(Histoire ecclésiastique) espèce de fanatisme introduit depuis quelque temps en Moravie, en Wétéravie et dans les Provinces-Unies.

Les Hernhuthers sont aussi connus sous le nom de frères Moraves, et dans les mémoires pour servir à l'histoire de Brandebourg, on les appelle Zinzendorffiens. En effet le Hernhutisme doit son origine et ses progrès à M. le comte Nicolas Louis de Zinzendorf, né en 1700 et élevé à Hall dans les principes du quiétisme. Dès qu'il fut sorti de cette université en 1721, il s'appliqua à l'exécution du projet de former une petite société d'ames fidèles, au milieu desquelles il put vivre uniquement occupé d'exercices de dévotion dirigés à sa manière. Il s'associa quelques personnes qui étaient dans ses idées, et fixa sa résidence à Bertholsdorf dans la haute Lusace, terre dont il fit l'acquisition.

Bertholsdorf fut bientôt remarquable par l'éclat de cette sorte de piété que M. de Zinzendorff y avait introduite : la nouvelle en fut portée en Moravie par un charpentier nommé Christian David, qui avait été autrefois dans ce pays-la, où il avait inspiré à quelques personnes de l'inclination pour la religion protestante. Il engagea deux ou trois de ses prosélites à se retirer avec leurs familles à Bertholsdorf : ils y furent accueillis avec empressement et y bâtirent une maison dans un bois, à demi-lieue de ce village. Dès la S. Martin 1722, il s'y tint une assemblée de dévots, qui en fut comme la dédicace.

Christian David était si persuadé de l'agrandissement futur de cet endroit, qu'il en traçait déjà les quartiers et les rues : l'évenement n'a pas démenti ses présages. Bien des gens de Moravie, attirés d'ailleurs par la protection du comte de Zinzendorf, s'empressèrent d'augmenter cet établissement et d'y bâtir ; et le comte y vint demeurer lui-même. Dans peu d'années ce fut un village considérable qui eut une maison d'orphelins, et d'autres édifices publics. En 1728 il y avait déjà trente-quatre maisons fort logeables ; en 1732 le nombre des habitants montait à six cent. La montagne de Huth-Berg donna lieu à ces gens-là d'appeler leur habitation qui en est tout proche, Huth-des Hern, et dans la suite Hernhut, ce qui peut signifier la garde ou la protection du seigneur. C'est delà que toute la secte a pris son nom.

Les Hernhutes établirent bientôt entr'eux une sorte de discipline qui les lie étroitement les uns aux autres, les partage en différentes classes, les met dans une entière dépendance de leurs supérieurs, et les assujettit à de certaines pratiques de dévotion et à diverses menues règles ; on dirait d'un institut monastique.

La différence d'âge, de sexe et d'état, relativement au mariage, a formé les diverses classes : il y en a de maris, de femmes mariées, de veufs, de veuves, de filles, de garçons, d'enfants. Chaque classe a ses directeurs choisis parmi ses membres. Les mêmes emplois que les hommes ont entr'eux sont exercés entre les femmes par des personnes de leur sexe. Tous les jours une personne de la classe en visite les membres, pour leur adresser des exhortations et prendre connaissance de l'état actuel de leur âme, dont elle rend compte aux anciens. Il y a de fréquentes assemblées de chaque classe en particulier et de toute la société ensemble.

Les conducteurs tiennent entr'eux des conférences pour s'instruire mutuellement dans la conduite des ames. D'ailleurs la société est fort assidue aux exercices de religion qui se font à Bertholsdorf et ailleurs. Les membres de chaque classe se sont soudivisés en morts, réveillés, ignorants, disciples de bonne volonté, disciples avancés. On administre à chacune de ces subdivisions des secours convenables. On a surtout grand soin de ceux qui sont dans la mort spirituelle.

On veille à l'instruction de la jeunesse avec une attention particulière. Outre les personnes chargées des orphelins, il y en a qui ont autorité sur tous les autres enfants. Le zèle de M. de Zinzendorf l'a quelquefois porté à prendre chez lui jusqu'à une vingtaine d'enfants, dont neuf ou dix couchaient dans sa chambre. Après les avoir mis dans la voie du salut, il les renvoyait à leurs parents. Il y a des assemblées pour les petits enfants qui ne marchent pas encore ; on les y porte : là on chante, on prie, et l'on y fait des discours proportionnés à la capacité des petits auditeurs.

