffit pour faire entrevoir l'utilité et l'agrément de ce genre d'étude : nous osons avancer que rien n'est plus propre à déployer les facultés de l'esprit ; à rendre les idées claires et distinctes ; et à étendre les vues de ceux qui voudraient, si on peut le dire, étudier l'anatomie comparée des langues, et porter leurs regards jusques sur les langues possibles. (E. R. M.)

FORMATION, en terme de Philosophie ; c'est l'action par laquelle une chose est produite : ainsi on dit, la formation du foetus, (voyez FOETUS) ; la formation des pierres, des métaux dans le centre de la terre. Voyez PIERRE, METAL, etc.

Formation s'emploie aussi, en Géométrie, dans le même sens que le mot génération, pour désigner la manière dont une courbe, une surface, un corps est engendré. Voyez ENGENDRER. Ainsi on dit, la formation des sections coniques dans le cone se fait par un plan qui coupe le cone de différentes manières, &c.

Enfin formation se dit aussi en Algèbre ; on dit la formation d'une équation, pour désigner la suite des opérations qui conduisent à cette équation : on dit dans le même sens, la formation des puissances de tel ou tel nombre, telle ou telle quantité, etc. voyez PUISSANCE. On dit aussi, former une table de nombres, de quantités qui ont rapport à quelque objet, pour dire, calculer et construire cette table. (O)