(Beaux-arts) c'est l'imitation de la belle nature exprimée par le discours mesuré ; la prose ou l'éloquence, est la nature elle-même exprimée par le discours libre.

L'orateur ni l'historien n'ont rien à créer, il ne leur faut de génie que pour trouver les faces réelles qui sont dans leur objet : ils n'ont rien à y ajouter, rien à en retrancher ; à peine osent-ils quelquefois transposer, tandis que le poète se forge à lui-même ses modéles, sans s'embarrasser de la réalité.

Desorte que si l'on voulait définir la poésie, par opposition à la prose ou à l'éloquence, que je prents ici pour la même chose ; on s'en tiendrait à notre définition. L'orateur doit dire le vrai d'une manière qui le fasse croire, avec la force, et la simplicité qui persuadent. Le poète doit dire le vraisemblable d'une manière qui le rende agréable, avec toute la grâce et toute l'énergie qui charment, et qui étonnent ; cependant comme le plaisir prépare le cœur à la persuasion, et que l'utilité réelle flatte toujours l'homme, qui n'oublie jamais son intérêt ; il s'ensuit que l'agréable et l'utîle doivent se réunir dans la poésie et dans la prose ; mais en s'y plaçant dans un ordre conforme à l'objet qu'on se propose dans ces deux genres d'écrire.

Si l'on objectait qu'il y a des écrits en prose qui ne sont l'expression que du vraisemblable ; et d'autres en vers qui ne sont l'expression que du vrai ; on répondrait que la prose et la poésie étant deux langages voisins, et dont le fonds est presque le même, elles se prêtent mutuellement, tantôt la forme qui les distingue, tantôt le fonds même qui leur est propre ; de sorte que tout parait travesti.

Il y a des fictions poétiques qui se montrent avec l'habit simple de la prose ; tels sont les romans et tout ce qui est dans leur genre. Il y a même des matières vraies, qui paraissent revêtues et parées de tous les charmes de l'harmonie poétique ; tels sont les poèmes didactiques et historiques. Mais ces fictions en prose, et ces histoires en vers, ne sont ni pure prose, ni poésie pure ; c'est un mélange des deux natures, auquel la définition ne doit point avoir égard ; ce sont des caprices faits pour être hors de la règle, et dont l'exception est absolument sans conséquence pour les principes. Nous connaissons, dit Plutarque, des sacrifices qui ne sont accompagnés ni de chœurs, ni de symphonies ; mais pour ce qui est de la poésie, nous n'en connaissons point sans fables et sans fiction. Les vers d'Empédocles, ceux de Parménide, de Nicander, les sentences de Théognide, ne sont point de la poésie, ce ne sont que des discours ordinaires, qui ont emprunté la verve et la mesure poétique, pour relever leur style et l'insinuer plus aisément.

Cependant, il y a différentes opinions sur l'essence de la poésie ; quelques-uns font consister cette essence dans la fiction. Il ne s'agit que d'expliquer le terme, et de convenir de sa signification. Si par fiction, ils entendent la même chose que feindre ou fingère chez les Latins ; le mot de fiction ne doit signifier que l'imitation artificielle des caractères, des mœurs, des actions, des discours, etc. tellement que feindre sera la même chose que représenter ou contrefaire ; alors cette opinion rentre dans celle de l'imitation de la belle nature que nous avons établie en définissant la poésie.

Si les mêmes personnes resserrent la signification de ce terme, et que par fiction, ils entendent le ministère des dieux que le poète fait intervenir pour mettre en jeu les ressorts secrets de son poème ; il est évident que la fiction n'est pas essentielle à la poésie ; parce qu'autrement la tragédie, la comédie, la plupart des odes, cesseraient d'être de vrais poèmes, ce qui serait contraire aux idées les plus universellement reçues.

