S. f. (Grammaire) " c'est, dit M. du Marsais, une figure, par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d'un nom (j'aimerais mieux dire d'un mot) à une autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui est dans l'esprit. Un mot pris dans un sens métaphorique perd sa signification propre, et en prend une nouvelle qui ne se présente à l'esprit que par la comparaison que l'on fait entre le sens propre de ce mot, et ce qu'on lui compare : par exemple, quand on dit que le mensonge se pare souvent des couleurs de la vérité ; en cette phrase, couleurs n'a plus de signification propre et primitive ; ce mot ne marque plus cette lumière modifiée qui nous fait voir les objets ou blancs, ou rouges, ou jaunes, etc. il signifie les dehors, les apparences ; et cela par comparaison entre le sens propre de couleurs et les dehors que prend un homme qui nous en impose sous le masque de la sincérité. Les couleurs font connaître les objets sensibles, elles en font voir les dehors et les apparences ; un homme qui ment, imite quelquefois si bien la contenance et le discours de celui qui ne ment pas, que lui trouvant le même dehors et pour ainsi dire les mêmes couleurs, nous croyons qu'il nous dit la vérité : ainsi comme nous jugeons qu'un objet qui nous parait blanc est blanc, de même nous sommes souvent la dupe d'une sincérité apparente ; et dans le temps qu'un imposteur ne fait que prendre les dehors d'homme sincère, nous croyons qu'il nous parle sincèrement.

Quand on dit la lumière de l'esprit, ce mot de lumière est pris métaphoriquement ; car comme la lumière dans le sens propre nous fait voir les objets corporels, de même la faculté de connaître et d'apercevoir, éclaire l'esprit et le met en état de porter des jugements sains.

La metaphore est donc une espèce de trope ; le mot, dont on se sert dans la métaphore, est pris dans un autre sens que dans le sens propre ; il est, pour ainsi dire, dans une demeure empruntée, dit un ancien, Festus, verbo metaphoram : ce qui est commun et essentiel à tous les tropes.

De plus, il y a une sorte de comparaison où quelque rapport équivalent entre le mot auquel on donne un sens métaphorique, et l'objet à quoi on veut l'appliquer ; par exemple, quand on dit d'un homme en colere, c'est un lion, lion est pris alors dans un sens métaphorique ; on compare l'homme en colere au lion, et voilà ce qui distingue la métaphore des autres figures ".

[Le P. Lami dit dans sa rhétorique, liv. II. ch. IIIe que tous les tropes sont des métaphores car, dit-il, ce mot qui est grec, signifie translation, et il ajoute que c'est par antonomase qu'on le donne exclusivement au trope dont il s'agit ici. C'est que sur la foi de tous les Rhéteurs, il tire le nom des racines et en traduisant par trants, en sorte que le mot grec est synonyme au mot latin translatio, comme Cicéron lui-même et Quintilien l'ont traduit : mais cette préposition pouvait aussi-bien se rendre par cùm, et le mot qui en est composé par collatio, qui aurait très-bien exprimé le caractère propre du trope dont il est question, puisqu'il suppose toujours une comparaison mentale, et qu'il n'a de justesse qu'autant que la similitude parait exacte. Pour rendre le discours plus coulant et plus élégant, dit M. Warbuthon (Essai sur les hiéroglyphes, t. I. part. I. §. 13.), la similitude a produit la métaphore, qui n'est autre chose qu'une similitude en petit. Car les hommes étant aussi habitués qu'ils le sont aux objets matériels, ont toujours eu besoin d'images sensibles pour communiquer leurs idées abstraites.

