Il y a plusieurs sortes de sappes :

La simple qui n'a qu'un seul parapet.

La sappe double qui en a deux.

La sappe volante qui se fait avec des gabions que l'on ne remplit pas d'abord. On trace avec ces gabions l'ouvrage qu'on veut former, et l'on y fait aller ensuite les travailleurs de la tranchée pour les remplir de terre. Cette sorte de sappe ne peut guère se pratiquer que la nuit, lorsqu'on est encore loin de la place, et dans les endroits où le feu de l'ennemi n'est pas fort considérable.

La demi-sappe est celle dans laquelle on pose à découvert plusieurs gabions sur un alignement donné, qu'on travaille ensuite à remplir, après avoir fermé les entre-deux des gabions avec des sacs à terre ou des fagots de sappe.

Enfin la sappe couverte est un chemin qu'on fait sous terre pour mettre les sappeurs à couvert des grenades, à l'approche des ouvrages qu'on veut attaquer. On ne laisse par-dessus que deux pieds de terre, qu'on soutient, s'il en est besoin, et qu'on fait tomber quand on veut. Cette sappe qu'on ne met guère en pratique, peut être utîle dans plusieurs occasions pour cacher son travail à l'ennemi.

La sappe ordinaire ou la simple-sappe, n'est autre chose qu'une tranchée poussée pié-à-pié, qui chemine jour et nuit également. Quoiqu'elle avance peu en apparence, elle fait beaucoup de chemin en effet, parce qu'elle marche toujours. C'est un métier qui demande une espèce d'apprentissage pour s'y rendre habile, auquel on est bien-tôt fait quand le courage et le désir du gain sont de la partie.

Voici comment elle se conduit.

L'ouvrage étant tracé, et les sappeurs instruits du chemin qu'ils doivent tenir, on commence par faire garnir la tête de gabions, fascines, sacs à terre, fourches de fer, crocs, maillets, mantelets, etc.

Cela fait, on perce la tranchée par une ouverture que les sappeurs font dans l'épaisseur de son parapet, à l'endroit qui leur est montré, après quoi, le sappeur qui mène la tête, commence de faire place pour son premier gabion, qu'il pose sur son plan, et l'arrange de la main, du croc et de la fourche du mieux qu'il peut, posant le dessus dessous, afin que la pointe des piquets des gabions débordant le sommet, puisse servir à tenir les fascines dont on les charge. Cela fait, il les remplit de terre en la jetant de biais en avant, et se tenant un peu en-arrière pour ne pas se découvrir : à mesure qu'il remplit le premier gabion, il frappe de temps en temps de son maillet ou de sa pioche contre, pour faire entasser la terre.

Ce premier gabion rempli, il en pose un second sur le même alignement, qu'il arrange et remplit de même ; après ce troisième, un quatrième, se tenant toujours à couvert, et courbé derrière ceux qui sont remplis ; ce qu'il continue toujours de la sorte : mais parce que les joints des gabions sont fort dangereux avant que la sappe soit achevée, il les faudra fermer de deux ou trois sacs à terre posés bout sur bout sur chaque joint, que le deuxième sappeur arrange, après que le troisième et quatrième les lui ont fait passer.

Au vingtième ou trentième gabion posé et rempli, on reprend les sacs de la queue pour les rapporter en avant, afin de les épargner ; de sorte qu'une centaine de sacs à terre bien ménagés, peuvent suffire à conduire une sappe depuis le commencement du siege jusqu'à la fin.

A l'égard de l'exécution de la sappe, voici comme elle se doit conduire.

Le premier sappeur creuse un pied et demi de large sur autant de profondeur, laissant une berme de 6 pouces au pied du gabion, et taluant un peu du même côté.

Le second élargit de 6 pouces, et approfondit d'autant, ce qui fait 2 pieds de large et autant de profondeur.

Le troisième et le quatrième creusent encore chacun d'un demi-pié, et élargissent d'autant, font les talus, et réduisent les sappes à 3 pieds de profondeur et autant de largeur par le haut, revenant à 2 pieds et demi sur le fond, les talus parés ; ce qui est la mesure que nous demandons pour la rendre parfaite. Il reste quatre hommes à employer de la même escouade, qui se tenant en repos derrière les autres, font rouler les gabions et fascines aux quatre de la tête, afin que les premiers sappeurs les trouvent sous la main ; ils leur font aussi glisser des fascines pour garnir le dessus des gabions quand ils sont pleins ; savoir deux sur les bords et un dans le milieu, qu'on a soin de faire entrer dans les piquets pointus des gabions qui surmontent le sommet, afin de les tenir fermes ; après quoi on les charge de terre.

L'excavation de ces 3 pieds de profondeur fournit les terres nécessaires à remplir les gabions, et une masse de parapet formant un talus à terre courante du côté de la place, remplit le haut en bas, qui ne peut être percé que par le canon.

Quand les quatre premiers sappeurs sont las, et qu'ils ont travaillé une heure ou deux avec force, ils appellent les quatre autres, lesquels prenant la place des premiers, ils travailleront de même force jusqu'à ce que la lassitude les oblige à rappeler les autres, observant que celui qui a mené la tête prend la queue des quatre, à la première reprise du travail ; car chacun d'eux doit mener la tête à son tour, et poser une pareille quantité de gabions, afin d'égaler le péril et le travail. De cette façon on fait une grande diligence, quand la sappe est bien fournie.

Au surplus, on fait marcher la sappe non-seulement en avant, mais aussi à côté, sur les prolongements de la droite et de la gauche ; et pour l'ordinaire on voit des quatre, cinq et six sappes dans une seule tranchée, qui toutes cheminent à leur fin.

