(Géographie ancienne) autrement HERCULANEUM, HERCULANIUM, et HERCULEUM, ancienne ville d'Italie dans la Campanie, sur la côte de la mer, vis-à-vis du Vésuve. Pline, liv. III. c. Ve la met entre Naples et Pompeii. Paterculus, liv. II. c. VIe ainsi que Florus, liv. I. c. XVIe disent qu'elle fut conquise par les Romains durant les guerres des alliés ; et Columelle, liv. X, ne parle que de ses salines, qu'il nomme salines d'Hercule.

Quae dulcis Pompeia palus, vicina salinis

Herculeis.

Mais l'affreuse éruption du Vésuve, qui engloutit cette ville avec d'autres de la Campanie, est une époque bien célèbre dans l'histoire : on la date de la première année de l'empire de Titus, et la 79e de l'ère chrétienne.

La description de cet événement a été donnée par Pline le jeune, témoin oculaire. On sait que son oncle le naturaliste y perdit la vie ; il se trouvait pour lors au cap de Misene en qualité de commandant de la flotte des Romains. Spectateur d'un phénomène inoui et terrible, il voulut s'approcher du rivage d'Herculanum, pour porter, dit M. Venuti, quelques secours à tant de victimes de ces efforts insensés de la nature ; la cendre, les flammes, et les pierres calcinées remplissaient l'air, obscurcissaient le soleil, détruisaient pêle-mêle les hommes, les troupeaux, les poissons, et les oiseaux. La pluie de cendres et l'épouvante, s'étendirent non seulement jusqu'à Rome, mais dans l'Afrique, l'Egypte et la Syrie. Enfin les deux villes d'Herculanum et de Pompeii, périrent avec leurs habitants, ainsi qu'avec l'historien naturaliste de l'univers ; sur quoi Pline le jeune remarque noblement que la mort de son oncle a été causée par un accident mémorable, qui ayant enveloppé des villes et des peuples entiers, doit contribuer à éterniser sa mémoire.

Ce desastre avait été précédé d'un furieux tremblement de terre, arrivé 13 ans auparavant, l'an 63 de J. C. sous le consulat de Régulus et de Virginius ; et même alors, selon plusieurs auteurs, la plus grande partie d'Herculaneum fut abimée.

Quoi qu'il en sait, cette ville voisine de la mer, située à quatre milles environ de Naples, fut ensevelie dans les entrailles de la terre, vers l'espace qui est entre la maison royale de Portici, et le village de Rétine ; son port n'était pas loin du mont Vésuve. A quatre milles pareillement de Naples, mais du côté du levant, on trouve sous la même montagne, le hameau nommé Torre del Greco, la Tour du Grec, où l'on croit aussi qu'est enterrée la ville de Pompeii.

L'époque de la fondation d'Herculaneum est inconnue ; l'on conjecture seulement du récit de Denis d'Halycarnasse, que cette fondation peut être placée 60 ans avant la guerre de Troie, et par conséquent 1342 avant J. C. Il suivrait de là qu'Herculanum aurait subsisté plus de 1400 ans ; mais sans nous arrêter à discuter le terme de sa durée, ou les circonstances de sa ruine, essayons plutôt de retracer l'histoire heureuse de sa découverte, et pour ainsi dire, de sa résurrection.

Il y a près de dix ans que l'on parle toujours avec admiration de cette découverte. Tous ceux qui cultivent les lettres, les sciences et les arts, y sont intéressés : une ville célèbre engloutie depuis plus de 1600 ans, et rendue en quelque façon à la lumière, a sans-doute de quoi réveiller la plus grande indifférence ; tâchons même de contenter la curiosité.