Enfin, si par fiction on veut signifier les figures qui prêtent de la vie aux choses inanimées, et des corps aux choses insensibles, qui les font parler et agir, telles que sont les métaphores et les allégories ; la fiction alors n'est plus qu'un tour poétique, qui peut convenir à la prose même ; c'est le langage de la passion qui dédaigne l'expression vulgaire ; c'est la parure, et non le corps de la poésie.

D'autres ont cru que la poésie consistait dans la versification ; ce préjugé est aussi ancien que la poésie même. Les premiers poèmes furent des hymnes qu'on chantait, et au chant desquels on associait la danse ; Homère et Tite-Live en donneront la preuve. Or, pour former un concert de ces trois expressions, des paroles, du chant, et de la danse, il fallait nécessairement qu'elles eussent une mesure commune qui les fit tomber toutes trois ensemble, sans quoi l'harmonie eut été déconcertée. Cette mesure était le coloris, ce qui frappe d'abord tous les hommes ; au lieu que l'imitation qui en était le fonds et comme le dessein, a échappé à la plupart des yeux qui la voient sans la remarquer.

Cependant cette mesure ne constitua jamais ce qu'on appelle un vrai poème ; et si elle suffisait, la poésie ne serait qu'un jeu d'enfant, qu'un frivole arrangement de mots que la moindre transposition ferait disparaitre.

Il n'en est pas ainsi de la vraie poésie ; on a beau renverser l'ordre, déranger les mots, rompre la mesure ; elle perd l'harmonie, il est vrai, mais elle ne perd point sa nature ; la poésie des choses reste toujours ; on la retrouve dans ses membres dispersés, cela n'empêche point qu'on ne convienne qu'un poème sans versification ne serait pas un poème. Les mesures et l'harmonie sont les couleurs, sans lesquelles la poésie n'est qu'une estampe. Le tableau représentera, si vous le voulez, les contours ou la forme, et tout au plus les jours et les ombres locales ; mais on n'y verra point le coloris parfait de l'art.

La troisième opinion est celle qui met l'essence de la poésie dans l'enthousiasme ; mais cette qualité ne convient-elle pas également à la prose, puisque la passion avec tous ses degrés ne monte pas moins dans les tribunes que sur les théâtres ; et quand Périclès tonnait, foudroyait, et renversait la Grèce, l'enthousiasme régnait-il dans ses discours avec moins d'empire, que dans les odes pindariques ? S'il fallait que l'enthousiasme se soutint toujours dans la poésie, combien de vrais poèmes cesseraient d'être tels ? La tragédie, l'épopée, l'ode même, ne seraient poétiques que dans quelques endroits frappans ; dans le reste n'ayant qu'une chaleur ordinaire, elles n'auraient plus le caractère distinctif de la poésie.

Mais, dira-t-on, l'enthousiasme et le sentiment sont une même chose, et le but de la poésie est de produire le sentiment, de toucher et de plaire ; d'ailleurs, le poète ne doit-il pas éprouver le sentiment qu'il veut produire dans les autres ? Quelle conclusion tirer de-là, que les sentiments de l'enthousiasme sont le principe et la fin de la poésie ; en sera-ce l'essence ? Oui, si l'on veut que la cause et l'effet, la fin et le moyen soient la même chose ; car il s'agit ici de précision.

Tenons-nous-en donc à établir l'essence de la poésie dans l'imitation, puisqu'elle renferme l'enthousiasme, la fiction, la versification même, comme des moyens nécessaires pour peindre parfaitement des objets.

De plus, les règles générales de la poésie des choses sont renfermées dans l'imitation ; en effet, si la Nature eut voulu se montrer aux hommes dans toute sa gloire, je veux dire avec toute sa perfection possible dans chaque objet ; ces règles qu'on a découvertes avec tant de peine, et qu'on suit avec tant de timidité, et souvent même de danger, auraient été inutiles pour la formation et le progrès des Arts. Les artistes auraient peint scrupuleusement les faces qu'ils auraient eues devant les yeux, sans être obligés de choisir. L'imitation seule aurait fait tout l'ouvrage, et la comparaison seule en aurait jugé.

