S. f. (Logique) suspension de jugement ; c'est l'état de l'esprit par lequel nous n'établissons rien, n'affirmant et ne niant quoi que ce sait. Les philosophes sceptiques ayant pour principe, que toute raison peut être contredite par une raison opposée et d'un poids égal, ne sortaient jamais des bornes de l'époque, et ne recevaient aucun dogme. Pour arriver à cette époque, ils employaient dix moyens principaux, que je vais détailler d'après Sextus Empiricus, livre I. des hypotyposes, ou institutions pyrrhoniennes.

Le premier est tiré de la diversité des animaux. Voici un précis des exemples et des raisonnements, sur lesquels Sextus appuie ce premier moyen. Il est aisé, dit-il, de remarquer qu'il y a une grande diversité dans les perceptions et dans les sensations des animaux, si l'on considère leur origine différente et la diverse constitution de leur corps. A l'égard de leur origine, on voit qu'entre les animaux, les uns naissent par la voie ordinaire de la génération, et les autres sans l'union du mâle et de la femelle. Ici Sextus s'étend sur ces prétendues générations spontanées, que la saine physique a entièrement bannies. Quant à ceux qui viennent par l'accouplement des sexes, continue-t-il, les uns viennent d'animaux de même espèce, ce qui est le plus ordinaire ; d'autres naissent d'animaux de différente espèce, comme les mulets : les uns naissent vivants des animaux ; d'autres sortent d'un œuf, comme les oiseaux ; d'autres sont mal formés, comme les ours. Ainsi il ne faut pas douter que les diversités et les différences qui se trouvent dans les générations, ne produisent de grandes antipathies parmi les animaux, qui sans contredit tirent de ces diverses origines des tempéraments tout à fait différents, et une grande discordance et contrariété les uns à l'égard des autres. Le philosophe sceptique entasse des exemples, qui justifient ce qu'il a avancé ; d'où il conclut ainsi : si les mêmes choses paraissent différentes à cause de la diversité des animaux, il est vrai que nous pourrons bien dire d'un objet quel il nous parait ; mais nous nous en tiendrons à l'époque, nous demeurerons en suspens, nous ne déciderons rien, s'il s'agit de dire quel il est véritablement et naturellement. Car enfin nous ne pouvons pas juger entre nos perceptions et celles des autres animaux, lesquelles sont conformes à la nature des choses ; et la raison de cela, c'est que nous sommes des parties discordantes et intéressées dans ce procès, et que nous ne pouvons pas être juges dans notre propre cause.

Le second, de la différence des hommes. Quand nous accorderions qu'il faut s'en tenir au jugement des hommes plutôt qu'à celui des animaux, la seule différence qui règne entre les hommes, suffit pour maintenir l'époque. Nous sommes composés de deux choses, d'un corps et d'une âme ; mais à l'égard de ces deux choses, nous sommes différents les uns des autres en bien des manières : du côté du corps, la figure ou conformation, et le tempérament, varient ; Sextus en allegue quantité d'exemples : et quant à l'âme, une preuve de la différence presque infinie, qui se trouve entre les esprits des hommes, c'est la contrariété des sentiments des dogmatiques en toutes choses, et surtout dans la question des choses qu'on doit éviter ou rechercher. Or, ou nous croirons tous les hommes, ou nous en croirons quelques-uns. Si nous voulons les croire tous, nous entreprendrons une chose impossible, et nous admettrons des contradictions ; et si nous en croyons seulement quelques-uns, auxquels donnerons-nous la préférence ? Un platonicien nous dira qu'il faut s'en rapporter à Platon, un épicurien à Epicure ; mais c'est précisément cette contrariété qui nous persuade d'en demeurer à l'époque.

Le troisième, de la comparaison des organes des sens. Nous ne sommes point certains si les objets qui se présentent à nous revêtus de certaines qualités, n'ont que ces seules qualités, ou plutôt si elles n'en ont qu'une, et si la diversité apparente de ces qualités ne vient point de la différente constitution de nos organes, ou enfin s'ils n'ont point plus de qualités que celles qui nous paraissent, quelqu'une de ces qualités pouvant ne pas tomber sous nos sens. Sextus n'a fait qu'ébaucher la matière des sens de leurs divers rapports et de leurs erreurs ; au lieu que Malebranche, dans son excellente recherche de la vérité, l'a presque épuisée.