Le prince d'Elbeuf bâtit vers l'an 1720 un logement à Portici sur le bord de la mer, et désirant de l'orner de marbres anciens, un paysan du lieu lui en apporta de très-beau qu'il avait trouvés en creusant son puits. Le prince acheta le terrain du paysan, et y fit travailler. Ses fouilles lui procurèrent d'abord de nouveaux marbres en abondance, et ce qui valait beaucoup mieux, sept statues de sculpture grecque. Les travailleurs poursuivant leur besogne, trouvèrent plusieurs colonnes d'albâtre fleuri, et de nouvelles statues, dont M. d'Elbeuf fit présent au prince Eugène de Savoie. A cette découverte de statues, succéda celle d'une grande quantité de marbres d'Afrique, qui servirent à faire une foule de petites tables ; ces richesses enflées encore par la bouche de la renommée, ouvrirent les yeux au gouvernement, qui devenu jaloux, fit suspendre et cesser les excavations.

Le souvenir de ce genre de découvertes, se conservait précieusement dans le temps où le roi des deux Siciles choisit l'agréable situation de Portici, pour s'y ménager un séjour délicieux. Alors ce monarque ne songea qu'à poursuivre avec vigueur les fouilles entamées par le prince d'Elbeuf, et le succès surpassa de bien loin son attente. La terre ayant été creusée par ses ordres jusqu'à quatrevingt pieds de profondeur, l'on découvrit le sol d'une ville abimée sous Portici et Rétine, villages distants de six milles de Naples, entre le mont Vésuve et le bord de la mer. Enfin, les excavations ayant été poussées plus avant, on a tiré de ce terrain tant d'antiquités de toute espèce, que dans l'espace de six ou sept ans, elles ont formé au roi des deux Siciles un musée tel qu'un prince de la terre, quel qu'il sait, ne saurait dans le cours de plusieurs siècles, s'en procurer un pareil.

Voilà l'avantage des potentats : un particulier, comme le prince d'Elbeuf, aurait encore trouvé quelques fragments d'antiquités ; mais le roi de Naples faisant creuser dans le grand, et en ayant les moyens, a déterré une ville entière, pleine d'embellissements, de thêatres, de temples, de peintures, de statues colossales et équestres, de bronzes, et de marbres enfouis dans le sein de la terre. Détaillons toutes ces merveilles.

Parmi les débris d'Herculanum, on y reconnut du premier coup d'oeil, des édifices d'une grande étendue. De ce nombre sont un temple où était une statue de Jupiter, et un théâtre bien conservé ; comme c'est ici le premier, et le plus beau des monuments que l'on a découvert, commençons par le décrire.

Ce théâtre ayant été mesuré autant que le travail, et les terres amoncelées purent le permettre, l'on a jugé que sa circonférence extérieure était de 290 pieds, et l'intérieure de 230 pieds jusqu'à la scène ; sa largeur était en-dehors de 160 pieds, et en-dedans de 150 ; le lieu de la scène avait environ 72 pieds de large, et 30 de profondeur.

La forme de ce théâtre est celle d'un demi-cercle, contenant 18 gradins dans la partie de devant, chacun desquels part du même centre : ce demi-cercle se termine ensuite par les deux extrémités en un carré divisé en trois parties.

Trais loges élevées l'une sur l'autre, non perpendiculairement, mais de manière que les murs du dedans étaient successivement soutenus par les gradins, servaient de portiques, pour entrer au théâtre, et pour s'y placer à son aise. Le corridor d'enhaut répondait aux gradins de cette partie, lesquels étaient couverts, et par conséquent destinés pour les dames.

Si l'on considère la structure de ce théâtre, celle de ses voutes, l'intérieur de ses corridors construits de brique, interrompus par des corniches de marbre, ses vomitoires, ses escaliers distingués, par lesquels les sénateurs passaient pour aller d'un rang à l'autre ; si l'on observe en même temps les fragments de colonnes, les statues de toute matière et de toute grandeur, les marbres de toute espèce, afriquains, grecs, égyptiens, les agathes fleuries qui tapissaient la scène et l'orchestre, on pensera sans-doute que ce monument était d'une grande magnificence.