La métaphore, dit-il plus loin ; (part. II. §. 35.) est dû. évidemment à la grossiereté de la conception.... Les premiers hommes étant simples, grossiers et plongés dans le sens, ne pouvaient exprimer leurs conceptions imparfaites des idées abstraites, et les opérations réfléchies de l'entendement qu'à l'aide des images sensibles, qui, au moyen de cette application, devenaient métaphores. Telle est l'origine véritable de l'expression figurée, et elle ne vient point, comme on le suppose ordinairement, du feu d'une imagination poétique. Le style des Barbares de l'Amérique, quoiqu'ils soient d'une compléxion très-froide et très-flegmatique, le démontre encore aujourd'hui. Voici ce qu'un savant missionnaire dit des Iroquais, qui habitent la partie septentrionale du continent. Les Iroquais, comme les Lacédémoniens, veulent un discours vif et concis. Leur style est cependant figuré et tout métaphorique (Mœurs des sauv. améric. par le P. Lafiteau, t. I. p. 480.) Leur phlegme a bien pu rendre leur style concis, mais il n'a pas pu en retrancher les figures.... Mais pourquoi aller chercher si loin des exemples ? Quiconque voudra seulement faire attention à ce qui échappe généralement aux réflexions des hommes, parce qu'il est trop ordinaire, peut observer que le peuple est presque toujours porté à parler en figures. ]

" En effet, disait M. du Marsais, (Trop. part. I. art. j.) je suis persuadé qu'il se fait plus de figures un jour de marché à la Halle, qu'il ne s'en fait en plusieurs jours d'assemblées académiques ".

[ Il est vrai, continue M. Warburthon, que quand cette disposition rencontre une imagination ardente qui a été cultivée par l'exercice et la méditation, et qui se plait à peindre des images vives et fortes, la métaphore est bientôt ornée de toutes les fleurs de l'esprit. Car l'esprit consiste à employer des images énergiques et métaphoriques en se servant d'allusions extraordinaires, quoique justes. ]

" Il y a cette différence, reprend M. du Marsais, entre la métaphore et la comparaison, que dans la comparaison on se sert de termes qui font connaître que l'on compare une chose à une autre ; par exemple, si l'on dit d'un homme en colere qu'il est comme un lion, c'est une comparaison ; mais quand on dit simplement, c'est un lion, la comparaison n'est alors que dans l'esprit et non dans les termes, c'est une métaphore ". [ Eoque distat, quod illa (la similitude) comparatur rei quam volumus exprimère ; haec, (la métaphore) pro ipsâ re dicitur. Quint. Inst. VIII. 6. de Tropis. ]

" Mesurer, dans le sens propre, c'est juger d'une quantité inconnue par une quantité connue, soit par le secours du compas, de la règle, ou de quelque autre instrument, qu'on appelle mesure. Ceux qui prennent bien toutes leurs précautions pour arriver à leurs fins, sont comparés à ceux qui mesurent quelque quantité ; ainsi on dit par métaphore qu'ils ont bien pris leurs mesures. Par la même raison, on dit que les personnes d'une condition médiocre ne doivent pas se mesurer avec les grands, c'est-à-dire vivre comme les grands, se comparer à eux, comme on compare une mesure avec ce qu'on veut mesurer. On doit mesurer sa dépense à son revenu, c'est-à-dire qu'il faut régler sa dépense sur son revenu ; la quantité du revenu doit être comme la mesure de la quantité de la dépense.

Comme une clé ouvre la porte d'un appartement et nous en donne l'entrée, de même il y a des connaissances préliminaires qui ouvrent, pour ainsi dire, l'entrée aux sciences plus profondes : ces connaissances ou principes sont appelés clés par métaphore ; la Grammaire est la clé des sciences : la Logique est la clé de la Philosophie. On dit aussi d'une ville fortifiée qui est sur une frontière, qu'elle est la clé du royaume, c'est-à-dire que l'ennemi qui se rendrait maître de cette ville, serait à portée d'entrer ensuite avec moins de peine dans le royaume dont on parle. Par la même raison, l'on donne le nom de clé, en terme de Musique, à certaines marques ou caractères que l'on met au commencement des lignes de musique : ces marques font connaître le nom que l'on doit donner aux notes ; elles donnent, pour ainsi dire, l'entrée du chant.

Quand les métaphores sont régulières, il n'est pas difficîle de trouver le rapport de comparaison. La métaphore est donc aussi étendue que la comparaison ; et lorsque la comparaison ne serait pas juste ou serait trop recherchée, la métaphore ne serait pas régulière.

