S. m. (Histoire moderne) premier magistrat de la république, qu'on élit du corps des sénateurs ; il gouverne deux ans, et ne peut rentrer dans cet emploi qu'après un intervalle de douze. Il lui est défendu de recevoir aucune visite, donner aucune audience, ni ouvrir les lettres qui lui sont adressées, qu'en présence de deux sénateurs qui demeurent avec lui dans le palais ducal. L'habit qu'il porte dans les jours de cérémonie, est une robe de velours ou de damas rouge à l'antique, avec un bonnet pointu de la même étoffe que sa robe. On le traite de sérénité, et les sénateurs d'excellence ; c'est pourquoi quand il sort de charge, et qu'il se rend à l'assemblée des colléges convoqués pour recevoir la démission de sa dignité, le secrétaire de l'assemblée lui dit : Vostra serenita ha fornita suo tempo ; vostra excellenza sene vadi à casa : Votre sérénité a fait son temps ; votre excellence peut se retirer chez elle. Son excellence obéit dans le moment. On procéde quelques jours après à une nouvelle élection, et le doyen des sénateurs fait pendant l'interrègne les fonctions du doge. Article de M(D.J.)

DOGE DE VENISE, s. m. (Histoire moderne) premier magistrat de la république, qu'on élit à vie, et qui est le chef de tous les conseils.

C'est en 709 que les Venitiens se regardant comme une république, eurent leur premier doge, qui ne fut qu'un espèce de tribun du peuple élu par des bourgeois. Plusieurs familles qui donnèrent leurs voix à ce premier doge, subsistent encore. Elles sont les plus anciens nobles de l'Europe, sans en excepter aucune maison, et prouvent, dit M. de Voltaire, que la noblesse peut s'acquérir autrement qu'en possédant un château, ou en payant des patentes à un souverain.

Le doge de la république accrut sa puissance avec celle de l'état ; il prenait déjà vers le milieu du Xe siécle le titre de duc de Dalmatie, dux Dalmatiae ; car c'est ce que signifie le mot de doge : dans le même temps Béranger reconnu empereur en Italie, lui accorda le privilège de battre monnaie. Aujourd'hui le doge de Venise n'est plus qu'un fantome de la majesté du prince, dont la république aristocratique a retenu toute l'autorité, en décorant la charge d'une vaine ombre de dignité souveraine.

On traite toujours le doge de sérénité, et les Vénitiens disent que c'est un titre d'honneur au-dessus d'altesse. Tous les sénateurs se lèvent et saluent le doge quand il entre dans les conseils, et le doge ne se lève pour personne, que pour les ambassadeurs étrangers. La république lui donne quatorze mille ducats d'appointements pour l'entretien de sa maison, et pour les frais qu'il fait à traiter quatre fois l'année les ambassadeurs, la seigneurie, et les sénateurs qui assistent aux fonctions de ces jours-là. Son train ordinaire consiste en deux valets-de-chambre, quatre gondoliers, et quelques serviteurs. La république paye tous les autres officiers qui ne le servent que dans les cérémonies publiques. Il est vêtu de pourpre comme les autres sénateurs, mais il porte un bonnet de général à l'antique, de même couleur que la veste.

Il est protecteur della Virginia, collateur de tous les bénéfices de saint Marc, et nomme à quelques autres petites charges d'huissiers de sa maison, qu'on appelle commandeurs du palais. Sa famille n'est point soumise aux magistrats des pompes, et ses enfants peuvent avoir des estafiers et des gondoliers vêtus de livrée. Voilà les apanages du premier magistrat de Venise, dont la dignité est d'ailleurs tellement tempérée, qu'il n'est pas difficîle de conclure que le doge est à la république, et non pas la république au doge.

Premièrement on ne prend point le deuil pour la mort du doge, pour lui prouver qu'il n'est pas le souverain ; mais nous allons faire voir par plusieurs autres détails qu'il est bien éloigné de pouvoir s'arroger ce titre.

Il est assujetti aux lois comme les autres citoyens sans aucune réserve ; quoique les lettres de créance que la république envoie à ses ministres dans les cours étrangères, soient écrites au nom du doge, cependant c'est un secrétaire du sénat qui est chargé de les signer, et d'y apposer le sceau des armes de la république. Quoique les ambassadeurs adressent leurs dépêches au doge, il ne peut les ouvrir qu'en présence des conseillers, et même on peut les ouvrir et y répondre sans lui.

Il donne audience aux ambassadeurs, mais il ne leur donne point de réponse de son chef sur les affaires importantes ; il a seulement la liberté de répondre comme il le juge à propos aux compliments qu'ils font à sa seigneurie, parce que de telles réponses sont toujours sans aucune conséquence.

Pour le faire ressouvenir qu'il ne fait que prêter son nom au sénat, on ne délibère et on ne prend aucune résolution sur les propositions des ambassadeurs et des autres ministres, qu'il ne se soit retiré avec ses conseillers. On examine alors la chose, on prend les avis des sages, et l'on dresse la délibération par écrit, pour être portée à la première assemblée du sénat, où le doge se trouvant avec ses conseillers, n'a comme les autres sénateurs que sa voix, pour approuver ou désapprouver les résolutions qu'on a prises en son absence.

