(Géographie moderne) bourg de France en Normandie, au pays de Caux, à deux lieues de Caudebec et à six de Rouen. Ce bourg a le titre de seigneurie, et ses habitants ne paient ni tailles, ni aides, ni gabelles. Cette seigneurie, après avoir été cent trente-deux ans dans la maison du Bellay, est entrée dans celle du marquis d'Albon S. Marcel, et les bénédictins en possèdent aujourd'hui une partie, par leur abbaye de S. Vandreville.

On a raconté bien des fables au sujet de ce bourg, qu'on s'est avisé pendant longtemps de qualifier de royaume, d'après Robert Gaguin, historien du seizième siècle. Cet écrivain, l. II. fol. 17. rapporte que Gautier ou Vautier, seigneur d'Yvetot, chambrier du roi Clotaire I. ayant perdu les bonnes grâces de son maître par des charités qu'on lui prêta, et dont on n'est pas avare à la cour, s'en bannit de son propre mouvement, passa dans les climats étrangers, où pendant dix ans il fit la guerre aux ennemis de la foi ; qu'au bout de ce terme, se flattant que la colere du roi serait adoucie, il reprit le chemin de la France ; qu'il passa par Rome, où il vit le pape Agapet, dont il obtint des lettres de recommandation pour le roi, qui était alors à Saissons capitale de ses états. Le seigneur d'Yvetot s'y rendit un jour de vendredi-saint de l'année 536 ; et ayant appris que Clotaire était à l'église, il fut l'y trouver, se jeta à ses pieds, et le conjura de lui accorder sa grâce par le mérite de celui qui en pareil jour avait répandu son sang pour le salut des hommes ; mais Clotaire, prince farouche et cruel, l'ayant reconnu, lui passa son épée au-travers du corps.

Gaguin ajoute que le pape Agapet ayant appris une action si indigne, menaça le roi des foudres de l'Eglise, s'il ne réparait sa faute, et que Clotaire justement intimidé, et pour satisfaction du meurtre de son sujet, érigea la seigneurie d'Yvetot en royaume, en faveur des héritiers et des successeurs du seigneur d'Yvetot ; qu'il en fit expédier des lettres signées de lui et scellées de son sceau ; que c'est depuis ce temps-là que les seigneurs d'Yvetot portent le titre de rois : et je trouve, par une autorité constante et indubitable, continue Gaguin, qu'un événement aussi extraordinaire s'est passé en l'an de grâce 536.

Tout ce récit a été examiné selon les règles de la plus exacte critique, par M. l'abbé de Vertot, dans une dissertation insérée en 1714 parmi celles du recueil des Mémoires des inscriptions, tome IV. in-4°. Ce savant abbé prouve qu'aucun des historiens contemporains n'a fait mention d'un événement si singulier ; que Clotaire I. qu'on suppose souverain de cet endroit de la France où est située la seigneurie d'Yvetot, ne régnait point dans cette contrée ; que le pape Agapet était déjà mort ; que dans ce même temps les fiefs n'étaient point héréditaires ; et qu'enfin on ne datait point les actes de l'an de grâce, comme le rapporte Robert Gaguin.

Il est peut-être arrivé que dans l'espace de temps qui s'est écoulé depuis 1370 à 1390, le souverain, par une grâce singulière, tourna en franc-aleu et affranchit de tout devoir d'hommages et de vassalité la terre d'Yvetot : mais supposé qu'on veuille donner à ce franc-aleu noble le titre de royaume, les Anglais nos voisins nous en fourniront un pareil qu'on appelle le royaume de Man, de la petite île de ce nom située dans la mer d'Irlande, et au couchant de l'Angleterre.

La seigneurie d'Yvetot jouit encore aujourd'hui de tous les privilèges des francs-aleus nobles attachés à cette terre, à laquelle le vulgaire donnait autrefois le nom de royaume, ainsi qu'il parait par ces vers d'un de nos anciens poètes :

Au noble pays de Caux,

Y a quatre abbayes royaux,

Six prieurés conventuaux,

Et six barons de grand arroy,

Quatre comtes, trois ducs, un roy.

Le lecteur curieux de consulter tout ce qui regarde le prétendu royaume d'Yvetot, peut lire, outre la dissertation que nous avons indiquée, le traité de la noblesse par M. de la Roque, le Dictionnaire géographique de la France, le Mercure du mois de Janvier 1726, et le traité latin du royaume d'Yvetot par Claude Malingre, intitulé de falsâ regni Yvetotti narratione, ex majoribus commentariis in fragmentum redactâ. Paris, 1615, in-8°. (D.J.)