Mais comme elle s'est fait un jeu de mêler ses plus beaux traits avec une infinité d'autres, il a fallu faire un choix ; et c'est pour faire ce choix avec plus de sûreté, que les règles ont été inventées et proposées par le gout.

La principale de toutes est de joindre l'utîle avec l'agréable. Le but de la Poésie est de plaire, et de plaire en remuant les passions ; mais pour nous donner un plaisir parfait et solide, elle n'a jamais dû remuer que celles qu'il nous est important d'avoir vives, et non celles qui sont ennemies de la sagesse. L'horreur du crime, à la suite duquel marche la honte, la crainte, le répentir, sans compter les autres supplices ; la compassion pour les malheureux, qui a presque une utilité aussi étendue que l'humanité même ; l'admiration des grands exemples, qui laissent dans le cœur l'aiguillon de la vertu ; un amour héroïque et par conséquent légitime : voilà, de l'aveu de tout le monde, les passions que doit traiter la Poésie, qui n'est point faite pour fomenter la corruption dans les cœurs gâtés, mais pour être les délices des âmes vertueuses. La vertu déplacée dans de certaines situations, sera toujours un spectacle touchant. Il y a au fond des cœurs les plus corrompus une voix qui parle toujours pour elle, et que les honnêtes gens entendent avec d'autant plus de plaisir, qu'ils y trouvent une preuve de leur perfection. Quand la Poésie se prostitue au vice, elle commet une sorte de profanation qui la déshonore : les poètes licencieux dégradent eux-mêmes ; il ne faut pas blâmer leurs beautés d'élocution, ce serait injuste ou manque de goût ; mais il ne faut pas en louer les auteurs, de peur de donner du crédit au vice.

Il y a plus : les grands poètes n'ont-ils jamais prétendu que leurs ouvrages, le fruit de tant de veilles et de travaux, fussent uniquement destinés à amuser la légèreté d'un esprit vain, ou à reveiller l'assoupissement d'un Midas désœuvré ? Si c'eut été leur but, seraient-ils de grands hommes ?

Ce n'est pas cependant que la Poésie ne puisse se prêter à un aimable badinage. Les muses sont riantes, et furent toujours amies des grâces ; mais les petits poèmes sont plutôt pour elles des délassements que des ouvrages : elles doivent d'autres services aux hommes, dont la vie ne doit pas être un amusement perpétuel ; et l'exemple de la nature qu'elles se proposent pour modèle, leur apprend à ne rien faire de considérable sans un dessein sage, et qui tende à la perfection de ceux pour qui elles travaillent. Ainsi de même qu'elles imitent la nature dans ses principes, dans ses gouts, dans ses mouvements, elles doivent aussi l'imiter dans les vues et dans la fin qu'elle se propose.

On peut réduire les différentes espèces de poésies sous quatre ou cinq genres. Les Poètes racontent quelquefois ce qui s'est passé, en se montrant eux-mêmes comme historiens, mais historiens inspirés par les muses ; quelquefois ils aiment mieux faire comme les Peintres, et présenter les objets sous les yeux, afin que le spectateur s'instruise par lui-même, et qu'il soit plus touché de la vérité. D'autres fois ils allient leur expression avec celles de la Musique, et se livrent tout entiers aux passions, qui sont le seul objet de celle-ci. Enfin il leur arrive d'abandonner entièrement la fiction, et de donner toutes les grâces de leur art à des sujets vrais, qui semblent appartenir de droit à la prose : d'où il résulte qu'il y a cinq sortes de Poésies ; la poésie fabulaire ou de récit ; la poésie de spectacle, ou dramatique ; la poésie épique, la poésie lyrique, et la poésie didactique. Voyez APOLOGUE, POESIE DRAMATIQUE, EPIQUE, LYRIQUE, DIDACTIQUE, etc.