Nous avons déjà remarqué que les langues n'ont pas autant de mots que nous avons d'idées ; cette disette de mots a donné lieu à plusieurs métaphores : par exemple ; le cœur tendre, le cœur dur, un rayon de miel, les rayons d'une roue, etc. L'imagination vient, pour ainsi dire, au secours de cette disette ; elle supplée par les images et les idées accessoires aux mots que la langue peut lui fournir ; et il arrive même, comme nous l'avons déjà dit, que ces images et ces idées accessoires occupent l'esprit plus agréablement que si l'on se servait de mots propres, et qu'elles rendent le discours plus énergique : par exemple, quand on dit d'un homme endormi qu'il est enseveli dans le sommeil, cette métaphore dit plus que si l'on disait simplement qu'il dort. Les Grecs surprirent Troie ensevelie dans le vin et dans le sommeil, (invadunt urbem somno vinoque sepultam, Aen. II. 265.) Remarquez 1°, que dans cet exemple sepultam a un sens tout nouveau et différent du sens propre. 2°. Sepultam n'a ce nouveau sens que parce qu'il est joint à somno vinoque, avec lesquels il ne saurait être uni dans le sens propre ; car ce n'est que par une nouvelle union des termes que les mots se donnent le sens métaphorique. Lumière n'est uni dans le sens propre qu'avec le feu, le soleil et les autres objets lumineux ; celui qui le premier a uni lumière à esprit, a donné à lumière un sens métaphorique, et en a fait un mot nouveau par ce nouveau sens. Je voudrais que l'on put donner cette interprétation à ces paroles d'Horace : (Art. poet. 47.)

Dixeris egregiè, notum si callida verbum

Reddiderit junctura novum.

La métaphore est très-ordinaire ; en voici encore quelques exemples. On dit dans le sens propre, s'enivrer de quelque liqueur ; et l'on dit par métaphore, s'enivrer de plaisirs ; la bonne fortune enivre les sots, c'est-à-dire qu'elle leur fait perdre la raison, et leur fait oublier leur premier état.

Ne vous enivrez point des éloges flatteurs

Que vous donne un amas de vains admirateurs.

Boil. Art. poét. ch. iv.

Le peuple qui jamais n'a connu la prudence,

S'enivrait follement de sa vaine espérance.

Henriade, ch. VIIe

Donner un frein à ses passions, c'est-à-dire n'en pas suivre tous les mouvements, les modérer, les retenir comme on retient un cheval avec le frein, qui est un morceau de fer qu'on met dans la bouche d'un cheval.

Mézerai, parlant de l'hérésie, dit qu'il était nécessaire d'arracher cette zizanie, (Abrégé de l'hist. de Fr. François II.) c'est-à-dire, cette semence de division ; zizanie est là dans un sens métaphorique : c'est un mot grec, , lolium, qui veut dire ivraie, mauvaise herbe qui croit parmi les blés et qui leur est nuisible. Zizanie n'est point en usage au propre, mais il se dit par métaphore pour discorde, mesintelligence, division, semer la zizanie dans une famille.

Materia (matiere) se dit dans le sens propre de la substance étendue, considérée comme principe de tous les corps ; ensuite on a appelé matière par imitation et par métaphore ce qui est le sujet, l'argument, le thème d'un discours, d'un poème ou de quelque autre ouvrage d'esprit. Le prologue du I. liv. de Phèdre commence ainsi.

Aesopus autor, quam materiam reperit,

Hanc ego polivi versibus senariis ;

j'ai poli la matière, c'est-à-dire, j'ai donné l'agrément de la poésie aux fables qu'Esope a inventées avant moi.

Cette maison est bien riante, c'est-à-dire, elle inspire la gaieté comme les personnes qui rient. La fleur de la jeunesse, le feu de l'amour, l'aveuglement de l'esprit, le fil d'un discours, le fil des affaires.