Mais être surpris d'entendre parler dans une ville peu distante de Rome, d'un édifice de cette beauté, c'est oublier combien l'exemple d'une capitale a d'influence sur les provinces voisines. Les citoyens d'Herculanum ne demandaient comme les Romains, que du pain et des spectacles, panem et circenses. Leur ville anciennement habitée par les Osques, Osci, auteurs des comédies obscènes, et occupée depuis par les Etrusques, inventeurs des représentations histrioniques, devait se distinguer plus qu'une autre, par la splendeur de son théâtre, et l'amour des pièces qu'on y jouait. Aussi quelques auteurs ont écrit que ces peuples, quoique menacés par le Vésuve, d'une ruine prochaine, préferèrent le plaisir du spectacle à leur propre salut, et se laissèrent accueillir par la flamme et la grêle des cailloux calcinés.

Il ne faut pas croire toutefois de pareilles anecdotes ; l'embrasement du Vésuve, au rapport de Dion, fut précédé d'un tremblement de terre qui dura plusieurs jours, mais qui ne parut pas redoutable à des Campaniens, accoutumés à ces agitations de la nature : bien-tôt il s'accrut tellement, que tout semblait prêt à être renversé. On vit sortir du volcan un nuage d'une grandeur immense, blanc, noir, ou tacheté, selon qu'il était plus ou moins épais, et qui élevait avec lui la terre, la cendre, ou l'un et l'autre. A cette vue, il n'est pas possible d'imaginer que ceux d'Herculanum aient poussé l'amour des spectacles, jusqu'à attendre leur perte inévitable dans l'enceinte de leur théâtre.

De plus, on n'a rencontré aucuns vestiges d'os dans la découverte de ce théâtre ; le seul sujet de curiosité en ce genre, est un squelete d'homme presque tout entier, que l'on a trouvé sur l'escalier d'une maison, tenant à la main une bourse pleine de petite monnaie. Envain l'on tenta de transporter cet ancien squelete ; à peine l'eut-on touché légèrement qu'il se convertit en poussière.

Après avoir décrit le théâtre, c'est le lieu d'observer qu'on trouva dans son enceinte quantité de statues qui, selon les apparences, servaient à son embellissement. Il y avait deux de ces statues de bronze, représentant Auguste et Livie ; celle-là ayant la tête nue, et le corps revêtu de la toge ; celle-ci la tête voilée, et la coiffure à petits triangles, semblable à une couronne rayonnante. On découvrit à quelque distance deux autres statues de femme, et bien-tôt après, cinq autres statues de marbre, plus grandes que le naturel, dont quatre étaient couvertes de la toge. Il faut observer que toutes ces statues ont les bras et les mains d'un marbre différent de celui du reste du corps, mais d'un marbre plus beau.

Entre les statues de toute espèce et de toute grandeur qu'on a déterrées dans cet endroit, on met au nombre des principales les suivantes ; celle de Néron, sous la figure de Jupiter tonnant ; et celle de Germanicus, l'une et l'autre plus grandes que nature ; celle de Claude, et de deux femmes inconnues ; une statue de marbre, représentant Vespasien ; une Atalante, dans laquelle on remarque la manière grecque ; enfin, deux statues de la première beauté assises sur la chaise curule.

On découvrit aussi douze autres statues de suite ; six représentant des hommes, et six des femmes : ce sont peut-être celles des dieux Consentes, qui, selon l'opinion de Panvinio, se plaçaient dans le lieu des spectacles.

Parmi les bustes de marbre déterrés dans le même endroit, on distingue un Jupiter Ammon, une Junon, une Pallas, une Cérès, un Neptune, un Janus à deux faces, une petite fille, et un jeune garçon avec la bulle d'or au col, qui lui descend sur la poitrine ; marque distinctive des enfants de qualité. Cette bulle n'est pas cependant ici en forme de cœur, selon la coutume usitée chez les Romains, elle est de figure ovale.

La découverte du théâtre d'Herculanum et de ses superbes ornements, fut suivie de celle des temples, ainsi qu'on l'espérait ; car tous les savants conviennent que les Romains avaient coutume d'en bâtir au voisinage de leurs théâtres. Comme les sacrifices précédaient les jeux, et que les jeux avaient rapport aux représentations de la scène, on devait rencontrer quelques temples voisins du théâtre dans l'ancien pays des Osques, où les jeux de ce nom, et les pièces Atellanes avaient été inventées.