Le quatrième, des circonstances. Par ce terme, dit Sextus, nous entendons les habitudes, les dispositions, et les conditions différentes. Ce moyen consiste à considérer quelles sont les sensations et les perceptions d'une personne, conformes ou non conformes à sa nature, dans la veille ou dans le sommeil, dans les différents âges de la vie, dans le mouvement ou dans le repos, dans la haine ou dans l'amour, quand elle a faim ou quand elle est rassasiée, quand elle a de certaines dispositions ou habitudes, quand elle est dans la confiance ou dans la crainte, dans la tristesse ou dans la joie. Il est constant, et Sextus le prouve au long, que, suivant ces différentes dispositions, les hommes sont tantôt dans un certain état, tantôt dans un autre. Ainsi l'on peut dire facilement comment un objet est aperçu de chacun ; mais il ne sera pas également facîle de prononcer quel peut être réellement cet objet. Pour trouver un juge recevable qui décidât entre ces contrariétés infinies, il faudrait trouver un homme qui ne fût dans aucune disposition, dans aucune circonstance : mais c'est une supposition impossible. Tout homme est lui-même une partie discordante ; tout homme est du nombre des choses dont on dispute.

Le cinquième, des situations, des distances, et des lieux. Selon que ces relations sont différentes, les mêmes choses paraissent diversement. Un même portique, si on le regarde par une des extrémités de sa longueur, parait aller toujours en diminuant ; mais si on le regarde par son milieu, il semble égal partout. Un vaisseau Ve de loin, parait petit et sans mouvement ; de près, il parait grand et en mouvement. Une même tour vue de loin parait ronde, et de près carrée. Voilà pour les distances. A l'égard des lieux, la lumière d'une lampe est obscure au Soleil, et brillante dans les ténèbres. Une rame parait rompue dans l'eau, et droite dehors. Un œuf est mou dans le corps de l'oiseau, et dur dehors. Le corail est mou dans la mer, et se durcit à l'air. Une même voix parait autre dans une trompette, autre dans les flutes, et autre dans l'air simple. Quant aux positions ; une peinture vue presque tout à fait de côté, en sorte que l'oeil ne soit presque point élevé au-dessus du tableau, parait unie ; mais si l'oeil est plus élevé, si le tableau est moins incliné, ou vis-à-vis de l'oeil, l'image parait avoir des éminences et des enfoncements. Le cou des pigeons parait de diverses couleurs, suivant qu'ils se tournent. Or tous les objets des sens se présentant à eux de quelque distance, dans quelque lieu, et dans quelque position (toutes choses, qui chacune à part causent de grandes différences dans les perceptions et dans les idées), nous sommes obligés par ces raisons-là d'adopter l'époque.

Le sixième, des mélanges. Rien de tout ce qui est hors de nous, ne tombe sous nos sens seul et pur, mais toujours avec quelqu'autre chose ; d'où il arrive qu'il est aperçu et senti diversement par ceux qui le considèrent. La couleur de notre visage, par exemple, parait autre quand il fait chaud que quand il fait froid ; ainsi nous ne pouvons pas dire quelle elle est purement et simplement, mais seulement quelle elle nous parait avec le chaud ou avec le froid. Mais outre les mélanges extérieurs, il y en a qui résident dans les organes mêmes de nos sens, et qui varient infiniment la perception des objets. Nos yeux ont en eux-mêmes des tuniques et des humeurs. Ainsi comme nous ne pouvons pas voir les objets extérieurs sans le mélange de ces choses qui sont dans nos yeux, nous ne pouvons pas non plus les apercevoir purement et exactement, et jamais nous ne les apercevons qu'avec quelque mélange. C'est la raison pourquoi toutes choses paraissent pâles et d'une couleur morte à ceux qui ont la jaunisse, et d'une couleur de sang à ceux qui ont un épanchement de sang dans les yeux. Il en est de même des oreilles, de la langue, etc. lesquelles sont si souvent chargées d'humeurs qui modifient l'impression des objets de plusieurs façons différentes. Tous ces mélanges ne permettant pas aux sens de recevoir exactement les qualités des objets extérieurs, l'entendement ne peut non plus juger quels ils sont purement et simplement ; parce que les sens qui lui servent de guide se trompent, outre que peut-être il mêle lui-même certaines choses qui lui sont propres, aux perceptions qui lui viennent des sens.