Par cette division nous ne prétendons pas faire entendre que ces genres soient tellement séparés les uns des autres, qu'ils ne se réunissent jamais, car c'est précisément le contraire qui arrive presque par-tout ; rarement on voit régner seul le même genre d'un bout à l'autre dans aucun poème. Il y a des récits dans le lyrique, des passions peintes fortement dans les poésies de récit : par-tout la Fable s'allie avec l'Histoire, le vrai avec le faux, le possible avec le réel. Les Poètes obligés par état de plaire et de toucher, se croient en droit de tout oser pour y réussir.

La Poésie se charge en conséquence de ce qu'il y a de plus brillant dans l'Histoire ; elle s'élance dans les cieux pour y peindre la marche des astres ; elle s'enfonce dans les abîmes pour y examiner les secrets de la nature ; elle pénètre jusque chez les morts, pour décrire les récompenses des justes et les supplices des impies ; elle comprend tout l'univers : si ce monde ne lui suffit pas, elle crée des mondes nouveaux qu'elle embellit de demeures enchantées, qu'elle peuple de mille habitants divers : c'est une espèce de magie ; elle fait illusion à l'imagination, à l'esprit même, et vient à bout de procurer aux hommes des plaisirs réels par des inventions chimériques.

Cependant tous les genres de poésie ne plaisent et ne touchent pas également ; mais chaque genre nous touche à-proportion que l'objet qu'il est de son essence de peindre et d'imiter, est capable de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre élégiaque et le genre bucolique ont plus d'attraits pour nous que le genre dogmatique.

Les fantômes de passions que la Poésie sait exciter, en allumant en nous des passions artificielles, satisfont au besoin où nous sommes d'être occupés. Or les Poètes excitent en nous ces passions artificielles, en présentant à notre âme les imitations des objets capables de produire en nous les passions véritables ; mais comme l'impression que l'imitation fait n'est pas aussi profonde, que l'impression que l'objet même aurait faite ; comme l'impression faite par l'imitation n'est pas sérieuse, d'autant qu'elle ne Ve pas jusqu'à la raison, pour laquelle il n'y a point d'illusion dans ses sensations ; enfin, comme l'impression faite par l'imitation n'affecte vivement que l'âme sensitive, elle s'efface bientôt. Cette impression superficielle faite par une imitation artificielle, disparait sans avoir des suites durables, comme en aurait une impression faite par l'objet même que le poète a imité.

Le plaisir qu'on sent à voir les imitations que les Poètes savent faire des objets qui auraient excité en nous des passions dont la réalité nous aurait été à charge, est un plaisir pur : il n'est pas suivi des inconvénients dont les émotions sérieuses qui auraient été causées par l'objet même, seraient accompagnées.

Voilà d'où procede le plaisir que fait la Poésie ; voilà encore pourquoi nous regardons avec contentement des peintures dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des aventures si funestes, qu'elles nous auraient fait horreur si nous les avions vues véritablement. Une mort telle que la mort de Phèdre ; une jeune princesse expirante avec des convulsions affreuses, en s'accusant elle-même des crimes atroces, dont elle s'est punie par le poison, serait un objet à fuir. Nous serions plusieurs jours avant que de pouvoir nous distraire des idées noires et funestes qu'un pareil spectacle ne manquerait pas d'empreindre dans notre imagination. La tragédie de Racine, qui nous présente l'imitation de cet événement, nous émeut et nous touche, sans laisser en nous la semence d'une tristesse durable. Nous jouissons de notre émotion, sans être alarmés par la crainte qu'elle dure trop longtemps. C'est sans nous attrister réellement que la pièce de Racine fait couler des larmes de nos yeux ; et nous sentons bien que nos pleurs finiront avec la représentation de la fiction ingénieuse qui les fait couler. Il s'ensuit de-là que le meilleur poème est celui dont la lecture ou dont la représentation nous émeut et nous intéresse davantage. Or c'est à proportion des charmes de la Poésie du style, qu'un poème nous intéresse et nous émeut. Voyez donc POESIE DU STYLE. (D.J.)