En effet, il est arrivé qu'à quelque distance du théâtre d'Herculanum, on a découvert deux temples de différente grandeur ; l'un a 150 pieds de longueur sur 60 de large ; l'autre a seulement 60 pieds de long, sur 42 de large ; et ce dernier temple n'était peut-être qu'une espèce de chapelle, nommée par les latins aedicula. Cependant l'intérieur avait des colonnes, entre lesquelles étaient alternativement des peintures à fresque, et de grandes tables de marbre, enchâssées d'espace en espace dans toute la longueur des murs. Sur ces tables on lisait les noms des magistrats qui ont présidé à la dédicace de chaque temple, ainsi que les noms de ceux qui ont contribué à les bâtir ou à les réparer.

Vis-à-vis de ces deux temples, on a trouvé un troisième édifice, que plusieurs savants conjecturent être le forum civil d'Herculanum, ou bien un de ces temples que les anciens nommaient Periptères.

Le terreplein de cet édifice forme un parallelogramme long d'environ 228 pieds, et large de 132. Il est environné de colonnes qui soutiennent les voutes du portique, lequel fait le tour de la partie intérieure ; les colonnes qui forment les portiques du dedans, sont au nombre de 42 ; les statues de bronze et de marbre, placées entre les pilastres, ont été presque toutes trouvées fondues, détruites, brisées, mutilées. Le dedans de l'édifice était pavé de marbre, et ses murs peints à fresque : une partie de cette peinture a été taillée avec la muraille, et transportée dans le cabinet du roi des deux Siciles.

Il ne faut pas oublier de dire, qu'outre les statues des dieux, d'empereurs, et de héros, dont nous avons parlé jusqu'ici, on a déterré dans les édifices publics, quantité de statues d'idoles, et autres de divers personnages, principalement des familles Annia et Nonia. La plus belle de toutes est la statue équestre érigée à la mémoire de Nonius Balbus, avec une inscription en son honneur ; dom Carlos a placé cette statue dans le vestibule de son palais. Elle est entourée d'une colonnade de marbre, et d'un grillage de fer : devant l'escalier du même palais, on voit la statue de Vitellius toute entière, et de grandeur naturelle ; ajoutons que dans la classe des petites statues de bronze, il y en a plusieurs qu'on croit être des dieux lares ou pénates d'Herculanum.

C'en est assez sur les édifices publics de cette ville ; les édifices particuliers que l'on a découverts dans un espace d'environ 300 perches de longueur, et 150 de largeur, ont paru d'une architecture uniforme.

Toutes les rues d'Herculanum sont tirées au cordeau, et ont de chaque côté des parapets pour la commodité des gens de pied ; elles sont pavées de pierres semblables à celles dont la ville de Naples est aussi pavée ; ce qui donne lieu de croire qu'elles ont été tirées de la même carrière, c'est-à-dire d'un amas de laves du Vésuve.

L'intérieur de quelques maisons d'Herculane était peint à fresque de charmants tableaux, représentants des sujets tirés de la fable ou de l'histoire. Le roi des deux Siciles en a fait transporter tant qu'il a pu dans son palais. Ces peintures sont d'ordinaire accompagnées d'ornements de fleurs, d'oiseaux posés sur des cordelettes, suspendus par le bec ou par les pieds, de poissons ou d'autres animaux. En un mot, les peintures transportées chez le roi des deux Siciles forment près de sept cent tableaux de toute grandeur. Il est vrai que la plupart n'ont que dix ou douze pouces de hauteur sur une largeur proportionnée. Ils représentent de petits amours, des bêtes sauvages, des poissons, des oiseaux, etc.

Parmi les grands tableaux, il y en a deux qui méritent d'être ici décrits, et qui furent trouvés dans deux niches au fond d'un temple d'Hercule. Dans la première de ces niches était peint un Thésée, semblable à un athlete, tenant la massue levée et appuyée sur le bras gauche, et ayant sur l'épaule un manteau de couleur rouge, avec l'anneau au doigt. Le minotaure est étendu à ses pieds avec la tête d'un taureau et le corps d'un homme : la tête du monstre parait toute entière ; le corps est représenté en ligne presque droite et très-bien raccourci. Trais jeunes Grecs sont autour du héros : l'un lui embrasse le genou ; le second lui baise la main droite ; le troisième lui serre le bras gauche avec une attitude gracieuse : une fille, qu'on croit être Ariane, touche modestement sa massue. On voit dans l'air une septième figure, qui peut dénoter une victoire, et on aperçoit enfin les détours du labyrinthe.