Le septième, des quantités et des compositions. Il est évident que ce moyen nous oblige encore à suspendre nos jugements touchant la nature des choses. Par exemple, les raclures de cornes de chèvres paraissent blanches, quand on les considère simplement et à part ; mais dans la substance même de la corne, elles semblent noires. Les grains de sable séparés les uns des autres, paraissent raboteux, et en monceau on les trouve mous. Si l'on mange de l'ellébore réduit en poudre, il étrangle ; mais il ne fait pas le même effet quand on le mange en gros morceaux, etc. Cette raison des quantités et des compositions fait donc que nous n'apercevons que d'une manière obscure les qualités réelles des objets extérieurs, et nous conduit encore à l'époque.

Le huitième, des relations. Toutes choses sont relatives à quelques autres. Une chose peut être dite relative à deux égards : 1°. à l'égard de celui qui juge ; car un objet extérieur parait tel ou tel, relativement à quelque être qui en juge : 2°. une chose est relative à tout ce qui accompagne la perception ou la considération de cette chose. C'est ainsi que le côté droit est relatif au gauche, on ne peut penser à l'un sans penser à l'autre. Il y a des relations d'identité et de diversité, d'égalité et d'inégalité, de signe et de chose signifiée, sous lesquelles tous les êtres sans exception sont compris. Il est donc évident que nous ne pouvons pas dire ce qu'est une chose purement et de sa nature, mais seulement quelle elle parait par rapport à une autre : nouveau principe d'époque.

Le neuvième, des choses qui arrivent fréquemment ou rarement. Le Soleil est sans doute quelque chose de bien plus surprenant à voir, qu'une comete ; mais parce que nous le voyons souvent, et que nous voyons rarement une comete, elle nous épouvante tellement, que nous nous imaginons que les dieux veulent nous présager par-là quelque grand événement, pendant que le Soleil ne fait point cet effet sur nous. Mais imaginons-nous que le Soleil parut rarement, ou qu'il se couchât rarement, et qu'après avoir éclairé tout le monde, il le laissât ensuite pour longtemps dans les ténèbres, nous trouverions-là de grands sujets d'étonnement. Un tremblement de terre effraye tout autrement ceux qui le sentent pour la première fais, que ceux qui y sont accoutumés. Quelle n'est pas la surprise de ceux qui voient la mer pour la première fois ? On estime les choses rares ; mais celles qui sont familières, sont vues avec indifférence. Puis donc que les mêmes objets nous paraissent tantôt précieux et dignes d'admiration, et tantôt tout différents, suivant leur abondance ou leur rareté, nous en concluons qu'on peut bien dire comment une chose nous parait selon qu'elle arrive fréquemment ou rarement, mais que nous ne saurions rien affirmer nuement et simplement sur son compte.

