SOUVENIR, RESSOUVENIR, RÉMINISCENCE, (Synonyme) ces quatre mots expriment également l'attention renouvellée de l'esprit à des idées qu'il a déjà aperçues. Mais la différence des points de vue accessoires qu'ils ajoutent à cette idée commune, assigne à ces mots des caractères distinctifs, qui n'échappent point à la justesse des bons écrivains, dans le temps même qu'ils s'en doutent le moins : le gout, qui sent plus qu'il ne discute, devient pour eux une sorte d'instinct, qui les dirige mieux que ne feraient les raisonnements les plus subtils, et c'est à cet instinct que sont dû.s les bonnes fortunes qui n'arrivent qu'à des gens d'esprit, comme le disait un des écrivains de nos jours qui méritait le mieux d'en trouver, et qui en trouvait très-fréquemment.

La mémoire et le souvenir expriment une attention libre de l'esprit à des idées qu'il n'a point oubliées, quoiqu'il ait discontinué de s'en occuper : les idées avaient fait des impressions durables ; on y jette un coup-d'oeil nouveau par choix, c'est une action de l'âme.

Le ressouvenir et la reminiscence expriment une attention fortuite à des idées que l'esprit avait entièrement oubliées et perdues de vue : ces idées n'avaient fait qu'une impression légère, qui avait été étouffée ou totalement effacée par de plus fortes ou de plus récentes ; elles se représentent d'elles-mêmes, ou du-moins sans aucun concours de notre part ; c'est un événement où l'âme est purement passive.

On se rappelle donc la mémoire ou le souvenir des choses quand on veut, cela dépend uniquement de la liberté de l'âme ; mais la mémoire ne concerne que les idées de l'esprit ; c'est l'acte d'une faculté subordonnée à l'intelligence, elle sert à l'éclairer : au-lieu que le souvenir regarde les idées qui intéressent le cœur ; c'est l'acte d'une faculté nécessaire à la sensibilité de l'âme, elle sert à l'échauffer.

C'est dans ce sens que l'auteur du Père de famille a écrit : Rapportez tout au dernier moment, à ce moment où la mémoire des faits les plus éclatants ne vaudra pas le souvenir d'un verre d'eau présenté par humanité à celui qui avait soif. (Epit. dédic.) On peut dire aussi dans le même sens : qu'une âme bienfaisante ne conserve aucun souvenir de l'ingratitude de ceux à qui elle a fait du bien ; ce serait se déchirer elle-même et détruire son penchant favori : cependant elle en garde la mémoire, pour apprendre à faire le bien ; et c'est le plus précieux et le plus négligé de tous les arts.

On a le ressouvenir ou la réminiscence des choses quand on peut ; cela tient à des causes indépendantes de notre liberté. Mais le ressouvenir ramène tout-à-la-fais les idées effacées et la conviction de leur préexistence ; l'esprit le reconnait : au-lieu que la réminiscence ne réveille que les idées anciennes, sans aucune réflexion sur cette préexistence ; l'esprit croit les connaître pour la première fais.

L'attention que nous donnons à certaines idées, soit par notre choix, soit par quelque autre cause, nous porte souvent des idées toutes différentes, qui tiennent aux premières par des liens très-délicats et quelquefois même imperceptibles. S'il n'y a entre ces idées que la liaison accidentelle qui peut venir de notre manière de voir, ou si cette liaison est encore sensible nonobstant les autres liens qui peuvent les attacher l'un à l'autre ; nous avons alors par les unes le ressouvenir des autres ; nous reconnaissons les premières traces : mais si la liaison que notre ancienne manière de voir a mise entre ces idées, n'a pas fait sur nous une impression sensible, et que nous n'y distinguions que le lien apparent de l'analogie ; nous pouvons alors n'avoir des idées postérieures qu'une réminiscence, jouir sans scrupule du plaisir de l'invention, et être même plagiaires de bonne-foi ; c'est un piège où maints auteurs ont été pris.

Il y a en latin quatre verbes qui me paraissent assez répondre à nos quatre noms français, et différer entr'eux par les mêmes nuances ; savoir meminisse, recordari, memorari ; et reminisci.