C'est par métaphore que les différentes classes ou considérations auxquelles se réduit tout ce qu'on peut dire d'un sujet, sont appelés lieux communs en rhétorique et en logique, loci communes. Le genre, l'espèce, la cause, les effets, etc. sont des lieux communs, c'est-à-dire que ce sont comme autant de cellules où tout le monde peut aller prendre, pour ainsi dire, la matière d'un discours et des arguments sur toutes sortes de sujets. L'attention que l'on fait sur ces différentes classes, réveille des pensées que l'on n'aurait peut-être pas sans ce secours. Quoique ces lieux communs ne soient pas d'un grand usage dans la pratique, il n'est pourtant pas inutîle de les connaître ; on en peut faire usage pour réduire un discours à certains chefs ; mais ce qu'on peut dire pour et contre sur ce point n'est pas de mon sujet. On appelle aussi en Théologie par métaphore, loci theologici, les différentes sources où les Théologiens puisent leurs arguments. Telles sont l'Ecriture sainte, la tradition contenue dans les écrits des saints pères, des conciles, etc.

En termes de Chimie, règne se dit par métaphore, de chacune des trois classes sous lesquelles les Chimistes rangent les êtres naturels. 1° Sous le règne animal, ils comprennent les animaux. 2° Sous le règne végétal, les végétaux, c'est-à-dire ce qui croit, ce qui produit, comme les arbres et les plantes. 3° Sous le règne minéral, ils comprennent tout ce qui vient dans les mines.

On dit aussi par métaphore que la Géographie et la Chronologie sont les deux yeux de l'Histoire. On personnifie l'Histoire, et on dit que la Géographie et la Chronologie sont, à l'égard de l'Histoire, ce que les yeux sont à l'égard d'une personne vivante ; par l'une elle voit, pour ainsi dire, les lieux, et par l'autre les temps ; c'est-à-dire qu'un historien doit s'appliquer à faire connaître les lieux et les temps dans lesquels se sont passés des faits dont il décrit l'histoire.

Les mots primitifs d'où les autres sont dérivés ou dont ils sont composés, sont appelés racines par métaphore : il y a des dictionnaires où les mots sont rangés par racines. On dit aussi par métaphore, parlant des vices ou des vertus, jeter de profondes racines, pour dire s'affermir.

Calus, dureté, durillon, en latin callum, se prend souvent dans un sens métaphorique ; labor quasi callum quoddam obducit dolori, dit Cicéron, Tusc. II. n. 15. seu 36 ; le travail fait comme une espèce de calus à la douleur, c'est-à-dire que le travail nous rend moins sensibles à la douleur ; et au troisième livre des Tusculanes, n. 22. sect. 53, il s'exprime de cette sorte : Magis me moverant Corinthi subitò adspectae parietinae, quàm ipsos Corinthios, quorum animis diuturna cogitatio callum vetustatis obduxerat ; je fus plus touché de voir tout-d'un-coup les murailles ruinées de Corinthe, que ne l'étaient les Corinthiens mêmes, auxquels l'habitude de voir tous les jours depuis longtemps leurs murailles abattues, avait apporté le calus de l'ancienneté, c'est-à-dire que les Corinthiens, accoutumés à voir leurs murailles ruinées, n'étaient plus touchés de ce malheur. C'est ainsi que callere, qui dans le sens propre veut dire avoir des durillons, être endurci, signifie ensuite par extension et par métaphore, savoir bien, connaître parfaitement, en sorte qu'il se soit fait comme un calus dans l'esprit par rapport à quelque connaissance. Quo pacto id fieri soleat calleo, (Ter. Heaut. act. III. sc. IIe Ve 37.) la manière dont cela se fait, a fait un calus dans mon esprit ; j'ai médité sur cela, je sais à merveille comment cela se fait ; je suis maître passé, dit madame Dacier. Illius sensum calleo, (id. Adelph. act. IV. sc. j. Ve 17.) j'ai étudié son humeur, je suis accoutumé à ses manières, je sais le prendre comme il faut.

Vue se dit au propre de la faculté de voir, et par extension de la manière de regarder les objets : ensuite on donne par métaphore le nom de vue aux pensées, aux projets, aux desseins, avoir de grandes vues, perdre de vue une entreprise, n'y plus penser.