Le dixième, des instituts, des coutumes, des lais, des persuasions fabuleuses, et des opinions des dogmatiques. C'est ici la source la plus abondante des contrariétés humaines, et des raisons d'adhérer à l'époque. Suivons encore notre guide, qui nous fournit les définitions et les exemples que vous allez lire. Un institut est le choix que l'on fait d'un certain genre de vie, ou quelque plan de conduite et de pratiques, que l'on prend d'une seule personne, comme par exemple de Diogène, ou des Lacédémoniens. Une loi est une convention écrite par les gouverneurs de l'état, laquelle convention emporte avec elle une punition contre celui qui la transgresse. La coutume est l'approbation d'une chose fondée sur le consentement et la pratique commune de plusieurs, dont la transgression n'est point punie comme celle de la loi : par exemple, c'est une loi de ne point commettre d'adultère, mais c'est une coutume parmi nous de ne point habiter avec sa femme en public. Une persuasion fabuleuse est l'approbation que l'on donne à des choses feintes et qui n'ont jamais été, telles que sont entr'autres choses les fables que l'on raconte de Saturne ; car ces choses-là sont reçues comme vraies parmi le peuple. Une opinion dogmatique est l'approbation que l'on donne à une chose qui parait être appuyée sur le raisonnement, ou sur une démonstration : par exemple, que les premiers éléments de toutes choses sont des atomes indivisibles, ou des homaeomeries, c'est-à-dire des parties similaires qui se distribuent différemment pour composer les différents corps, etc. Or nous opposons chacun de ces genres, ou avec lui-même, ou avec chacun des autres. Par exemple, nous opposons une coutume à une coutume en cette manière. Quelques peuples d'Ethiopie, disons-nous, impriment des marques sur le corps de leurs enfants, et non pas nous. Les Perses croient qu'il est décent de porter un habit bigarré de diverses couleurs et long jusqu'aux talons ; et nous, nous croyons que cela est indécent. Les Indiens caressent leurs femmes à la vue de tout le monde, mais plusieurs autres peuples trouvent cela honteux. Nous opposons loi à loi. Ainsi, chez les Romains, celui qui renonce aux biens de son père, ne paye point les dettes de son père ; et chez les Rhodiens, il est obligé de les payer. Dans la Chersonese Taurique en Scythie, c'était une loi d'immoler les étrangers à Diane ; mais chez nous il est défendu de tuer un homme dans un temple. Nous opposons institut à institut, lorsque nous opposons la manière de vivre de Diogène à celle d'Aristippe, ou l'institut des Lacédémoniens à celui des Italiens. Nous opposons une persuasion fabuleuse à une autre, lorsque nous disons que quelquefois Jupiter est appelé, dans les fables, le père des dieux et des hommes, et que quelquefois l'Océan, est appelé l'origine des dieux, et Thétis leur mère, suivant l'expression de Junon dans Homère. Nous opposons les opinions dogmatiques les unes aux autres, lorsque nous disons que les uns croient l'âme mortelle, et d'autres immortelle ; que les uns assurent que la providence des dieux dirige les événements, et que d'autres n'admettent point de providence. Sextus, après avoir ainsi opposé ces chefs à eux-mêmes, les met aux prises les uns avec les autres ; mais ce détail nous menerait trop loin. Tels sont les dix moyens de l'époque : renfermée dans de justes bornes, elle est sans contredit le principe le plus excellent qu'aucune secte ait jamais avancé, le préservatif le plus infaillible contre l'erreur. Aussi Descartes, ce restaurateur immortel de la saine philosophie, est-il parti, pour ainsi dire, de-là ; par une suspension universelle du jugement, il a frayé, à la vérité, de nouvelles routes qui, malgré les prétentions de quelques philosophes plus récens, sont les seules qui conviennent à l'esprit humain. L'époque, principe mort entre les mains des Sceptiques qui se contentaient de détruire sans édifier, et qui se jetaient tête baissée dans un doute universel, devient une source de lumière et de vérité, lorsqu'elle est employée par un philosophe judicieux et exempt de préjugés. Voyez DOUTE. Cet article est tiré des papiers de M. FORMEY.

EPOQUE, en Astronomie. On appelle époque ou racine des moyens mouvements d'une planète, le lieu moyen de cette planète déterminé pour quelque instant marqué, afin de pouvoir ensuite, en comptant depuis cet instant, déterminer le lieu moyen de la planète, pour un autre instant quelconque.

Parmi les planètes nous comprenons aussi le soleil, que les tables astronomiques supposent, ou peuvent supposer en mouvement, en lui attribuant le mouvement de la terre. Voyez COPERNIC. Voyez aussi MOUVEMENT MOYEN, LIEU MOYEN, TEMPS MOYEN, EQUATION DU TEMPS.

Les astronomes sont convenus de faire commencer l'année dans leurs tables à l'instant du midi qui précède le premier jour de janvier, c'est-à-dire, à midi le 31 Décembre, en sorte qu'à midi du premier Janvier on compte déjà un jour complet ou vingtquatre heures écoulées. Ainsi, quand on trouve dans les tables astronomiques au méridien de Paris l'époque de la longitude moyenne du soleil en 1700, de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes ; cela signifie que le 31 Décembre 1699, à midi, à Paris, la longitude moyenne du soleil, c'est-à-dire, sa distance au premier point d'Aries, en n'ayant égard qu'à son mouvement moyen, était de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes, et ainsi des autres.

