S. f. VERSION, s. f. (Synonyme) On entend également par ces deux mots la copie qui se fait dans une langue d'un discours premièrement énoncé dans une autre, comme d'hébreu en grec, de grec en latin, de latin en français, etc. Mais l'usage ordinaire nous indique que ces deux mots diffèrent entr'eux par quelques idées accessoires, puisque l'on emploie l'un en bien des cas où l'on ne pourrait pas se servir de l'autre : on dit, en parlant des saintes écritures, la VERSION des septante, la VERSION vulgate ; et l'on ne dirait pas de même, la TRADUCTION des septante, la TRADUCTION vulgate : on dit au contraire que Vaugelas a fait une excellente traduction de Quinte-Curce, et l'on ne pourrait pas dire qu'il en a fait une excellente version.

Il me semble que la version est plus littérale, plus attachée aux procédés propres de la langue originale, et plus asservie dans ses moyens aux vues de la construction analytique ; et que la traduction est plus occupée du fond des pensées, plus attentive à les présenter sous la forme qui peut leur convenir dans la langue nouvelle, et plus assujettie dans ses expressions aux tours et aux idiotismes de cette langue.

Delà vient que nous disons la version vulgate, et non la traduction vulgate ; parce que l'auteur a tâché, par respect pour le texte sacré, de le suivre littéralement, et de mettre, en quelque sorte, l'hébreu même à la portée du vulgaire, sous les simples apparences du latin dont il emprunte les mots. Miserunt Judaei ab Jerosolimis sacerdotes et levitas ad eum, ut interrogarent eum : tu quis es ? (Joan. j. 19.) Voilà des mots latins, mais point de latinité, parce que ce n'était point l'intention de l'auteur ; c'est l'hébraïsme tout pur qui perce d'une manière évidente dans cette interrogation directe, tu quis es : les latins auraient préféré le tour oblique quis ou quisnam esset ; mais l'intégrité du texte original serait compromise. Rendons cela en notre langue, en disant, les juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites, afin qu'ils l'interrogeassent, qui es tu ? Nous aurons une version française du même texte : adaptons le tour de notre langue à la même pensée, et disons, les juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites, pour savoir de lui qui il était ; et nous aurons une traduction.

L'art de la traduction suppose nécessairement celui de la version ; et delà vient que les translations que l'on fait faire aux jeunes gens dans nos colléges du grec ou du latin en français, sont très-bien nommées des versions : les premiers essais de traduction ne peuvent et ne doivent être rien autre chose.

La version littérale trouve ses lumières dans la marche invariable de la construction analytique, qui lui sert à lui faire remarquer les idiotismes de la langue originale, et à lui en donner l'intelligence, en remplissant les vides de l'ellipse, en supprimant les redondances du pléonasme, en ramenant à la rectitude de l'ordre naturel les écarts de la construction usuelle. Voyez INVERSION, METHODE, SUPPLEMENT, etc.

La traduction ajoute aux découvertes de la version littérale, le tour propre du génie de la langue dans laquelle elle prétend s'expliquer : elle n'emploie les secours analytiques que comme des moyens qui font entendre la pensée ; mais elle doit la rendre cette pensée, comme on la rendrait dans le second idiome, si on l'avait conçue, sans la puiser dans une langue étrangère. Il n'en faut rien retrancher, il n'y faut rien ajouter, il n'y faut rien changer ; ce ne serait plus ni version, ni traduction ; ce serait un commentaire.

Ne pouvant pas mettre ici un traité développé des principes de la traduction, qu'il me soit permis d'en donner seulement une idée générale, et de commencer par un exemple de traduction, qui, quoique sorti de la main d'un grand maître, me parait encore repréhensible.

Ciceron, dans son livre intitulé Brutus, ou des orateurs illustres, s'exprime ainsi : (ch. xxxj.) Quis uberior in dicendo Platone ? Quis Aristotele nervosior ? Theophrasto dulcior ? Voici comment ce passage est rendu en français par M. de la Bruyere, dans son discours sur Théophraste : " Qui est plus fécond et plus abondant que Platon ? plus solide et plus ferme qu'Aristote ? plus agréable et plus doux que Théophraste ? ".

C'est encore ici un commentaire plutôt qu'une traduction, et un commentaire au-moins inutile. Uberior ne signifie pas tout à la fois plus abondant et plus fécond ; la fécondité produit l'abondance, et il y a entre l'un et l'autre la même différence qu'entre la cause et l'effet ; la fécondité était dans le génie de Platon, et elle a produit l'abondance qui est encore dans ses écrits.

Nervosus, au sens propre, signifie nerveux ; et l'effet immédiat de cette heureuse constitution est la force, dont les nerfs sont l'instrument et la source : le sens figuré ne peut prendre la place du sens propre que par analogie, et nervosus doit pareillement exprimer ou la force, ou la cause de la force. Nervosior ne veut donc pas dire plus solide et plus ferme ; la force dont il s'agit in dicendo, c'est l'énergie.

