(Histoire moderne) c'est-à-dire, livre du jour du jugement. Ces termes, consacrés dans l'histoire d'Angleterre, désignent le dénombrement fait par ordre de Guillaume I. de tous les biens de ses sujets : l'on nomma ce dénombrement livre du jour du jugement, apparemment pour signifier que les biens des Anglais étaient épluchés dans ce livre, comme les actions des hommes le seront dans cette grande journée. En effet, le roi n'oublia rien pour avoir le cens le plus exact de tous les biens de chaque habitant de son royaume ; les ordres sévères qu'il donna pour y parvenir, furent exécutés avec une fidélité d'autant plus grande, que les préposés aussi-bien que les particuliers, eurent raison de craindre un châtiment exemplaire, s'ils usaient de fraude ou de connivence en cette occasion.

Ce cens fut commencé l'an quatorzième, et fini le vingtième du règne de ce monarque. Il envoya en qualité de commissaires, dans toutes les provinces, quelques-uns des premiers comtes et évêques, lesquels après avoir pris le rapport des jurés, et autres personnes qui avaient prêté serment dans chaque comté et centaine, mirent au net la description de tous les biens meubles et immeubles de chaque particulier, selon la valeur du temps du roi Edouard. Ce fait est exprimé dans le registre par les trois lettres T. R. E. qui veulent dire tempore regis Eduardi.

Comme cette description était principalement destinée à fournir au prince un détail précis de ses domaines, et des terres tenues par les tenanciers de la couronne, on voit qu'à l'article de chaque comté le nom du roi est à la tête, et ensuite celui des grands tenanciers en chef selon leur rang. Toute l'Angleterre, à la réserve du Westmoreland, Cumberland, et Northumberland, fut soigneusement décrite avec une partie de la principauté de Galles ; et cette description fut couchée sur deux livres, nommés le grand et le petit livre du jour du jugement : le petit livre renferme les comtés de Norfolk, de Suffolk, et d'Essex ; le grand contient le reste du royaume.

Ce registre général, qu'on peut appeler le terrier d'Angleterre, fut mis dans la chambre du trésor royal, pour y être consulté dans les occasions où l'on pourrait en avoir besoin, c'est-à-dire, suivant l'expression de Polidore Vergile, lorsqu'on voudrait savoir combien de laine on pourrait encore ôter aux brebis anglaises. Quoiqu'il en sait, ce grand registre du royaume, qu'on garde toujours soigneusement à l'échiquier, a servi depuis Guillaume, et sert encore de témoignage et de loi dans tous les différents que ce registre peut décider.

Il faut convenir de bonne foi, de l'admirable utilité d'un tel dénombrement. Il est pour un état bien policé, ce qu'un livre de raison est pour un chef de famille, la reconnaissance de son bien, et la dépense plus ou moins forte qu'il est en état de faire en faveur de ses enfants : mais autant un journal tenu par ce motif est louable dans un particulier, autant le principe qui inspira Guillaume à former son dénombrement était condamnable. Ce prince ne voulut connaître le montant des biens de ses sujets, que pour les leur ravir ; regardant l'Angleterre comme un pays de conquête, il jugea que les vaincus devaient recevoir comme une grâce signalée ce qu'il voulut bien leur laisser. Maitre du trône par le succès de ses armes, il ne s'y maintint que par la violence, bien différent de Servius Tullius, qui, après avoir le premier imaginé et achevé son dénombrement, résolut d'abdiquer la couronne, pour rendre la liberté toute entière aux Romains. Artic. de M(D.J.)