Gout se dit au propre du sens par lequel nous recevons les impressions des saveurs. La langue est l'organe du gout. Avoir le goût dépravé, c'est-à-dire trouver bon ce que communément les autres trouvent mauvais, et trouver mauvais ce que les autres trouvent bon. Ensuite on se sert du terme de goût par métaphore, pour marquer le sentiment intérieur dont l'esprit est affecté à l'occasion de quelque ouvrage de la nature ou de l'art. L'ouvrage plait ou déplait, on l'approuve ou on le désapprouve, c'est le cerveau qui est l'organe de ce goût là. Le goût de Paris s'est trouvé conforme au goût d'Athènes, dit Racine dans sa préface d'Iphigénie, c'est-à-dire, comme il le dit lui-même, que les spectateurs ont été émus à Paris des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce. Il en est du goût pris dans le sens figuré, comme du goût pris dans le sens propre.

Les viandes plaisent ou déplaisent au goût sans qu'on soit obligé de dire pourquoi : un ouvrage d'esprit, une pensée, une expression plait ou déplait, sans que nous soyons obligés de pénétrer la raison du sentiment dont nous sommes affectés.

Pour se bien connaître en mets et avoir un goût sur, il faut deux choses ; 1°. un organe délicat ; 2° de l'expérience, s'être trouvé souvent dans les bonnes tables, etc. on est alors plus en état de dire pourquoi un mets est bon ou mauvais. Pour être connaisseur en ouvrage d'esprit, il faut un bon jugement, c'est un présent de la nature ; cela dépend de la disposition des organes ; il faut encore avoir fait des observations sur ce qui plait ou sur ce qui déplait ; il faut avoir su allier l'étude et la méditation avec le commerce des personnes éclairées, alors on est en état de rendre raison des règles et du gout.

Les viandes et les assaisonnements qui plaisent aux uns, déplaisent aux autres ; c'est un effet de la différente constitution des organes du goût : il y a cependant sur ce point un goût général auquel il faut avoir égard, c'est-à-dire qu'il y a des viandes et des mets qui sont plus généralement au goût des personnes délicates. Il en est de même des ouvrages d'esprit : un auteur ne doit pas se flatter d'attirer à lui tous les suffrages, mais il doit se conformer au goût général des personnes éclairées qui sont au fait.

Le gout, par rapport aux viandes, dépend beaucoup de l'habitude et de l'éducation : il en est de même du goût de l'esprit ; les idées exemplaires que nous avons reçues dans notre jeunesse, nous servent de règle dans un âge plus avancé ; telle est la force de l'éducation, de l'habitude et du préjugé. Les organes accoutumés à une telle impression en sont flattés de telle sorte, qu'une impression indifférente ou contraire les afflige : ainsi, malgré l'examen et les discussions, nous continuons souvent à admirer ce qu'on nous a fait admirer dans les premières années de notre vie ; et de-là peut-être les deux partis, l'un des anciens et l'autre des modernes. ".

(J'ai quelquefois ouï reprocher à M. de Marsais d'être un peu prolixe ; et j'avoue qu'il était possible, par exemple, de donner moins d'exemples de la métaphore, et de les développer avec moins d'étendue : mais qui est-ce qui ne porte point envie à une si heureuse prolixité ? L'auteur d'un dictionnaire de langues ne peut pas lire cet article de la métaphore sans être frappé de l'exactitude étonnante de notre grammairien, à distinguer le sens propre du sens figuré, et à assigner dans l'un le fondement de l'autre : et s'il le prend pour modèle, croit-on que le dictionnaire qui sortira de ses mains, ne vaudra pas bien la foule de ceux dont on accable nos jeunes étudiants sans les éclairer ? d'autre part, l'excellente digression que nous venons de voir sur le goût n'est-elle pas une preuve des précautions qu'il faut prendre de bonne heure pour former celui de la jeunesse ? N'indique-t-elle pas même ces précautions ? Et un instituteur, un père de famille, qui met beaucoup au-dessus du goût littéraire des choses qui lui sont en effet préférables, l'honneur, la probité, la religion, verra-t-il froidement les attentions qu'exige la culture de l'esprit, sans conclure que la formation du cœur en exige encore de plus grandes, de plus suivies, de plus scrupuleuses ? Je reviens à ce que notre philosophe a encore à nous dire sur la métaphore.)