POESIE DRAMATIQUE, voyez POEME DRAMATIQUE.

POESIE EPIQUE, voyez POEME EPIQUE.

POESIE DES HEBREUX, (Critique sacrée). Les pseaumes, les cantiques, le livre de Job, passent pour être en vers, cela se peut ; mais nous ne le sentons pas. Aussi malgré tout ce que les modernes ont écrit sur la poésie des Hébreux, la matière n'en est pas plus éclaircie, parce qu'on n'a jamais su et qu'on ne saura jamais la prononciation de la langue hébraïque ; par conséquent il n'est pas possible de sentir ni l'harmonie des paroles de cette langue, ni la quantité des syllabes qui constituent ce que nous nommons des vers. (D.J.)

POESIE LYRIQUE, (Poésie). Parlons-en encore d'après M. le Batteux. C'est une espèce de Poésie toute consacrée au sentiment ; c'est sa matière, son objet essentiel. Qu'elle s'élève comme un trait de flamme en frémissant ; qu'elle s'insinue peu-à-peu, et nous échauffe sans bruit ; que ce soit un aigle, un papillon, une abeille, c'est toujours le sentiment qui la guide ou qui l'emporte.

La poésie lyrique en général est destinée à être mise en chant ; c'est pour cela qu'on l'appelle lyrique, et parce qu'autrefois quand on la chantait, la lyre accompagnait la voix. Le mot ode a la même origine ; il signifie chant, chanson, hymne, cantique.

Il suit de-là que la poésie lyrique et la Musique doivent avoir entr'elles un rapport intime, fondé dans les choses mêmes, puisqu'elles ont l'une et l'autre les mêmes objets à exprimer ; et si cela est, la Musique étant une expression des sentiments du cœur par les sons inarticulés, la poésie musicale ou lyrique sera l'expression des sentiments par les sons articulés, ou, ce qui est la même chose, par les mots.

On peut donc définir la poésie lyrique, celle qui exprime le sentiment dans une forme de versification qui est chantante ; or comme les sentiments sont chauds, passionnés, énergiques, la chaleur domine nécessairement dans ce genre d'ouvrage. De-là naissent toutes les règles de la poésie lyrique, aussi bien que ses privilèges : c'est-là ce qui autorise la hardiesse des débuts, les emportements, les écarts ; c'est de-là qu'elle tire ce sublime, qui lui appartient d'une façon particulière, et cet enthousiasme qui l'approche de la divinité.

La poésie lyrique est aussi ancienne que le monde. Quand l'homme eut ouvert les yeux sur l'univers, sur les impressions agréables qu'il recevait par tous ses sens, sur les merveilles qui l'environnaient, il éleva sa voix pour payer le tribut de gloire qu'il devait au souverain bienfaiteur. Voilà l'origine des cantiques, des hymnes, des odes, en un mot de la poésie lyrique.

Les payens avaient dans le fond de leurs fêtes le même principe que les adorateurs du vrai Dieu. Ce fut la joie et la reconnaissance qui leur fit instituer des jeux solennels pour célébrer les dieux auxquels ils se croyaient redevables de leur récolte. De-là vinrent ces chants de joie qu'ils consacraient au dieu des vendanges, et à celui de l'amour. Si les dieux bienfaisants étaient l'objet naturel de la poésie lyrique, les héros enfants des dieux devaient naturellement avoir part à cette espèce de tribut, sans compter que leur vertu, leur courage, leurs services rendus soit à quelque peuple particulier, soit à tout le genre humain, étaient des traits de ressemblance avec la divinité. C'est ce qui a produit les poèmes d'Orphée, de Linus, d'Alcée, de Pindare, et de quelques autres qui ont touché la lyre d'une façon trop brillante pour ne pas mériter d'être réunis dans un article particulier. Voyez donc ODE, POETE LYRIQUE.

