adj. (Grammaire) épithète que nous donnons aux animaux sauvages, pour exprimer cet excès de timidité qui les éloigne de notre présence ; qui les retient dans les antres au fond des forêts et dans les lieux déserts, et qui les arme contre nous et contr'eux-mêmes, lorsque nous en voulons à leur liberté. Le correlatif de farouche est apprivoisé. On a transporté cette épithète des animaux à l'homme, ou de l'homme aux animaux.

FAROUCHE, (Manège) Un cheval farouche est celui que la présence de l'homme étonne ; que son approche effraye, et qui peu sensible à ses caresses, le fuit et se dérobe à ses soins. Est-il saisi ? est-il arrêté par les liens, qui sont les marques ordinaires de sa dépendance et de sa captivité ? Il se rend inaccessible ; le plus leger attouchement le pénètre d'épouvante ; il s'en défend, soit avec les dents, soit avec les pieds, jusqu'à ce que vaincu par la patience, la douceur, et l'habitude de ne recevoir que de nos mains les aliments qui peuvent le satisfaire, il s'apprivoise, nous désire, et s'attache à nous.

Tels sont en général les chevaux sauvages, nés dans les forêts ou dans les déserts ; tels sont les poulains que nous avons longtemps délaissés et abandonnés dans les paturages ; telles sont certaines races de chevaux indociles, et moins portés à la familiarité et à la domesticité, que le reste de l'espèce ; tels étaient sans-doute ceux des Assyriens, selon le rapport de Xénophon, ils étaient toujours entravés ; le temps que demandait l'action de les détacher et de les harnacher, était si considérable, que ces peuples, dans la crainte du désordre où les aurait jetés la moindre surprise de la part des ennemis, par l'impossibilité où ils se voyaient de les équiper avec promptitude, étaient toujours obligés de se retrancher dans leur camp.

Il en est encore, dont une éducation mal entendue a perverti pour ainsi dire, le caractère ; que les châtiments et la rigueur ont aliénés, et qui ayant contracté une sorte de férocité, haïssent l'homme plutôt qu'ils ne le redoutent. Ceux-ci, qu'un semblable traitement aurait avilis, s'ils n'eussent apporté en naissant la fierté, la générosité, et le courage, que communément on observe en eux, n'en sont que plus indomptables. Il est extrêmement difficîle de trouver une voie de les adoucir ; notre unique ressource est, en nous en défiant sans-cesse, de les prévenir par des menaces, de leur imprimer la plus grande crainte, de les châtier et de les punir de leurs moindres excès.

Quant aux premiers, si notre attention à ne les jamais surprendre en les abordant, et à ne les aborder qu'en les flattant, et en leur offrant quelques aliments ; si des caresses repétées, si l'assiduité la plus exacte à les servir et à leur parler, ne peuvent surmonter leur timidité naturelle, et captiver leur inclination ; le moyen le plus sur d'y parvenir, est de leur supprimer d'abord, pendant l'espace de vingt-quatre heures, toute espèce de nourriture ; et de leur faire éprouver la faim et la soif même. En les privant ainsi d'un bien dont il leur est impossible de se passer et de jouir, sans notre secours, nous convertissons le besoin en nécessité, et nous irritons le sentiment le plus capable de remuer l'animal. Il suffit de les approcher ensuite plusieurs fois ; de leur offrir du fourrage, poignée par poignée ; de le leur faire souhaiter, en éloignant d'eux la main qui en est pourvue, et en les contraignant d'étendre le cou pour le saisir : insensiblement ils céderont ; ils s'habitueront ; ils se plieront à nos volontés, et chériront en quelque façon leur esclavage.

On a mis en usage, pour les apprivoiser, la méthode pratiquée en Fauconnerie, lorsqu'on se propose de priver un oiseau nouvellement pris, et qu'on est dans le dessein de dresser au vol. On a placé le cheval farouche, de maniére que dans l'écurie son derrière était tourné du côté de la mangeoire. Un homme préposé pour le veiller nuit et jour, s'est constamment opposé à son sommeil ; il a été attentif à lui donner de temps en temps une poignée de foin, et à l'empêcher de se coucher, et ce moyen a parfaitement réussi. Il me semble néanmoins que le succès doit être plutôt attribué au soin que l'on a eu d'aiguillonner son appétit par des poignées de fourrage, qu'à celui de lui dérober le dormir, et de tenter de l'abattre par la veille. Les chevaux dorment peu ; il en est qui ne se couchent jamais ; leur sommeil est rarement un assoupissement profond, dans lequel tous les muscles qui servent aux mouvements volontaires, sont totalement flasques et affaissés ; parmi ceux qui se couchent, il en est même plusieurs qui dorment souvent debout et sur leurs pieds ; et deux ou trois heures d'un leger repos suffisent à ces animaux, pour la réparation des pertes occasionnées par la veille et par le travail ; or il n'est pas à présumer que de tous les besoins auxquels la vie animale est assujettie, le moins pressant soit plus propre à dominer un naturel rebelle, que celui qui suscite le plus d'impatience, et qui suggère le désir le plus ardent. Pour subjuguer les animaux, pour les amener à la société de l'homme, pour les asservir en un mot, la première loi que nous devons nous imposer, est de leur être agréables et utiles ; agréables par la douceur que nous sommes nécessités d'opposer d'abord à leurs fougues et à leur violence ; utiles par notre application à étudier leurs penchans, et à les servir dans les choses auxquelles ils inclinent le plus : c'est ainsi que se forme cette sorte d'engagement mutuel qui nous unit à eux, qui les unit à nous : il n'a rien d'humiliant pour celui qui, bien loin d'imaginer orgueilleusement que tout l'univers est créé pour lui, et qu'il n'est point fait pour l'univers, se persuade au contraire, qu'il n'est point réellement de servitude et d'esclavage, qui ne soit réciproque ; depuis le despote le plus absolu jusqu'à l'être le plus subordonné. (e)