Dulcior (plus agréable et plus doux) ; dulcior n'exprime encore que la douceur, et c'est ajouter à l'original que d'y joindre l'agrément : l'agrément peut être un effet de la douceur, mais il peut l'être aussi de toute autre cause. D'ailleurs pourquoi charger l'original ? Ce n'est plus le traduire, c'est le commenter ; ce n'est plus le copier, c'est le défigurer.

Ajoutez que, dans sa prétendue traduction, M. de la Bruyere ne tient aucun compte de ces mots in dicendo, qui sont pourtant essentiels dans l'original, et qui y déterminent le sens des trois adjectifs uberior, nervosior, dulcior : car la construction analytique, qui est le fondement de la version, et conséquemment de la traduction, suppose la phrase rendue ainsi ; quis fuit uberior in dicendo, prae Platone ? quis fuit nervosior in dicendo, prae Aristotele ? quis fuit dulcior in dicendo prae Theophrasto ? Or dès qu'il s'agit d'expression, il est évident que ces adjectifs doivent énoncer les effets qui y ont produit les causes qui existaient dans le génie des grands hommes dont on parle.

Ces réflexions me porteraient donc à traduire ainsi le passage dont il s'agit : Qui a dans son élocution plus d'abondance que Platon ? plus de nerf qu'Aristote ? plus de douceur que Théophraste ? si cette traduction n'a pas encore toute l'exactitude dont elle est peut-être susceptible, je crois du moins avoir indiqué ce qu'il faut tâcher d'y conserver ; l'ordre des idées de l'original, la précision de sa phrase, la propriété de ses termes. (Voyez SYNECDOQUE, §. 11. la critique d'une traduction de M. du Marsais, et au mot METHODE, la version et la traduction d'un passage de Cic.) J'avoue que ce n'est pas toujours une tâche fort aisée ; mais qui ne la remplit pas n'atteint pas le but.

" Quand il s'agit, dit M. Batteux, (Cours de belles-lettres, III. part. IVe sect.) de représenter dans une autre langue les choses, les pensées, les expressions, les tours, les tons d'un ouvrage ; les choses telles qu'elles sont, sans rien ajouter, ni retrancher, ni déplacer ; les pensées dans leurs couleurs, leurs degrés, leurs nuances ; les tours qui donnent le feu, l'esprit, la vie au discours ; les expressions naturelles, figurées, fortes, riches, gracieuses, délicates, etc. et le tout d'après un modèle qui commande durement, et qui veut qu'on lui obéisse d'un air aisé : il faut, sinon autant de génie, du-moins autant de gout, pour bien traduire que pour composer. Peut-être même en faut-il davantage. L'auteur qui compose, conduit seulement par une sorte d'instinct toujours libre, et par sa matière qui lui présente des idées qu'il peut accepter ou rejeter à son gré, est maître absolu de ses pensées et de ses expressions : si la pensée ne lui convient pas, ou si l'expression ne convient pas à la pensée, il peut rejeter l'une et l'autre : quae desperat tractata nitescère posse, relinquit. Le traducteur n'est maître de rien ; il est obligé de suivre par-tout son auteur, et de se plier à toutes ses variations avec une souplesse infinie. Qu'on en juge par la variété des tons qui se trouvent nécessairement dans un même sujet, et à plus forte raison dans un même genre.... Pour rendre tous ces degrés, il faut d'abord les avoir bien sentis, ensuite maitriser à un point peu commun la langue que l'on veut enrichir de dépouilles étrangères. Quelle idée donc ne doit-on pas avoir d'une traduction faite avec succès ? "

Rien de plus difficîle en effet, et rien de plus rare qu'une excellente traduction, parce que rien n'est ni plus difficîle ni plus rare, que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire et la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre, détruit l'esprit, et c'est l'esprit qui donne la vie : trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l'original, on en fait une copie infidèle.

Qu'il est fâcheux que les révolutions des siècles nous aient dérobé les traductions que Ciceron avait faites de grec en latin, des fameuses harangues de Démosthène et d'Eschine : elles seraient apparemment pour nous des modèles surs ; et il ne s'agirait que de les consulter avec intelligence, pour traduire ensuite avec succès. Jugeons-en par la méthode qu'il s'était prescrite dans ce genre d'ouvrage, et dont il rend compte lui-même dans son traité de optimo genere oratorum. C'est l'abrégé le plus précis, mais le plus lumineux et le plus vrai, des règles qu'il convient de suivre dans la traduction ; et il peut tenir lieu des principes les plus développés, pourvu qu'on sache en saisir l'esprit. Converti ex atticis, dit-il, duorum eloquentissimorum nobilissimas orationes inter se contrarias, Eschinis Demosthenisque ; nec converti ut interpres, sed ut orator, sententiis iisdem, et earum formis tanquam figuris ; verbis ad nostram consuetudinem aptis, in quibus non verbum pro verbo necesse habui reddere, sed genus omnium verborum vimque servavi. Non enim ea me annumerare lectori putavi oportère, sed tanquam appendere. (B. E. R. M.)