L'époque une fois bien établie, le lieu moyen pour un instant quelconque est aisé à fixer par une simple règle de trois. Car on dira ; comme une année ou 365 jours est au temps écoulé depuis ou avant l'époque, ainsi le mouvement moyen de la planète, ou le temps périodique moyen pendant une année (Voyez PERIODE et MOUVEMENT MOYEN) est au mouvement cherché, qu'on ajoutera à l'époque ou qu'on en retranchera. Toute la difficulté se réduit donc à bien fixer l'époque, c'est-à-dire le vrai lieu moyen pour un temps déterminé. Pour cela il faut observer la planète le plus exactement qu'il est possible dans les points de son orbite où le lieu vrai se confond avec le lieu moyen, c'est-à-dire où les équations du moyen mouvement sont nulles (Voyez ÉQUATION). On aura donc le lieu moyen de la planète pour cet instant, et par conséquent une simple règle de trois donnera le lieu moyen à l'instant de l'époque. Par exemple, le lieu moyen du Soleil se confond sensiblement avec le lieu vrai, lorsque le soleil est apogée ou périgée, parce qu'alors l'équation du centre est nulle ; le lieu moyen de la Lune se confond à peu près avec le lieu vrai lorsque la Lune est apogée ou périgée, et de plus en conjonction ou opposition ; je dis à peu près, parce que dans ce cas-là même il y a encore quelques équations, la plupart assez petites, que les tables et la théorie donnent, et auxquelles il est nécessaire d'avoir égard pour déterminer le vrai mouvement moyen : aussi, comme ces équations ne sont pas exactement connues, l'époque du lieu moyen de la lune ne peut être fixée que par une espèce de tâtonnement et par des combinaisons répétées et délicates. Il parait en effet que M. Halley l'avait trop reculée d'environ une minute, et d'autres astronomes la font de près de deux minutes plus avancée. Ce sont les observations réitérées des lieux de la Lune comparés avec les calculs de ces mêmes lieux, qui peuvent servir à fixer l'époque aussi exactement qu'il est possible. Voyez LUNE ; et les articles cités ci-dessus. (O)

EPOQUE, s. f. (Histoire) On appelle ainsi certains événements remarquables dont le temps est exactement ou à-peu-près connu dans la chronologie ancienne et moderne, et qui servent comme de points fixes pour y rapporter les autres événements. Ce mot vient d'un mot grec qui signifie s'arrêter, parce que les époques dans l'histoire sont comme des lieux de repos, et pour ainsi dire, des stations où l'on s'arrête pour considérer de-là plus à son aise ce qui suit et ce qui précède, et pour lier entr'eux les événements. Voyez ce que dit sur ce sujet M. Bossuet dans son discours sur l'Histoire universelle.

Les principales époques de l'Histoire sacrée, par exemple, sont la création du monde, le déluge, la vocation d'Abraham, la sortie d'Egypte, Saul ou les Juifs gouvernés par des rais, la captivité de Babylone, le retour de la captivité, la naissance de J. C. Les temps de ces différentes époques sont différents, selon la chronologie que l'on juge à-propos de suivre. Voyez AGE, CHRONOLOGIE, etc.

Les principales époques de l'Histoire ecclésiastique, sont Constantin ou la paix de l'église, la naissance du Mahométisme, le schisme des Grecs, les croisades, le grand schisme d'Occident, le Luthéranisme, etc.

Celles de l'histoire de France sont Clovis, Pepin, Hugues Capet, tige des trois races de nos rois : et dans chacune de ces trois époques principales on peut en placer d'autres ; par exemple, depuis Hugues Capet, on peut placer différentes époques à S. Louis, à Charles le Sage, à François I, à Henri IV, à Louis XIV. Il en est de même de l'histoire des autres peuples. Voyez HISTOIRE. Voyez aussi l'article ERE. La règle qu'on doit se proposer pour les époques, c'est qu'elles ne soient ni trop, ni trop peu nombreuses. On en sent aisément la raison. Dans le premier cas, le lecteur ou l'historien s'arrêterait inutilement à chaque pas : dans le second il s'épuiserait de fatigues, ayant trop de terrain à embrasser à la fais. (O)

L'époque est donc proprement un terme ou point fixe de temps, depuis lequel on compte les années. Voyez AN.

Les nations ont différentes époques, et cela n'est pas surprenant ; car comme il n'y a point de raisons tirées de l'Astronomie qui rendent l'une préférable à l'autre, la fixation des époques est purement arbitraire. La principale époque des Chrétiens est celle de la naissance ou incarnation de J. C. ; celle des Mahométans est l'hégire ; celle des Juifs, la création du monde ; celle des anciens Grecs, les Olympiades ; celle des Romains, la fondation de Rome ; celle des anciens Perses et Assyriens, est l'époque ou l'ère de Nabonassar. Voyez INCARNATION, HEGIRE, OLYMPIADE, etc.