Le premier a la forme et le sens actif, et vient, comme tout le monde sait, du vieux verbe meno, dont le prétérit par réduplication de la première consonne est memini ; meminisse, se rappeler la mémoire ce qui est en effet l'action de l'esprit.

Le second a la forme et le sens passif, recordari, se recorder, ou plutôt être recordé, recevoir au cœur une impression qu'il a déjà reçue anciennement, mais la recevoir par le souvenir d'une idée touchante : si ce verbe a la forme et le sens passif, c'est que, quoique l'esprit agisse ici, le cœur y est purement passif, puisque son émotion est une suite nécessaire et irrésistible de l'acte de mémoire qui l'occasionne ; et il y a une sorte de délicatesse à montrer de préférence l'état conséquent du cœur, Ve d'ailleurs qu'il indique suffisamment l'acte intérieur de l'esprit, comme l'effet indique assez la cause d'où il part : Tua in me studia et officia multùm tecùm recordere, dit Cicéron à Trébonius (Epist. famil. XVe 24.) et comme s'il avait eu le dessein formel de nous faire remarquer dans ce recordere l'esprit et le cœur, il ajoute : non modo virum bonum me existimabis, ce qui me semble designer l'opération de l'esprit simplement, verùm etiam te à me amari plurimùm judicabis, ce qui est dit pour, aller au cœur.

Les deux derniers, memorari, être averti par une mémoire accidentelle et non spontanée, avoir le ressouvenir, et reminisci, être ramené aux anciennes notions de l'esprit, en avoir la réminiscence ; ces deux derniers, dis-je, ont la forme et le sens passif, quoi qu'en disent les traducteurs ordinaires, à qui la dénomination de verbe déponent mal entendue en a imposé ; et ce sens passif a bien de l'analogie avec ce que j'ai observé sur le ressouvenir et la réminiscence.

Au reste, malgré les conjectures étymologiques, peut-être serait-il difficîle de justifier ma pensée entièrement par des textes précis : mais il ne faudrait pas non plus pour cela la condamner trop ; car si l'euphonie a amené dans la diction des fautes même contre l'analogie et les principes fondamentaux de la grammaire, selon la remarque de Cicéron (Orat. n. 47.) Impetratum est à consuetudine ut peccare suavitatis causâ liceret ; combien l'harmonie n'aura-t-elle pas exigé des sacrifices de la justesse qui décide du choix des synonymes ? Dans notre langue même, où les lois de l'harmonie ne sont pas à beaucoup près si impérieuses que dans la langue latine, combien de fois les meilleurs écrivains ne sont-ils pas obligés d'abandonner le mot le plus précis, et de lui substituer un synonyme modifié par quelque correctif, plutôt que de faire une phrase mal sonnante, mais juste ? (B. E. R M.)

MEMOIRE, s. f. (Métaphysique) il est important de bien distinguer le point qui sépare l'imagination de la mémoire. Ce que les Philosophes en ont dit jusqu'ici est si confus, qu'on peut souvent appliquer à la memoire ce qu'ils disent de l'imagination, et à l'imagination ce qu'ils disent de la mémoire. Locke fait lui-même consister celle-ci en ce que l'âme a la puissance de réveiller les perceptions qu'elle a déjà eues, avec un sentiment qui dans ce temps-là la convainc qu'elle les a eues auparavant. Cependant cela n'est point exact ; car il est constant qu'on peut fort bien se souvenir d'une perception qu'on n'a pas le pouvoir de réveiller.

Tous les Philosophes sont ici tombés dans l'erreur de Locke. Quelques-uns qui prétendent que chaque perception laisse dans l'âme une image d'elle-même, à-peu-près comme un cachet laisse son empreinte, ne font pas exception ; car que serait-ce que l'image d'une perception qui ne serait pas la perception même ? La méprise en cette occasion vient de ce que, faute d'avoir assez considéré la chose, on a pris pour la perception même de l'objet quelques circonstances ou quelque idée générale, qui en effet le réveillent.

Voici donc en quoi différent l'imagination, la mémoire et la réminiscence ; trois choses que l'on confond assez ordinairement. La première réveille les perceptions mêmes ; la seconde n'en rappelle que les signes et les circonstances ; et la dernière fait reconnaître celles qu'on a déjà eues.

