L'EMPIRE DU (Géographie) grand pays d'Asie dans les Indes, auxquelles il donne proprement le nom.

Il est borné au nord par l'Imaus, longue chaîne de montagnes où sont les sources du Sinde et du Gange ; et cette chaîne de montagnes sépare le Mogol de la grande Tartarie. Il a pour bornes à l'orient le royaume d'Aracan, dépendant de Pégu. Il se termine au midi par le golfe du Gange, et la presqu'île de Malabar et de Coromandel, dans laquelle sont comprises les nouvelles conquêtes du Décan, de Golconde, et de quelques autres pays. Enfin, il est borné du côté du couchant par la Perse et par les Agwans, qui occupent le pays de Candahar.

Timur-Bec, ou Tamerlan, fut le fondateur de l'empire des Mogols dans l'Indoustan ; mais il ne soumit pas entièrement le royaume de l'Inde ; cependant ce pays, où la nature du climat inspire la mollesse, résista faiblement à la postérité de ce vainqueur. Le sultan Babar, arrière petit-fils de Tamerlan, fit cette conquête. Il se rendit maître de tout le pays, qui s'étend depuis Samarkande, jusqu'auprès d'Agra, et lui donna des lois qui lui valurent la réputation d'un prince sage. Il mourut en 1552.

Son fils Amayun pensa perdre ce grand empire pour toujours. Un prince Patane nommé Chircha, le détrôna, et le contraignit de se réfugier en Perse. Chircha regna heureusement sous la protection de Soliman. C'est lui qui rendit la religion des Osmalis dominante dans le Mogol. On voit encore les beaux chemins, les caravanserais, et les bains qu'il fit construire pour les voyageurs. Après sa mort et celle du vainqueur de Rhodes, une armée de Persans remit Amayum sur le trône.

Akébar, successeur d'Amayum, sut non-seulement se maintenir, mais étendre avec gloire les frontières de son empire. A un esprit pénétrant, et à un courage intrépide, il joignit un cœur généreux, tendre et sensible. Il fit à l'Inde plus de bien qu'Alexandre n'eut le temps d'en faire. Ses fondations étaient immenses, et l'on admire toujours le grand chemin bordé d'arbres l'espace de 150 lieues, depuis Agra jusqu'à Lahor ; c'est un ouvrage de cet illustre prince ; il s'empoisonna par une méprise, et mourut en 1605.

Son fils Géhanguir suivit ses traces, regna 23 ans, et mourut à Bimberg en 1627.

Après sa mort ses petits-fils se firent la guerre, jusqu'à ce que l'un d'eux, nommé Orangzeb ou Aurengzeb, s'empara du trône sur le dernier de ses frères, le tua, et soutint un sceptre qu'il avait ravi par le crime. Son père vivait encore dans une prison dure, il le fit périr par le poison, en 1666. Nul homme n'a mieux montré que le bonheur n'est pas le prix de la vertu. Ce scélérat, souillé du sang de toute sa famille, réussit dans toutes ses entreprises, et mourut sur le trône chargé d'années, en 1707.

Jamais prince n'eut une carrière si longue et si fortunée. Il joignit à l'empire du Mogol, les royaumes de Visapour et de Golconde, le pays de Carnate, et presque toute cette grande presqu'île que bordent les côtes de Coromandel et de Malabar. Cet homme qui eut péri par le dernier supplice, s'il eut pu être jugé par les lois ordinaires des nations, a été le plus puissant prince de l'univers. La magnificence des rois de Perse, toute éblouissante qu'elle nous a paru, n'était que l'effort d'une cour médiocre, qui étale quelque faste, en comparaison des richesses d'Orangzeb.

De tout temps les princes asiatiques ont accumulés des trésors ; ils ont été riches de tout ce qu'ils entassaient, au-lieu que dans l'Europe, les princes sont riches de l'argent qui circule dans leurs états. Le trésor de Tamerlan subsistait encore, et tous ses successeurs l'avaient augmenté. Orangzeb y ajouta des richesses étonnantes. Un seul de ses trônes a été estimé par Tavernier 160 millions de son temps, qui font plus de 300 du nôtre. Douze colomnes d'or, qui soutenaient le dais de ce trône, étaient entourées de grosses perles. Le dais était de perles et de diamants, surmonté d'un paon, qui étalait une queue de pierreries. Tout le reste était proportionné à cette étrange magnificence. Le jour le plus solennel de l'année était celui où l'on pesait l'empereur dans des balances d'or, en présence du peuple ; et ce jour-là, il recevait pour plus de 50 millions de présents.