Dans le même temps, celui qui dirige les sappeurs doit avoir soin de faire servir des gabions et des fascines à la tête des sappes ; ce qui se fait par l'intervention de celui qui commande la tranchée, qui lui fait fournir le monde dont il a besoin.

Le moyen d'être bien servi serait de donner six deniers de chaque fascine, portée de la queue des tranchées à la tête des sappes, payés sur le champ à la fin des voyages, ou d'une certaine quantité. Chaque soldat en peut porter aisément trois, et faire trois ou quatre voyages ; il faudrait pour la même raison, donner un sou des gabions : en observant cette petite libéralité, les sappes seraient toujours bien et aisément servies.

Il est encore à remarquer que quand on a affaire à des ennemis un peu éveillés, ils canonnent la tête des sappes avant que votre canon tire, de manière que souvent on est obligé de les abandonner ; mais si on y est forcé de jour, on s'en dédommage pendant la nuit.

A mesure que la sappe avance, on fait garnir celle qui est faite par les travailleurs qui l'élargissent jusqu'à ce qu'elle ait 10 ou 12 pieds de large, sur 3 de profondeur ; pour lors elle change de nom, et s'appelle tranchée, si elle sert de chemin pour aller à la place ; mais on la nomme place d'armes, si elle lui fait face, et qu'elle soit disposée pour y placer des troupes.

Ces sortes d'ouvrages qui supposent de l'adresse et de l'intelligence, et qui se font avec danger, doivent être bien payés, si l'on veut être bien servi.

Le prix le plus raisonnable de la sappe doit être 40 sous la taise courante au commencement ; savoir tout le long du travers de la seconde place d'armes, et ce qui se trouve entr'elle et la troisième.

2 livres 10 sous pour la troisième place d'armes et le travail jusqu'au pied du glacis.

3 livres pour celle qui se fait sur le glacis.

3 livres 10 sous pour celle qui se fait sur le haut du chemin couvert.

5 livres pour celle qui entre dans ledit chemin couvert.

10 livres pour celle qu'on fait aux passages des fossés secs.

20 livres s'ils sont pleins d'eau ; et quand elle sera double, comme cela arrive quelquefois, il la faudra payer au double, selon les endroits où on la fera.

A l'égard de celle qui se fera dans les breches des bastions et demi-lunes, elle n'a point de prix réglé, parce qu'elle est exposée à tout ce que la place a de plus dangereux ; c'est pourquoi, selon le péril auquel ils seront exposés, il faudra donner ce qu'on jugera à propos.

Le taisé se doit faire par un seul ingénieur préposé pour cela à chacune des attaques ; le même fait le compte des brigades en présence des officiers et sergens, qui ont soin après de faire distribuer aux escouades ce qui leur revient ; c'est pourquoi ils doivent contrôler tous les jours ce que chacun aura fait d'ouvrage, de concert avec l'ingénieur qui fera le taisé, sur le prix desquels on pourrait retenir un dixième pour les officiers et sergens, afin de les rendre plus exacts à relever et faire servir les sappes.

En observant cet ordre, comme tous sont intéressés à ce travail, il ne faut pas douter qu'il ne se pousse avec toute la diligence possible, et l'on peut estimer qu'ils feront 80 taises en 24 heures.

Au surplus l'ingénieur qui les taisera, le doit faire toutes les 24 heures, et toujours laisser des marques sensibles à la fin de chaque taisé, et tenir registre de tout, afin que quand on voudra le vérifier, on le puisse faire sans confusion.

Or 80 taises, à 2 livres la taise, font 160 livres, dont ôtant le dixième qui est 16 liv. il reste pour les sappeurs 144 liv. qui distribués à 24 hommes, font 6 liv. pour chacun, ce qui est un gain raisonnable. Ils ne gagneront pas davantage dans le courant du siege, quoique le prix de la sappe augmente à mesure qu'ils approchent de la place, parce que le péril augmentant aussi, il est sur que plus ils en approcheront, et moins ils feront d'ouvrage.

On a accoutumé de leur payer quelque chose de plus que le prix de la taise courante, pour chaque coupure qu'ils font dans la tranchée, par la raison qu'il y a plus d'ouvrage qu'ailleurs ; cela se peut réduire à doubler le prix de la taise et rien de plus.

Au reste, il y a une chose à quoi les officiers doivent bien prendre garde ; c'est que souvent les sappeurs s'enivrent à la tête de leur sappe, après quoi ils se font tuer comme des bêtes, sans prendre garde à ce qu'ils font, c'est de quoi il faut les empêcher, en ne leur permettant pas d'y porter du vin qui ne soit mêlé de beaucoup d'eau.

Comme rien n'est plus convenable à la sûreté, diligence et bonne façon des tranchées, que cette manière d'en conduire les têtes, et de les ébaucher, rien n'est aussi plus nécessaire que d'en régler la conduite ; car outre que la diligence s'y trouvera, il est certain qu'on préviendra beaucoup de friponneries qui s'y font par la précipitation confuse avec laquelle elles se conduisent, qui font qu'il y a toujours de l'embrouillement, et quelqu'un qui en profite. Attaque des places par M. le maréchal de Vauban. Voyez Pl. XVI. de Fortification, fig. 2. n °. 1. le plan d'une sappe, sa vue du côté intérieur, n °. 2. et du côté extérieur, n °. 3. le profil d'une sappe achevée, n °. 4. et le profil représentant l'excavation des quatre sappeurs n °. 5. de la même Pl.