Mais pour mieux connaître les bornes posées entre l'imagination et la mémoire, distinguons les différentes perceptions que nous sommes capables d'éprouver, et examinons quelles sont celles que nous pouvons réveiller, et celles dont nous ne pouvons nous rappeler que les signes, quelques circonstances ou quelque idée générale. Les premières donnent de l'exercice à l'imagination et les autres à la mémoire.

Les idées d'étendues sont celles que nous réveillons le plus aisément ; parce que les sensations d'où nous les tirons sont telles que, tant que nous veillons, il nous est impossible de nous en séparer. Le goût et l'odorat peuvent n'être point affectés ; nous pouvons n'entendre aucun sens et ne voir aucune couleur ; mais il n'y a que le sommeil qui puisse nous enlever les perceptions du toucher. Il faut absolument que notre corps porte sur quelque chose, et que ses parties pesent les unes sur les autres. De-là nait une perception qui nous les représente comme distantes et limitées, et qui par conséquent emporte l'idée de quelque étendue.

Or, cette idée, nous pouvons la généraliser en la considérant d'une manière indéterminée. Nous pouvons ensuite la modifier et en tirer, par exemple, l'idée d'une ligne droite ou courbe. Mais nous ne saurions réveiller exactement la perception de la grandeur d'un corps, parce que nous n'avons point là-dessus d'idée absolue qui puisse nous servir de mesure fixe. Dans ces occasions, l'esprit ne se rappelle que les noms de pied, de taise, etc. avec une idée de grandeur d'autant plus vague que celle qu'il veut se représenter est plus considérable.

Avec le secours de ces premières idées, nous pouvons en l'absence des objets nous représenter exactement les figures les plus simples : tels sont des triangles et des carrés : mais que le nombre des côtés s'augmente considérablement, nos efforts deviennent superflus. Si je pense à une figure de mille côtés et à une de 999, ce n'est pas par des perceptions que je les distingue, ce n'est que par les noms que je leur ai donnés : il en est de même de toutes les notions complexes ; chacun peut remarquer que, quand il en veut faire usage, il ne se retrace que les noms. Pour les idées simples qu'elles renferment, il ne peut les réveiller que l'une après l'autre, et il faut l'attribuer à une opération différente de la mémoire.

L'imagination s'aide naturellement de tout ce qui peut lui être de quelque secours. Ce sera par comparaison avec notre propre figure que nous nous représenterons celle d'un ami absent, et nous l'imaginerons grand ou petit, parce que nous en mesurerons en quelque sorte la taille avec la nôtre. Mais l'ordre et la symétrie sont principalement ce qui aide l'imagination, parce qu'elle y trouve différents points auxquels elle se fixe et auxquels elle rapporte le tout. Que je songe à un beau visage, les yeux ou d'autres traits qui m'auront le plus frappé, s'offriront d'abord, et ce sera relativement à ces premiers traits que les autres viendront prendre place dans mon imagination. On imagine donc plus aisément une figure à proportion qu'elle est plus régulière ; on pourrait même dire qu'elle est plus facîle à voir, car le premier coup-d'oeil suffit pour s'en former une idée. Si au contraire elle est fort irrégulière, on n'en viendra à bout qu'après en avoir longtemps considéré les différentes parties.

Quand les objets qui occasionnent les sensations de gout, de son, d'odeur, de couleur et de lumière sont absens, il ne reste point en nous de perception que nous puissions modifier pour en faire quelque chose de semblable à la couleur, à l'odeur et au gout, par exemple d'une orange. Il n'y a point non plus d'ordre, de symétrie, qui vienne ici au secours de l'imagination. Ces idées ne peuvent donc se réveiller qu'autant qu'on se les est rendues familières. Par cette raison, celles de la lumière et des couleurs doivent se retracer le plus aisément, ensuite celles des sons. Quant aux odeurs et aux saveurs, on ne réveille que celles pour lesquelles on a un goût plus marqué. Il reste donc bien des perceptions dont on peut se souvenir, et dont cependant on ne se rappelle que les noms. Combien de fois même cela n'a-t-il pas lieu par rapport aux plus familières, où l'on se contente souvent de parler des choses sans les imaginer ?

