S. m. (Histoire moderne) celui qui prend en main la défense des faibles et des affligés. Voyez PROTECTEUR, hist. d'Angl. et PATRON.

Dieu et les magistrats sont les protecteurs de la veuve et de l'orphelin. Parmi les payens, Minerve était regardée comme la protectrice des beaux arts.

Chaque nation, chaque ordre de religieux a un cardinal-protecteur à Rome, que l'on appelle cardinal-protecteur. Voyez CARDINAL.

On donne aussi quelquefois le nom de protecteur à celui qui gouverne un royaume pendant la minorité d'un prince. Cromwel prit le titre de protecteur de la république d'Angleterre.

C'est l'usage en Angleterre que le régent du royaume dans une minorité prenne le titre de protecteur. On en a un exemple sous la minorité d'Edouard VI.

PROTECTEUR, (Histoire d'Angleterre) c'est le titre qu'Olivier Cromwel s'appropria, et qui lui fut solennellement accordé par l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande. Pendant que Charles II. fugitif en France avec son frère et sa mère, y trainait ses malheurs et ses espérances, Cromwel fut inauguré dans le poste de protecteur le 26 Juin 1657 à Westminster-hall, par le parlement pour lors assemblé, et l'orateur des communes, le chevalier Thomas Widdrington, en fit la cérémonie.

Un simple citoyen, dit M. de Voltaire, usurpateur du trône, et digne de régner, prit le nom de protecteur, et non celui de roi, parce que les Anglais savaient jusqu'où les droits de leurs rois devaient s'étendre, et ne connaissaient pas quelles étaient les bornes de l'autorité d'un protecteur. Il affermit son pouvoir en sachant le reprimer à-propos : il n'entreprit point sur les privilèges dont le peuple était jaloux ; il ne logea jamais des gens de guerre dans la cité de Londres ; il ne mit aucun impôt dont on put murmurer ; il n'offensa point les yeux par trop de faste ; il ne se permit aucun plaisir ; il n'accumula point de trésors ; il eut soin que la justice fût observée avec cette impartialité impitoyable qui ne distingue point les grands des petits.

Jamais le commerce ne fut si libre, ni si florissant ; jamais l'Angleterre n'avait été si riche. Ses flottes victorieuses faisaient respecter son nom dans toutes les mers ; tandis que Mazarin uniquement occupé de dominer et de s'enrichir, laissait languir dans la France la justice, le commerce, la marine, et même les finances. Maitre de la France, comme Cromwel de l'Angleterre, après une guerre civile, il eut pu faire pour le pays qu'il gouvernait, ce que Cromwel avait fait pour le sien ; mais il était étranger, et l'âme de Mazarin n'avait pas la grandeur de celle de Cromwel.

Toutes les nations de l'Europe qui avaient négligé l'alliance de l'Angleterre sous Jacques I. et sous Charles, la briguèrent sous le protecteur. La reine Christine elle-même, quoiqu'elle eut détesté le meurtre de Charles I. entra dans l'alliance d'un tyran qu'elle estimait.

Le ministre espagnol lui offrit de l'aider à prendre Calais ; Mazarin lui proposa d'assiéger Dunkerque, et de lui remettre cette ville. Le protecteur ayant à choisir entre les clés de la France et celles de la Flandre, se détermina pour la France, mais sans faire de traité particulier, et sans partager des conquêtes par avance.

Il voulait illustrer son usurpation par de plus grandes entreprises. Son dessein était d'enlever l'Amérique aux Espagnols ; mais ils furent avertis à temps. Les amiraux de Cromwel leur prirent du-moins la Jamaïque, province que les Anglais possèdent encore, et qui assure leur commerce dans le nouveau monde. Ce ne fut qu'après son expédition de la Jamaïque que Cromwel signa son traité avec le roi de France, mais sans faire encore mention de Dunkerque. Le protecteur traita d'égal à égal ; il força le roi à lui donner le titre de frère dans ses lettres. Son sécretaire signa avant le plénipotentiaire de France dans la minute du traité qui resta en Angleterre ; mais il traita véritablement en supérieur en obligeant le roi de France de faire sortir de ses états Charles II. et le duc d'Yorck, petit-fils de Henri IV. à qui la France devait un asile.

Quelque temps après le siege de Dunkerque, le protecteur mourut avec courage à l'âge de 55 ans, au milieu des projets qu'il faisait pour l'affermissement de sa puissance, et pour la gloire de sa nation. Il avait humilié la Hollande, imposé les conditions d'un traité au Portugal, vaincu l'Espagne, et forcé la France à briguer son alliance. Il fut enterré en monarque légitime, et laissa la réputation du plus habîle des fourbes, du plus intrépide des capitaines, d'un usurpateur sanguinaire, et d'un souverain qui avait su régner. Il est à remarquer qu'on porta le deuil de Cromwel à la cour de France, et que mademoiselle fut la seule qui ne rendit point cet honneur à la mémoire du meurtrier du roi son parent.

Richard Cromwel succéda paisiblement et sans contradiction au protectorat de son père, comme un prince de Galles aurait succédé à un roi d'Angleterre. Richard fit voir que du caractère d'un seul homme dépend souvent la destinée d'un état. Il avait un génie bien contraire à celui d'Olivier Cromwel, toute la douceur des vertus civiles, et rien de cette intrépidité féroce qui sacrifie tout à ses intérêts.

Il eut conservé l'héritage acquis par les travaux de son père, s'il eut voulu faire tuer trois ou quatre principaux officiers de l'armée, qui s'opposaient à son élévation. Il aima mieux se démettre du gouvernement que de régner par des assassinats ; il vécut particulier et même ignoré jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans dans le pays dont il avait été quelques jours le souverain.

Après sa démission du protectorat, il voyagea en France : on sait qu'à Montpellier, le prince de Conti, frère du grand Condé, en lui parlant sans le connaître, lui dit un jour : " Olivier Cromwel était un grand homme ; mais son fils Richard est un misérable de n'avoir pas su jouir du fruit des crimes de son père ". Cependant ce Richard vécut heureux, et son père n'avait jamais connu le bonheur. Essai sur l'histoire univers. tom. V. p. 72-81. (D.J.)