" Remarques sur le mauvais usage des métaphores. Les métaphores sont défectueuses, 1° quand elles sont tirées des sujets bas. Le P. de Colonia reproche à Tertullien d'avoir dit que le déluge universel fut la lessive de la nature : Ignobilitatis vitio laborare videtur celebris illa Tertulliani metaphora, quâ diluvium appelat naturae generale lixivium. De arte rhet.

2°. Quand elles sont forcées, prises de loin, et que le rapport n'est point assez naturel, ni la comparaison assez sensible ; comme quand Théophîle a dit : Je baignerai mes mains dans les ondes de tes cheveux ; et dans un autre endroit il dit que la charrue écorche la plaine. Théophile, dit M. de la Bruyere, (Caract. chap. j. des ouvrages de l'esprit), la charge de ses descriptions, s'appesantit sur les détails ; il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait un roman. On peut rapporter à la même espèce les métaphores qui sont tirées de sujets peu connus.

3°. Il faut aussi avoir égard aux convenances des différents styles ; il y a des métaphores qui conduisent au style poétique, qui seraient déplacées dans le style oratoire. Boileau a dit, ode sur la prise de Namur.

Accourez, troupe savante,

Des sons que ma lyre enfante

Ces arbres sont réjouis.

On ne dirait pas en prose qu'une lyre enfante des sons. Cette observation a lieu aussi à l'égard des autres tropes : par exemple, lumen dans le sens propre, signifie lumière. Les poétes latins ont donné ce nom à l'oeil par métonymie, voyez METONYMIE. Les yeux sont l'organe de la lumière, et sont, pour ainsi dire le flambeau de notre corps. Lucerna corporis tui est oculus tuus. Luc, XIe 34. Un jeune garçon fort aimable était borgne ; il avait une sœur fort belle qui avait le même défaut : on leur appliqua ce distique, qui fut fait à une autre occasion sous le règne de Philippe II. roi d'Espagne.

Parve puer, lumen quod habes concede sorori ;

Sic tu caecus Amor, sic erit illa Venus.

où vous voyez que lumen signifie l'oeil. Il n'y a rien de si ordinaire dans les poètes latins que de trouver lumina pour les yeux ; mais ce mot ne se prend point en ce sens dans la prose.

4°. On peut quelquefois adoucir une métaphore en la changeant en comparaison, ou bien en ajoutant quelque correctif : par exemple, en disant pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi, etc. L'art doit être, pour ainsi dire, enté sur la nature ; la nature soutient l'art et lui sert de base, et l'art embellit et perfectionne la nature.

5°. Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de suite, il n'est pas toujours nécessaire qu'elles soient tirées exactement du même sujet, comme on vient de le voir dans l'exemple précédent : enté est pris de la culture des arbres ; soutien, base, sont pris de l'Architecture : mais il ne faut pas qu'on les prenne de sujets opposés, ni que les termes métaphoriques, dont l'un est dit de l'autre, excitent des idées qui ne puissent point être liées, comme si l'on disait d'un orateur, c'est un torrent qui s'allume, au lieu de dire c'est un torrent qui entraîne. On a reproché à Malherbe d'avoir dit, liv. II. voyez les observ. de Ménage sur les poésies de Malherbe,

Prends ta foudre, Louis, et Ve comme un lion,

Il fallait plutôt dire comme Jupiter.

Dans les premières éditions du Cid, Chimene disait, act. III. sc. 4.

Malgré des feux si beaux qui rompent ma colere.

Feux et rompent ne vont point ensemble : c'est une observation de l'académie sur les vers du Cid. Dans les éditions suivantes on a mis troublent au lieu de rompent ; je ne sais si cette correction répare la première faute.

