v. neut. et act. terme de relation, varrer, c'est prendre à la varre des tortues, quand elles viennent de temps en temps sur l'eau pour respirer.

Lorsqu'on veut varrer, ou prendre les tortues à la varre, on Ve la nuit avec un canot dans les endroits où l'on a remarqué beaucoup d'herbes coupées sur la surface de l'eau ; car c'est une marque certaine qu'il y a des tortues en cet endroit, qui coupant l'herbe en paissant, en laissent toujours échapper quelque partie, qui monte et surnage sur l'eau : celui qui tient la varre est sur le bout ou la proue du canot.

Le mot de varre est espagnol, il signifie une gaule ou perche ; celle dont on se sert en cette pêche, est de sept à huit pieds de longueur, et d'un bon pouce de diamètre, à-peu-près comme la hampe d'une halebarde. On fait entrer dans un des bouts un clou carré, de sept à huit pouces de long y compris la douille dont il fait partie ; cette douille a une boucle ou anneau de fer, ou simplement un trou, où est attachée une longue corde proprement roulée sur l'avant du canot, où un des bouts est aussi attaché, et la hampe est aussi attachée à une autre petite corde dont le varreur tient un bout.

Le varreur donc étant debout sur l'avant du canot, la varre à la main droite, examine tout autour de lui s'il voit paraitre quelque tortue, ce qui est assez aisé durant la nuit, parce qu'on voit bouillonner la surface de l'eau à l'endroit où la tortue veut lever la tête pour souffler ; ou si la tortue dort sur l'eau, ou qu'un mâle soit avec une femelle, ce qu'on appelle un cavalage, l'écaille qui reluit et qui réflechit la lumière de la lune ou des étoiles, la lui fait apercevoir aussi-tôt ; à quoi l'on doit ajouter que dans les nuits obscures il reste toujours sur la surface de la terre et des eaux un peu de lumière, qui est suffisante à ceux qui se couchent sur le ventre pour voir à une distance assez considérable autour d'eux.

Dès qu'il aperçoit la tortue, il marque avec le bout de sa varre à celui qui conduit le canot, le lieu où il faut aller ; et quand il est à portée de la tortue il la varre, c'est-à-dire il la frappe et la perce avec le clou qui est enté dans la hampe. Aussi-tôt que la tortue se sent blessée, elle fuit de toutes ses forces, et elle entraîne le canot avec une très-grande violence ; le clou qui est entré dans son écaille ne la quitte pas, et le varreur qui a retiré sa hampe s'en sert pour enseigner à celui qui est à l'arrière, où il doit gouverner.

Après qu'elle a bien couru les forces lui manquent, souvent même elle étouffe faute de venir sur l'eau pour respirer. Quand le varreur sent que la corde mollit, il la retire peu-à-peu dans le canot, et s'approchant ainsi de la tortue qu'il a fait revenir sur l'eau, morte ou extrêmement affoiblie, il la prend par une patte et son compagnon par l'autre, et ils la mettent dans le canot, et en vont chercher une seconde.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des ardillons au fer de la varre, ni que le varreur fasse entrer le fer guère plus avant que l'épaisseur de l'écaille, parce que aussi-tôt que la tortue sent la douleur que le clou lui fait en perçant son écaille, elle se resserre de telle façon qu'on a bien plus de peine à retirer le clou, qu'on en avait eu à le faire entrer.

On sera peut-être surpris de ce qui a été dit ci-dessus, que la tortue entraîne le canot avec une grande violence ; mais il sera aisé de se le persuader quand on fera réflexion à la force et à la grandeur qu'ont ces animaux dans l'Amérique, où communément on les trouve de trois pieds et demi à quatre pieds de long, sur deux pieds et demi de large, pesant jusqu'à trois cent livres, et souvent davantage. Labat, Voyage d'Amérique. (D.J.)