On peut observer différents progrès dans l'imagination. Si nous voulons réveiller une perception qui nous est peu familière, telle que le goût d'un fruit dont nous n'avons mangé qu'une fais, nos efforts n'aboutiront ordinairement qu'à causer quelque ébranlement dans les fibres du cerveau et de la bouche ; et la perception que nous éprouverons ne ressemblera point au goût de ce fruit : elle serait la même pour un melon, pour une pêche, ou même pour un fruit dont nous n'aurions jamais gouté. On en peut remarquer autant par rapport aux autres sens. Mais quand une perception est familière, les fibres du cerveau accoutumées à fléchir sous l'action des objets obéissent plus facilement à nos efforts ; quelquefois même nos idées se retracent sans que nous y ayons part, et se présentent avec tant de vivacité, que nous y sommes trompés et que nous croyons avoir les objets sous les yeux ; c'est ce qui arrive aux fous et à tous les hommes quand ils ont des songes.

On pourrait, à l'occasion de ce qui vient d'être dit, faire deux questions. La première, pourquoi nous avons le pouvoir de réveiller quelques-unes de nos perceptions. La seconde, pourquoi, quand ce pouvoir nous manque, nous pouvons souvent nous rappeler au-moins les noms ou les circonstances.

Pour répondre d'abord à la seconde question, je dis que nous ne pouvons nous rappeler les noms ou les circonstances qu'autant qu'ils sont familiers. Alors ils rentrent dans la classe des perceptions qui sont à nos ordres, et dont nous allons parler en répondant à la première question, qui demande un plus grand détail.

La liaison de plusieurs idées ne peut avoir d'autre cause que l'attention que nous leur avons donnée, quand elles se sont présentées ensemble. Ainsi les choses n'attirant notre attention que par le rapport qu'elles ont à notre tempérament, à nos passions, à notre état, ou, pour tout dire en un mot, à nos besoins ; c'est une conséquence que la même attention embrasse tout-à-la-fais les idées des besoins et celles des choses qui s'y rapportent, et qu'elle les lie.

Tous nos besoins tiennent les uns aux autres, et l'on en pourrait considérer les perceptions comme une suite d'idées fondamentales auxquelles on rapporterait toutes celles qui font partie de nos connaissances. Au-dessus de chacun s'éleveraient d'autres suites d'idées qui formeraient des espèces de chaînes, dont la force serait entièrement dans l'analogie des signes, dans l'ordre des perceptions, et dans la liaison que les circonstances, qui réunissent quelquefois les idées les plus disparates, auraient formée. A un besoin est liée l'idée de la chose qui est propre à le soulager ; à cette idée est liée celle du lieu où cette chose se rencontre ; à celle-ci, celle des personnes qu'on y a vues ; à cette dernière, les idées des plaisirs ou des chagrins qu'on en a reçus et plusieurs autres. On peut même remarquer qu'à mesure que la chaîne s'étend, elle se soudivise en différents chainons, en sorte que plus on s'éloigne du premier anneau, plus les chainons s'y multiplient. Une première idée fondamentale est liée à deux ou trois autres ; chacune de celles-ci à un égal nombre, ou même à un plus grand, et ainsi de suite.

Ces suppositions admises, il suffirait, pour se rappeler les idées qu'on s'est rendues familières, de pouvoir donner son attention à quelques-unes de nos idées fondamentales auxquelles elles sont liées. Or cela se peut toujours, puisque tant que nous veillons, il n'y a point d'instant où notre tempérament, nos passions et notre état n'occasionnent en nous quelques-unes de ces perceptions, que j'appelle fondamentales. Nous y réussirons avec plus ou moins de facilité, à proportion que les idées que nous voudrions nous retracer, tiendraient à un plus grand nombre de besoins, et y tiendraient plus immédiatement.

Les suppositions que je viens de faire ne sont pas gratuites. J'en appelle à l'expérience, et je suis persuadé que chacun remarquera qu'il ne cherche à se ressouvenir d'une chose que par le rapport qu'elle a aux circonstances où il se trouve, et qu'il y réussit d'autant plus facilement que les circonstances sont en grand nombre, ou qu'elles ont avec elle une liaison plus immédiate. L'attention que nous donnons à une perception qui nous affecte actuellement, nous en rappelle le signe ; celui-ci en rappelle d'autres, avec lesquels il a quelque rapport ; ces derniers réveillent les idées auxquelles ils sont liés ; ces idées retracent d'autres signes ou d'autres idées, et ainsi successivement.