Nous remarquerons seulement ici que c'est particulièrement aux poètes lyriques qu'il est donné d'instruire avec dignité et avec agrément. La poésie dramatique et fabulaire réunissent plus rarement ces deux avantages ; l'ode fait respecter une divinité morale par la sublimité des pensées, la majesté des cadences, la hardiesse des figures, la force des expressions ; en même temps elle prévient le dégoût par la brieveté, par la varieté de ses tours, et par le choix des ornements qu'un habîle poète sait employer àpropos. (D.J.)

POESIE ORIENTALE MODERNE, (Poésie) Les Beaux-Arts ont été longtemps le partage des Orientaux. M. de Voltaire remarque que comme les poésies du persan Sady sont encore aujourd'hui dans la bouche des Persans, des Turcs et des Arabes, il faut bien qu'elles aient du mérite. Il était contemporain de Pétrarque, et il a autant de réputation que lui. Il est vrai qu'en général le bon goût n'a guère régné chez les Orientaux : leurs ouvrages ressemblent aux titres de leurs souverains, dans lesquels il est souvent question du soleil et de la lune. L'esprit de servitude parait naturellement empoulé, comme celui de la liberté est nerveux, et celui de la vraie grandeur est simple. Ils n'ont point de délicatesse, parce que les femmes ne sont point admises dans la société. Ils n'ont ni ordre ni méthode, parce que chacun s'abandonne à son imagination dans la solitude où ils passent une partie de leur vie, et que l'imagination par elle-même est déréglée. Ils n'ont jamais connu la véritable éloquence, telle que celle de Démosthène et de Cicéron. Qui aurait-on eu à persuader en Orient ? des esclaves. Cependant ils ont de beaux éclats de lumière : ils peignent avec la parole ; et quoique les figures soient souvent gigantesques et incohérentes, on y trouve du sublime. M. de Voltaire ajoute pour le prouver une traduction qu'il a faite en vers blancs d'un passage du célèbre Sadi : c'est une peinture de la grandeur de Dieu ; lieu commun à la vérité, mais qui fait connaître le génie de la Perse.

Il sait distinguer ce qui ne fut jamais.

De ce qu'on n'entend point son oreille est remplie.

Prince, il n'a pas besoin qu'on le serve à genoux.

Juge, il n'a pas besoin que sa loi soit écrite.

De l'éternel burin de sa prévision,

Il a tracé nos traits dans le sein de nos mères.

De l'aurore au couchant il porte le soleil ;

Il seme de rubis les masses des montagnes ;

Il prend deux gouttes d'eau : de l'une il fait un homme ;

De l'autre il arrondit la perle au fond des mers.

L'être au son de sa voix fut tiré du néant.

Qu'il parle, et dans l'instant l'univers Ve rentrer

Dans les immensités de l'espace et du vide.

Qu'il parle, et l'univers repasse en un clin-d'oeil

Des abîmes du rien dans les plaines de l'être.

Voltaire, Essai sur l'Histoire. (D.J.)

POESIE PASTORALE, voyez PASTORALE POESIE.

POESIE PROVENÇALE, (Poésie) la poésie provençale est le langage roman, et mérite un article à part.

Lorsque la langue latine fut négligée, les troubadours, les chanterres, les conteurs, et les jongleurs de Provence, et enfin ceux de ce pays qui exerçaient ce qu'on y appelait la science gaye, commencèrent dès le temps de Hugues Capet à romaniser et à courir la France, débitant leurs romans et leurs fabliaux, composés en langage roman : car alors les Provençaux avaient plus d'usage des Lettres et de la Poésie, que tout le reste des Français.

Ce langage roman était celui que les Romains introduisirent dans les Gaules, après les avoir conquises, et qui s'étant corrompu avec le temps par le mélange du langage gaulois qui l'avait précédé, et du franc ou tudesque qui l'avait suivi, n'était ni latin, ni gaulois, ni franc, mais quelque chose de mixte, où le roman pourtant tenait le dessus, et qui pour cela s'appelait toujours roman, pour le distinguer du langage particulier et naturel de chaque pays ; soit le franc, soit le gaulois ou celtique, soit l'aquittanique, soit le belgique ; car César écrit que ces trois langues étaient différentes entr'elles ; ce que Strabon explique d'une différence, qui n'était que comme entre divers dialectes d'une même langue.