Si jamais, continue M. Voltaire, le climat a influé sur les hommes, c'est assurément dans l'Inde ; les empereurs y étalaient le même luxe, vivaient dans la même mollesse que les rois indiens dont parle Quinte-Curce, et les vainqueurs tartares prirent insensiblement ces mêmes mœurs, et devinrent indiens.

Tout cet excès d'opulence et de luxe n'a servi qu'au malheur du Mogol. Il est arrivé, en 1739, au petit-fils d'Orengzeb, nommé Mahamad Scha, la même chose qu'à Crésus. On avait dit à ce roi de Lydie, vous avez beaucoup d'or, mais celui qui se servira du fer mieux que vous, vous enlevera cet or.

Thamas-Kouli-kan, élevé au trône de Perse, après avoir détrôné son maître, vaincu les Agwans, et pris Candahar, s'est avancé jusqu'à Déli, pour y enlever tous les trésors que les empereurs du Mogol avaient pris aux Indiens. Il n'y a gueres d'exemples ni d'une plus grande armée que celle de Mahamad-Scha levée contre Thamas-Kouli-kan, ni d'une plus grande faiblesse. Il oppose 1200 mille hommes, dix mille pièces de canons, et deux mille éléphans armés en guerre au vainqueur de la Perse, qui n'avait pas avec lui soixante mille combattants. Darius n'avait pas armé tant de forces contre Alexandre.

La petite armée persane assiégea la grande, lui coupa les vivres, et la détruisit en détail. Le grand Mogol Mahamad fut contraint de venir s'humilier devant Thamas-Kouli-kan, qui lui parla en maître, et le traita en sujet. Le vainqueur entra dans la capitale du Mogol, qu'on nous présente plus grande, et plus peuplée que Paris et Londres. Il trainait à sa suite ce riche et misérable empereur, l'enferma dans une tour, et se fit proclamer en sa place.

Quelques troupes du Mogol prirent les armes dans Déli contre leurs vainqueurs, Thamas-Kouli-kan livra la ville au pillage. Cela fait, il emporta plus de trésors de cette capitale, que les Espagnols n'en trouvèrent à la conquête du Mexique. Ces richesses amassées par un brigandage de quatre siècles, ont été apportées en Perse par un autre brigandage, et n'ont pas empêché les Persans d'être longtemps le plus malheureux peuple de la terre. Elles y sont dispersées ou ensevelies pendant les guerres civiles, jusqu'au temps où quelque tyran les rassemblera.

Kouli-kan en partant du Mogol en laissa le gouvernement à un viceroi, et à un conseil qu'il établit. Le petit-fils d'Orengzeb garda le titre de souverain, et ne fut qu'un fantôme. Tout est rentré dans l'ordre ordinaire, quand on a reçu la nouvelle que Thamas-Kouli-kan avait été assassiné en Perse au milieu de ses triomphes.

Enfin, depuis dix ans, une nouvelle révolution a renversé l'empire du Mogol. Les princes tributaires, les vicerais ont tous secoué le joug. Les peuples de l'intérieur ont détrôné le souverain, et ce pays est devenu, comme la Perse, le théâtre des guerres civiles : tant il est vrai que le despotisme qui détruit tout se détruit finalement lui-même. C'est une subversion de tout gouvernement : il admet le caprice pour toute règle : il ne s'appuie point sur des lois qui assurent sa durée ; et ce colosse tombe par terre dès qu'il n'a plus le bras levé. C'est une belle preuve qu'aucun état n'a forme consistante, qu'autant que les lois y règnent en souveraines.

De plus, il est impossible que dans un empire où des vicerais soudoyent des armées de vingt, trente mille hommes, ces vicerais obéissent longtemps et aveuglément. Les terres que l'empereur donne à ces vicerais, deviennent, dès là même, indépendantes de lui. Les autres terres appartiennent aux grands de l'empire, aux rayas, aux nabab, aux omras. Ces terres sont cultivées comme ailleurs par des fermiers, et par des colons. Le petit peuple est pauvre dans le riche pays du Mogol, ainsi que dans presque tous les pays du monde ; mais il n'est point serf et attaché à la glebe, ainsi qu'il l'a été dans notre Europe, et qu'il l'est encore en Pologne, en Bohème, et dans plusieurs lieux de l'Allemagne. Le paysan dans toute l'Asie peut sortir de son pays quand il lui plait, et en aller chercher un meilleur, s'il en trouve.