L'ancien, le co-ancien, le vice-ancien ont une inspection générale sur toutes les classes. Il y a des avertisseurs en titre d'office, dont les uns sont publics et les autres secrets. Il y a plusieurs autres charges et emplois dont le détail serait trop long.

Une grande partie du culte des Hernhuters consiste dans le chant : c'est surtout par les cantiques qu'ils prétendent que les enfants s'instruisent de la religion. M. de Zinzendorf rapporte une chose bien singulière, c'est que les chantres de la société doivent avoir reçu de Dieu un don particulier et presque inimitable (il pouvait bien dire tout à fait), savoir, que lorsqu'ils sont obligés d'entonner à la tête de l'assemblée, il faut que ce qu'ils chantent soit toujours une répétition exacte et suivie de ce qui vient d'être prêché.

A toutes les heures du jour et de la nuit, il y a à Hernhut des personnes de l'un et de l'autre sexe chargées par tour de prier pour la société ; et ce qui est très-remarquable, c'est que sans montre, horloge, ni réveil, ces gens-là sont avertis par un sentiment intérieur, de l'heure où ils doivent s'acquitter de ce devoir.

Si les frères de Hernhut remarquent que le relâchement se glisse dans leur société ; ils raniment leur zèle en célébrant des agapes ou des repas de charité. La voie du sort est fort accréditée parmi eux ; ils s'en servent souvent pour connaître la volonté du Seigneur.

Ce sont les anciens qui font les mariages ; nulle promesse d'épouser n'est valide sans leur consentement. Les filles se dévouent au Sauveur, non pour ne jamais se marier, mais pour ne se marier qu'à un homme à l'égard duquel Dieu leur aura fait connaître avec certitude qu'il est régénéré, instruit de l'importance de l'état conjugal, et amené par la direction divine à entrer dans cet état.

La société des Hernhuts s'étant formée dans les terres de M. de Zinzendorf, sous sa protection, par ses soins, ses bienfaits, et suivant ses vues, il était naturel qu'il conservât sur elle une très-grande autorité ; aussi en a-t-il toujours été l'âme, l'oracle, et le premier mobile. Dans le troisième synode général du Hernhutisme, tenu à Gotha en 1740, il se démit de l'épiscopat, auquel il avait été appelé en 1737, mais il conserva la charge de président ; il se démit de cet emploi-ci en 1743, en faveur du titre bien plus honorable de celui de ministre plénipotentiaire, et d'économe général de la société, avec le droit de se nommer un successeur.

Il a envoyé de ses compagnons d'œuvres presque par tout le monde ; lui-même il a couru toute l'Europe, et il a été deux fois en Amérique. Dès 1733 les missionnaires du Hernhutisme avaient déjà passé la ligne. La société possede, à ce que je crois, Béthléem en Pensylvanie : elle a aussi un établissement parmi les Hottentots ; mais elle n'a fait nulle part d'aussi belles conquêtes qu'en Wétéravie, où elle a Marienborn et Hernhaug, et dans les Provinces-Unies, où elle fleurit singulièrement, surtout à Isselstein et à Zéist.

M. de Zinzendorf vint en Hollande en 1736, et le nombre de ses sectateurs s'y est accru peu-à-peu, en particulier parmi les Mennonites. Depuis la fin de 1748, il a fait recevoir la confession d'Augsbourg à ses frères Moraves, témoignant en même temps de l'inclination pour toutes les communions chrétiennes ; il déclare même qu'on n'a pas besoin de changer de religion pour entrer dans le Hernhutisme.

C'est le Sauveur qui fait tout dans sa secte, et qui règle l'envoi des missionnaires ; mais comme ils sont en grand nombre, et qu'ils font d'ailleurs des entreprises et des acquisitions couteuses, ils ont établi une caisse, qu'on nomme la caisse du Sauveur, qui est devenue très-considérable par les donations des prosélites du Hernhutisme, et de ses fauteurs. M. de Zinzendorf a la principale direction de cette caisse, et Madame la comtesse son épouse partage ses travaux.