Le tableau de l'autre niche est aussi composé de plusieurs figures de grandeur naturelle. On y voit une femme assise, couronnée d'herbes et de fleurs, tenant dans sa main un bâton couleur de fer ; à sa gauche est une corbeille pleine d'œufs et de fruits, surtout de grenades : derrière elle est un faune qui joue de la flute à sept tuyaux : en face de cette femme assise, on voit debout un homme à barbe courte et noire, ayant l'arc, le carquois plein de flèches, et la massue. Derrière cet homme est une autre femme couronnée d'épics, qui semble parler à la première ; à ses pieds, est une biche qui alaite un petit enfant. Au milieu du tableau et dans le vide, on voit une aigle à ailes déployées ; et sur la même ligne, un lion dans une attitude tranquille. Il faut avouer que les tableaux de ces deux niches ne sont pas dessinés avec correction, et que l'expression manque dans la plupart des têtes.

Au sortir du temple d'Hercule, l'on découvrit çà et là plusieurs autres tableaux, en particulier un Hercule de grandeur naturelle ; Virginie accompagnée de son père et d'Icilius son époux, en présence d'Appius-Décemvir siégeant sur son tribunal ; l'éducation d'Achille par Chiron, qui montre au jeune héros à jouer de la lyre ; enfin divers autres morceaux d'histoire, outre des paysages, des représentations de sacrifices, de victimes, et de prêtres en habits blancs et sacerdoteaux.

Les connaisseurs assurent que plusieurs des tableaux tirés des fouilles d'Herculane, quoique précieux d'ailleurs, péchent dans le coloris et les carnations, soit que ces défauts procedent des peintures mêmes, ou que le temps les ait altérées. Le coloris y est presque toujours trop rouge, et les gradations rarement conformes aux préceptes de l'art. Une seule couleur forme souvent le champ de ces tableaux ; quelques-uns cependant sont composés de deux, de trois et de quatre couleurs. Il y en a même un à fresque, représentant des fleurs où toutes les couleurs sont mises en usage.

Avant que de quitter ce qui regarde la peinture, il faut lever un doute, qui sera vraisemblablement resté dans l'esprit des lecteurs, au sujet des tableaux à fresque, transportés d'Herculanum à Portici. Ils demanderont comment on a pu procéder dans cette opération. Je leur répondrai, avec ceux qui en ont été témoins, qu'on a suivi la même méthode qui fut jadis heureusement employée pour les ouvrages de Damophîle et Gorgase, sculpteur et peintre illustres, qui avaient décoré le temple de Cérès, situé près du grand cirque à Rome. Lors, dit Varron, que l'on voulut réparer et crépir de nouveau les murs de cet édifice, on coupa tous les tableaux qui étaient peints dessus, et on les déposa dans des caisses. La même chose s'est pratiquée pour les tableaux d'Herculanum. On a d'abord commencé à les fortifier par derrière avec de la pierre propre à cet effet, sur laquelle attachant par le moyen du plâtre l'enduit et ses peintures ; coupant ensuite le tout, et le serrant avec beaucoup de précaution dans des caisses de bois, on l'a tiré du fond de la ville souterraine avec autant de dextérité que de bonheur. Enfin, on a appliqué sur ces peintures uu vernis transparent, pour les ranimer et les pouvoir conserver pendant des siècles.

Qu'on se représente à cette heure la surprise des gens de l'art, à la vue de tant de peintures renaissantes, pour ainsi dire, avec leur fraicheur : ni celles du tombeau des Nasons, lavées et presque effacées par le temps, ni celles que Gregorio Capponi a si fort vantées, ne sauraient être comparées aux peintures d'Herculane. Le roi des deux Siciles peut seul se vanter d'avoir, et la plus vaste collection qu'on connaisse en ce genre, et même des espèces de chef-d'œuvres parfaitement conservés.