La connaissance et l'usage des époques est d'un grand avantage dans la Chronologie. Voyez CHRONOLOGIE.

C'est principalement dans l'histoire ancienne que les époques sont nécessaires. L'incertitude de la chronologie oblige de se fixer à quelques points principaux pour se former un système suivi. La manière différente de compter l'année chez les différents peuples, contribue à la difficulté de bien fixer les époques.

Pour réduire les années d'une époque à celle d'une autre, c'est-à-dire pour trouver quelle est l'année de l'une qui correspond à une année donnée de l'autre, on a inventé une période d'années qui commence avant toutes les époques connues, et qui en est, pour ainsi dire, le rendez-vous commun ; cette période est appelée periode julienne. C'est à cette periode que l'on réduit toutes les époques, en déterminant l'année de cette période, à laquelle chaque époque commence. Ainsi, il ne reste plus qu'à ajouter l'année proposée d'une époque à l'année de la période qui correspond au commencement de cette époque, et à retrancher de cette même année proposée l'année de la même période qui répond à l'autre époque, le reste est l'année de cette autre époque. Voyez PERIODE JULIENNE.

L'époque de Jesus-Christ ou de notre Seigneur, est l'époque vulgaire de toute l'Europe ; elle commence à la nativité du Sauveur le 25 Décembre, ou plutôt, selon la manière ordinaire de compter, à sa circoncision le premier Janvier : mais en Angleterre, elle commence à l'incarnation ou à l'annonciation de la Vierge le 25 de Mars, neuf mois avant la nativité. Voyez NATIVITE, CIRCONCISION, ANNONCIATION, etc.

L'année de la période julienne répondante à celle de la naissance et de la circoncision de J. C. est ordinairement comptée pour la 4713 de cette période. Ainsi la première année de notre ere répond à la 4714 année de la période julienne.

Donc 1°. si à une année donnée de J. C. on ajoute 4713, la somme sera l'année de la periode julienne qui répond à l'année proposée ; par exemple, si à la présente année 1755 on ajoute 4713, la somme 6468 sera l'année où nous sommes de la période julienne. 2°. Au contraire, si on ôte 4713 d'une année donnée de la période julienne, le reste est l'année courante de J. C. Par exemple, si de l'année 6468 de la période julienne on ôte 4713, le reste sera l'année courante 1755.

L'époque de la naissance de notre Seigneur sert non seulement au calcul des années écoulées depuis le commencement de l'époque, mais encore aux calculs de celles qui l'ont précédé.

Pour trouver l'année de la période julienne, répondante à une année donnée avant J. C. il faut soustraire de 4714 l'année proposée, le reste sera l'année correspondante que l'on cherche. Ainsi on trouvera que l'année 752 avant J. C. est l'année 3956 de la période julienne. Au contraire, si on soustrait de 4714 une année proposée de la période julienne de 4714, le reste est l'année correspondante avant J. C.

L'auteur de l'époque vulgaire, ou de la méthode de compter les années depuis la naissance de J. C. est Denis le Petit, Abbé de Rome, Scythe de nation, qui florissait sous l'empire de Justinien vers l'an 507 ; ce Denis en avait eu la première idée par un moine égyptien, nommé Panodore. Jusqu'alors les Chrétiens comptaient les années ou depuis la fondation de Rome, ou par l'ordre des empereurs et des consuls, ou suivant les autres méthodes des peuples parmi lesquels ils vivaient.

Cette diversité occasionna une grande dispute entre les églises d'Orient et celles d'Occident. Denis pour la faire cesser, proposa le premier une nouvelle forme d'année, et une nouvelle ere générale, qui furent l'une et l'autre généralement reçues en peu d'années.

Denis commença son ere à l'incarnation, ou à la fête appelée communément annonciation de la Vierge. Cette méthode est encore en usage dans les pays de la domination de la grande Bretagne, mais elle n'est plus en usage que là ; dans les autres pays de l'Europe, on commence l'année au premier Janvier, excepté en cour de Rome, où l'époque de l'incarnation est encore employée dans la date des bulles. Voyez INCARNATION.

