subst. pl. f. (Histoire ancienne) mystères de la déesse Cérès, ou cérémonies religieuses qui se pratiquaient en son honneur : on les nommait ainsi d'Eleusis ville maritime des Athéniens, où était le temple de cette déesse, fameux par la célébration de ces mystères.

Quelques auteurs appellent la ville où se célébraient les éleusinies, Eleusine, et non Eleusis. Harpocration confirme cette orthographe, en faisant venir ce nom d'Eleusinas fils de Mercure ; et Pausanias dans ses Attiques se déclare aussi pour ce sentiment. D'autres croient que cette ville avait été nommée de la sorte, d'un mot grec qui signifie arrivée, parce que Cérès, après avoir couru le monde pour trouver sa fille, s'y arrêta, et y termina ses recherches. Diodore de Sicile, liv. V. prétend que le nom d'Eleusis lui avait été donné pour servir de monument à la postérité, que le blé et l'art de le cultiver, étaient venus dans l'Attique des pays étrangers.

Les éleusinies étaient chez les Grecs les cérémonies les plus solennelles et les plus sacrées, d'où vient qu'on leur donna par excellence le nom de mystères. On prétendait que Cérès les avait instituées elle-même à Eleusis, en mémoire de l'affection et du zèle avec lesquels les Athéniens la reçurent : c'est ainsi qu'Isocrate en parle dans son panégyrique ; mais Diodore de Sicîle dit, liv. VI. que ce furent les Athéniens qui instituèrent les éleusinies, par reconnaissance de ce que Cérès leur avait appris à mener une vie moins rustique et moins barbare ; cependant ce même auteur rapporte la chose d'une autre façon au premier livre de sa Bibliothèque : " Une grande sécheresse ayant, dit-il, causé une disette affreuse dans la Grèce, l'Egypte qui avait fait cette année-là même une récolte très-abondante, fit part de ses richesses aux Athéniens ".

Ce fut Erecthée qui leur amena ce convoi extraordinaire de blé ; et en reconnaissance de ce bienfait il fut créé roi d'Athènes, et il apprit aux Athéniens les mystères de Cérès, et la manière dont l'Egypte les célébrait.

Cette relation revient assez à ce que disent Hérodote et Pausanias, que les Grecs avaient pris leurs dieux et leur religion des Egyptiens.

Théodoret, liv. I. Graecanic. affection. écrit que ce fut Orphée, et non pas Erecthée, qui fit cet établissement, et qui institua en l'honneur de Cérès les solennités que les Egyptiens pratiquaient pour Isis. Ce sentiment est confirmé par le scholiaste sur l'Alceste d'Euripide.

La ville d'Eleusis où se célébraient ces mystères était si jalouse de cette gloire, que réduite aux dernières extrémités par les Athéniens, elle se rendit à eux à cette seule condition, qu'on ne lui ôterait point les éleusinies ; cependant ce n'étaient point des cérémonies religieuses particulières à cette ville, mais communes à tous les Grecs.

Ces cérémonies, suivant Arnobe et Lactance, étaient une imitation ou représentation de ce que les Mythologistes nous enseignent de Cérès. Elles duraient plusieurs jours, pendant lesquels on courait avec des torches ardentes à la main : on sacrifiait plusieurs victimes, non-seulement à Cérès, mais aussi à Jupiter : on faisait des libations de deux vases, qu'on répandait l'un du côté de l'orient, et l'autre du côté de l'occident : on allait en pompe à Eleusis, en faisant de temps en temps des pauses où l'on chantait des hymnes et l'on immolait des victimes ; ce qui se pratiquait non-seulement en allant d'Athènes à Eleusis, mais encore au retour. Au reste on était obligé à un secret inviolable, et la loi condamnait à mort quiconque aurait osé publier ces mystères.