Je suppose que quelqu'un me fait une difficulté, à laquelle je ne sais dans le moment de quelle manière satisfaire. Il est certain que, si elle n'est pas solide, elle doit elle-même m'indiquer ma réponse. Je m'applique donc à en considérer toutes les parties, et j'en trouve qui étant liés avec quelques-unes des idées qui entrent dans la solution que je cherche, ne manquent pas de les réveiller. Celles-ci, par l'étroite liaison qu'elles ont avec les autres, les retracent successivement, et je vois enfin tout ce que j'ai à répondre.

D'autres exemples se présenteront en quantité à ceux qui voudront remarquer ce qui arrive dans les cercles. Avec quelque rapidité que la conversation change de sujet, celui qui conserve son sang-froid et qui connait un peu le caractère de ceux qui parlent, voit toujours par quelle liaison d'idées on passe d'une matière à une autre. J'ai donc droit de conclure que le pouvoir de réveiller nos perceptions, leurs noms ou leurs circonstances, vient uniquement de la liaison que l'attention a mise entre ces choses, et les besoins auxquels elles se rapportent. Détruisez cette liaison, vous détruisez l'imagination et la mémoire.

Le pouvoir de lier nos idées a ses inconvéniens, comme ses avantages. Pour les faire apercevoir sensiblement, je suppose deux hommes ; l'un chez qui les idées n'ont jamais pu se lier ; l'autre chez qui elles se lient avec tant de facilité et tant de force, qu'il n'est plus le maître de les séparer. Le premier serait sans imagination et sans mémoire, il serait absolument incapable de réflexion, ce serait un imbécile. Le second aurait trop de mémoire et trop d'imagination ; il aurait à peine l'exercice de la réflexion, ce serait un fou. Entre ces deux excès, on pourrait supposer un milieu, où le trop d'imagination et de mémoire ne nuirait pas à la solidité de l'esprit, et où le trop peu ne nuirait pas à ses agréments. Peut-être ce milieu est-il si difficile, que les plus grands génies ne s'y sont encore trouvés qu'à peu-près. Selon que différents esprits s'en écartent, et tendent vers les extrémités opposées, ils ont des qualités plus ou moins incompatibles, puisqu'elles doivent plus ou moins participer aux extrémités qui s'excluent tout à fait. Ainsi ceux qui se rapprochent de l'extrémité où l'imagination et la mémoire dominent, perdent à proportion des qualités qui rendent un esprit juste, conséquent et méthodique ; et ceux qui se rapprochent de l'autre extrémité, perdent dans la même proportion des qualités qui concourent à l'agrément. Les premiers écrivent avec plus de grâce, les autres avec plus de suite et de profondeur. Lisez l'essai sur l'origine des connaissances humaines, d'où ces réflexions sont tirées.

MEMOIRES, (Littérature) terme aujourd'hui très-usité, pour signifier des histoires écrites par des personnes qui ont eu part aux affaires, ou qui en ont été témoins oculaires. Ces sortes d'ouvrages, outre quantité d'évenements publics et généraux, contiennent les particularités de la vie ou les principales actions de leurs auteurs. Ainsi nous avons les mémoires de Comines, ceux de Sully, ceux du cardinal de Retz, qui peuvent passer pour de bonnes instructions pour les hommes d'état. On nous a donné aussi une foule de livres sous ce titre. Il y a contre tous les écrits en ce genre une prévention générale, qu'il est très-difficîle de déraciner de l'esprit des lecteurs, c'est que les auteurs de ces mémoires, obligés de parler d'eux-mêmes presqu'à chaque page, aient assez dépouillé l'amour-propre et les autres intérêts personnels pour ne jamais altérer la vérité ; car il arrive que dans des mémoires contemporains partis de diverses mains, on rencontre souvent des faits et des sentiments absolument contradictoires. On peut dire encore que tous ceux qui ont écrit en ce genre, n'ont pas assez respecté le public, qu'ils ont entretenu de leurs intrigues, amourettes et autres actions qui leur paraissaient quelque chose, et qui sont moins que rien aux yeux d'un lecteur sensé.