A peine les tableaux des murs d'Herculanum avaient passé des ténèbres au grand jour, qu'on porta la curiosité dans l'intérieur d'une maison qu'on venait de découvrir à souhait. On y entra ; et dans une chambre de plein-pié, on y trouva quelques caraffes de crystal, un petit étui de bronze renfermant des poinçons pour écrire sur des tablettes de cire, et une lame d'airain, sur laquelle on lisait des immunités accordées par Titus aux affranchis qui voudraient s'appliquer à la navigation.

En parcourant la maison dont nous parlons, on trouva dans une chambre du haut (qui était peut-être la cuisine) plusieurs vases de terre et de bronze, et entr'autres des œufs entiers, des noix, des noisettes, belles en dehors, mais pleines de cendres en dedans.

Près de cette maison était un temple de Neptune, avec la statue du Dieu. Dans un endroit de ce temple sont représentées des galeres avec leurs combattants, et ces galeres n'ont qu'un rang de rames.

Ailleurs on découvrit une cave, contenant de grands vases de terre cuite, posés dans le gravais, et ensevelis tout à fait sous terre, à l'exception des gouleaux enchâssés dans un banc de marbre, qui régnait tout autour de la cave. La capacité de ces vases pouvait être, à ce qu'on conjecture, d'environ dix barrils mesure de Toscane ; je dis à ce qu'on conjecture, car malheureusement tout fut brisé au grand regret des Antiquaires. Au sortir de cette cave, on découvrit une statue de bronze, représentant le fils de Jupiter et d'Alcmene ; une lanterne à deux meches, et un bracelet d'or ciselé.

Dès qu'on eut commencé de rompre le pavé de mosaïque du temple d'Hercule, l'on trouva sous ce pavé des piédestaux de marbre, plusieurs lacrymatoires, et divers fragments de métal blanc qui servaient de miroir.

En avançant d'autres fouilles, on aperçut quelques édifices qui avaient une suite uniforme de petites galeries pavées en mosaïque, des fenêtres de médiocre grandeur, et dans quelques-unes des restes de pierres diaphanes, faites de talc ou d'albâtre très-fin.

Après de nouveaux travaux, l'étonnement redoubla à la vue de huit statues colossales assises qui ont été restaurées, et qui servent d'embellissement au théâtre de la maison royale de Portici.

L'oeil fut ensuite récréé par le spectacle de quantité de vases, trépiés, et statues d'idoles de plusieurs pièces, qui semblaient sortir de ces fouilles comme d'une source. Dans quelques-uns de ces vases, l'on a trouvé des provisions de toute espèce, comme grains, fruits, olives, réduits en charbons ; ainsi qu'un pâté d'environ un pied de diamètre, serré dans sa tourtière et clos dans le four.

On n'a gardé cependant de toutes les curiosités de ce genre qu'un seul pain, semblable de figure à deux pains posés l'un sur l'autre, dont celui de dessous est plus plat, et celui de dessus plus rond. Autour de ce pain on lit : Seligo C. Granii E. Cicère. Il a environ huit pouces de diamètre sur quatre de hauteur. Serait-il de la qualité de ceux dont Juvenal dit :

Et tener, et niveus, molli seligine factus

Servatur domino.

Mais que ce soit un pain mollet ou non, il est entier, et le roi des deux Siciles l'a mis dans des crystaux comme une chose très singulière. Rien n'est en effet plus rare, que de posséder du pain de seize siècles, conservant encore sa forme et son étiquette.

A ces découvertes succéda celle de quantité de nouvelles peintures, dont voici les principales. Une chasse de cerfs et de sangliers ; une victoire ; un vase de fleurs avec un chevreuil de chaque côté ; deux muses, dont l'une joue de la lyre, et l'autre a un masque qui couvre son visage ; trois têtes de Méduse ; deux têtes d'animaux imaginaires ; un oiseau qui voltige autour d'un cerf ; un prêtre de Bacchus qui joue des timbales ; un autre assis sur un tigre ; Ariane abandonnée sur le rivage de la mer, et Thésée qui s'enfuit sur son vaisseau ; Jupiter sous diverses formes ; Hercule qui extermine les oiseaux du lac Stymphale ; six ou sept tableaux représentant chacun une bacchante, qui se prépare à danser, et qui est vêtue d'une étoffe de gaze avec toute la recherche imaginable, pour former la nudité variée des épaules et du sein ; enfin d'autres peintures offrent des marines, des coupes d'architecture, et des édifices élégans représentés en perspective et dans toutes les règles de ce genre si difficile.