On divise l'empire du Mogol en 23 provinces, qui sont Déli, Agra, Lahor, Guzurate, Mallua, Patana, Barar, Brampour, Baglana, Ragemal, Multan, Cabul, Tata, Asmir, Bacar, Ugen, Urécha, Cachemire, Décan, Nandé, Bengale, Visapour, et Golconde.

Ces 23 provinces sont gouvernées par 23 tyrants, qui reconnaissent un empereur amolli, comme eux, dans les délices, et qui dévorent la substance du peuple. Il n'y a point là de ces grands tribunaux permanens, dépositaires des lais, qui protegent le faible contre le fort.

L'Etmadoulet, premier ministre de l'empereur, n'est souvent qu'une dignité sans fonctions. Tout le poids du gouvernement retombe sur deux secrétaires d'état, dont l'un rassemble les trésors de l'empire, qui, à ce qu'on dit, monte par an à neuf cent millions, et l'autre est chargé de la dépense de l'empereur.

C'est un problème qui parait d'abord difficîle à résoudre, que l'or et l'argent venu de l'Amérique en Europe, aille s'engloutir continuellement dans le Mogol, pour n'en plus sortir, et que cependant le peuple soit si pauvre, qu'il y travaille presque pour rien : mais la raison en est, que cet argent ne Ve pas au peuple : il Ve aux trafiquans qui paient des droits immenses aux gouverneurs ; ces gouverneurs en rendent beaucoup au grand mogol, et enfouissent le reste.

La peine des hommes est moins payée que partout ailleurs dans cette contrée, la plus riche de la terre, parce que dans tout pays, le prix des journaliers ne passe guère leur subsistance et leur vêtement. L'extrême fertilité de l'Indoustan, et la chaleur du climat, font que cette subsistance et ce vètement ne coutent presque rien. L'ouvrier qui cherche des diamants dans les mines, gagne de quoi acheter un peu de riz et une chemise de coton ; par-tout la pauvreté sert à peu de frais la richesse.

L'empire du Mogol est en partie mahométan, en partie idolâtre, plongé dans les mêmes superstitions, et pires encore que du temps d'Alexandre. Les femmes se jettent en quelques endroits dans des buchers allumés sur le corps de leurs maris.

Une chose digne d'observation, c'est que dans ce pays-là les arts sortent rarement des familles où ils sont cultivés. Les filles des artisans ne prennent des maris que du métier de leurs pères. C'est une coutume très-ancienne en Asie, et qui avait passé autrefois en loi dans l'Egypte.

Il est difficîle de peindre un peuple nombreux, mêlangé, et qui habite cinq cent lieues de terrain. Tavernier remarque en général que les hommes et les femmes y sont olivâtres. Il ajoute, que lorsqu'on a passé Lahor, et le royaume de Cachemire, les femmes du Mogol n'ont point de poil naturellement en aucune partie du corps, et que les hommes ont très-peu de barbe. Thevenot dit qu'au royaume de Décan on marie les enfants extrêmement jeunes. Dès que le mari a dix ou douze ans, et la femme huit à dix, les parents les laissent coucher ensemble. Parmi ces femmes, il y en a qui se font découper la chair en fleurs, comme quand on applique des ventouses. Elles peignent ces fleurs de différentes couleurs avec du jus de racines, de manière que leur peau parait comme une étoffe fleurdelisée.

Quatre nations principales composent l'empire du Mogol ; les Mahométans arabes, nommés Patanes ; les descendants des Guèbres, qui s'y réfugièrent du temps d'Omar ; les Tartares de Genzis-Kan et de Tamerlan ; enfin les vrais Indiens en plusieurs tribus ou castes.

Nous n'avons pas autant de connaissances de cet empire que de celui de la Chine ; les fréquentes révolutions qui y sont arrivées depuis Tamerlan, en sont partie cause. Trais hommes, à la vérité, ont pris plaisir à nous instruire de ce pays-là, le P. Catrou, Tavernier, et Bernier.

Le P. Catrou ne nous apprend rien d'original, et n'a fait que mettre en ordre divers mémoires. Tavernier ne parle qu'aux marchands, et ne donne guère d'instructions que pour connaître les grandes routes, faire un commerce lucratif, et acheter des diamants. Bernier seul se montre un philosophe ; mais il n'a pas été en état de s'instruire à fond du gouvernement, des mœurs, des usages, et de la religion, ou plutôt des superstitions de tant de peuples répandus dans ce vaste empire. (D.J.)