Il faut ajouter que dans cette époque de Denis il y a une méprise : on croit communément qu'il a mis la naissance de J. C. un an trop tard, ou que J. C. était né l'hiver d'avant celui que Denis marque pour la conception. Mais la vérité est que cette faute doit être imputée à Bede qui a mal entendu Denis, et dont nous suivons l'interprétation ; c'est ce que le P. Petau a fort bien prouvé par les lettres mêmes de Denis. Car Denis commence son cycle à l'année 4712 de la période julienne, mais il ne commence son époque qu'à l'année 4713, où l'ère vulgaire suppose que J. C. a été incarné.

Ainsi la première année de J. C. selon l'époque vulgaire, est la seconde selon le calcul de Denis. Par conséquent la présente année 1755 devrait être en rigueur 1756 ; quelques chronologistes prétendent même qu'il y a erreur, non-seulement d'un an, mais de deux.

C'est à cette ere vulgaire que les Chronologistes réduisent toutes les autres époques comme à un point fixe et déterminé : cependant il n'y a aucune de ces époques qui ne soit le sujet de quelque dispute, tant il y a d'incertitude dans la doctrine des temps. Nous allons rapporter les principales de ces époques, réduites à la periode julienne.

L'époque de la création, orbis conditi, appelée aussi époque juive, est, selon le calcul des Juifs, l'année 953 de la période julienne, qui répond à l'année 3761 avant J. C. et commence au 7 d'Octobre.

Donc si on ôte 952 ans d'une année donnée de la période julienne, le reste sera l'année de l'époque juive qui y répond. Par exemple, la présente année étant la 6459 de la période julienne, se trouvera être la 5507 de l'époque juive, ou de la création du monde.

Cette époque est encore en usage parmi les Juifs.

L'époque de la création, en usage parmi les historiens grecs, est l'année 787 avant la période julienne, répondant à l'année 5500 avant J. C.

Ajoutant donc 787 à une année donnée de la période julienne, la somme est l'année de cette époque : par exemple, 6459 étant l'année où nous sommes de la période julienne, la présente année de cette époque, ou de l'âge du monde, suivant le calcul des Grecs, sera 7246.

L'auteur de cette époque est Jules Africain qui l'a tirée des Historiens. Mais quand on voulut s'en servir dans l'usage civil, il fallut y ajouter huit ans, afin que chaque année divisée par quinze put marquer l'indiction dont les empereurs d'Orient se servaient pour dater leurs chartres et leurs diplomes.

L'époque de la création en usage parmi les Grecs modernes et parmi les Russes, est l'année 735 avant la période julienne, ou l'année 5509 avant J. C. commençant au premier de Septembre ; cependant les Russes ont admis dans la suite le calendrier julien, qui commence l'année au premier de Janvier.

Ajoutant donc 795 à une année donnée de la période julienne, la somme sera l'année de cette époque ; ainsi l'année julienne étant aujourd'hui 6468, la présente année de la création, selon ce calcul, sera 7263 ; et de la présente année 7263 ôtant 5508, le reste sera l'année courante 1755.

Cette ere était employée par les empereurs d'Orient dans leurs diplomes, et c'est pour cela aussi qu'on l'appelait l'ère civîle des Grecs. Elle est en effet la même que l'époque de la période constantinopolitaine ; c'est pourquoi quelques-uns l'appellent l'époque de la période de Constantinople. Voyez PERIODE.

L'époque alexandrienne de la création, est l'année 780 avant la période julienne, qui répond à l'année 5494 avant J. C. et qui commence au 29 d'Aout.

Ajoutant donc 5493 à la présente année de J. C. 1755, la somme 7248 donnera la présente année de cette époque, ou les années écoulées depuis la création, en suivant cette méthode de calculer.

Cette époque fut imaginée par Panodore, moine égyptien, pour faciliter le calcul de la Pâque ; c'est pourquoi quelques auteurs l'appellent l'époque ecclésiastique grecque.

L'époque eusébienne de la création, est l'année 486 de la période julienne, qui répond à l'année 4228 avant J. C. et commence en automne.

Otant donc 486 de la présente année julienne 6468, ou ajoutant 4228 à la présente année de J. C. le nombre 5983 qui en résulte, sera la présente année, suivant l'époque eusébienne.