Les Espagnols se servent du mot de roman, au même sens que nous ; et ils appellent leur langue ordinaire romance. Le roman étant donc plus universellement entendu, les conteurs de Provence s'en servirent pour écrire leurs contes, qui de-là furent appelés romans. Les troubadours allant ainsi par le monde, étaient bien payés de leurs peines, et bien traités des seigneurs qu'ils visitaient, dont quelques-uns étaient si ravis du plaisir de les entendre, qu'ils se dépouillaient quelquefois de leurs robes pour les en revêtir.

Les Provençaux ne furent pas les seuls qui se plurent à cet agréable exercice ; presque toutes les provinces de France eurent leurs romanciers, jusqu'à la Picardie, où l'on composait des servantais, pièces amoureuses, et quelquefois satyriques. M. Huet observe, qu'il est assez croyable que les Italiens furent portés à la composition des romans, par l'exemple des Provençaux, lorsque les papes tinrent leur siège à Avignon ; et même par l'exemple des autres français, lorsque les Normands, et ensuite Charles, comte d'Anjou, frère de S. Louis, prince vertueux, et poète lui-même, firent la guerre en Italie : car les Normands se mêlaient aussi de la science gaye.

Les poètes provençaux s'appelaient troubadours, ou trouvères, et furent en France les princes de la romancerie, dès la fin du dixième siècle. Leur métier plut à tant de gens, que toutes les provinces de France eurent leurs trouvères. Elles produisirent dans l'onzième siècle et dans les suivants, une grande multitude de romans en prose et en vers, et le président Fauchet, parle de cent vingt-sept poètes, qui ont vécu avant l'an 1300.

M. Rymer, dans sa short view of tragedy, dit que les auteurs italiens, comme Bembo, Speron Sperone, et autres, avouent que la meilleure partie de leur langue et de leur poésie, vient de Provence ; et il en est de même de l'espagnol et de la plupart des autres langues modernes. Il est certain que Pétrarque, un des principaux et des grands auteurs italiens, serait moins riche, si les poètes provençaux revendiquaient tout ce qu'il a emprunté d'eux. En un mot, toute notre poésie moderne vient des provençaux : jamais on ne vit un goût si général parmi les grands et le peuple pour la Poésie, que dans ce temps-là pour la poésie provençale ; ce qui fait dire à Philippe Mouskes, un de leurs romanciers, que Charlemagne avait fait une donation de la Provence aux Poètes, pour leur servir de patrimoine.

M. Rymer ajoute, qu'il insiste particulièrement sur cet article, pour prévenir l'impression que les moines de ce temps-là pourraient faire sur les lecteurs, et surtout Roger Hoveden, qui nous apprend que le roi Richard I. qui avait avec Geoffroy son frère demeuré dans plusieurs cours de Provence et aux environs, et avait gouté la langue et la poésie provençale, achetait des vers flatteurs à sa louange, pour se faire un nom, et faisait venir à force d'argent, des chanteurs et des jongleurs de France, pour le chanter dans les rues, et l'on disait par-tout qu'il n'avait pas son pareil.

Il est faux que ces chanteurs et ces jongleurs vinssent de France : les provinces dont ils venaient, étaient fiefs de l'empire. Frédéric I. avait donné à Raimond Berenger, les comtés de Provence, de Forcalquier, et autres lieux voisins, à titre de fief. Raimond, comte de Toulouse, était le grand patron de ces poètes, et en même temps le protecteur des Albigeais, qui alarmèrent si fort Rome, et qui coutèrent tant de croisades pour les extirper. Guillaume d'Agoult, Albert de Sisteron, Rambaud d'Orange, (nom que le duc de Savoie a fait revivre) étaient des poètes distingués. Tous les princes ligués en faveur des Albigeais contre la France et le pape, encourageaient et protégeaient ces poètes. Or il est aisé par cet exposé, de juger de la raison qui irritait si fort les moines contre les chanteurs et jongleurs, et qui leur faisait voir avec chagrin, qu'ils eussent une si grande familiarité avec le roi.