Les Romains nommaient ces sortes d'écrits en général commentarii. Tels sont les commentaires de César, une espèce de journal de ses campagnes ; il serait à souhaiter qu'on en eut de semblables de tous les bons généraux.

On donne aussi le nom de mémoires aux actes d'une société littéraire, c'est-à-dire au résultat par écrit des matières qui y ont été discutées et éclaircies, nous avons en ce genre les mémoires de l'académie des Sciences et ceux de l'académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; le caractère de ces sortes d'écrits est l'élégance et la précision, une méthode qui ramène au sujet tout ce qui peut l'éclaircir, et qui en écarte avec le même soin tout ce qui est étranger. Ces deux qualités règnent dans la plupart des pièces qui composent les recueils dont nous venons de parler, et font suffisamment l'éloge des sociétés savantes qui leur ont donné le jour.

MEMOIRE, (Jurisprudence) signifie la bonne ou mauvaise réputation qu'on laisse après soi. On fait le procès au cadavre ou à la mémoire des criminels de lése-majesté divine ou humaine, de ceux qui ont été tués en duel, ou qui ont été homicides d'eux-mêmes, ou qui ont été tués en faisant rebellion à justice avec force ouverte ; et pour cet effet on nomme un curateur au cadavre ou à la mémoire du défunt. Voyez le tit. XXII. de l'Ordonnance criminelle.

La veuve, les enfants et parents d'un condamné par sentence de contumace, qui sera décédé avant les cinq ans, à compter du jour de son exécution, peuvent appeler de la sentence, à l'effet de purger la mémoire du défunt, s'ils prétendent qu'il a été condamné injustement. Voyez le tit. XXVII. de l'Ordonnance criminelle. On brule le procès de ceux qui ont commis des crimes atroces, pour effacer la mémoire de leur crime. (A)

MEMOIRE, ou FACTUM, (Jurisprudence) est aussi un écrit qui est ordinairement imprimé ; contenant le fait et les moyens d'une cause, instance ou procès. Voyez FACTUM. (A)

MEMOIRE DES FRAIS, (Jurisprudence) est un état des frais, déboursés, vacations et droits dû. à un procureur par la partie. Ce mémoire diffère de la déclaration de dépens, en ce que celle-ci est signifiée au procureur adverse, et que l'on n'y comprend que les frais qui entrent en taxe ; au lieu que dans le mémoire des frais, le procureur comprend en général tout ce qui lui est dû par la partie, comme les ports de lettres et autres faux frais, et ce qui lui est dû pour ses pertes, soins et vacations extraordinaires, et autres choses qui n'entrent point en taxe. Voyez DEPENS. (A)

MEMOIRE, en termes de Commerce, écrit sommaire qu'on dresse pour soi-même, ou qu'on donne à un autre pour se souvenir de quelque chose.

On appelle aussi quelquefois mémoire chez les marchands et chez les artisans, les parties qu'ils fournissent à ceux à qui ils ont vendu de la marchandise, ou livré de l'ouvrage.

Ces mémoires ou parties, pour être bien dressées, doivent non-seulement contenir en détail la nature, la qualité et la quantité des marchandises fournies, ou des ouvrages livrés à crédit, mais encore l'année, le mois et le jour du mois qu'ils l'ont été, à qui on les a donnés, les ordres par écrit, s'il y en a, les prix convenus, ou ceux qu'on a dessein de les vendre, enfin les sommes déjà reçues à compte. Voyez PARTIES.

Les marchands, négociants et banquiers appellent agenda, les mémoires qu'ils dressent pour eux-mêmes, et qu'ils portent toujours sur eux, et conservent le nom de mémoires à ceux qu'ils donnent à leurs garçons et facteurs, ou qu'ils envaient à leurs correspondants ou commissionnaires. Voyez AGENDA.

Les mémoires que les commissionnaires dressent des marchandises qu'ils envaient à leurs commettants, se nomment factures, et ceux dont ils chargent les voituriers qui doivent les conduire, se nomment lettres de voiture. Voyez FACTURES et LETTRES DE VOITURE, Dict. de Comm. (v)