Cette époque est celle qui est suivie dans la chronique d'Eusebe et dans le martyrologe romain.

L'époque des olympiades est l'année 3938 de la période julienne, répondant à l'année 776 avant J. C. et à l'année 2985 de la création ; elle commence à la pleine-lune qui suit le solstice d'été, et chaque olympiade renferme quatre ans.

Cette époque est fort célèbre dans l'histoire ancienne ; elle était en usage principalement chez les Grecs, et tirait son origine des jeux olympiques, que l'on célébrait au commencement de chaque cinquième année. Voyez OLYMPIADE.

Epoque de la fondation de Rome, ou Urbis conditae, V. C. est l'année 3961 de la période julienne, selon Varron ; ou l'année 3962, selon les fastes capitolins : elle repond à l'année 753 ou 752 avant J. C. et commence au 21 d'Avril. Donc si les années de cette époque sont moindres que 754, il faudra les soustraire de 754 ou 753, pour avoir les années correspondantes avant J. C. Si elles sont plus grandes que 754, il faudra les ajouter pour avoir l'année de la fondation de Rome, et en soustraire 754 pour avoir l'année de J. C. ainsi, selon le calcul de Varron, la présente année 1755 est la 2518e. de la fondation de Rome.

L'époque de Nabonassar est l'année 3967 de la période julienne, qui répond à l'année 774 avant J. C. et commence au 26 Février.

Cette ere est ainsi appelée du nom de son instituteur Nabonassar roi de Babylone, et c'est celle dont Ptolomée s'est servi dans les observations astronomiques, aussi bien que Censorin et plusieurs autres.

L'époque dioclétienne, ou l'époque des martyrs, est l'année 4997 de la période julienne, répondant à l'année 293 de J. C. On l'appelle ere des martyrs, à cause du grand nombre de Chrétiens qui souffrirent le martyre sous le règne de cet empereur.

Les Abyssins, qui s'en servent encore dans toutes leurs computations, l'appellent les années de grâce : cependant leurs années ne forment pas une suite continue depuis cette époque ; mais quand la période Dionysienne de 534 est expirée, ils recommencent à compter de nouveau par 1, 2, etc.

L'époque de l'hégire, ou époque mahometane, est l'année 5335 de la période julienne, qui répond à l'an 622 de J. C. Elle commence au 16 de Juillet, qui est le jour où Mahomet s'enfuit de la Meque à Médine.

Cette époque est celle dont se servent les Turcs et les Arabes, et en général tous les Musulmants sectateurs de la loi de Mahomet. Son premier instituteur fut Omar, troisième empereur des Turcs. Les astronomes Alfraganus, Albategnius, Alphonse, et Ulugh-Beigh, mettent la fuite de Mahomet au 15 de Juillet ; mais tous les peuples qui font usage de cette époque, la fixent au 16 de ce même mois. Voyez HEGIRE.

L'époque des Séleucides, dont les Macédoniens se servaient, est l'année 4402 de la période julienne, répondant à l'année 312 avant Jesus-Christ. Voyez SELEUCIDES.

L'époque persienne, ou yezdegerdique, est l'année 5345 de la période julienne, répondant à l'année 632 de J. C. et commençant au 16 de Juin.

Cette époque est fixée à la mort d'Yezdegerde dernier roi de Perse, tué dans une bataille contre les Sarrasins.

Epoque julienne, ou époque des années juliennes, est l'année 4668 de la période julienne, répondant à l'année 45 avant J. C.

Cette époque commence à l'année où Jules-César réforma le calendrier. On appelle cette année, année de confusion. Voyez AN.

Epoque grégorienne, Voyez GREGORIEN.

Epoque espagnole, est l'année 4676 de la période julienne, répondant à l'année 38. avant J. C. Voyez ERE.

L'époque actiaque ou actienne, est l'année 4684 de la période julienne, répondant à l'année 30 avant J. C. et commençant au 29 d'Aout.

Les autres mémorables époques sont celle du déluge, l'an 1656 de la Création ; la naissance d'Abraham en 2079 ; l'exode des Israélites, ou leur sortie d'Egypte en 2544 ; la construction du temple de Jérusalem en 3002 ; la destruction de ce même temple l'an 50 de J. C. la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, etc. Chambers. (G)