Laissons aux Antiquaires le soin de parler des médailles que les ruines d'Herculanum ont procurées à sa majesté des deux Siciles, et en particulier des médailles de Vitellius en bronze, grandes et moyennes qui sont rares ; la légende de celles-ci du principal côté est : A. Vitellius Germanicus Imp. Aug. P. M. Fr. P. Les revers sont différents. Dans quelques uns, on voit Mars avec la lance et l'enseigne romaine. Dans d'autres, la paix tient de la main droite le rameau d'olivier, et de la gauche la corne d'abondance.

Mais nous ne devons pas taire les lampes en grand nombre, qui ont été trouvées à Herculanum, et qui sont presque toutes consacrées à Vénus. Les anciens poètes nous peignent cette ville et ses environs, comme un des sièges de l'empire de cette déesse. Pour juger à quel point on y portait son culte, il ne faut que jeter un coup-d'oeil sur les lampes dont nous parlons. Si celles de terre cuite sont modestes en général, les lampes de cuivre sont autant de monuments par leurs différentes figures, de la dépravation de l'esprit et des mœurs des habitants qui les possédaient.

Il serait long de décrire les ustensiles des sacrifices ; et ce n'en est pas ici le lieu. Peut-être aussi sera-t-il impossible de connaître précisément la destination de chacun. Il suffira donc de remarquer qu'on en a découvert de toutes espèces, en marbre, en verre, en cuivre, en terre cuite ; les uns pour les sacrifices proprement dits, les autres pour les libations ; ceux-ci pour l'eau lustrale, ceux-là pour recevoir le vin dont on arrosait les victimes, etc.

Outre ces ustensiles sacrés, Herculanum a fourni quelques meubles de ménage ou de luxe, comme tables et trépiés. Parmi les tables entières, on en vante une d'un marbre couleur de fer, avec son pied de la même matière, représentant Io. On ne loue pas moins le trépié que le roi des deux Siciles a placé dans son appartement. Les ornements de ce trépié sont d'un goût délicat, et la cuvette est soutenue par trois sphynx ailés d'une très-belle ciselure.

Les autres curiosités consistent en casques, armes de différentes espèces, cuillers, bouteilles, vases, chandeliers, patères, urnes, anneaux, agraffes, boucles d'oreilles, colliers et bracelets, indépendamment d'une cassette qui contenait les instruments propres aux occupations des femmes, comme ciseaux, aiguilles, dés à coudre, etc.

Ma joie serait grande, si je pouvais terminer cet article par la nouvelle d'un beau manuscrit, tiré des ruines d'Herculanum : mais dans le petit nombre de ceux qu'on a déterrés de cette ville souterraine, ou l'écriture était effacée, ou les feuilles si fort collées les unes aux autres, qu'elles ont parti par lambeaux. Nous serions trop heureux si les excavations fussent tombées sur le temple d'un homme de lettres ; je veux dire, sur une maison écartée, consacrée aux muses, dans laquelle on eut trouvé en bon état quelqu'un de ces précieux ouvrages complets qui nous manquent toujours, comme un Diodore de Sicile, un Polybe, un Salluste, un Tite-Live, un Tacite, la seconde partie des fastes d'Ovide, les vingt-quatre livres de la guerre des Germains, que Pline commença lorsqu'il servait dans ce pays ; ou bien enfin, puisque ce peuple aimait tant le théâtre, un Eschyle, un Euripide, un Aristophane, un Ménandre ; certes on pouvait se flatter de ce dernier genre de découvertes.