Tertullien dans son livre contre les Valentiniens, rapporte que la figure que l'on montrait dans les eleusinia, et qu'il était si expressément défendu de rendre publique, était celle des parties naturelles de l'homme. Selon Théodoret, Arnobe et Clément Alexandrin, c'était la figure des parties naturelles d'une femme.

Ces imputations peuvent être mal fondées, car où Tertullien, Arnobe et Théodoret avaient-ils lu ces particularités, puisqu'il n'y avait rien d'écrit sur les mystères d'Eleusine ? l'auraient-ils appris de quelques initiés ? mais il n'y a pas d'exemple de la plus légère indiscrétion sur ce point. Cicéron qui s'était trouvé à Athènes dans le temps que les mystères d'Eleusine s'y célébraient, et qui n'était pas naturellement porté à favoriser le fanatisme, soupçonne seulement au commencement des Tusculanes, qu'on découvrait aux initiés la véritable histoire de Cérès et de sa fille, et qu'on les obligeait par la religion du serment à ne jamais révéler que ces deux prétendues déesses n'avaient été que des femmes mortelles, de peur de décréditer par-là leur culte dans l'esprit du public.

Le lendemain de la fête le sénat s'assemblait à Eleusis, apparemment pour examiner si tout s'était passé dans l'ordre.

Il y avait deux sortes d'éleusinies, les grandes et les petites : nous venons de parler des premières, les petites avaient été instituées en faveur d'Hercule. Ce héros ayant souhaité d'être initié aux premières éleusinies, et les Athéniens ne pouvant le satisfaire, parce que la loi défendait d'y recevoir les étrangers, et ne voulant cependant rien lui refuser, ils instituèrent de nouvelles éleusinies auxquelles il put assister. Les grandes se célébraient dans le mois boedromion, qui répondait à notre mois d'Aout ; et les petites au mois d'anthisterion, qui répondait à notre mois de Janvier.

On n'était admis à la participation de ces mystères que par degrés ; d'abord on se purifiait, ensuite on était reçu aux petites éleusinies, et enfin admis et initié aux grandes. Ceux qui n'étaient que des petites, s'appelaient mystes ; et ceux qui étaient admis aux grandes, s'appelaient époptes ou éphores, c'est-à-dire inspecteurs, et il fallait ordinairement subir une épreuve de cinq ans pour passer des petites éleusinies aux grandes. On se contentait quelquefois d'un an, et on était admis immédiatement après à tout ce qu'il y avait de plus secret dans ces cérémonies religieuses. Meursius a fait un traité sur les éleusinies, dans lequel il établit la plupart des faits que nous venons d'avancer.

Quoiqu'on ne sache pas précisément en quoi consistait l'autopsie ou la contemplation claire des mystères d'Eleusis, les anciens nous ont pourtant laissé quelques descriptions des cérémonies qui la précédaient. Comme on était persuadé que ceux qui participaient à ces mystères faisaient profession d'une vie innocente, et qu'après leur mort ils seraient placés dans les champs élysées, on les purifiait, soit pour expier leurs fautes passées, soit pour leur faire acheter en quelque sorte par ces premières épreuves, les biens dont ils se flattaient de jouir un jour. D'abord un sacrificateur, qui dans cette fonction se nommait hydranos, immolait à Jupiter une truie pleine ; et après en avoir étendu la peau à terre, on faisait mettre dessus celui qui devait être purifié. Les prières accompagnaient cette cérémonie, qu'un jeune austère devait avoir précédé : ensuite, après quelques ablutions qu'on faisait avec de l'eau de la mer, on couronnait d'un chapeau de fleurs, nommé par Hesychius , le postulant, qui après ces épreuves pouvait aspirer à la qualité de myste, ou d'initié aux mystères.

Il ne se passait point dans les mystères d'Eleusine, d'infamies comme dans ceux de Bacchus ; que s'il s'y glissa quelquefois du désordre, il fut accidentel, et promptement réprimé par la sévérité des magistrats. Voyez les dictionnaires de Trévoux, de Moréry et de Chambers. (G)