Le même critique observe ensuite que de toutes les langues modernes, la provençale est la première qui ait été propre pour la Musique, et pour la douceur de la rime ; et qu'ayant passé par la Savoie au Montferrat, elle donna occasion aux Italiens de polir leur langue, et d'imiter la poésie provençale. Les conquêtes des Anglais de ce côté-là, et leurs alliances avec ceux de ces pays, leur procurèrent plutôt encore la connaissance de la langue et de la poésie des Provençaux ; et ceux des Anglais qui s'appliquèrent à la Poésie, comme le roi Richard, Savary de Mauléon, et Robert Grossetête, trouvant leur propre langue trop rude, se portèrent aisément à se servir de celle de Provence, comme étant plus douce et plus fléxible. Chaucer a pris tous les termes provençaux, français, et latins, qu'il a pu trouver, et les a mêlés avec l'anglais, après les avoir habillés à l'anglaise.

On appelait les poètes provençaux, troubadours, jongleurs, et chanterres : ce dernier nom n'est pas étranger dans nos cathédrales. Roger Oveden rend le second par joculatores, ou joueurs, comme on pourrait traduire le premier par trompettes. Mais les troubadours s'appelaient aussi trouvères, comme qui dirait trouve-trésor. Les Italiens les nomment trovatori ; le nom de jongleurs, leur venait apparemment de quelque instrument de musique (vraisemblablement la harpe) alors en usage, comme les Latins et les Grecs se nommaient poètes lyriques. Du Verdier, Van Privas, et la Croix du Maine, vous feront connaître les principaux poètes provençaux ; je n'en indiquerai que deux ou trois d'entre les plus anciens.

Belvezer (Aymeric de) florissait vers l'an 1203, et fit quantité de vers à la louange de sa maîtresse, qui vivait à la cour de Rémond comte de Provence. Ensuite il devint amoureux d'une princesse de Provence qui s'appelait Barbosse ; cette dame ayant été nommée abbesse d'un monastère, Belvezer en mourut de douleur en 1264, parce qu'il ne lui était plus permis de la voir. Il lui envoya peu de temps avant sa mort, un petit ouvrage intitulé las amours de son ingrata.

Arnaud de Meyrveilh, poète provençal du XIIIe siècle, entra au service du vicomte de Beziers, et devint épris de la comtesse de Burlas son épouse. Comme il était très-bien fait de sa personne, chantait bien, et lisait les romans en perfection, la comtesse le traitait avec beaucoup de bonté. Enfin, il s'enhardit à lui déclarer son amour par un sonnet intitulé, les chastes prières d'Arnaud : la comtesse les écouta gracieusement, et fit au poète des présents considérables. Il mourut l'an 1220 ; Pétrarque a fait mention de lui dans son triomphe de l'Amour.

Arnaud de Coutignac, poète provençal du xiv. siècle, devint amoureux d'une dame nommée Ysnarde, à la louange de laquelle il fit plusieurs vers ; mais n'ayant rien pu gagner sur son esprit, il alla voyager dans le Levant, afin de se guérir de sa passion par l'absence, et d'oublier une personne qui paraissait prendre plaisir à ses peines. Il lui adressa un ouvrage intitulé, las suffrensas d'amour, et mourut à la guerre en 1354. (D.J.)

POESIE SATYRIQUE, voyez SATYRE.

POESIE DU STYLE, voyez STYLE, Poésie du, (Poésie.)

POESIE DU VERS, (Poésie) voyez VERS, Poésie du ; car la lettre P est si chargée, qu'il faut permettre ces sortes de renvois, pourvu qu'on n'ait pas oublié de les remplir. (D.J.)