M. de Zinzendorf rapporte lui-même, que pendant vingt-six ans cette dame a si bien administré les fonds, qu'il n'a jamais rien manqué ni à sa maison, ni à sa société, quoiqu'il ait fallu fournir à des entreprises de plus d'un million d'écus d'Allemagne. Il rend aux grandes qualités de son épouse, le témoignage le plus honorable, et cela après vingt-cinq ans de mariage ; il remercie Jesus de l'avoir formée exprès pour lui ; elle est la seule dans le monde qui lui convint. Enfin, son heureux état conjugal le conduit à une pensée des plus singulières et des plus consolantes sur les mariages d'ici-bas ; c'est que si chaque mari voulait y faire réflexion, il trouverait de même que la femme qu'il a, est precisément celle qu'il lui fallait, préférablement à toute autre.

Suivant les écrits de M. de Zinzendorf, le Hernhutisme entretenait en 1749, jusqu'à mille ouvriers répandus par tout le monde ; ses missionnaires avaient déjà fait plus de 200 voyages de mer, et vingtquatre nations avaient été réveillées de leur assoupissement spirituel ; on prêchait dans sa secte en vertu d'une vocation légitime en quatorze langues à 20 mille âmes au moins ; enfin la société avait déjà 98 établissements, entre lesquels se trouvent des châteaux à 20, 30, et 50 appartements. Il y a sans-doute de l'hyperbole dans ce détail, mais il y a beaucoup de vrai, et j'en ai été assez bien instruit dans un voyage que je fis en Hollande en 1750.

La morale des Hernhutes est entièrement celle de l'Evangîle ; mais en fait d'opinions dogmatiques, le Hernhutisme a ce caractère distinctif du fanatisme, de rejeter la raison et le raisonnement ; il ne demande que la foi qui est produite dans le cœur par le Saint-Esprit seul. La régénération nait d'elle-même, sans qu'il soit besoin de rien faire pour y coopérer ; dès qu'on est régénéré, on devient un être libre ; cependant c'est le Sauveur du monde qui agit toujours dans le régénéré, et qui le guide dans toutes ses actions.

C'est aussi en Jesus-Christ que la Trinité est concentrée ; il est principalement l'objet du culte des Hernhutes ; ils lui donnent les noms les plus tendres ; Jesus est l'époux de toutes les sœurs, et leurs maris sont, à proprement parler, ses procureurs ; semblables à ces ambassadeurs d'autrefois, qui épousant une princesse au nom de leurs maîtres, mettaient dans le lit nuptial une jambe toute bottée ; un mari n'est que le chambellan de sa femme ; sa charge n'est que pour un temps, et par interim. D'un autre côté, les sœurs Hernhutes sont conduites à Jesus par le ministère de leurs maris, qu'on peut regarder comme leurs sauveurs dans ce monde ; car quand il se fait un mariage, la raison de ce mariage est qu'il y avait une sœur qui devait être amenée au véritable époux, par le ministère d'un tel procureur.

Voilà une peinture historique fort abrégée, mais fidèle, du fanatisme des Hernhutes de nos jours, gens fort estimables par leur conduite et par leurs mœurs. Nous nous sommes bien gardés de leur imputer des sentiments qu'ils n'adoptent pas, ou de tirer de leurs opinions des conséquences qu'ils rejetteraient ; nous n'avons parlé d'eux que d'après eux. Ce que nous venons d'en rapporter, est un précis laconique que nous avons fait du livre d'Isaac le Long, écrit en Hollandais, sous le titre de Merveilles de Dieu envers son Eglise, Amst. 1735, in-8 °. Cet auteur était grand admirateur des Hernhutes, et Hernhute lui-même. Il ne publia son livre, qu'après l'avoir communiqué à M. de Zinzendorf, auquel il le dédia, et après en avoir obtenu la permission : c'est ce seigneur qui nous l'apprend à la page 230 d'un de ses propres ouvrages, qui porte pour titre, Réflexions naturelles.

Le Hernhutisme a étonné la Hollande par ses progrès rapides, et ne l'a point alarmée ; il jouit dans les Provinces-Unies de cette tolérance universelle qu'on y accorde à toutes les sectes, et qui parait être le principe le plus sage et le plus judicieux du gouvernement politique. (D.J.)