La Campanie où était Herculanum, n'offrait pas seulement une contrée délicieuse par la fécondité de ses champs, la beauté de ses fruits, l'aménité de ses bords, la salubrité de son air, mais encore par le séjour que les muses faisaient dans son voisinage. La plupart des beaux-esprits de Rome semblaient s'être accordés pour venir habiter toutes les campagnes d'alentour. Enfin Herculanum était, pour ainsi dire, ceinte et munie de domiciles des sciences, et d'atteliers des beaux-arts. Ciceron, Pompée, celui qui le vainquit à Pharsale, et tant d'autres Romains, aussi célèbres par leur savoir que par leur habileté dans la conduite de l'état, avaient des maisons de plaisance aux environs de cette ville ; et quels secours ses habitants ne devaient-ils pas tirer de ces grands génies, pour cultiver leur esprit et former des bibliothèques à leur exemple !

Les ruines même de cette place, où l'on n'a rien aperçu qui sentit la barbarie, mais au contraire des édifices sacrés et profanes, publics et particuliers, très-bien entendus, très-bien décorés, un théâtre, des temples, des portiques, tant de peintures, de statues de bronze, de bas-reliefs et de colonnes ; tous ces monuments, dis-je, sont une preuve incontestable qu'Herculanum était habitée par des hommes curieux de belles choses.

Consolons-nous donc de la perte des manuscrits engloutis quelque part dans les abîmes de cette ville, puisqu'enfin ces fouilles pratiquées depuis 1750 jusqu'à 1755 ont produit d'autres raretés si nombreuses, que sa majesté Sicilienne a jugé nécessaire de destiner dans son palais une vaste salle voutée, remplie d'armoires différentes, pour les pouvoir placer, et montrer à tous les curieux de l'univers.

Ce Prince a fait plus, il a nommé, en 1755, une société de très-habiles gens, pour mettre en ordre tous ces précieux monuments d'antiquité, en donner l'histoire, la représentation en taille-douce, et l'explication. On ne saurait employer de trop bons artistes pour le dessein et la gravure ; car, quant à l'explication, c'est aux savants de l'Europe entière à y concourir. Il faut espérer que l'ouvrage complet sortira de la presse avec le soin qu'il mérite.

Nous en avons déjà Ve le premier tome avec avidité : il a paru à Naples en 1757 en forme d'atlas, et contient quantité de planches qu'on ne peut se lasser de regarder. Telle est la VIII. représentant Achille, qui apprend du centaure Chiron, à jouer de la lyre : la tête du centaure est excellente, et le jeune héros semble vivant et animé. La planche IX. du satyre Marsyas, assis sur une roche, est sans-doute une copie du tableau de Polygnote qu'on voyait à Delphes. Les planches de bacchantes n'offrent que trop d'attraits : elles ne sont point peintes ici en prêtresses échevelées, mais en nymphes de Gnide, vêtues d'une étoffe légère, et se présentant pour danser dans des attitudes si voluptueuses, que Vénus elle-même en eut emprunté l'image, pour s'attacher des peuples qui prenaient tant de soin d'encenser ses autels.

Les peintures d'un atelier pour la vendange avec les pressoirs, celles de quelques métiers inconnus, celles de la boutique d'un cordonnier, et toutes celles de divers jeux d'enfants m'ont enchanté. Il y en a où ces mêmes enfants pêchent à la ligne : on voit déjà les poissons qui sautent sur l'eau, ou qui sont pris. Tout est gracieux dans ces petites peintures, et Tenières n'a rien fait de plus amusant. Il y a aussi d'admirables planches de marine, et de morceaux d'architecture.

Il est vrai qu'on rencontre plusieurs autres planches, dont il parait difficîle ou impossible de deviner le sujet. La planche VI. par exemple, toute belle qu'elle est, prépare bien des tortures aux savants. La planche XI. n'est pas plus intelligible. Est-ce Oreste reconnu par sa sœur ? Et la planche XII. en est-elle une continuation ? Quoi qu'il en sait, toutes les entraves pour l'explication n'ôtent rien au mérite des choses curieuses de ce premier volume, et ne servent qu'à faire désirer la suite avec plus d'impatience. (D.J.)