Il ne peut faire de visites particulières, ni rendre celles que les ambassadeurs lui font quelquefois dans des occasions extraordinaires, qu'avec la permission du sénat, qui ne l'accorde guère, que lorsqu'il manque de prétextes honnêtes pour la refuser. De cette façon, le doge vit chez lui d'une manière si retirée, qu'on peut dire que la solitude et la dépendance sont les qualités les plus essentielles de sa condition.

La monnaie de Venise qu'on appelle ducat, se bat au nom du doge, mais non pas à son coin ou à ses armes, comme c'était l'usage lorsqu'il avait un pouvoir absolu dans le gouvernement.

Il est vrai qu'il préside à tous les conseils, mais il n'est reconnu prince de la république qu'à la tête du sénat, dans les tribunaux où il assiste, et dans le palais ducal de S. Marc. Hors de-là il a moins d'autorité qu'un simple sénateur, puisqu'il n'oserait se mêler d'aucune affaire.

Il ne saurait sortir de Venise sans en demander une espèce de permission à ses conseillers ; et si pour lors il arrivait quelque désordre dans le lieu où il se trouverait, ce serait au podestat comme étant revêtu de l'autorité publique, et non au doge, à y mettre ordre.

Ses enfants et ses frères sont exclus des premières charges de l'état, et ne peuvent obtenir aucun bénéfice de la cour de Rome, mais seulement le cardinalat qui n'est point un bénéfice, et qui ne donne point de juridiction.

Enfin si le doge est marié, sa femme n'est plus traitée en princesse ; le sénat n'en a point voulu couronner depuis le seizième siècle.

Cependant quoique la charge de doge soit tempérée par toutes les choses dont nous venons de parler, qui rendent cette dignité onéreuse, cela n'empêche pas les familles qui n'ont point encore donné de doge à la république, de faire leur possible pour arriver à cet honneur, soit afin de se mettre en plus grande considération, soit dans l'espérance de mieux établir leur fortune par cette nouvelle décoration, et par le bien que ce premier magistrat peut amasser s'il est assez heureux pour vivre longtemps dans son emploi.

Aussi l'on n'élève guère à cette dignité que des hommes d'un mérite particulier. On choisit ordinairement un des procurateurs de S. Marc, un sujet qui ait servi l'état dans les ambassades, dans le commandement, ou dans l'exercice des premiers emplois de la république. Mais comme le sénat ne le met dans ce haut rang que pour gouverner en son nom ; les plus habiles sénateurs ne sont pas toujours élus pour remplir cette place. L'âge avancé, la naissance illustre, et la modération dans le caractère, sont les trois qualités auxquelles on s'attache davantage.

La première chose qu'on fait après la mort du doge, c'est de nommer trois inquisiteurs pour rechercher sa conduite, pour écouter toutes les plaintes qu'on peut faire contre son administration, et pour faire justice à ses créanciers aux dépens de sa succession. Les obseques du doge ne sont pas plutôt finies, que l'on procede à lui donner un successeur par un long circuit de scrutins et de balotations, afin que le sort et le mérite concourent également dans ce choix. Pendant le temps que les électeurs sont enfermés, ils sont gardés soigneusement et traités à-peu-près de la même manière que les cardinaux dans le conclave.

Le doge après son élection prête serment, jure l'observation des statuts, et se fait voir au peuple : mais comme la république ne lui laisse jamais goûter une joie toute pure, sans la mêler de quelque amertume qui lui fasse sentir le poids de la servitude à laquelle sa condition l'engage, on le fait passer en descendant par la salle où son corps doit être exposé après sa mort. C'est-là qu'il reçoit par la bouche du chancelier les compliments sur son exaltation.

Il monte ensuite dans une machine qu'on appelle le puits, et qui est conservée dans l'arsenal pour cette cérémonie : effectivement elle a la figure extérieure d'un puits, soutenu sur un brancard, qui est d'une longueur extraordinaire, et dont les deux bras se joignent ensemble. Environ cent hommes, et plus, soutiennent cette machine sur leurs épaules.

Le doge s'assied dans cette espèce de litière, ayant un de ses enfants ou de ses plus proches parents qui se tient debout derrière lui. Il a deux bassins remplis de monnaie d'or et d'argent battue tout exprès pour cette cérémonie, avec telle figure et telle inscription qu'il lui plait, et il la jette au peuple, pendant qu'on le porte tout autour de la place de S. Marc. Ainsi finit son installation.

Il résulte de ce détail, que quelle que soit la décoration apparente du doge, son pouvoir a été à-peu-près limité à ce qu'il était dans sa première origine ; mais la puissance est toujours une dans la main des nobles ; et quoiqu'il n'y ait plus de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, les citoyens le sentent à chaque instant dans l'autorité du sénat. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.