Ecorce, dans le sens propre, est la partie extérieure des arbres et des fruits, c'est leur couverture : ce mot se dit fort bien dans un sens métaphorique pour marquer les dehors, l'apparence des choses. Ainsi l'on dit que les ignorants s'arrêtent à l'écorce, qu'ils s'attachent, qu'ils s'amusent à l'écorce. Remarquez que tous ces verbes s'arrêtent, s'attachent, s'amusent, conviennent fort bien avec l'écorce pris au propre ; mais vous ne diriez pas au propre, fondre l'écorce ; fondre se dit de la glace ou du métal : vous ne devez donc pas dire au figuré fondre l'écorce. J'avoue que cette expression me parait trop hardie dans une ode de Rousseau, l. III. ode 6. Pour dire que l'hiver est passé et que les glaces sont fondues, il s'exprime de cette sorte :

L'hiver qui si longtemps a fait blanchir nos plaines,

N'enchaine plus le cours des paisibles ruisseaux ;

Et les jeunes zéphirs, de leurs chaudes haleines,

Ont fondu l'écorce des eaux.

6°. Chaque langue a des métaphores particulières qui ne sont point en usage dans les autres langues : par exemple, les Latins disaient d'une armée, dextrum et sinistrum cornu ; et nous disons l'aîle droite et l'aîle gauche.

Il est si vrai que chaque langue a ses métaphores propres et consacrées par l'usage, que si vous en changez les termes par les équivalents même qui en approchent le plus, vous vous rendez ridicule. Un étranger qui depuis devenu un de nos citoyens, s'est rendu célèbre par ses ouvrages, écrivant dans les premiers temps de son arrivée en France à son protecteur, lui disait : Monseigneur vous avez pour moi des boyaux de père ; il voulait dire des entrailles.

On dit mettre la lumière sous le boisseau, pour dire cacher ses talents, les rendre inutiles. L'auteur du poème de la Madeleine, liv. VII. pag. 117, ne devait donc pas dire, mettre le flambeau sous le nid ".

[Qu'il me soit permis d'ajouter à ces six remarques un septième principe que je trouve dans Quintilien, Inst. VIII. VIe c'est que l'on donne à un mot un sens métaphorique, ou par nécessité, quand on manque de terme propre, ou par une raison de préférence, pour présenter une idée avec plus d'énergie ou avec plus de décence : toute métaphore qui n'est pas fondée sur l'une de ces considérations, est déplacée. Id facimus, aut quia necesse est, aut quia significantiùs, aut quia decentiùs : ubi nihil horum praestabit, quod transferetur, improprium erit.

Mais la Métaphore assujettie aux lois que la raison et l'usage de chaque langue lui prescrivent, et est non-seulement le plus beau et le plus usité des tropes, c'en est le plus utîle : il rend le discours plus abondant par la facilité des changements et des emprunts, et il prévient la plus grande de toutes les difficultés, en désignant chaque chose par une dénomination caractéristique. Copiam quoque sermonis auget permutando, aut mutuando quod non habet ; quoque difficillimum est, praestat ne ulli rei nomen deesse videatur. Quintil. inst. VIII. VIe Ajoutez à cela que le propre des métaphores, pour employer les termes de la traduction de M. l'abbé Colin, " est d'agiter l'esprit, de le transporter tout d'un coup d'un objet à un autre ; de le presser, de comparer soudainement les deux idées qu'elles présentent, et de lui causer par les vives et promptes émotions un plaisir inexprimable ". Eae propter similitudinem transferunt animos et referunt, ac movent huc et illuc ; qui motus cogitationis, celeriter agitatus, per se ipse delectat. Cicer. orat. n. xxxjx. seu 134. et dans la traduct. de l'abbé Colin, ch. xjx. " La métaphore, dit le P. Bouhours, man. de bien penser, dialog. 2. est de sa nature une source d'agréments ; et rien ne flatte peut-être plus l'esprit que la représentation d'un objet sous une image étrangère. Nous aimons, suivant la remarque d'Aristote, à voir une chose dans une autre ; et ce qui ne frappe pas de soi-même surprend dans un habit étranger et sous un masque ". C'est la note du traducteur sur le texte que l'on vient de voir] (B. E. R. M.)